Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, sur l'aide au développement, à Paris le 2 septembre 2011.

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Circonstance : XIXème conférence des ambassadeurs, à Paris du 31 août au 2 septembre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Cette Conférence des ambassadeurs a été une fois de plus placée sous le signe des changements et des bouleversements qui modifient, année après année, le visage du monde. Enjeux environnementaux, crise économique et financière, printemps arabes, à chacune de nos rencontres l’accent est mis sur une facette du changement. Mais ne nous y trompons pas. Les évolutions et les crises auxquelles nous assistons participent d’une transformation globale de la planète, d’une recomposition des rapports de puissance ainsi que d’une remise en question des modèles économiques, voire politiques, auxquels nous étions habitués. La difficulté particulière du moment présent tient à ce que ces bouleversements mondiaux affectent aussi notre continent, l’Europe, et que la crise de la dette, dont la gravité ne doit pas être sous-estimée, risque pour quelque temps d’accaparer nos capacités d’analyse et d’action.
Or, vous le savez bien, la majorité de l’humanité ne vit pas dans un monde triple A. Et le nouveau monde qui s’ébauche ne date pas de la chute de Ben Ali en 2011 ni de la chute de la banque Lehman brothers en 2008. Il résulte des tendances de fond qui sont à l’œuvre dans cette phase actuelle de la mondialisation, tendances économiques, technologiques et démographiques, dont les historiens feront peut-être remonter l’origine à la chute du Mur de Berlin à moins que ce ne soit à la fin des Trente glorieuses. Mais nous voyons bien que l’enjeu de la recomposition actuelle porte sur la place et l’influence que pourront conserver dans ce nouveau paysage international les pays développés, dont la France fait partie.
Dans ce contexte, la question du développement devient primordiale. Au-delà de la nécessaire réponse qui doit être apportée à l’urgence de chacune des crises, quel est le critère qui nous permettra de dire que le monde à venir sera plus stable, plus prospère et plus sûr qu’aujourd’hui ? Ce critère, j’en suis convaincu, est celui du développement. Qui ne voit, par exemple, que l’Afrique, qui comptera, en 2050, 2 milliards d’habitants dont la moitié auront moins de 25 ans, peut devenir une formidable opportunité pour la croissance mondiale comme une source de risque pour la stabilité internationale.
Dorénavant, la croissance de nos économies est dépendante de celle des pays émergents, ainsi que des pays du Sud. En 2011, selon le FMI, la croissance de la zone euro devrait être de 1,6%, celle de l’Afrique sub-saharienne de 5,5% et celle de la Chine de près de 10%. Mais comment soutenir la croissance de nos partenaires du Sud, qui seront les relais de la croissance mondiale ces prochaines années, dans la situation de contrainte budgétaire qui est actuellement partagée par l’ensemble des pays développés ? Voilà un grand défi pour tous les acteurs du développement. Pour le relever, nous devons collectivement faire preuve d’imagination, et en particulier avancer résolument sur la voie des financements innovants pour le développement. Cette nécessité est rendue d’autant plus pressante que les transitions démocratiques en cours dans de nombreux pays, pas moins de six en six mois en Afrique sub-saharienne par exemple, vont susciter des demandes de soutien et d’accompagnement, qui sont légitimes et auxquelles nous devrons répondre, dans la lignée du partenariat annoncé au Sommet de Deauville.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Le printemps des peuples ne sera pas, en effet, circonscrit au seul monde arabe. C’est un vague de fond qui balaiera tous les continents, et qui prendra une résonnance particulière dans l’ensemble des pays en développement. Cette situation est porteuse d’immenses espoirs, mais elle peut aussi aggraver des menaces bien connues. Sans perspective de développement crédible, la jeunesse du monde qui se lève pour réclamer plus de démocratie et de prospérité risque de sombrer dans le nihilisme ou l’extrémisme. Notre politique en faveur du développement est devenue un enjeu diplomatique majeur, qui conditionne notre influence au sein de ce monde en recomposition mais aussi notre propre sécurité, comme nous le rappelle douloureusement la situation au Sahel.
Convaincue de longue date de ces réalités, la France s’est mobilisée de manière résolue en faveur du développement. Comme vous le savez nos engagements financiers sont parmi les plus élevés des pays développés, avec 10 milliards d’euros, budget qui a été sanctuarisé malgré la contrainte actuelle. Nos priorités se déclinent de manière géographique, avec un accent mis sur l’Afrique subsaharienne qui bénéficie de 60% de nos concours et de manière thématique, en contribuant aux Objectifs du Millénaire pour le développement, avec un engagement particulier sur les questions de santé à travers les grands fonds multilatéraux, qui ont permis de sauver près de 10 millions de vies ces dernières années. À coté des subventions, mais aussi de la coopération culturelle, notre pays est l’un rares grands donateurs à disposer, avec l’AFD, d’une entité qui, à l’instar des Allemands ou des Japonais est en mesure d’apporter ses concours aux projets favorisant directement la croissance économique, priorité que le président de la République a affirmée dans son discours du Cap de 2008.
S’agissant de nos outils, je tiens à souligner l’importance de la réforme du réseau de coopération qui est en cours. Elle vise à préserver toute l’étendue des missions du réseau. Elle rend encore plus indispensable le rôle de chef d’orchestre qui doit être celui de l’ambassadeur. La fusion dans un dispositif unique des services de coopération et d’action culturelle (SCAC) et des établissements à autonomie financière (EAF), l’AFD dont le contrat d’objectifs et de moyens vient d’être validé, la création des trois opérateurs que sont l’Institut français, Campus France et France expertise internationale, doivent vous permettre d’assurer pleinement sur le terrain votre rôle de coordination de nos actions de coopération. Nous devons en effet nous attacher à la visibilité politique de notre action, tant auprès des autorités de vos pays de résidence que des populations et de la société civile. En particulier, je suis attaché à ce que nos actions menées à travers les canaux multilatéraux gagnent en visibilité dans les pays qui en sont bénéficiaires.
Sur l’évolution de la nature et du volume de nos instruments de coopération, vos retours de terrain sont essentiels. Je suis ainsi convaincu que nous devons renforcer la part bilatérale de nos engagements, que je souhaiterais voir passer d’environ 55% à 65% d’ici la fin du triennum budgétaire en 2013. Nous devons aussi réfléchir ensemble sur le niveau des subventions, qui s’est réduit pour atteindre un étiage difficilement tenable, au moment même où de nouveaux besoins apparaissent sur les sujets de gouvernance. C’est donc bien le volet bilatéral de notre coopération qu’il faudra renforcer dans les années à venir, et les analyses des ambassadeurs en la matière sont irremplaçables.
Mais notre politique de développement n’est pas seulement un enjeu pour nos ambassades situées dans les pays en développement. Nous devons aussi entretenir un dialogue nourri sur ces questions avec nos partenaires des pays avancés, du G8 et plus largement de l’OCDE. Reconnaissons-le, le temps médiatique pousse parfois à une certaine émulation avec nos partenaires lorsqu’il s’agit de faire des annonces de contributions lors de telle ou telle crise. Mais dans le contexte de tension budgétaire qui concerne l’ensemble des pays donateurs, nous devons plus que jamais progresser vers une meilleure coordination, ce qui peut inclure que nous abordions sans tabou la question d’une concentration sectorielle ou géographique de nos interventions. S’agissant de nos partenaires européens, la coordination politique est essentielle compte tenu des montants considérables attribués au Fonds européen de développement (FED) - 22 milliards d’euros entre 2008 et 2013 - dont les interventions doivent contribuer à servir nos priorités politiques.
S’agissant des grands émergents, ce sont les nouveaux acteurs de la coopération. Aujourd’hui, leurs intérêts comme leurs pratiques peuvent paraitre encore éloignées des nôtres. C’est grâce à nos ambassadeurs en poste dans ces pays que nous pourrons être informés de leur vision, de leurs buts et avancer ensemble vers des approches convergentes. Les projets de coopération triangulaire menés en partenariat avec les émergents, à destination de l’Afrique notamment, sont autant d’occasion d’assurer le rapprochement de nos pratiques et de nos standards, en particulier en matière sociale. C’est l’un des objectifs du G20 développement qui se tiendra à Washington le 23 septembre prochain. Je sais en outre que ce travail d’information et de conviction sur les questions de développement est mené depuis longtemps avec talent par nos représentations et missions permanentes auprès des organisations internationales.
Enfin, tous les postes sont concernés par la relation particulière que nous devons désormais entretenir avec la jeunesse et les organisations de la société civile. Je ne reviens pas sur les leçons qu’il convient de tirer des printemps arabes. Plus que jamais, notre vision d’une politique d’influence, qui n’est autre qu’un dialogue entre les cultures et la promotion modeste mais convaincue de nos valeurs, trouve sa justification. Dans ce contexte, notre action culturelle tout comme l’enseignement du français à l’étranger sont des relais directs de notre vision diplomatique. Je pense aussi dans les pays développés au dialogue qui doit être encore renforcé avec les grands acteurs non gouvernementaux que sont les organisations de plaidoyer et les grandes fondations. Si la coopération avec celles-ci porte déjà des fruits remarquables, je pense en particulier à la Fondation Gates, nous pouvons sans doute progresser dans notre travail de conviction auprès des grandes ONG internationales.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Il y aura d’autres Tunisie, d’autres Égypte et il y aura d’autres Libye. À chaque fois la France sera attendue. À chaque fois la France aura l’opportunité de faire entendre sa voix, de faire prévaloir les valeurs de démocratie et de liberté auxquelles elle croit, et de préserver ses intérêts. Pour cela, il faut que sa politique de développement soit perçue, très en amont, comme étant au service des peuples. Le développement est en train de devenir l’un des ressorts essentiels de notre action diplomatique. Je sais que je peux compter sur votre engagement en la matière. Je sais qu’au service de cette politique de développement qui contribue de manière si essentielle à l’influence de notre pays, vous saurez mobiliser tout votre savoir-faire afin de convaincre nos partenaires de nos priorités, piloter leur mise en œuvre sur le terrain et contribuer par vos analyses et vos propositions à l’évolution de nos outils. C’est à cette condition que notre pays non seulement pourra conserver son rang et son influence, mais aussi pourra espérer peser sur les évolutions en cours, et, à la place qui est la sienne et conformément à sa vocation, contribuer à l’éclosion d’un monde plus juste et plus libre.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 septembre 2011