Texte intégral
Q - Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est notre invité ce soir. Vous parlez aujourd’hui de la mission difficile de Kofi Annan, elle le serait à moins. Après les morts de Houla, cette mission n’est-elle pas mort-née ?
R - Non. J’ai eu Kofi Annan longuement au téléphone dimanche et nous avons discuté de cette mission. Elle n’est pas facile. Il y a trois cents observateurs sur le terrain et je pense qu’il faut aller jusqu’au bout du processus. Si on voit qu’il y a un échec, bien sûr on le constatera, mais il faut absolument tout faire pour arrêter les violences, les massacres et c’est cela la mission de Kofi Annan. J’ajoute qu’il passera par le Liban, ce qui me paraît extrêmement important parce que le Liban est aussi menacé dans ce conflit.
Q - Cet après-midi, dans «Le Monde», vous déclarez que Bachar Al-Assad est l’assassin de son peuple ; maintenez-vous ?
R - Bien sûr.
Q - Quand vous disiez que cette mission n’est pas un échec, peut-on avoir une mission réussie et un chef d’État qui tire sur ses concitoyens ?
R - Cette expression est forte mais je crois qu’elle traduit la réalité et le sentiment de beaucoup de gens. M. Bachar Al-Assad est un assassin et donc, il faut qu’il quitte le pouvoir. Le plus tôt sera le mieux.
Il faut mettre en oeuvre évidemment toutes les possibilités. Vous savez que, pour le moment, les choses sont bloquées au Conseil de sécurité des Nations unies par les Russes et les Chinois, mais la mission Kofi Annan est là. Si on peut aller plus loin on le fera et la France sera au premier rang pour demander des sanctions plus fortes, pour faire en sorte que la Russie, si nous pouvons l’obtenir, avance dans la bonne direction et pour essayer de rassembler l’opposition parce qu’il faut déjà penser à ce qui se passera après Bachar Al-Assad.
Q - Monsieur le Ministre, le président Hollande a dit ce soir chez nos confrères de France 2 qu’une intervention militaire est possible, mais dans le cadre d’une délibération du Conseil de sécurité. Cela veut dire qu’elle n’aura pas lieu dans la mesure où, on le sait déjà, les Russes et les Chinois s’y opposeront et mettront leur veto ?
R - Non, ce n’est pas acquis. Nous avons un principe général qui est d’agir dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. Évidemment, ce n’est pas facile de convaincre, notamment les Russes et les Chinois, mais il y a un ordre international et il faut que nous le respections. C’est cela qui a été exprimé par le président de la République. Nous sommes bien sûr ouverts à tout ce qui sera efficace pour chasser M. Bachar Al-Assad du pouvoir mais cela doit se faire dans le cadre des Nations unies.
Q - L’un des éléments de l’équation syrienne, c’est le rôle de la Russie. François Hollande rencontrera vendredi M. Poutine qui, lui-même, rencontrera Barak Obama. Peut-on s’imaginer qu’au milieu des discussions, il y ait une sorte de marchandage : Poutine commençant à dire «vous abandonnez votre projet de bouclier anti-missile et, en échange, vous pouvez compter sur mon aide pour régler le problème syrien et aussi le problème iranien» ?
R - Il y aura certainement des négociations, je ne suis pas sûr que cela ait lieu à propos du bouclier anti-missile parce que nous étions, il y a peu de jours, au Sommet de l’OTAN à Chicago et que nous avons fait inscrire dans la résolution finale ce qui est notre position : la position de la France. C’est que ce bouclier anti-missile n’est absolument pas dirigé contre les Russes. Mais là où vous avez raison, c’est que nous avons besoin de faire entrer la Russie qui joue un rôle décisif dans une appréciation plus forte de ce qui se passe en Syrie.
L’un des arguments forts que nous développons est celui-ci : M. Poutine, la Russie, traditionnellement, soutiennent la Syrie et son régime, mais il s’agit-là d’un soutien sans espérance parce qu’en soutenant Bachar Al-Assad qui, un jour ou l’autre - et le plus tôt sera le mieux -, va tomber, la Russie perd, pour ainsi dire, la main. C’est cette argumentation que nous allons développer avec, en plus, une révolte contre ce qui s’est passé à Houla où il y a eu des scènes absolument épouvantables.
Q - Concernant l’Iran, Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que les Occidentaux globalement sont naïfs en pensant que ce régime iranien qui est menteur, manipulateur, temporisateur va renoncer à son programme nucléaire ?
R - Non, nous ne sommes pas naïfs, certainement pas. Nous voulons utiliser deux canaux. D’une part, les sanctions, des sanctions extrêmement dures contre l’Iran et, en même temps, l’ouverture des canaux de négociations.
Nous nous sommes mis d’accord, y compris avec les Russes et les Chinois pour avoir une position commune. La récente rencontre qui a eu lieu n’a pas donné de résultat mais la prochaine a lieu à Moscou.
Il faut que nous soyons clairs, nous n’accepterons pas que l’Iran possède l’arme nucléaire à des fins militaires car ce serait un danger considérable pour la région.
Q - Un dernier mot pour nos concitoyens et notre confrère Roméo Langlois qui est détenu par les FARC. On annonçait une libération prochaine. Avez-vous des nouvelles ?
R - J’ai eu les mêmes informations et peut-être même encore davantage mais, autant nous agissons dans cette direction-là, autant nous voulons rester prudents, c’est-à-dire que c’est seulement lorsque M. Langlois aura été libéré - j’espère incessamment -, que nous pourrons exprimer notre joie. Je pense qu’il faut apprendre à être prudent mais, d’après toutes les indications que nous avons, les choses sont en bonne voie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2012