Texte intégral
« Renouveler le monde - c'est là l'instinct le plus profond dans le désir qu'éprouve le collectionneur d'acquérir de nouveaux objets », écrivait Walter Benjamin en 1931.
Les quelques 300 collectionneurs membres de lAssociation pour la diffusion internationale de lart français (lADIAF), créée en 1994 déjà presque vingt ans ont effectivement contribué à renouveler un monde, celui de la scène artistique française, en permettant à plus de cinquante artistes de bénéficier de son soutien - citons pêle-mêle Thomas Hirschhorn, Dominique Gonzalez-Foerster, Mathieu Mercier, Pierre Ardouvin, Valérie Belin, Didier Marcel, Xavier Veilhan
Grâce à lADIAF, le regard que le grand public porte sur lart contemporain a également été renouvelé. Gilles Fuchs, votre association semploie à diffuser largement les oeuvres de ces artistes en France et à létranger. On a pu voir ainsi cette année une grande rétrospective des dix ans du prix Marcel Duchamp au Musée dart moderne et contemporain de Strasbourg et au Fonds régional dart contemporain dAlsace ; mais aussi à Tokyo, où la catastrophe de Fukushima na pas empêché votre comité dorganisation de revenir, quelques jours plus tard, ouvrir lexposition envers et contre tout, dans un esprit de solidarité avec nos amis japonais qui honore la France.
Enfin, lADIAF renouvelle notre regard sur le monde, à travers les artistes quelle célèbre : hier le monde numérisé de Claude Closky, le monde effondré de Tatiana Trouvé, le monde « rétrofuturiste » de Laurent Grasso, et aujourdhui celui que Cyprien Gaillard présente dans la très belle exposition quil nous propose dans lespace 315.
La vocation du prix Marcel Duchamp est de distinguer un artiste français, représentatif de sa génération. Ce jeune prix, créé il y a seulement une dizaine dannées, est déjà considéré comme lun des prix les plus prestigieux décernés dans le monde de lart contemporain, à légal du Turner Prize.
Le prix Marcel Duchamp, ce nest pas seulement un soutien financier à lartiste lauréat. Cest un prix qui apporte aussi à lartiste qui le reçoit une formidable visibilité, dabord à la FIAC, où nous allons bientôt découvrir les oeuvres des quatre nominés de lannée 2011, puis ici, au Centre national dart et de culture Georges Pompidou, pendant trois mois. Lannée prochaine, le musée dart contemporain de Lille Métropole accueillera également les artistes sélectionnés.
Ce partenariat entre institutions publiques et collectionneurs privés au service des artistes inspire ma politique en direction de lart contemporain. Dans quelques jours, jannoncerai ainsi des mesures nouvelles et importantes, issues des entretiens sur les arts plastiques qui ont été conduits toute lannée avec les professionnels. Elles visent à étendre les bénéfices de ce type de partenariats à dautres institutions publiques et à dautres acteurs privés, en loccurrence les galeries.
Ces partenariats contribuent en effet au rayonnement et au dynamisme artistique français dune manière exemplaire. Ici même, je noublie pas que le Centre Pompidou accueille également le lauréat du prix de la Fondation dentreprise Ricard, et quil bénéficie du soutien dune autre association prestigieuse de collectionneurs : le soutien des amis du Musée national dart moderne. Et en disant cela, je veux saluer celui qui en fut le président pendant tant dannées, au moment de son départ : - François Trêves, vous avez effectué au cours de vos nombreux mandats un travail remarquable. Nous vous en sommes tous infiniment reconnaissants. Cest à Jacques Boissonas que revient désormais lhonneur de présider aux destinées de cette belle association. Je sais que vous le ferez également avec soin et détermination.
Enfin, je noublie pas non plus que cette exposition naurait pas été possible sans le soutien des mécènes de lADIAF, le soutien dArtcurial, et limplication des galeristes de Cyprien Gaillard, Frédéric Bugada et Claudia Cargnel. Je les félicite également.
Walter Benjamin écrivait encore que « toute passion confine au chaos » mais que « la passion du collectionneur, en ce qui la regarde, confine au chaos des souvenirs ». Ce chaos des souvenirs, je trouve quil sied bien à loeuvre de Cyprien Gaillard dont la démarche artistique elle-même sapparente aussi, au fond, à une gigantesque collection.
Cher Cyprien Gaillard, vous êtes, sur tous les continents et pour toutes les époques, larchéologue de toutes les destructions. De lEcole cantonale dart de Lausanne, dont vous êtes sorti diplômé il y a six ans à peine, jusquau Centre Pompidou et au Musée dart moderne de New York, en passant par lexposition bien nommée Younger than Jesus, ou encore la ville de Berlin où le D.A.A.D vous a accueilli en résidence, vous avez accompli une trajectoire fulgurante.
Vous dites volontiers de vous-même que vous êtes un « artiste dextérieur ». Bourlingueur dans les sites les plus préservés de lhumanité au Mexique comme sur les bunkers des plages néerlandaises, dans les cités HLM britanniques ou les terrains vagues de Moscou, vous y photographiez et inventoriez dun même geste les traces architecturales du passé et du futur. De là vient votre goût pour le référencement photographique et vidéo toujours exigeant, cohérent et inattendu, à limage de vos Analogies géographiques, vitrine de 900 polaroïds qui font partie de cette exposition, à travers laquelle on retrouve aussi lesprit des « Caprices » de Piranèse.
Vous dites que la destruction nest que le point de départ de vos oeuvres, jamais la fin. Lune des photographies de la Grande Allée du Château dOiron montre ainsi linterminable allée dhonneur de ce château de la Renaissance, recouverte de tonnes de gravas provenant de la destruction dune tour dIssy-les-Moulineaux. Je me rappelle aussi avoir regardé longuement, captivé, au Palazzo Grassi, le film que vous avez réalisé à partir de la destruction des tours de Glasgow, devenues pour loccasion, comme vous le dites si bien, les « monuments dun soir ». Vous avez, dans votre travail, magnifiquement tiré sur le fil tendu par une phrase de Diderot : « il faut ruiner un palais pour en faire un objet dintérêt ».
Jean-Christophe Bailly a écrit dans une de ses critiques que « lart moderne peut se raconter comme une longue descente dans un paysage dont on aurait fini par sortir ». Cest aussi en cela que vous êtes notre contemporain, et le digne récipiendaire de ce prestigieux prix, que jappelle Gilles Fuchs à vous remettre maintenant avec moi.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 22 septembre 2011