Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
En vertu de notre Constitution, vous avez aujourd'hui la responsabilité de décider ou non de la poursuite de nos opérations en Libye. Et pour ce faire, il faut d'abord revenir aux origines de cette intervention.
Quelle était la situation au début du mois de mars ? Chacun l'a en mémoire : des manifestations sauvagement réprimées à Tripoli, les bombardements à l'arme lourde sur des civils désarmés, des déplacements massifs de population, des bilans faisant état, selon la commission d'enquête du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies, de plus d'un millier de morts en quelques semaines seulement. C'est dans ces circonstances dramatiques que la communauté internationale, à la suite de l'intervention talentueuse et efficace du Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères, a franchi un pas décisif puisque pour la première fois, le principe de la «responsabilité de protéger», adopté en 2005 par l'ONU, a été mis en œuvre dans une situation concrète.
De fait, le Conseil de Sécurité s'est appuyé sur l'échec des autorités libyennes à remplir leurs responsabilités de protéger leur population pour assurer lui-même une telle protection, en prenant des mesures dans le cadre de la Charte des Nations Unies, qui autorise le recours à la force.
Certains ont prétendu que notre intervention avait été décidée pour contrebalancer notre surprise face aux révoltes tunisienne et égyptienne. C'est faire injure au Gouvernement. Parce que la France n'engage pas ses forces à la légère. Lorsque le Président de la République a envoyé nos premiers aviateurs au-dessus de Benghazi, les chars de Kadhafi entraient dans les faubourgs de la ville.
La France ne prend pas davantage ses décisions seule. Plus d'une vingtaine de pays occidentaux et arabes et d'organisations internationales ont participé au Sommet de Paris du 19 mars, qui a rassemblé ainsi dans l'urgence tous ceux qui étaient désireux de tout mettre en œuvre pour sauver la Libye libre et appliquer les résolutions du Conseil de Sécurité. Parmi eux, les Etats-Unis mais aussi le Royaume-Uni sous l'impulsion déterminée de David Cameron. Notre décision a été mûrie, elle a été pesée, elle n'a été prise qu'à l'issue de plusieurs semaines d'avertissements diplomatiques, délibérément ignorés par Kadhafi.
En effet, la résolution 19.73 du 17 mars, qui autorise le recours à la force avait été précédée de la résolution 19.70 du 26 février, dans laquelle le Conseil de Sécurité exigeait la fin des violences, saisissait le Procureur de la Cour Pénale Internationale et adoptait un premier régime de sanctions. Le colonel Kadhafi a ignoré tous ces messages, comme il a ignoré tout au long du mois de février et de mars, les multiples appels. Les appels du Conseil européen, les appels du G8, de l'Union Africaine, de la ligue des Etats arabes, de la conférence des Etats islamiques. Et c'est finalement ce jusqu'au-boutisme qui a contraint la communauté internationale à intervenir militairement, en dernier recours.
Il est tout à fait vrai que le vent de liberté qui soufflait sur le monde arabe en ce printemps 2011 a imprégné notre décision. S'il n'y avait pas eu ce souffle de liberté, il est possible que la France et la communauté internationale eurent limité leur action à la seule dénonciation de la répression. Il est possible que le réalisme le plus froid et l'attachement prudent à la stabilité auraient eu raison de notre audace.
Oui, le contexte régional a pesé sur nos choix. Il a pesé en ce sens, quà nos yeux la victoire de la répression aurait signifié que la démocratie dans le monde arabe n'était qu'un feu de paille étouffé par le premier dictateur décidé. Il a pesé en ce sens qu'après la Tunisie et l'Egypte, les chances de voir le monde arabe traversé par des changements démocratiques nous sont apparues crédibles et porteuses d'avenir pour tout le bassin méditerranéen. Il a pesé en ce sens que la France croit que la cause de la liberté et des Droits de l'Homme est en mesure de progresser dans le monde, comme l'atteste l'évolution en Côte d'Ivoire et comme le confirme l'arrestation de Ratko Mladic. Les dictateurs, les tyrans, les bourreaux sont peu à peu mis en demeure de rendre des comptes à la communauté internationale, et ce progrès de la justice, si fragile, ne devait pas se briser à Benghazi.
4400 hommes et femmes sont engagés à un titre ou à un autre, dans l'opération Harmattan - je veux parler des forces françaises - dont 800 en métropole sur un certain nombre de bases aériennes. Avec 40 avions de combat, 6 avions de soutien, 8 navires et 18 hélicoptères d'attaque, la France est le premier pays contributeur, aux côtés de ses partenaires de l'Otan et du monde arabe. Et je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour avec vous tous, rendre hommage au professionnalisme et au courage de nos soldats qui se battent en Libye pour une cause juste. Depuis le 19 mars, la situation militaire a évolué favorablement.
Le tout premier objectif que nous nous étions fixé, celui d'éviter un bain de sang à Benghazi, a été atteint. Le deuxième objectif consistait à protéger la région orientale du pays ; elle est aujourd'hui presque entièrement à l'abri des assauts de Kadhafi. Mais nous savons aussi que ce dernier n'en est pas moins décidé à continuer sa guerre contre le peuple libyen dans l'Ouest du pays. Mais là aussi, sa stratégie est en train d'échouer. Partout, les Libyens libres gagnent du terrain et c'est désormais sur Kadhafi, dont l'Aviation et la Marine ont été presque entièrement détruites, que l'étau se resserre. Les capacités militaires du régime ont été très sérieusement dégradées : 2500 objectifs ont été touchés, parmi lesquels 850 sites logistiques, 160 centres de commandement, 450 chars, 220 véhicules et 140 pièces d'artillerie. Les soutiens du régime ne cessent de s'effriter. On assiste à de multiples défections. Kadhafi est acculé. Et il se dit lui-même je reprends son expression « le dos au mur». Mais nous savons aussi que le point de rupture n'est pas encore atteint. Et c'est maintenant que la communauté internationale doit se montrer inflexible.
Que les choses soient claires : nous n'avons jamais dit ou pensé que l'intervention en Libye allait se conclure en quelques jours. Mais le terme d'enlisement est sans objet pour celui qui regarde une simple carte de la Libye libre, qui ne cesse de s'étendre depuis la fin du mois de mars. A partir de Benghazi, les forces du CNT ont pu reconquérir l'ensemble de la Cyrénaïque jusqu'à Brega. L'étau sur Misratah a été desserré et les rebelles ont progressé de plusieurs kilomètres à l'ouest de la ville. Dans le Djebel Nefoussa, les unités de Kadhafi perdent chaque jour un peu plus de terrain sur l'axe stratégique qui mène à Tripoli. Enfin dans le sud du pays, plusieurs villes sont depuis la fin du mois de juin aux mains des forces du CNT.
Mais devant vous, je ne veux occulter ou esquiver aucun des débats. D'abord je voudrais évoquer les deux erreurs que l'OTAN a reconnues et qui sont survenues les 18 et 19 juin, pour dire avec vous que rien ne peut justifier la mort de civils innocents. Mais le drame qui est survenu à Tripoli doit être envisagé au regard des milliers de sorties aériennes effectuées par l'OTAN depuis le début de son engagement en Libye. Dois-je en outre rappeler que nous sommes confrontés à un régime qui n'hésite pas à opérer depuis des zones habitées, jusque dans les écoles, les hôpitaux ou les mosquées ?
La France, depuis le début de l'intervention s'en tient au mandat défini par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ce mandat ne nous donne pas le droit d'éliminer le colonel Kadhafi. L'action de l'OTAN vise des cibles d'intérêt militaire et en aucun cas des individus. Au début du mois de juin, nous avons livré des armes légères dans le Djebel Nefoussa. Je sais que ces livraisons ont suscité des interrogations. Nous y avons répondu. Elles respectent la résolution 19.73 du Conseil de Sécurité qui autorise les Etats-membres des Nations Unies à prendre toutes les mesures nécessaires, malgré l'embargo sur les armes, pour protéger les populations civiles menacées. Cette décision a été prise de manière ponctuelle et dans un contexte très particulier, en raison de menaces graves et imminentes que courrait la population du Djebel Nefoussa.
Dès lors que toute intervention au sol est exclue pour aider la Résistance, qu'aurait-il fallu faire lorsque ces populations civiles ont été bombardées à leur tour avec des armes lourdes ? Fallait-il laisser les massacres se poursuivre ? Ce n'était pas notre conception. Le respect du droit international est l'un des fondements de notre intervention et il doit le rester. Mais nous avons en face de nous un homme qui est accusé par le Procureur de la Cour pénale internationale de crimes contre l'Humanité.
L'usage de la force n'est pas une fin en soi. Et nous conviendrons tous ensemble sur ces bancs, qu'une solution politique en Libye est plus que jamais indispensable. Je veux dire qu'elle commence à prendre forme. Les conditions de la suspension des opérations militaires sont connues : un cessez-le-feu authentique et vérifiable, ce qui suppose notamment le retour des forces de Kadhafi dans leurs casernes ; la fin des exactions contre les populations civiles ; le libre accès de l'aide humanitaire et enfin le retrait du Colonel Kadhafi du pouvoir.
A l'initiative du Président de la République, la France a été le premier le pays à reconnaître le Conseil National de Transition. Certains ont cru bon de critiquer cette initiative française, alors qu'en réalité elle a ouvert la voie. Trois mois plus tard plus d'une trentaine de pays sur tous les continents considèrent le CNT comme leur interlocuteur politique privilégié sinon unique, en Libye. Pourquoi ? Parce que le CNT est la seule autorité légitime sur place, qui regroupe des représentants de l'ensemble du pays. Parce que le CNT manifeste une réelle volonté de mettre en place un Etat de droit, dans le respect de l'unité de la Libye et de l'intégrité de son territoire, avec Tripoli comme capitale.
Alors naturellement, nous savons que l'avenir de la Libye sera difficile. Mais faut-il pour autant ne voir que les risques et jamais les chances offertes par le changement ? Car enfin, de quoi parle-t-on ? De 42 ans de dictature en Libye, de 42 ans d'une société entièrement verrouillée. Il appartient aux Libyens d'écrire leur Histoire car il s'agit de leur Révolution, pas de la nôtre ! Mais la France avec ses partenaires est prête à y apporter sa contribution. C'est l'enjeu du groupe de contact qui est chargé du pilotage politique et de la coordination de l'action internationale en faveur de la Libye et qui ne cesse de s'élargir depuis sa création en particulier à des Etats africains ou arabes.
Dans ce contexte, les efforts de médiation se multiplient pour trouver une issue politique à la crise. Je veux évoquer ceux conduits par la Russie ou par l'Union Africaine, dont la France appuie l'engagement croissant, et le Ministre d'Etat était il y a encore quelques heures avec les dirigeants de l'Union Africaine. On voit que les positions respectives des uns et des autres sur les modalités de la transition se rapprochent de plus en plus, il aura l'occasion en répondant à vos questions tout à l'heure, de le dire.
L'envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies doit jouer dans ces circonstances, un r??le central pour coordonner les différentes initiatives de médiation. Indépendamment des opérations militaires, la communauté internationale a décidé de mettre en place un mécanisme financier pour assurer les dépenses d'urgence humanitaire de la Libye libre. L'Italie, le Koweït, le Qatar, l'Espagne, la Turquie, les Etats-Unis ont annoncé qu'ils contribueraient à ce mécanisme. Et la France quant à elle, a d'ores et déjà annoncé le dégel de 290 millions de dollars d'avoirs libyens qui étaient jusqu'à présent sous sanction.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pourquoi agir en Libye et pas dans d'autres Etats où sévissent meurtres et massacres d'innocents ? Cette une interrogation qui est aussi ancienne que les relations internationales et je ne la balaye pas d'un revers de la main. Nous ne voulons pas de « deux poids, deux mesures» parce que nous soutenons toutes les aspirations des peuples à la Liberté et à la dignité. Mais c'est ainsi, il y a des lieux, il y a des moments, il y a des circonstances qui font que ce qu'il est possible de faire pour un peuple, il n'est malheureusement pas possible de le faire ailleurs parce qu'il n'y a pas de consensus international.
Ceux qui nous disent : « Pourquoi la Libye et pourquoi pas partout ailleurs ?» ne sont pas seulement candides, ils sont en vérité pour l'inaction. Ce n'est pas parce que l'on ne peut ou que l'on ne veut intervenir partout que l'on ne doit intervenir nulle part ! J'ai entendu les critiques de ceux qui dénoncent les prétendues visées impérialistes des pays conduisant la coalition en Libye. C'est une vieille rengaine qui n'a pas de sens et qui surtout néglige l'essentiel. Face aux bombardements de populations civiles désarmées, il y a ceux qui veulent faire quelque chose et il y a ceux qui assistent aux massacres sans réagir. Eh bien la France se range dans la première catégorie et c'est à son honneur.
Aujourd'hui, les villes de Benghazi, de Misratah, de Zentan, de Brega sont connues dans le monde entier. Et c'est dans ces villes que se joue une partie de l'avenir des valeurs universelles qui sont les nôtres depuis longtemps. Cest dans ces villes que sera battu en brèche le prétendu choix binaire des pays arabes entre régime autoritaire et régime islamiste. Et c'est la responsabilité des Chefs d'Etats de la région de se montrer courageux et visionnaires pour répondre aux aspirations de leur peuple.
Et à cet égard, quel contraste entre le Maroc et la Syrie ! Au Maroc, des réformes pacifiques sont en train de se faire jour sous l'impulsion du Roi Mohamed VI. En Syrie, les massacres continuent.
Je veux dire que la France ne déviera pas de sa route, qu'elle continuera de condamner sans faiblesse la répression. La France appelle à la mise en uvre de profondes réformes politiques à Damas. La France milite pour le renforcement des sanctions. La France tente inlassablement de mobiliser le Conseil de Sécurité. Nous ne relâcherons pas nos efforts car il est intolérable que le Conseil de Sécurité des Nations Unies reste muet sur la tragédie syrienne. Nous ne céderons pas aux intimidations. Ce qui s'est produit à Damas autour des Ambassades de France et des Etats-Unis contrevient à toutes les règles diplomatiques. Je veux dire à nouveau que nous tenons les autorités syriennes pour responsables de la sécurité de nos représentations et de leurs agents en Syrie.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, tous les peuples de la région peuvent être assurés de notre soutien dans leur effort d'affranchissement et de progrès. Par le «Partenariat de Deauville» adopté à l'occasion du G8 ; par la mobilisation de 40 milliards de dollars sur trois ans, la communauté internationale a tracé le cap de son action pour appuyer le développement démocratique et économique de la région.
C'est dans le même esprit d'exigence que la France multiplie les initiatives pour tenter de sortir de l'impasse le Processus de Paix au Proche-Orient. Le statu quo n'y est pas une option. L'heure doit être aux négociations. Aux négociations, afin que Palestiniens et Israéliens puissent enfin vivre côte à côte dans deux Etats souverains, aux frontières internationalement reconnues et en pleine sécurité. C'est le message que le Ministre d'Etat est allé porter dans la région il y a quelques jours et c'est sur ce message que la France engage avec ses alliés européens, tous ses efforts.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'usage de la force armée est toujours lourd de conséquences. Mais que vaudraient aujourd'hui nos hésitations, nos interrogations et toutes ces critiques si Benghazi était tombé, et si sous nos yeux impuissants, des milliers de civils supplémentaires avaient été massacrés ? Ceux qui aujourd'hui nous reprochent notre activisme auraient sans doute été les premiers à nous reprocher notre passivité. Eh bien comme vous et avec vous, je préfère prendre le risque de l'action plutôt que la certitude de la défaite morale.
Je me tourne vers la Majorité et vers l'Opposition avec la conviction qu'il existe sur tous les bancs la même volonté de faire plier le régime libyen et d'ouvrir la voie à l'instauration d'une Libye libre et démocratique.
Et comme le veut notre Constitution, en application du troisième alinéa de son article 35, j'ai l'honneur de vous demander l'autorisation de prolonger l'intervention des forces armées françaises en Libye.
Source http://www.gouvernement.fr, le 27 juillet 2011