Extraits des déclarations de MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur le Pacte de croissance de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 4 juillet 2012.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, le 4 juillet 2012

Texte intégral

* M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Députés,
Je retrouve avec plaisir le calme de cette assemblée. Avant d’aborder le débat qui nous occupe, Je voudrais dire l’honneur et le plaisir que cela représente pour mon ami Bernard Cazeneuve et pour moi-même de me retrouver devant vous. Nous sommes à la disposition de l’Assemblée nationale, sachez-le.
Aujourd’hui, nous allons discuter de l’important sommet européen qui a eu lieu la semaine dernière. Je vais essayer d’abord de vous en décrire les résultats dans les grandes lignes, ensuite de répondre à une question légitime qui a été posée par les commentateurs - qui a gagné, qui a perdu ? - et, enfin, d’en examiner les suites.
Ce sommet, sommet européen traditionnel, qui avait été précédé de dix-sept ou dix-huit sommets censés mettre fin à la crise, ce qui, malheureusement, nous le savons, n’a pas été le cas, a été, comme tous les sommets, l’occasion de discussions extrêmement profondes. Des résultats ont été obtenus, que je veux résumer devant vous.
Le premier, qui a fait les grands titres des journaux, à juste titre, c’est que, pour la première fois depuis des années, a été conclu un pacte de croissance et d’emploi, l’une des revendications, vous le savez, du candidat François Hollande, devenu depuis président de la République française.
Ce pacte de croissance est composé de plusieurs éléments.
Il comprend d’abord une augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement. C’est une banque assez discrète mais fort importante parce qu’elle permet de réaliser toute une série d’investissements publics dans vos collectivités. Il a été décidé, sur proposition notamment de la France, que cette Banque, qui manquait de fonds propres, pourrait être recapitalisée à hauteur de 10 milliards d’euros ; cela signifie qu’à partir du moment où ces fonds auront été versés, avant la fin de l’année, elle pourra consentir un certain nombre de prêts. On estime à 60 milliards d’euros les sommes disponibles, lesquelles, par un effet multiplicateur de partenariat, pourront aboutir à engager 180 milliards d’euros de crédits nouveaux, qui, chacun en conviendra, seront bien utiles à l’investissement dans notre pays au moment où tant de difficultés nous assaillent.
Dans le même ordre d’idées, des fonds structurels étaient disponibles, soit 55 milliards d’euros. Il a été décidé que ces fonds, qui n’étaient pas encore engagés, seraient réorientés. Les différents pays d’Europe pourront donc disposer de 55 milliards d’euros pour la croissance.
Le troisième élément n’est pas sans importance malgré son caractère expérimental pour le moment. Il s’agit de ce que les Anglais appellent les project bonds, c’est-à-dire des emprunts pour financer des projets. D’un montant de cinq milliards d’euros, ces fonds peuvent être utilisés pour des choses aussi importantes que les économies d’énergie ou les transports, bref ce qui favorise l’investissement et assure l’amélioration de la vie dans nos régions et dans nos départements.
Ce ne sont pas les seuls éléments décidés en faveur de la croissance.
Dans le même esprit, même si cela semble un sujet différent, une affaire traîne - je peux en témoigner - depuis plus de vingt-cinq ans : la mise en place du brevet unitaire européen, qui butait sur des querelles techniques et politiques, a été résolue. Elle l’a d’ailleurs été dans l’intérêt de la France, car le siège de l’organisation y sera principalement situé et son premier président sera français. Le problème du brevet européen, sous réserve des dispositions que devra prendre le Parlement européen, peut donc être considéré comme réglé.
Enfin, un sujet auquel nous sommes tous sensibles : la fameuse taxe sur les transactions financières, dont on avait tellement parlé et qui avait donné lieu à tant de commentaires. Elle a été décidée dans son principe, non pas pour l’ensemble des pays de l’Union européenne puisque des pays n’en veulent pas, mais sous forme de coopération renforcées dès lors que neuf États - ils y sont déjà disposés - auront pris la décision d’instituer cette taxe, laquelle répondra utilement aux besoins.
Si vous additionnez l’ensemble de ces mesures - 180 milliards d’euros par le biais de la Banque européenne d’investissement, 55 milliards au titre des fonds structurels, 5 milliards pour les project bonds, l’influence de la taxe sur les transactions financières et le brevet européen -, vous parvenez à adopter ce qui est expressément appelé «pacte d’emploi et de croissance» sous la forme d’une décision. Dans le vocable européen, la décision signifie quelque chose ; ce n’est pas la même chose qu’une recommandation ou qu’une résolution.
Cette décision, qui doit se traduire en termes concrets, à condition que le gouvernement français, les régions, les départements et les communes présentent des demandes dans les mois qui viennent, permettra un soutien fort utile à la croissance et à l’emploi dans notre pays.
Voilà pour la première partie qui correspond à une demande, de la France ai-je dit, mais pas seulement. De nombreux pays ont pris le relais de cette demande française, certains d’une manière inattendue. C’est l’un des principaux succès de ce sommet des 28 et 29 juin.
Deuxième résultat fort utile qui va dans le même sens, me semble-t-il : nous avons pu débloquer non pas toute la crise financière, ce serait illusoire de le dire, mais une part importante de celle-ci en prenant des dispositions qui là aussi semblent être techniques, et le sont, mais qui ont une traduction concrète que je vais essayer d’expliquer.
L’une des difficultés rencontrées tenait à ce que certaines banques manquaient de capitaux. Ce sont les entreprises et les particuliers qui subissaient les conséquences du manque dont étaient victimes les banques. Il a été rendu possible de recapitaliser les banques sans passer les États comme c’était le cas auparavant. La mobilisation des États créait un cercle vicieux : l’argent émis par eux pour la recapitalisation donnait lieu à un surcroît de déficit qui avait pour conséquence l’augmentation des taux d’intérêt.
Grâce à cette décision qui demandait de l’audace et était réclamée depuis longtemps, notamment par la France, au lieu de passer par les États le fonds européen de stabilité financière et le mécanisme européen de stabilité pourront demain recapitaliser directement les banques. Cela permettra de faire face aux exigences financières sans augmenter les déficits et de favoriser ainsi une baisse des taux d’intérêt.
Parallèlement, des dispositions ont été prises - nous entrons là dans la technique des techniques - pour corriger une erreur, car à tout le moins une décision prise précédemment était une erreur. En vertu de celle-ci, le mécanisme européen de stabilité était prioritaire pour l’exigibilité des créances. Cette mesure en apparence positive pour ces fonds avait en réalité pour conséquence de dissuader les autres prêteurs - les fonds d’investissement privés - d’accorder des prêts au fonds actuel et, demain, au mécanisme. Ces créanciers privés n’avaient pas l’assurance d’être remboursés en cas de faillite du fait de la garantie de premier rang des États. Il était par conséquent difficile de trouver les fonds nécessaires. Il a donc été décidé de permettre des émissions de créances, directement et sans accorder - c’est le terme technique - de privilège de séniorité.
Dernier élément en matière financière, il a été décidé, c’est important, que le fonds de stabilité financière puis demain le mécanisme européen de stabilité, par l’intermédiaire de la Banque centrale européenne, pourraient plus aisément souscrire directement des obligations, allégeant ainsi les contraintes des États.
Autre perspective importante, il a été décidé dans le même mouvement de mettre en place un système de supervision bancaire. Jusqu’à présent, la surveillance des banques n’a pas été, on peut le dire, très efficace comme en témoignent les difficultés espagnoles notamment. Cette supervision, assurée pour l’essentiel par la banque centrale européenne, permettra de s’assurer que les banques ne se livrent pas à des opérations de cavalerie.
En plus du pacte de croissance, la deuxième série de décisions importantes institue donc en matière financière un régime beaucoup plus sécurisé qu’il ne l’était par le passé.
Ce sommet a pris des décisions sur un troisième point fort important lui aussi. Un rapport avait été confié à quatre personnalités : le président de la Commission européenne, le président de l’Eurogroupe, le président de la Banque centrale européenne et le président du Conseil. M. Herman van Rompuy, président du Conseil européen, a ainsi remis des propositions sur ce que pourrait être dans le futur l’architecture européenne. J’indique, pour traduire la vérité, qu’aucun accord n’est intervenu lors du sommet sur ces questions. Plusieurs pays ont fait part de leur point de vue. Il est vrai que les questions posées sont très importantes pour nous tous. Doit-on s’en tenir à l’intégration actuelle qui est assez limitée, ce qui explique les difficultés que l’on connaît ? Nous connaissons les difficultés que pose l’existence d’une monnaie unique sans une politique économique et une politique monétaire harmonisées et sans un contrôle démocratique, car nous en subissons les conséquences.
La proposition de M. Van Rompuy, qu’il appelle de ses vœux, prévoit qu’au fur et à mesure qu’une intégration plus grande sera réalisée, une compétence partagée sera mise en place donnant lieu à une solidarité nouvelle et accompagnée d’un contrôle démocratique plus effectif. On ne peut pas imaginer, nous ne serions pas d’accord avec cette perspective, que des décisions renforçant l’intégration soient prises sans que vous-même ou le Parlement européen y soient associés.
Une discussion a donc eu lieu - il ne s’agit encore que de perspectives et non de décisions concrètes. Un rapport intérimaire, remis en octobre, et un rapport final en décembre doivent proposer une perspective, que nous soutenons, d’intégration solidaire aux uns et aux autres.
Ces résultats, acquis au prix de discussions très difficiles, ont été accompagnés d’avancées qui pour certaines seront des avancées de vocabulaire, mais qui ne sont pas seulement cela. La réciprocité commerciale, qui correspond à une idée chère sur plusieurs bancs de l’Assemblée, a été retenue dans le pacte. Cela comprend l’exigence que les marchés publics, ouverts en Europe, le soient aussi dans d’autres pays, ou encore la prise en compte de critères environnementaux, sociaux et monétaires dans les discussions avec l’Asie ou d’autres continents. Toutes ces questions ont été amorcées, je ne dis pas plus que cela, à travers une série de sujets.
Il a été enfin dit que toutes les dispositions prises, ou toutes les décisions au sens juridique du terme, devaient être destinées à renforcer la croissance, à améliorer l’emploi, des jeunes notamment, et à lancer des projets utiles à la fois à nos nations et à l’ensemble européen - j’ai parlé des transports, des économies d’énergie ; dans nombre d’autres secteurs, nous avons besoin évidemment de croissance supplémentaire.
Au terme de ces heures de réunions et de discussions intenses, avec une série de coups de théâtre qui font partie des traditions bruxelloises, les résultats ont été jugés généralement positifs par les commentateurs.
(…)
Le président de la République lui-même n’a pas voulu faire de triomphalisme. En réponse à la question : «qui a gagné ? qui a perdu ?», n’a-t-il pas répondu : «c’est l’Europe qui a gagné» ? Il a eu raison de répondre ainsi. Sans être du tout en désaccord avec lui, je pourrais répondre que je ne sais pas qui a gagné, mais, comme aurait dit Joffre, je sais qui aurait perdu si nous n’avions obtenu ces résultats.
Il y a donc eu, oui, de bons résultats. À quoi sont-ils dus ? L’initiative de la France de soumettre un pacte de croissance a été soutenue y compris hors d’Europe. J’ai été frappé, en accompagnant le président de la République aux États-Unis dans plusieurs sommets, du G8 et du G20, de voir à quel point cette idée de la croissance nécessaire était soutenue, par Barak Obama et par de nombreux autres. Du même coup, par un effet indirect, cela a pu peser sur certains de nos collègues des autres pays.
En Espagne, en Italie, la même volonté de croissance voit le jour et nous pouvons le comprendre. Dans la situation actuelle, tous les pays sont conduits à des économies budgétaires. S’il se produit uniquement une diminution de la masse monétaire ou financière infusée dans les différentes économies, sans aucune compensation au niveau européen, on ira alors vers la récession. C’est pourquoi nous avons obtenu un soutien extrêmement appuyé de la part de pays comme l’Italie ou l’Espagne.
L’autre élément qui explique ce que je peux considérer comme un succès, c’est que le rapport entre l’Allemagne et la France - la question a été soulevée et elle le mérite - n’a pas été traitée de la même manière par ce gouvernement que par ses prédécesseurs. Entendons-nous bien : pour nous, l’amitié, la coopération entre la France et l’Allemagne est un élément absolument central. Il ne peut en être autrement, ne serait-ce que parce que la France et l’Allemagne représentent à elles deux la moitié du produit intérieur brut européen. Mais pour que les choses fonctionnent bien, il faut que cette coopération soit non seulement centrale, mais aussi égale et partenariale.
Pour qu’elle soit égale, il faut, comme dans tout couple équilibré, que les uns et les autres reconnaissent leurs droits mutuellement et essaient de se comprendre. Je fais souvent sourire mes amis allemands en leur disant qu’il faut parfois expliquer aux Français que les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand ! C’est un peu plus compliqué que cela. Symétriquement, il faut que nos amis allemands - et beaucoup le comprennent - mesurent bien qu’il n’y a pas de santé pérenne possible pour l’Allemagne si l’Europe est durablement déprimée, dans la mesure où nous sommes ses premiers clients et ses premiers fournisseurs. Cette idée commence, me semble-t-il, à se faire jour.
De même, il faut aussi un partenariat. On a besoin du moteur franco-allemand, mais l’Europe ne peut fonctionner dans un système de condominium franco-allemand qui décide pour tous les autres. Nous devons nous tourner aussi vers les autres pays, l’Italie, l’Espagne, la Belgique…, de même que vers les autres institutions : le Parlement européen, le Parlement national de la France, la Commission, le Conseil, la Banque centrale européenne… Si un succès a été remporté, ce n’est pas pour la France, l’Italie ou l’Allemagne, mais c’est pour l’ensemble de l’Europe.
S’il faut rester prudent, tous les problèmes n’étant pas réglés au fond, je pense que ce qui a été décidé la semaine dernière a été perçu positivement.
Dernière question : quelle est la prochaine étape ?
La prochaine étape, comme la précédente, est conforme aux engagements du président de la République. Vous avez suivi avec suffisamment d’attention la campagne présidentielle pour savoir que, cette question ayant été posée, la position du président, alors candidat, et entre-temps élu par les Français, a été de dire qu’il faudra que la réponse soit décidée par vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires.
Concrètement, il faut d’abord veiller à ce que toutes les décisions auxquelles je viens de faire allusion soient effectivement mises en pratique. Ce qui demande un travail très précis. Le 9 juillet aura lieu une réunion de l’Eurogroupe, et M. Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, aura la redoutable tâche de commencer à mettre en pratique les décisions prises au mois de juin. Entre le mois d’octobre et la fin de l’année, il faudra que le gouvernement soit extrêmement attentif sur toute une série de dispositions, pour que les choses ne se perdent pas dans les sables, comme c’est parfois le cas, et qu’effectivement la taxe sur les transactions financières entre en application, que la Banque européenne d’investissement soit saisie de demandes par vos régions, départements et communes, à travers l’État, afin que les succès obtenus se traduisent véritablement dans les faits.
Cela ne veut pas dire pour autant que les questions seront toutes réglées. Nous avons devant nous des problèmes énormes, par exemple en Grèce. Il y aura bien sûr à discuter des perspectives financières pour 2014-2020 ; cela ne se présente pas facilement. M. Cazeneuve aime à souligner le paradoxe en la matière : d’un côté, on nous demande, au niveau européen, de réaliser des économies dans nos budgets nationaux et, de l’autre, si nous voulons donner un peu de muscle à l’Europe, nous savons que des budgets suffisants sont nécessaires. D’autres contradictions existent encore. De même, il faudra discuter sur toute une série d’autres sujets qui ne sont pas directement financiers.
En outre, il faudra que cette discussion ouverte par le rapport Van Rompuy, nous l’ayons entre nous. C’est une discussion fondamentale. La majorité de cette assemblée est favorable à des avancées européennes, mais pas, comme aurait dit le général de Gaulle, en sautant sur nos chaises. François Hollande a employé l’expression d’« intégration solidaire» : il faut qu’à chaque fois qu’une compétence doit être partagée, il y ait une avancée de l’intégration, de la solidarité et un contrôle démocratique. Ce qui soulève toute une série de problèmes. Est-ce qu’on procède à vingt-sept ? Dans certains cas, c’est possible, dans d’autres non. Est-ce qu’on procède à dix-sept ? Est-ce que, dans d’autres cas, on procède sous forme de coopération renforcée ? Et comment le contrôle s’exerce-t-il ? C’est la réflexion que nous conduirons ensemble au cours des prochains mois.
Il faudra voir si nous soumettons tout cela à la population française directement ou bien à ses représentants.
Le Conseil constitutionnel devra être consulté pour la partie relative au pacte budgétaire, puisqu’il s’agit d’un traité international. Il nous dira s’il faut ou non réviser la Constitution. Dès lors qu’il sera possible - c’est notre analyse - de procéder avec un ordre juridique constant, vous serez saisis, Mesdames et Messieurs les Députés, le plus vite possible de l’ensemble de ces dispositions : du pacte budgétaire, bien sûr, mais aussi du pacte de croissance et d’emploi, de la taxe sur les transactions financières, des autres dispositions qui vont dans le sens souhaité par vous-mêmes et beaucoup d’autres.
Quand pourrons-nous le faire ? Cela paraît difficile de le faire au cours de la présente session extraordinaire, mais ce sera le plus tôt possible à la rentrée, pour que nous ayons une direction européenne clairement affirmée.
Dans la campagne législative que nous avons tous menée, comme dans la campagne présidentielle, je suis sûr que vous avez été frappés comme moi par une différence, et même une divergence, voire un fossé, entre, d’un côté, l’adhésion de nos concitoyens à l’idée européenne - les Français sont, d’une façon générale, pour l’idée européenne - et, de l’autre, leur réticence sur les modalités pratiques, sur la traduction de cette idée. Au fond, ils nous disent que l’Europe doit être une solution et non un problème.
Il y a là quelque chose de très menaçant, non seulement d’un point de vue économique mais aussi d’un point de vue démocratique, car il faut que nos concitoyens se retrouvent dans le projet que nous sommes en train de bâtir. Ce qui a été obtenu la semaine dernière est positif dans la mesure où cela permet, à condition que cela soit traduit concrètement, de réduire ce fossé, de montrer à nos compatriotes que l’Europe, corrigée sur de nombreux points, peut être une solution et non un problème supplémentaire.
Je me rappelle l’anecdote qui courait il y a quelques années au sujet d’Henry Kissinger, lequel disait : «L’Europe, très bien, mais quel est le numéro de téléphone ?» Aujourd’hui, il y a un numéro de téléphone, et même plusieurs - ce qui est d’ailleurs un des problèmes -, mais s’il est important d’avoir un numéro, il faut surtout avoir une réponse au téléphone !
Ce qui s’esquisse à travers les décisions prises la semaine dernière, pour lesquelles le président français a joué un rôle majeur, c’est une réponse aux interrogations européennes de nos concitoyens. Et parce que les résultats du Sommet de Bruxelles vont dans le bon sens sur cette réponse, je suis heureux, au nom du président de la République et du gouvernement, de vous les avoir présentés.
* M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des Affaires européennes.
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés,
Je veux tout d’abord remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés lors de ce débat - un débat dont chacun aura noté l’importance, et qui soulève des questions extrêmement sérieuses.
(…)
Vous avez insisté sur la nécessité de tenir compte des réalités de l’Union européenne et des économies qui la composent, en matière de compétitivité, de rétablissement des comptes publics et de relation avec l’Allemagne, afin de pouvoir contribuer à la consolidation de l’Europe.
(…)
De notre point de vue, la France est un grand pays qui doit pouvoir, dans les relations qu’il entretient avec ses partenaires européens, formuler des orientations, indiquer des préférences et, disons-le, essayer de convaincre ! C’est ce que nous avons fait, ce qui nous a permis d’obtenir, au terme du Conseil européen de la semaine dernière, des décisions extrêmement précises sur des sujets essentiels.
Croyez-moi, ce n’est pas sans difficultés que nous avons obtenu, lors du Conseil «Affaires générales» de l’Union européenne qui s’est tenu la semaine dernière, un accord sur le pacte de croissance constituant l’aboutissement de longues discussions. Les dix milliards d’euros de recapitalisation de la Banque européenne d’investissement qui, selon vous, étaient déjà acquis, je peux vous assurer qu’ils ne l’étaient pas du tout lors du Conseil «Affaires générales» de Bruxelles, la semaine dernière : un certain nombre de pays d’inspiration libérale n’en voulaient pas du tout, et trouvaient même cette idée totalement saugrenue. Si la Commission avait envisagé cette proposition, la France ne l’avait jamais formulée avec autant que conviction que nous l’avons fait.
Selon vous, en acceptant la recapitalisation des banques, nous aurions renoncé aux convictions que nous avions exprimées. Mais vous savez très bien, Mesdames et Messieurs les Députés de l’opposition, que le principal problème auquel nous avons été confrontés au cours des dernières années, c’est ce lien, criminel pour les économies, qui unissait la dette souveraine et la dette bancaire, formant ainsi un cercle vicieux. Tous les économistes - de droite comme de gauche - vous diront que la meilleure manière d’éviter la poursuite de l’austérité et l’enlisement des économies consiste à rompre ce lien. Pour cela, nous devons être en situation d’assurer la recapitalisation des banques par le mécanisme européen de stabilité. Cela ne doit toutefois pas se faire sans conditions, comme vous l’avez fait quand vous avez accepté de soutenir les banques françaises sans exiger, en contrepartie, d’exercer un contrôle au sein de leurs conseils d’administration, de remettre en cause les rémunérations des traders et les dérives dans les pratiques bancaires.
Pour notre part, lorsque nous avons proposé la recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité, nous avons assorti cette proposition d’un système de supervision garantissant que les banques ne se laisseront plus aller aux mêmes errements que naguère. Voilà ce que nous avons réussi à obtenir.
Vous affirmez que nous nous serions rangés aux côtés de l’Italie et de l’Espagne pour jouer les porte-parole des États du Sud, face à une Allemagne dont nous aurions divorcé. C’est là une vision à la fois restrictive et fausse des choses, tellement éloignée de la réalité que j’ai du mal à croire qu’elle corresponde réellement à ce que vous pensez.
(…)
Au cours des quatre dernières semaines, des pays comme l’Espagne et l’Italie nous ont dit que leurs peuples souffraient ; ils sont confrontés à de grandes difficultés. Ces pays ont mis en place des politiques auxquelles, contrairement à ce que vous avez dit, nous n’adhérons pas, parce qu’elles ne sont pas la nôtre. Mais nous reconnaissons qu’elles ont représenté pour ces peuples des efforts considérables. Ces politiques, qui se caractérisent par de la rigueur - je dirai même de l’austérité -, ont conduit à la souffrance des peuples. Elles se traduisent par des augmentations des taux d’intérêt qui ruinent la possibilité pour ces États d’avoir jamais accès à la croissance.
Eh bien, ces pays nous disent : «Nous voulons que les taux d’intérêt soient maîtrisés. Nous voulons inscrire les spreads dans un cadre grâce auquel les efforts que nous avons imposés à nos peuples nous permettent de connaître enfin la croissance.» Nous acceptons cette revendication ; nous nous en faisons même le porte-parole, parce que nous considérons qu’il est bon pour l’Europe que le fonds européen de stabilité financière et le mécanisme européen de stabilité puissent intervenir sur le marché des obligations. Ainsi, les taux baisseront et les pays concernés ne seront pas confrontés à l’austérité. Pour ce faire, nous avons parlé avec l’Espagne et l’Italie, mais aussi avec l’Allemagne. En effet, selon nous, le rôle de la France est d’être un trait d’union entre les pays du Sud, qui demandent à ce que la solidarité s’exerce, et l’Allemagne, avec laquelle nous voulons approfondir notre relation, sans laquelle il n’y a pas d’avenir pour l’Europe.
Je puis vous assurer que Mme Merkel, au terme de quatre semaines de discussions approfondies sur ces sujets sérieux avec le président de la République française, a trouvé en lui un interlocuteur stable, avec lequel on peut parler sérieusement de questions qui engagent l’avenir. Et, avec cette façon de travailler, nous créons la possibilité de consolider durablement le couple franco-allemand.
Ce que vous appelez un renoncement n’est rien d’autre que la mise en œuvre, méthodique et méticuleuse, des engagements que nous avons pris devant les Français, en consolidant la relation franco-allemande et en la rééquilibrant, parce qu’il n’y a pas de bon couple franco-allemand qui ne soit équilibré. De plus, nous avons fait en sorte que cette relation s’ouvre à nos partenaires, car il ne peut y avoir d’Europe à deux : l’Europe se fait à vingt-sept et, dans la zone euro, nous devons parler avec nos seize autres partenaires.
(…)
Le discours que nous tenons à Paris est un discours de rétablissement de la discipline budgétaire. La dette, comme une gangrène de l’économie française, n’a cessé de progresser au cours des dernières années ; le chômage mine l’espérance dans notre pays. Voilà la situation qui nous a été léguée.
Personne au sein de la majorité, aucun ministre siégeant sur les bancs du gouvernement n’imagine, ne serait-ce qu’une minute, qu’il serait possible d’engager la France dans le redressement sans un effort de discipline budgétaire qui permette le rétablissement de nos comptes.
Oui, les déficits et les dettes minent la croissance, mais il n’est pas possible non plus de rétablir les comptes sans un retour de la croissance. Mais nous pensons que le rétablissement des comptes publics doit se faire dans la justice.
Nous pensons qu’il est possible de rétablir les comptes publics sans pour autant accroître les injustices sociales. Nous rétablirons les comptes publics en même temps que nous créerons en France les conditions de la croissance.
La mise en place d’une banque publique d’investissement est précisément destinée à favoriser l’accès des PME au financement. En même temps, nous souhaitons réformer profondément l’impôt sur les sociétés, de façon à ce que les PME et PMI qui innovent, qui investissent, qui essaient de créer les conditions de la croissance, soient moins taxées qu’elles ne l’étaient jusqu’à présent, au détriment - il est vrai - des grands groupes, que leurs profits parfois démesurés conduisaient à investir dans les marchés financiers, contribuant d’ailleurs ainsi au dérèglement d’une finance démente. Voilà ce que nous allons faire pour la croissance et le rétablissement des comptes publics, dans la justice, en France.
Je voudrais dire également quelques mots sur la suite. En effet, il a été dit - même si l’on a vu que cela n’est pas exact - que, lors de ce sommet, on avait engrangé les résultats de décisions qui étaient déjà dans les tuyaux, et que, maintenant, il n’y aurait plus rien sur le métier. Plus rien ne serait donc possible. Nous vous disons au contraire, Chers Parlementaires de l’opposition, qu’il y a encore beaucoup de choses à faire. Et ce qui reste à faire se fera en s’engageant sur un chemin extraordinairement escarpé et difficile.
Vous avez parlé, par exemple, de la nécessité de conforter la relation franco-allemande et l’union économique et monétaire. C’est bien le but de la feuille de route sur laquelle travaille M. Van Rompuy, qui doit nous conduire nous-mêmes à faire encore et toujours des propositions, pour continuer à exercer une magistrature dans l’opinion, dans le but de conforter l’Union européenne. Ce travail est devant nous. Nous allons essayer de l’accomplir, mais pas dans l’excès et l’outrance.
(…)
Nous avancerons, disais-je, sur ce chemin ; nous progresserons en faisant des propositions, avec le souhait de réaliser un processus d’intégration politique qui conforte l’Union européenne. À cet égard, je voudrais répondre en quelques mots à ce qui a été dit tout à l’heure, qui ne me paraît pas correspondre à la réalité de ce que nous avons vécu.
D’un côté, il y aurait le grand saut fédéral, proposé par l’Allemagne, auquel nous aurions renoncé en ne saisissant pas la main que nous tendait Mme Merkel. De l’autre côté - et la meilleure preuve en serait que les deux ministres présents ici aujourd’hui, chargés des affaires étrangères et des affaires européennes, ont voté non à la Constitution européenne -, il y aurait une France souverainiste. Mais on ne peut regarder la réalité de l’Europe d’aujourd’hui dans un rétroviseur.
Si nous voulons réussir l’Europe, si nous voulons faire en sorte de pouvoir, tout en étant solidaires des peuples qui souffrent, créer les conditions d’un renforcement de l’Europe et d’une plus grande efficience des outils dont elle est dotée. (…) Ce ne sont pas seulement des mots, précisément parce que nos partenaires européens nous demandent que, en parallèle au renforcement des outils dont nous disposons, il y ait un processus d’intégration supplémentaire.
Nous aurions donc tort d’opposer la solidarité à l’intégration. Je dirai même que la solidarité, dès lors qu’elle allège la souffrance des peuples, qu’elle permet aux pays les plus en difficulté de connaître le redressement, peut avoir pour corollaire l’intégration.
Voilà pourquoi nous avons souhaité l’intégration solidaire : lorsque l’on est solidaire de ceux qui souffrent, l’intégration progresse un peu. Un climat de confiance, de solidarité et d’unité permet à l’Union d’aller plus loin. N’opposons donc pas l’intégration à la solidarité ; créons les conditions pour que l’intégration progresse à mesure que la solidarité se renforce.
Tel est le projet que porte le président de la République. C’est dans cet esprit que nous entendons conforter la feuille de route proposée par M. Van Rompuy, qui doit être préemptée par les États dans les mois qui viennent, au cours de la discussion intergouvernementale et en lien avec les institutions européennes, pour conforter l’ensemble.
Par ailleurs, si tous les orateurs - même ceux qui ont été les plus critiques, auxquels je m’emploie à répondre - ont insisté sur la nécessité de donner à l’ensemble des mesures que nous nous apprêtons à adopter dans les mois qui viennent le maximum de force, certains ont objecté que les mesures adoptées par le Conseil européen n’ont pas la même force que le traité.
C’est vrai. Je vous ferai tout de même remarquer que le président du Parlement européen - au sein duquel sont représentées de nombreuses sensibilités, dont certaines sont proches de vous, comme j’ai pu le constater hier à Strasbourg, où j’ai rencontré l’ensemble des présidents de groupe - a proposé un accord interinstitutionnel sur les dispositions arrêtées lors du Conseil européen, ce qui témoigne de l’importance qu’il leur accorde.
Le Conseil, à cause des conservateurs européens, qui ne nous permettent pas d’aller aussi loin que nous le souhaitons, n’a pas retenu ce principe, que souhaitait le Parlement et que nous avions appuyé parce qu’il nous paraissait intéressant. Toujours est-il que cela témoigne bien du fait que les institutions ont compris l’importance de ce que nous faisions.
Pour conclure, l’intention du gouvernement, sur ces sujets, est de faire en sorte que le pacte de croissance, qui viendra à côté de la discipline budgétaire, donne une perspective équilibrée, solide et pérenne de renforcement de l’Europe et des solidarités qu’elle porte comme une espérance depuis sa création.
Nous ferons tout, dans les mois qui viennent, pour que ce processus soit consolidé, conforté, approfondi, dans le respect de nos partenaires et tout en renforçant la relation franco-allemande - une relation rééquilibrée et ouverte à d’autres pays.
Nous voulons aussi faire en sorte de porter ensemble, dans cet hémicycle, au moyen d’une relation que nous souhaitons la plus apaisée et la plus constructive possible avec l’ensemble des groupes, un grand projet européen, qui lui-même porte une ambition pour la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2012