Texte intégral
Q - Sous-estime-t-on la gravité et lenjeu de la crise que traverse lEurope ?
R - Tout le monde est conscient que la crise est extrêmement grave et quelle peut remettre en question tout ce que nous avons construit, non seulement depuis une vingtaine dannées - ladoption du Traité de Maastricht -, mais aussi depuis la fondation de la Communauté européenne. Cest une crise existentielle pour lEurope: il faut mobiliser toutes nos énergies pour la surmonter. Mais la crise peut aussi être une chance pour notre Europe, qui commençait à dériver sérieusement, et pour la France - il est temps den finir avec de mauvaises habitudes dans la gestion de nos finances. Je crois que les Français le comprennent et quils savent quil y a un chemin et un pilote.
Q - Parmi les scénarios moins optimistes, y a-t-il celui dune explosion de la zone euro ou dun blocage complet ?
R - Lexplosion de la zone euro serait celle de lUnion européenne elle-même. Dans cette hypothèse-là, tout devient possible. Même le pire. Nous nous sommes flattés pendant des décennies davoir éradiqué tout danger de conflit à lintérieur de notre continent, mais ne soyons pas trop sûrs de nous. La montée du populisme, des nationalismes, des extrémismes en Europe rend la construction de lUnion européenne plus vitale que jamais. Une Europe qui nous protège et nous renforce dans la mondialisation. Cela mérite que nous nous engagions à fond: ce devrait être un des grands débats de la présidentielle.
Q - Quest-ce que la «fédération européenne» que vous appelez de vos vux ?
R - Chacun en a de plus en plus conscience, en France et ailleurs: quand on a une monnaie unique, on ne peut pas se permettre davoir des politiques économiques aussi peu convergentes quactuellement. La première riposte, cest donc daller plus loin dans lintégration de la zone euro afin que les politiques économiques, budgétaires et fiscales soient davantage harmonisées. La France a fait des propositions importantes en ce sens. Lidée dun gouvernement économique, encore taboue il y a deux ans, est aujourdhui, grâce à nous, acceptée dans son principe. Autour de cette zone euro plus intégrée, il faudra un système plus souple. La France et lAllemagne doivent se mettre daccord sur cette nouvelle architecture européenne. Avec leuro, nous sommes allés trop loin pour ne pas aller plus loin. Et les Français savent ce que leuro leur apporte.
Q - Rétrospectivement, y avait-il un défaut de fabrication dans la zone euro ?
R - Oui, le Traité de Maastricht na pas suffisamment insisté sur la nécessaire cohérence des politiques économiques. De fait, les critères prévus dans le pacte de stabilité nont pas été appliqués avec la rigueur qui aurait convenu. Face au ralentissement de léconomie, tous les pays se sont plus ou moins affranchis de cette discipline et des mécanismes permettant de contrôler le respect des critères ou de les faire appliquer. Le cas extrême est la Grèce, qui est, en grande partie, responsable de ce qui lui arrive - ce nest pas une raison pour ne pas laider, bien entendu. Dautres pays ont pris leur liberté avec ce système, doù la nécessité dune plus grande intégration de la zone euro, qui porte sur des mécanismes renforcés permettant de vérifier que les engagements sont tenus.
Q - Au risque dune Europe à deux vitesses ?
R - Il ne sagit pas de faire de la zone euro un club fermé. Certains pays ne veulent pas y entrer - la Grande-Bretagne, par exemple - et dautres ne le peuvent pas. À ceux-là, il faut bien proposer autre chose, afin de continuer à vivre ensemble.
Q - Le président de lAutorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet, affirme que les citoyens finiront par se révolter contre la «dictature de fait» des marchés. Le politique a-t-il perdu la main ?
R - Non. Cest une des idées les plus répandues du moment. Mais enfin, à qui sadresse-t-on aujourdhui ? Aux politiques. De qui attend-on des initiatives nouvelles pour tenter de renouveler larchitecture européenne ? Des politiques, et non des marchés. Simplement, les processus de décision sont longs et, de ce point de vue, les politiques doivent être plus réactifs. Mais une grande partie de la solution viendra deux et non des marchés. En Europe, nous devons rétablir la confiance, car elle fait défaut. Et cest aux politiques de le faire.
Q - Est-ce la confiance qui fait défaut, ou la gouvernance ?
R - Les deux, sagissant de la zone euro. La gouvernance est défectueuse et pêche essentiellement dans les délais: les marchés appellent des réactions dans la minute, mais le temps de réaction de la gouvernance européenne, cest plutôt la semaine ou le mois. Doù la nécessité dadopter des mécanismes plus rapides et plus opérationnels.
Q - La perte pour la France du triple A serait-elle une catastrophe ?
R - Ce ne serait pas anecdotique. On parle de dictature des agences de notation... Elles sont certes critiquables et perfectibles, et elles agissent parfois en fonction de paramètres subjectifs ou politiques. Mais sattaquer aux agences de notation revient à prétendre guérir la fièvre en cassant le thermomètre. Or, il y a un problème quil ne faut pas éluder: le surendettement. Un surendettement qui a aujourdhui atteint sa limite. Nous devons réduire nos déficits en coupant dans les dépenses et en relevant les recettes, tout en évitant de tuer la croissance. Cest un pilotage très difficile et je trouve que la France le fait plutôt bien: alors que nous mettons en uvre des efforts déconomies budgétaires sans précédent, nous injectons 35 milliards de crédits dans des dépenses davenir, dinvestissement, de recherche...
Q - Une hausse de la fiscalité est-elle inévitable après la présidentielle ?
R - Voilà deux ou trois ans que je prône la diminution des dépenses et laugmentation des recettes: nous ne pouvions y échapper. Quant à laprès-2012, personne nest capable de dire quel sera le niveau de croissance dans les deux ou trois ans à venir, or cest le critère déterminant. La vraie variable dajustement vertueuse serait de retrouver un taux de croissance qui tende vers les 2 %. Et, un jour peut-être, 3 %. Dans ces conditions, je ne vais pas faire de pronostics pour laprès-présidentielle.
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Q - Revenons à la politique étrangère. Dans le dossier du nucléaire iranien, lusage de la force est-il un horizon envisagé ?
R - Pas par nous. Comme la dit le président, il faut tout faire pour éviter lirréparable. Une telle intervention aurait des conséquences catastrophiques dans la région. La France prône des sanctions qui soient vraiment de nature à paralyser le régime: gel des avoirs de la Banque centrale, embargo sur les exportations dhydrocarbures. Américains et Britanniques ont commencé à faire mouvement dans ce sens.
Q - Lentement !
R - Nous souhaitons une position commune, afin que la pression soit maximale. On ne peut pas accepter que les Iraniens continuent à nous mener en bateau.
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Q - Vous avez appelé, en avril, au nom de la France, à louverture dun dialogue avec les mouvements islamistes dans le monde arabe. Face à lévolution des événements en Libye, en Égypte et en Tunisie, craignez-vous que les partis religieux ne participent à une restauration autoritaire ?
R - Je ne connais pas de révolution qui se déroule comme un long fleuve tranquille. Nous avons raison de soutenir laspiration des peuples à sexprimer et à choisir eux-mêmes leurs dirigeants. Ce sont nos valeurs et nos intérêts. On ne peut pas encourager les peuples à procéder à des élections, puis en contester le résultat. Jai conscience des risques, mais, pour autant, tout parti qui se réfère à lislam nest pas a priori dangereux. Je suis attaché à la laïcité française, mais lAllemagne a un concordat, la reine dAngleterre dirige lÉglise anglicane... Or, la plupart des pays arabes ont lislam pour religion. Restent des lignes rouges et nous serons vigilants. Les élections, on peut les gagner, mais on peut aussi les perdre; pour nous, on ne peut confisquer le pouvoir au nom de Dieu, car le pouvoir, cest le peuple. Sajoute la nécessité de construire un État de droit avec la séparation des trois grands pouvoirs, et qui doit prendre en compte les droits de lHomme, le respect des minorités, le droit des femmes...
Q - Le Premier ministre tunisien a parlé dun sixième califat...
R - Il y a eu des déclarations inquiétantes. Nous navons pas à imposer un modèle de démocratie, mais nous affirmons un certain nombre de valeurs fondamentales, qui sont dailleurs inscrites dans la Charte universelle des Nations unies, et ferons attention à ce que ces principes soient respectés. Et comme nous allons nous engager fortement dans laide à ces pays, nous sommes fondés à veiller à ce quils respectent ces principes fondamentaux.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2011
R - Tout le monde est conscient que la crise est extrêmement grave et quelle peut remettre en question tout ce que nous avons construit, non seulement depuis une vingtaine dannées - ladoption du Traité de Maastricht -, mais aussi depuis la fondation de la Communauté européenne. Cest une crise existentielle pour lEurope: il faut mobiliser toutes nos énergies pour la surmonter. Mais la crise peut aussi être une chance pour notre Europe, qui commençait à dériver sérieusement, et pour la France - il est temps den finir avec de mauvaises habitudes dans la gestion de nos finances. Je crois que les Français le comprennent et quils savent quil y a un chemin et un pilote.
Q - Parmi les scénarios moins optimistes, y a-t-il celui dune explosion de la zone euro ou dun blocage complet ?
R - Lexplosion de la zone euro serait celle de lUnion européenne elle-même. Dans cette hypothèse-là, tout devient possible. Même le pire. Nous nous sommes flattés pendant des décennies davoir éradiqué tout danger de conflit à lintérieur de notre continent, mais ne soyons pas trop sûrs de nous. La montée du populisme, des nationalismes, des extrémismes en Europe rend la construction de lUnion européenne plus vitale que jamais. Une Europe qui nous protège et nous renforce dans la mondialisation. Cela mérite que nous nous engagions à fond: ce devrait être un des grands débats de la présidentielle.
Q - Quest-ce que la «fédération européenne» que vous appelez de vos vux ?
R - Chacun en a de plus en plus conscience, en France et ailleurs: quand on a une monnaie unique, on ne peut pas se permettre davoir des politiques économiques aussi peu convergentes quactuellement. La première riposte, cest donc daller plus loin dans lintégration de la zone euro afin que les politiques économiques, budgétaires et fiscales soient davantage harmonisées. La France a fait des propositions importantes en ce sens. Lidée dun gouvernement économique, encore taboue il y a deux ans, est aujourdhui, grâce à nous, acceptée dans son principe. Autour de cette zone euro plus intégrée, il faudra un système plus souple. La France et lAllemagne doivent se mettre daccord sur cette nouvelle architecture européenne. Avec leuro, nous sommes allés trop loin pour ne pas aller plus loin. Et les Français savent ce que leuro leur apporte.
Q - Rétrospectivement, y avait-il un défaut de fabrication dans la zone euro ?
R - Oui, le Traité de Maastricht na pas suffisamment insisté sur la nécessaire cohérence des politiques économiques. De fait, les critères prévus dans le pacte de stabilité nont pas été appliqués avec la rigueur qui aurait convenu. Face au ralentissement de léconomie, tous les pays se sont plus ou moins affranchis de cette discipline et des mécanismes permettant de contrôler le respect des critères ou de les faire appliquer. Le cas extrême est la Grèce, qui est, en grande partie, responsable de ce qui lui arrive - ce nest pas une raison pour ne pas laider, bien entendu. Dautres pays ont pris leur liberté avec ce système, doù la nécessité dune plus grande intégration de la zone euro, qui porte sur des mécanismes renforcés permettant de vérifier que les engagements sont tenus.
Q - Au risque dune Europe à deux vitesses ?
R - Il ne sagit pas de faire de la zone euro un club fermé. Certains pays ne veulent pas y entrer - la Grande-Bretagne, par exemple - et dautres ne le peuvent pas. À ceux-là, il faut bien proposer autre chose, afin de continuer à vivre ensemble.
Q - Le président de lAutorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet, affirme que les citoyens finiront par se révolter contre la «dictature de fait» des marchés. Le politique a-t-il perdu la main ?
R - Non. Cest une des idées les plus répandues du moment. Mais enfin, à qui sadresse-t-on aujourdhui ? Aux politiques. De qui attend-on des initiatives nouvelles pour tenter de renouveler larchitecture européenne ? Des politiques, et non des marchés. Simplement, les processus de décision sont longs et, de ce point de vue, les politiques doivent être plus réactifs. Mais une grande partie de la solution viendra deux et non des marchés. En Europe, nous devons rétablir la confiance, car elle fait défaut. Et cest aux politiques de le faire.
Q - Est-ce la confiance qui fait défaut, ou la gouvernance ?
R - Les deux, sagissant de la zone euro. La gouvernance est défectueuse et pêche essentiellement dans les délais: les marchés appellent des réactions dans la minute, mais le temps de réaction de la gouvernance européenne, cest plutôt la semaine ou le mois. Doù la nécessité dadopter des mécanismes plus rapides et plus opérationnels.
Q - La perte pour la France du triple A serait-elle une catastrophe ?
R - Ce ne serait pas anecdotique. On parle de dictature des agences de notation... Elles sont certes critiquables et perfectibles, et elles agissent parfois en fonction de paramètres subjectifs ou politiques. Mais sattaquer aux agences de notation revient à prétendre guérir la fièvre en cassant le thermomètre. Or, il y a un problème quil ne faut pas éluder: le surendettement. Un surendettement qui a aujourdhui atteint sa limite. Nous devons réduire nos déficits en coupant dans les dépenses et en relevant les recettes, tout en évitant de tuer la croissance. Cest un pilotage très difficile et je trouve que la France le fait plutôt bien: alors que nous mettons en uvre des efforts déconomies budgétaires sans précédent, nous injectons 35 milliards de crédits dans des dépenses davenir, dinvestissement, de recherche...
Q - Une hausse de la fiscalité est-elle inévitable après la présidentielle ?
R - Voilà deux ou trois ans que je prône la diminution des dépenses et laugmentation des recettes: nous ne pouvions y échapper. Quant à laprès-2012, personne nest capable de dire quel sera le niveau de croissance dans les deux ou trois ans à venir, or cest le critère déterminant. La vraie variable dajustement vertueuse serait de retrouver un taux de croissance qui tende vers les 2 %. Et, un jour peut-être, 3 %. Dans ces conditions, je ne vais pas faire de pronostics pour laprès-présidentielle.
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Q - Revenons à la politique étrangère. Dans le dossier du nucléaire iranien, lusage de la force est-il un horizon envisagé ?
R - Pas par nous. Comme la dit le président, il faut tout faire pour éviter lirréparable. Une telle intervention aurait des conséquences catastrophiques dans la région. La France prône des sanctions qui soient vraiment de nature à paralyser le régime: gel des avoirs de la Banque centrale, embargo sur les exportations dhydrocarbures. Américains et Britanniques ont commencé à faire mouvement dans ce sens.
Q - Lentement !
R - Nous souhaitons une position commune, afin que la pression soit maximale. On ne peut pas accepter que les Iraniens continuent à nous mener en bateau.
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Q - Vous avez appelé, en avril, au nom de la France, à louverture dun dialogue avec les mouvements islamistes dans le monde arabe. Face à lévolution des événements en Libye, en Égypte et en Tunisie, craignez-vous que les partis religieux ne participent à une restauration autoritaire ?
R - Je ne connais pas de révolution qui se déroule comme un long fleuve tranquille. Nous avons raison de soutenir laspiration des peuples à sexprimer et à choisir eux-mêmes leurs dirigeants. Ce sont nos valeurs et nos intérêts. On ne peut pas encourager les peuples à procéder à des élections, puis en contester le résultat. Jai conscience des risques, mais, pour autant, tout parti qui se réfère à lislam nest pas a priori dangereux. Je suis attaché à la laïcité française, mais lAllemagne a un concordat, la reine dAngleterre dirige lÉglise anglicane... Or, la plupart des pays arabes ont lislam pour religion. Restent des lignes rouges et nous serons vigilants. Les élections, on peut les gagner, mais on peut aussi les perdre; pour nous, on ne peut confisquer le pouvoir au nom de Dieu, car le pouvoir, cest le peuple. Sajoute la nécessité de construire un État de droit avec la séparation des trois grands pouvoirs, et qui doit prendre en compte les droits de lHomme, le respect des minorités, le droit des femmes...
Q - Le Premier ministre tunisien a parlé dun sixième califat...
R - Il y a eu des déclarations inquiétantes. Nous navons pas à imposer un modèle de démocratie, mais nous affirmons un certain nombre de valeurs fondamentales, qui sont dailleurs inscrites dans la Charte universelle des Nations unies, et ferons attention à ce que ces principes soient respectés. Et comme nous allons nous engager fortement dans laide à ces pays, nous sommes fondés à veiller à ce quils respectent ces principes fondamentaux.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2011