Déclarations de M. François Fillon, Premier ministre, M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, et de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur l'engagement français dans la coalition internationale en Libye, au Sénat le 22 mars 2011.

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Circonstance : Débat sans vote sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU instaurant une zone d'exclusion aérienne sur la Libye, au Sénat le 22 mars 2011

Texte intégral

* M. François Fillon, Premier ministre
Je m'associe au message de soutien et d'affection adressé à M. l'ambassadeur du Japon et au peuple japonais. Nous sommes tous bouleversés par cette catastrophe immense, et voudrions faire encore plus pour aider les Japonais. Demain soir, je m'adresserai à la communauté japonaise de France pour lui faire part de notre affection et de notre solidarité.
Samedi, nos forces armées sont entrées en action en Libye. Conformément à l'article 35 de la Constitution, j'informe le Sénat des raisons et des conditions de cet engagement.
Depuis quelques mois, un vent de démocratisation souffle dans les pays arabes. Nous espérions que la révolte libyenne aurait le même sort qu'ailleurs, mais la semaine dernière, elle semblait vivre ses dernières heures. Nous avons refusé l'inacceptable.
L'usage de la force armée dans les affaires intérieures d'un pays arabe est une décision lourde. Mais ne serions-nous pas immensément coupables d'avoir assisté les bras croisés à la répression ?
Toute la région est parcourue par une onde de choc démocratique qui révèle la force des idéaux humanistes, trop souvent accusés d'être le propre de nos vieilles démocraties. Ne pas intervenir, c'était constater que le mur de l'oppression était plus fort que le vent de la liberté.
L'usage de la force ne s'est pas imposé du jour au lendemain. Dès le début de la crise, nous avons plaidé pour des sanctions contre le régime de Kadhafi, et demandé la saisine de la Cour pénale internationale ; nous avons acheminé de l'aide humanitaire à la frontière égypto-libyenne.
La France s'est battue sans relâche, aux Nations unies, au conseil de l'Europe, au G8. Dans le même temps, d'autres organisations internationales se sont mobilisées : Ligue arabe, OUA, Conférence islamique... Rien n'a fait fléchir la froide détermination du régime libyen : l'emploi de la force s'imposait comme la seule solution.
Nous avons été clairs, en conditionnant toute intervention à quatre préalables : un besoin réel sur le terrain, l'appui des pays de la région, une base juridique solide et à une action collective.
La résolution 1973 autorise le recours à la force. Nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye, mais une opération de protection des populations civiles. L'envoi d'une force d'occupation au sol est exclu ; il s'agit de mettre en place une zone d'exclusion aérienne, et d'assurer l'effectivité de l'embargo sur les armes. Nous voulons permettre au peuple libyen de décider de son avenir : nous n'entendons en aucun cas nous substituer à lui. La France rend hommage au Conseil national de transition, qui est notre interlocuteur politique, et avec lequel nous sommes constamment en relation.
Dès le 4 mars, notre aviation surveillait les capacités de l'armée libyenne et l'avancée des troupes. Les opérations de samedi avaient pour objectif de mettre hors de danger Benghazi et d'imposer une zone d'exclusion aérienne. Elles se sont poursuivies en coordination avec les autres pays de la coalition.
L'objectif fixé par la résolution 1973 est la cessation totale de l'usage de la force contre les populations civiles. Nous appliquons toute la résolution et rien qu'elle. Nos actions sont intégralement notifiées au Secrétaire général de l'ONU et à celui de la Ligue arabe. Si le régime de Kadhafi respecte la résolution 1973, les opérations cesseront.
Je veux saluer le dévouement de nos soldats. Leur mandat est légitime et leur mission est noble.
De Tunis au Caire, et du Caire à Tripoli, l'avenir de l'espace méditerranéen est en train de se jouer. La France aspire à un espace méditerranéen pacifique, solidaire, tourné vers le progrès.
Avec l'Union européenne, nous avons proposé un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée. C'est dans cet esprit que nous appuyons les processus de transition engagés en Egypte et en Tunisie. C'est aussi dans cet esprit que nous avons salué le discours réformateur du Roi du Maroc.
Nous voulons voir naître une nouvelle ère en Méditerranée, débarrassée des vieilles scories coloniales et des postures dépassées, marquée par le respect mutuel et le partage.
Cette aspiration concerne aussi le conflit israélo-palestinien qui ne doit pas être le grand oublié de la transition politique arabe en cours. Le processus de paix doit être relancé ; en juin prochain, nous avons proposé de réunir à Paris la prochaine Conférence des donateurs. Au moment où le monde arabe s'éveille à la démocratie, 2011 doit être aussi l'année de la création d'un Etat palestinien vivant en paix et en sécurité aux côtés d'Israël dans des frontières sûres et internationalement reconnues.
A Benghazi, le drapeau tricolore a été levé, ce qui nous oblige. Je sais que nombre d'entre vous sont attachés à une certaine idée de la France et de la liberté. Aujourd'hui, il n'y a ni droite, ni gauche, mais seulement la République, qui s'engage avec courage et lucidité !
* M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des Affaires étrangères et européennes
Le gouvernement a organisé ce débat en application de l'article 35 de la Constitution. Je suis heureux que sa politique rencontre ici une large approbation. J'ai entendu les réserves de Mme Borvo Cohen-Seat ; mais s'il n'y a pas eu de médiation, c'est que M. Kadhafi a toujours piétiné les résolutions du Conseil de sécurité !
Il faut savoir prendre des risques, avec le sens des responsabilités. Nous ne l'aurions pas fait que Benghazi serait aujourd'hui rayée de la carte. Je rends hommage à nos soldats, à leur professionnalisme et à leur courage.
Plusieurs d'entre vous ont insisté sur la nécessité d'associer les pays arabes : nous partageons entièrement cet avis. La résolution 1973, dont le projet avait été présenté par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Liban, n'a été adoptée que grâce à leur soutien.
Ils furent plusieurs présents au sommet de Paris. Le secrétaire général de la Ligue arabe a confirmé aujourd'hui son plein soutien à l'opération, et le Qatar doit y participer. Au-delà, le Premier ministre turc a fait preuve de son approbation. Les deux États africains membres du Conseil de sécurité ont voté la résolution.
Non, la reconnaissance du Conseil national de transition n'a pas été improvisée, quoi que prétende certaine rumeur médiatique. Ses représentants ont été reçus par le président de la République puis par moi-même. Cette reconnaissance politique dès le 11 mars a été validée par tous les pays européens. La déclaration commune adoptée après notre sommet en fait les interlocuteurs de l'Union européenne.
On a reproché au CNT de compter dans ses rangs d'anciens ministres de Kadhafi, mais je ne connais pas de révolution où il n'en aille pas de même. Qui sont ces gens ? Ceux qui soutiennent les Libyens qui se battent pour leur liberté.
Quant à la chaîne du commandement, la France estime que l'Otan est mal placée pour diriger des opérations dans un pays arabe. Il s'agit d'une opération sous mandat de l'ONU, menée par une coalition de pays qui ne sont pas tous membres de l'Otan. Nous allons constituer un groupe de pilotage politique, en collaboration avec M. Hague.
Y a-t-il un risque d'enlisement ? Nous ne voulons pas nous engager dans une opération de longue durée et la résolution 1973 exclut toute intervention au sol. A tout instant, le régime Kadhafi peut mettre fin aux opérations en respectant la résolution de l'ONU. Il faut penser à la paix. Le président de la République prendra des initiatives. Nous n'entendons pas nous substituer au peuple libyen mais lui permettre de choisir lui-même son destin.
L'Union européenne a-t-elle été incapable de faire entendre sa voix ? En fait, elle a, dès le 11 mars, adopté une position commune. Le Conseil européen a condamné le régime libyen et exigé le respect des résolutions du Conseil de sécurité. Hier, le Conseil des ministres des Affaires étrangères a soutenu la résolution 1973. L'Union européenne s'est engagée dans l'action humanitaire.
Certes, il n'y a pas unanimité sur l'utilisation de la force militaire. J'ai dit regretter que l'Union européenne se comporte comme une ONG humanitaire... Il va falloir reposer la question de la politique européenne de défense.
L'Union européenne se mobilise pour accompagner la transition démocratique au sud de la Méditerranée. En Égypte, le défi économique est important : les hôtels ne sont remplis qu'à 15 % alors que des milliers de travailleurs émigrés rentrent au pays ! Or, les Égyptiens veulent toucher les bénéfices de la révolution. Certains mouvements extrémistes pourraient exploiter ces difficultés.
A plus long terme, il faut resserrer nos liens au sud de la Méditerranée. L'Union pour la Méditerranée était une initiative visionnaire, qui a échoué à cause du blocage du processus de paix au Moyen-Orient. (Applaudissements à droite) Il faut relancer ce processus, et engager des projets concrets, par exemple l'immigration circulaire par un «Erasmus euro-méditerranéen». On a parfois montré du doigt la diplomatie française : je lui rends aujourd'hui hommage. Mais le plus dur reste à faire : il faut gagner la paix.
Ce qui se passe au sud de la Méditerranée peut être une chance pour les Arabes comme pour nous. Faisons-leur confiance ! Aidons-les à réussir !
* M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des Anciens Combattants
Dans ce débat, les aspects militaires paraissent plus clairs que les incertitudes diplomatiques. Merci à ceux qui ont soutenu notre action avec chaleur, vous, monsieur le président, et M. Gaudin, ou avec conviction comme MM. Zocchetto, Carrère et Chevènement.
Notre effort repose sur la mobilisation de nos moyens aériens répartis sur tout notre territoire : moyens de transport et de contrôle aérien, logistique, avions de combat et même porte-avions. Au service de quelques dizaines de pilotes, de nombreux professionnels interviennent. Je les remercie.
Toute la résolution, rien que la résolution : beaucoup d'entre vous l'ont dit. La responsabilité de protection, cependant, va bien plus loin que la zone d'exclusion aérienne : nous devons protéger les populations civiles de toute menace. Dès samedi, nos avions ont tiré sur des moyens au sol pour briser l'étau autour de Benghazi.
La marine, ensuite, peut jouer tout son rôle dans un pays où la population vit essentiellement sur une étroite bande côtière. Notre objectif, c'est d'interdire que les armes de guerre de M. Kadhafi soient l'arbitre de son conflit contre son peuple ! Nous devons donc créer une culture d'action respectueuse de la résolution de 2005.
Nous sommes dans une guerre où la réactivité est immédiate. La rue arabe s'est mobilisée avec internet, en temps réel. La chaîne de commandement doit, elle aussi, fonctionner en temps réel, sauf à paralyser les combattants.
Aucun de nos soldats n'est au sol, mais des informations en proviennent. Nous avons besoin de les contrôler. Quid si la Libye verse dans la guerre civile ? N'oublions pas que la résolution prévoit l'embargo, même s'il serait nécessairement imparfait dans un pays comme la Lybie.
Notre règle doit être l'efficacité au service de la résolution 1973 : notre chaîne de commandement doit tirer parti de nos moyens, et je fais confiance aux états-majors pour qu'ils agissent dans le sens voulu par notre pays, qui a su y gagner des pays arabes.
Je suis un homme de tradition, un peu conservateur : je me souviens du serment de Koufra et de Bir Hakeim, et me félicite que cette bataille soit aujourd'hui un petit caillou sur le chemin de la liberté des Libyens ! Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2011