Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur l'art contemporain et le partenariat entre les institutions publiques et les collectionneurs privés, Paris le 20 septembre 2011.

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Circonstance : Remise du prix Marcel Duchamp 2010 le 20 septembre 2010

Texte intégral


« Renouveler le monde - c'est là l'instinct le plus profond dans le désir qu'éprouve le collectionneur d'acquérir de nouveaux objets », écrivait Walter Benjamin en 1931.
Les quelques 300 collectionneurs membres de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (l’ADIAF), créée en 1994 – déjà presque vingt ans – ont effectivement contribué à renouveler un monde, celui de la scène artistique française, en permettant à plus de cinquante artistes de bénéficier de son soutien - citons pêle-mêle Thomas Hirschhorn, Dominique Gonzalez-Foerster, Mathieu Mercier, Pierre Ardouvin, Valérie Belin, Didier Marcel, Xavier Veilhan…
Grâce à l’ADIAF, le regard que le grand public porte sur l’art contemporain a également été renouvelé. Gilles Fuchs, votre association s’emploie à diffuser largement les oeuvres de ces artistes en France et à l’étranger. On a pu voir ainsi cette année une grande rétrospective des dix ans du prix Marcel Duchamp au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg et au Fonds régional d’art contemporain d’Alsace ; mais aussi à Tokyo, où la catastrophe de Fukushima n’a pas empêché votre comité d’organisation de revenir, quelques jours plus tard, ouvrir l’exposition envers et contre tout, dans un esprit de solidarité avec nos amis japonais qui honore la France.
Enfin, l’ADIAF renouvelle notre regard sur le monde, à travers les artistes qu’elle célèbre : hier le monde numérisé de Claude Closky, le monde effondré de Tatiana Trouvé, le monde « rétrofuturiste » de Laurent Grasso, et aujourd’hui celui que Cyprien Gaillard présente dans la très belle exposition qu’il nous propose dans l’espace 315.
La vocation du prix Marcel Duchamp est de distinguer un artiste français, représentatif de sa génération. Ce jeune prix, créé il y a seulement une dizaine d’années, est déjà considéré comme l’un des prix les plus prestigieux décernés dans le monde de l’art contemporain, à l’égal du Turner Prize.
Le prix Marcel Duchamp, ce n’est pas seulement un soutien financier à l’artiste lauréat. C’est un prix qui apporte aussi à l’artiste qui le reçoit une formidable visibilité, d’abord à la FIAC, où nous allons bientôt découvrir les oeuvres des quatre nominés de l’année 2011, puis ici, au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, pendant trois mois. L’année prochaine, le musée d’art contemporain de Lille Métropole accueillera également les artistes sélectionnés.
Ce partenariat entre institutions publiques et collectionneurs privés au service des artistes inspire ma politique en direction de l’art contemporain. Dans quelques jours, j’annoncerai ainsi des mesures nouvelles et importantes, issues des entretiens sur les arts plastiques qui ont été conduits toute l’année avec les professionnels. Elles visent à étendre les bénéfices de ce type de partenariats à d’autres institutions publiques et à d’autres acteurs privés, en l’occurrence les galeries.
Ces partenariats contribuent en effet au rayonnement et au dynamisme artistique français d’une manière exemplaire. Ici même, je n’oublie pas que le Centre Pompidou accueille également le lauréat du prix de la Fondation d’entreprise Ricard, et qu’il bénéficie du soutien d’une autre association prestigieuse de collectionneurs : le soutien des amis du Musée national d’art moderne. Et en disant cela, je veux saluer celui qui en fut le président pendant tant d’années, au moment de son départ : - François Trêves, vous avez effectué au cours de vos nombreux mandats un travail remarquable. Nous vous en sommes tous infiniment reconnaissants. C’est à Jacques Boissonas que revient désormais l’honneur de présider aux destinées de cette belle association. Je sais que vous le ferez également avec soin et détermination.
Enfin, je n’oublie pas non plus que cette exposition n’aurait pas été possible sans le soutien des mécènes de l’ADIAF, le soutien d’Artcurial, et l’implication des galeristes de Cyprien Gaillard, Frédéric Bugada et Claudia Cargnel. Je les félicite également.
Walter Benjamin écrivait encore que « toute passion confine au chaos » mais que « la passion du collectionneur, en ce qui la regarde, confine au chaos des souvenirs ». Ce chaos des souvenirs, je trouve qu’il sied bien à l’oeuvre de Cyprien Gaillard dont la démarche artistique elle-même s’apparente aussi, au fond, à une gigantesque collection.
Cher Cyprien Gaillard, vous êtes, sur tous les continents et pour toutes les époques, l’archéologue de toutes les destructions. De l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, dont vous êtes sorti diplômé il y a six ans à peine, jusqu’au Centre Pompidou et au Musée d’art moderne de New York, en passant par l’exposition bien nommée Younger than Jesus, ou encore la ville de Berlin où le D.A.A.D vous a accueilli en résidence, vous avez accompli une trajectoire fulgurante.
Vous dites volontiers de vous-même que vous êtes un « artiste d’extérieur ». Bourlingueur dans les sites les plus préservés de l’humanité au Mexique comme sur les bunkers des plages néerlandaises, dans les cités HLM britanniques ou les terrains vagues de Moscou, vous y photographiez et inventoriez d’un même geste les traces architecturales du passé et du futur. De là vient votre goût pour le référencement photographique et vidéo toujours exigeant, cohérent et inattendu, à l’image de vos Analogies géographiques, vitrine de 900 polaroïds qui font partie de cette exposition, à travers laquelle on retrouve aussi l’esprit des « Caprices » de Piranèse.
Vous dites que la destruction n’est que le point de départ de vos oeuvres, jamais la fin. L’une des photographies de la Grande Allée du Château d’Oiron montre ainsi l’interminable allée d’honneur de ce château de la Renaissance, recouverte de tonnes de gravas provenant de la destruction d’une tour d’Issy-les-Moulineaux. Je me rappelle aussi avoir regardé longuement, captivé, au Palazzo Grassi, le film que vous avez réalisé à partir de la destruction des tours de Glasgow, devenues pour l’occasion, comme vous le dites si bien, les « monuments d’un soir ». Vous avez, dans votre travail, magnifiquement tiré sur le fil tendu par une phrase de Diderot : « il faut ruiner un palais pour en faire un objet d’intérêt ».
Jean-Christophe Bailly a écrit dans une de ses critiques que « l’art moderne peut se raconter comme une longue descente dans un paysage dont on aurait fini par sortir ». C’est aussi en cela que vous êtes notre contemporain, et le digne récipiendaire de ce prestigieux prix, que j’appelle Gilles Fuchs à vous remettre maintenant avec moi.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 22 septembre 2011