Texte intégral
(...)
Q - En Syrie, des massacres continuels, un pouvoir aux abois, mais qui dispose encore des moyens militaires d'écraser la rébellion. Et une impasse diplomatique toujours complète avec la Russie et la Chine qui s'opposent à toute ingérence, est-ce qu'il n'était pas possible de faire plus ces derniers mois, de mettre davantage de pression sur Moscou par exemple ?
R - Nous essayons de faire le maximum, en liaison avec nos partenaires. Ce n'est pas une situation que l'on décrit simplement avec des mots et à laquelle il faut s'habituer, c'est épouvantable. Il y a un massacre - oui, le mot est exact - qui se fait quotidiennement en Syrie, avec une gradation. Au départ - je ne parle pas du régime Assad, mais du clan Assad -, le clan Assad envoyait des snipers, ensuite des soldats, et puis des hélicoptères ; maintenant, ce sont des avions de chasse.
Il y a d'abord une situation humanitaire, dont les causes sont évidemment politiques, qu'il faut absolument changer. C'est le sens de la réunion que nous, les Français, avons convoquée demain au Conseil de sécurité des Nations unies, d'abord sur l'humanitaire : il y a 25.000 morts, 250.000 blessés, plus de deux millions de personnes déplacées, 300.000 personnes réfugiées. J'ai vu de mes propres yeux, à la frontière entre la Turquie, la Syrie, la Jordanie, le Liban, des femmes et des enfants, des tout petits enfants, qui n'ont pas de lait, pas d'électricité, c'est épouvantable ! Il faut donc à la fois agir sur l'aspect humanitaire et sur l'aspect diplomatique. Nous essayons de faire en sorte que l'opposition - mais cela dépend des Syriens - se rassemble pour être beaucoup plus diverse et unie.
Q - Vous en parliez déjà il y a trois mois...
R - Oui, mais personne n'a de baguette magique. Nous sommes évidemment en liaison avec toute une série de pays, notamment de la région, pour essayer de faire plier le clan Assad.
Q - La France n'est pas partie un peu seule avec cette initiative de François Hollande qui a dit, à l'occasion de la réunion des ambassadeurs, que la France reconnaîtra un gouvernement d'opposition syrienne ?
R - François Hollande a dit exactement la chose suivante. Il a dit - et je pense que c'est reconnu par chacun - qu'il faut que le Conseil national de sécurité syrien, qui est un petit peu la base de l'opposition, s'élargisse et arrive à rassembler des gens d'origine diverse qui sont à la fois de l'intérieur et de l'extérieur.
À partir du moment où cette réunion qui doit être représentative, qui doit garantir le respect des communautés et qui doit être inclusive, c'est-à-dire très large, aura eu lieu, à partir du moment où on aura devant nous cet ensemble, il sera en effet très important que les puissances, en particulier la France, les reconnaissent.
L'une des questions qui est posée aux Syriens et à d'autres puissances est la suivante : Bachar est un assassin, le bourreau de son peuple, il tombe, je l'espère et le plus tôt sera le mieux, mais qu'est-ce qui vient après ? Il ne faut pas que ce soit le régime irakien - ou le non régime irakien -, c'est-à-dire, le chaos pendant des années. Il ne faut pas non plus que ce soient les intégristes, les terroristes. Il faut donc mettre en place un gouvernement alternatif qui soit prêt et reconnu. Nous ne pouvons pas le faire, mais nous pouvons aider ; nous le faisons, notamment avec les Turcs, les Britanniques, la Ligue arabe. Si c'est le cas - et j'espère que cela va être le cas - cela permettra de résoudre un certain nombre de questions qui sont très difficiles pour nous.
Nous livrons des équipements que l'on appelle non létaux, c'est-à-dire des équipements qui ne tuent pas, par exemple des équipements de communication, de transmission, etc. Mais la question est : à qui les livre-t-on ? D'autres livrent des armes, elles, létales...
Q - Nous, on n'ira pas plus loin, on ne livrera pas des armes à la Syrie, aux Syriens ?
R - Nous, nous devons respecter l'embargo européen sur les armes. Il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre. Mais je ne veux pas être hypocrite...
Q - D'autres le font à notre place, oui...
R - Il y en a d'autres qui le font. La question est : faut-il le faire ou pas ? Ensuite, si on décide de le faire, à qui livre-t-on ? Si on livre par exemple des armes sol/sol ou des armes sol/air, il ne faut pas, ensuite, que cela puisse se retourner contre nous, comme cela s'est fait en particulier en Libye, non pas contre nos forces, mais on retrouve au Sahel un certain nombre d'armes qui avaient été livrées en Libye, dans les mains d'Aqmi.
Vous voyez donc, à partir du moment où on arrivera à avoir ce gouvernement alternatif très large, qui - j'insiste - reconnaîtra et garantira les communautés - c'est-à-dire aussi bien la communauté alaouite, les communautés chrétiennes, etc. - qu'il faut le reconnaître et que cela permettra évidemment de changer complètement la donne.
Q - Concernant le blocage russe, était-il inimaginable pour la France de suspendre la vente de navires de guerre Mistral à la Russie ?
R - Nous avons un principe, nous sommes producteurs d'armements, il ne faut pas non plus dissimuler la réalité, mais nous imposons toujours des clauses de non réexportation. À partir du moment où il y aurait des indications selon lesquelles il y aurait réexportation, nous arrêterions évidemment pour le pays en question toute livraison ultérieure.
Q - Oui, mais qu'il y ait réexportation ou pas, la question est celle d'une pression accrue des Occidentaux et de la France sur Moscou.
R - Nous exerçons une pression sur le plan diplomatique. Nous continuons à discuter, bien sûr, avec les Russes, sans rien céder, mais il faut trouver des solutions. Nous discutons avec à la fois la Ligue arabe, avec nos voisins, nos partenaires, avec les Russes pour avancer. Quand je vais aller demain à New York, l'idée, c'est, à la fois, de mettre le projecteur sur toutes les questions humanitaires - j'ai invité mes homologues de Jordanie, du Liban, de Turquie, d'Irak, et demandé au Haut-commissariat aux réfugiés d'être là - de discuter avec M. Lakhdar Brahimi, qui est le nouveau médiateur des Nations unies, apporter des solutions et, en même temps, soulever les questions, notamment sur la possibilité d'un gouvernement alternatif, des zones tampons - quels problèmes cela pose ? La France, de ce point de vue-là, est un facilitateur, elle est reconnue comme tel.
Q - Vous ne pourrez pas faire des zones tampons sans l'accord du régime syrien, Assad vient de déclarer que parler de zones tampons en Syrie est irréaliste.
R - Nous sommes en train d'étudier tout cela, mais voyez concrètement l'extrême difficulté, il y a, je le disais, 200.000, 300.000 réfugiés dans les pays voisins et ce nombre peut augmenter compte tenu de la terreur des massacres qu'opère le clan Assad. Dans le même temps, les populations fuient et cela pose des problèmes énormes aux pays qui les reçoivent. Où vont donc aller ces gens si les pays qui les reçoivent ne peuvent plus les recevoir et si, en même temps, le clan Assad refuse de les avoir chez lui.
Que fait-on ? C'est là où la question des zones tampons se pose. Si ces gens-là, dans des zones libérées, d'ailleurs contrôlées par la nouvelle armée syrienne, se réunissent, il va falloir les protéger ; cela s'appelle une zone tampon. On est en train évidemment d'y réfléchir, c'est très compliqué, on ne peut pas le faire sans l'accord des Turcs et d'autres pays.
Ce que nous voulons, c'est faire avancer les choses, faire tomber le plus vite possible Bachar et, en même temps, trouver des solutions notamment humanitaires. Je veux faire remarquer - c'est un point important qui n'a pas été assez souligné - que le nouveau président égyptien, M. Morsi, qui joue de plus en plus un rôle important dans la région et dans toutes ces affaires, a dit expressément qu'il considérait que Bachar Al-Assad était l'assassin de son peuple et qu'il fallait donc qu'il y ait rapidement un changement. Le président de la République va prendre contact avec lui. Moi-même, je me rendrai à la mi-septembre au Caire.
Q - Avant de revenir à quelques dossiers plus lourds et aux questions des auditeurs, un mot Laurent Fabius sur ce que vous avez lancé il y a quelques jours : la diplomatie économique. Il s'agit de soutenir les entreprises françaises sur les marchés extérieurs. Il y aura une direction créée spécialement au quai d'Orsay. N'y a-t-il pas déjà des ministères qui s'occupent déjà de cela ?
R - Bien sûr, mais c'est une tâche pour l'ensemble du gouvernement. La situation est critique puisque notre déficit commercial est de 70 milliards d'euros, c'est considérable ; rien qu'avec la Chine, 27 milliards d'euros de déficit. Il faut donc évidemment redresser la barre et il faut que tout le monde s'y mette. Ce plan de diplomatie économique, cela veut dire qu'il faut soutenir davantage les PME. Il y a un certain nombre de grandes entreprises qui portent sur leurs épaules des PME à l'exportation mais pas suffisamment. Cela veut dire aussi que le Quai d'Orsay lui-même fasse davantage. Cela veut dire que les ambassadeurs doivent être vraiment les chefs de la cellule export. Cela veut dire qu'il faut, dans tous les domaines, appliquer le principe de réciprocité.
J'ai sollicité à quelques grandes personnalités qui ont eu la gentillesse d'accepter de suivre nos relations : Jean-Pierre Raffarin, qui le faisait déjà très bien avec l'Algérie ; Martine Aubry, avec la Chine ; Louis Schweitzer, avec le Japon ; Pierre Sellal, qui est le Secrétaire général du quai d'Orsay, avec les Émirats Arabes Unis. Bref, tout le monde est sur le pont !
(...)
Il y a par ailleurs un travail inverse, ou plutôt symétrique qui est de développer les investissements étrangers en France. Un pays comme le Japon dont on parle trop peu a déjà 60 000 emplois en France. C'est donc extrêmement positif pour nous et il faut parvenir à développer cela, en relation avec le Brésil, et avec toute une série de pays. Donc, tout le monde sur le pont : les ambassadeurs et les postes diplomatiques, mais aussi tout le monde. Lors de cette Conférence des ambassadeurs, nous avons fait venir un grand nombre d'hommes d'affaires et beaucoup de responsables divers qui reconnaissent que déjà un travail important avait été fait mais qu'il fallait passer la surmultipliée.
Q - Bonjour, merci pour votre clairvoyance et votre réalisme dans le traitement du dossier syrien. Mais comment faire plus en Syrie sans éveiller le cauchemar libanais, pour éviter une guerre civile régionale avec la menace d'Israël pour l'Iran et asseoir surtout au pouvoir syrien, un islamisme radical cimenté par le wahhabisme international et enfin, éviter la déportation des chrétiens d'Orient comme en Irak ?
R - Vous posez malheureusement très bien la question et quand je dis malheureusement, c'est parce que l'on se rend bien compte de l'ampleur des problèmes.
Au Liban, où je me suis rendu, j'ai rencontré le président de la République, M. Sleimane et le Premier ministre M. Mikati. Ils cherchent à éviter au maximum la contagion que le clan syrien voudrait étendre au Liban. Ils ont tout à fait raison de le faire. Comme vous le savez, la France est très amie avec le Liban, Nous avons des forces au sud du Liban, au sein de la FINUL, dont nous soutenons tout à fait les efforts, alors même qu'il y a beaucoup de réfugiés syriens qui sont en train de monter au Liban.
Sur les chrétiens - mais on doit aussi parler des autres communautés -, vous avez raison de souligner que le drame, la longueur du conflit syrien, c'est que, plus le conflit syrien dure, plus cela risque de devenir un conflit confessionnel. À partir du moment où cela devient confessionnel, il est très difficile ensuite de faire retomber les choses.
Enfin, vous avez fait la comparaison avec l'Irak, c'est évidemment une immense crainte que nous avons car toute la difficulté, c'est à la fois qu'il faut que le clan Bachar s'en aille et en même temps, il ne faut pas qu'il y ait de solution de compétitivité. Il ne faut pas que, comme cela a été le cas en Irak pendant des années, il y ait un monstrueux chaos. Il faut donc conserver un certain nombre d'institutions et c'est le sens de notre travail pour aider à la formation d'un gouvernement inclusif et représentatif, pour éviter que ne survienne à terme un chaos supplémentaire. Mais c'est très difficile car, plus le temps passe, plus l'exaspération et les exactions se multiplient.
Je voudrais parler d'un cas qui m'a beaucoup touché personnellement. Au début de la semaine, j'ai reçu une organisation de médecins d'origine syrienne qui, à travers le monde essaie d'aider et de travailler en Syrie. 70 médecins syriens ont déjà été tués dernièrement et 700 sont disparus. Les forces syriennes sont venues les emprisonner, on ne sait pas où ils sont. Et savez-vous le motif que les sbires de Bachar Al-Assad utilisent lorsqu'ils viennent arrêter ces médecins ? Ils leur disent : «Monsieur, vous avez du sang sur les mains». Et ce sang, c'est celui des personnes qu'a blessées Bachar et que ces médecins sont en train d'opérer.
Q - À propos de la situation syrienne, je souhaitais que l'on fasse intervenir un journaliste de France-Inter qui se trouve sur le terrain et qui a une question à vous poser. Comment mettre en place une zone tampon sans sécurité aérienne ?
R - C'est impossible. On ne va pas se lancer dans un débat de spécialistes avec la différence entre un corridor humanitaire, une zone d'exclusion aérienne et une zone tampon. En gros, la zone tampon est une zone qui est toute proche de la frontière, en l'occurrence là dans le reportage, c'est tout près de la Turquie. Il y a une zone libérée aux mains des résistants où un certain nombre de personnes se massent. Mais, votre reporter l'a dit excellemment, compte tenu du fait que malheureusement Bachar Al-Assad a un armement et des avions puissants - il y en a 500 et beaucoup sont en très bon état - servis par différents matériels, il faut donc assurer sa protection. Et pour cela, il faut avoir des moyens aériens et anti-aériens. Ce qui signifie à la fois qu'il faut une base légale, qu'il faut des forces - et ce ne peut être des forces françaises seules - et il faut, le cas échéant, des gens au sol. Ce sont les forces résistantes. Évidemment, cela demande une organisation internationale et en plus, comme vous venez de le citer à juste titre, il faut ajouter que Bachar ne veut pas de cela sur son territoire.
Au fond, le projet de Bachar, fait un peu penser à une citation de Brecht - «le peuple n'est pas d'accord pour que l'on dissolve le peuple» -, «tous ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et c'est la majorité de la population, eh bien qu'ils s'en aillent» ; c'est-à-dire avoir une Syrie sans Syriens majoritaires anti-Bachar.
Q - L'idée sur laquelle planche le gouvernement français actuellement est donc, premièrement de reconnaître un nouveau gouvernement de la Syrie, dès que l'opposition l'aurait formé et deuxièmement, de répondre favorablement à une éventuelle demande d'intervention militaire pour protéger ces zones tampon, ces zones libérées ?
R - Nous n'en sommes pas encore là, on regarde les choses parce qu'il faut savoir anticiper, mais nous n'en sommes pas là.
Q - En effet, vous regardez les choses mais c'est une idée sur laquelle on travaille beaucoup au Quai d'Orsay, au ministère de la Défense et à l'Élysée. Si on en arrivait là, la France s'affranchirait-elle de la légalité internationale en contournant l'obstacle russo-chinois au Conseil de sécurité ou bien la France serait-elle dans la légalité internationale en répondant à une demande d'aide bilatérale formulée par le nouveau gouvernement qu'aurait reconnu la France ?
R - C'est l'une des grandes questions qui se posent. Jusqu'à présent, c'est ce que nous avons dit, dans le principe - nous restons fermes sur cette position -, quand la France intervient, elle le fait sur la base de la légalité internationale. Cela dit, vous l'avez laissé entendre en filigrane, la légalité internationale est d'abord définie par les résolutions de l'ONU mais aujourd'hui il n'y a pas de majorité possible à l'ONU et il y a des vetos. Ce peut être, mais on n'est pas dans ce cas-là, dans le cadre de l'OTAN, ce peut être aussi le devoir de protéger les populations. C'est un concept sur lequel nous avons beaucoup travaillé, beaucoup discuté, il a été utilisé en Libye, mais la Syrie ce n'est pas la même chose. C'est effectivement l'un des aspects de la difficulté de ce problème.
Q - Cela peut-il être dans le cadre de l'OTAN si la Turquie se sent agressée, si, comme cela est déjà arrivé, des avions turcs sont abattus par l'armée syrienne ?
R - Nous ne sommes pas dans ce cas-là aujourd'hui et cela voudrait dire qu'il y ait une attaque de la Syrie contre la Turquie, nous ne sommes pas dans cette situation. Mais, l'observation de M. Guetta montre la complexité immense de cette situation et en même temps, on ne peut pas rester les bras ballants. La France est donc active dans toute une série de domaines et dans toute une série de cercles et de milieux. La France n'a pas d'agenda caché, ce que nous voulons, c'est une Syrie libre.
Q - Et la France plonge donc sur la possibilité de contourner le Conseil de sécurité !
R - Non. Au nom même du rôle que doit jouer le Conseil de sécurité, nous souhaitons que cela puisse se faire dans ce cadre. Si demain, je vais présider le Conseil de sécurité, ce que je ferai demain jeudi, si j'ai demandé cette réunion, c'est parce que je pense que, malgré le veto des Russes et des Chinois, il y a des choses à faire au niveau du Conseil de sécurité. Sinon, il faut voir au-delà de ce dramatique cas syrien ce que cela veut dire. S'il n'y a plus d'Organisation des Nations unies ni de Conseil de sécurité qui puissent agir dans des circonstances aussi dramatiques, alors que se passe-t-il ? C'est la raison pour laquelle nous continuons de croire, avec toutes les limites qui existent, à une légalité internationale.
Q - On voit le nationalisme, le souverainisme se développer dangereusement en Europe. L'Allemagne a fait des propositions déjà en 1994, en 2000 et maintenant pour plus d'intégration politique. On sent la France très réticente par rapport à cette proposition qui permettrait sans doute de mieux régler les problèmes actuels. Qu'en pensez-vous M. Fabius ?
R - Je ne sens pas les choses ainsi. C'est vrai que l'Allemagne a fait des propositions, M. Van Rompuy aussi. Nous allons rendre publiques nos propres propositions. Nous n'avons pas de tabous par rapport à cela. Nous pensons simplement qu'en même temps qu'une intégration plus grande - c'est le sens de ce qui est fait et des propositions que nous avons formulées pour la croissance, la taxe sur les transactions financières, etc. - il faut qu'il y ait un contrôle démocratique plus grand et c'est là où ce n'est pas facile à faire ensemble.
Non, il n'y a pas de tabou de notre part. Nous pensons que la souveraineté de la France, c'est important, mais que la souveraineté de la France doit être partagée dans certains domaines avec l'Europe.
Q - Pensez-vous que le mot renégociation du Traité aurait dû être évité pendant la campagne. Le Traité européen n'a pas été renégocié, il y a eu le pacte de croissance mais il n'a pas été renégocié et vous allez demander aux parlementaires de voter le texte exact, à la virgule près.
R - Il y aura plusieurs votes et, surtout, ce texte s'inscrit dans un contexte qui est tout à fait différent puisque la France a réussi notamment à ce qu'il soit accompagné par un pacte pour la croissance et l'emploi ainsi que par toute une série de dispositions comme la taxe sur les transactions financières, la recapitalisation de la BEI, le plan de plusieurs centaines de milliards d'investissements nouveaux.
Q - J'entends bien mais il se trouve que les parlementaires voteront séparément et pas sur le paquet.
R - Normalement, il doit y avoir quatre votes :
- sur une déclaration générale de Jean-Marc Ayrault ;
- sur le Traité lui-même ;
- sur la loi organique qui concerne les finances - pour que les choses soient claires ;
- sur un programme de finances publiques.
Ainsi, les choses sont claires, elles sont sur la table. Un mot là-dessus parce que c'est un débat que nous allons avoir et qui commence déjà, dans l'environnement extrêmement troublé qui est celui de l'Europe, car ça bouge dans tous les sens. Ce Traité sera un élément de stabilité. Je crois qu'il est important que cet élément de stabilité soit accueilli et acquis.
Par rapport à ce que vous disiez sur le texte lui-même, c'est exact, il est ce qu'il était.
Q - Oui, parce que c'est une promesse.
(...)
R - Ce texte est équilibré par un contexte et par des mesures précises de croissance qui changent absolument sa signification.
De plus, c'est la première étape, nous voulons passer ensuite à une seconde où l'Europe serait reconquérante, beaucoup plus équilibrée, plus sociale, plus environnementale. On ne peut pas passer à la seconde étape si on n'a pas la première. Je crois en effet que ce travail de conviction est à faire. Bien sûr, il aurait toujours pu être meilleur mais là, je crois que c'est un élément de stabilité indispensable et une première étape qui permettra de passer à une deuxième où l'Europe, je l'espère, deviendra plus conquérante, plus forte, plus démocratique et plus sociale.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012
Q - En Syrie, des massacres continuels, un pouvoir aux abois, mais qui dispose encore des moyens militaires d'écraser la rébellion. Et une impasse diplomatique toujours complète avec la Russie et la Chine qui s'opposent à toute ingérence, est-ce qu'il n'était pas possible de faire plus ces derniers mois, de mettre davantage de pression sur Moscou par exemple ?
R - Nous essayons de faire le maximum, en liaison avec nos partenaires. Ce n'est pas une situation que l'on décrit simplement avec des mots et à laquelle il faut s'habituer, c'est épouvantable. Il y a un massacre - oui, le mot est exact - qui se fait quotidiennement en Syrie, avec une gradation. Au départ - je ne parle pas du régime Assad, mais du clan Assad -, le clan Assad envoyait des snipers, ensuite des soldats, et puis des hélicoptères ; maintenant, ce sont des avions de chasse.
Il y a d'abord une situation humanitaire, dont les causes sont évidemment politiques, qu'il faut absolument changer. C'est le sens de la réunion que nous, les Français, avons convoquée demain au Conseil de sécurité des Nations unies, d'abord sur l'humanitaire : il y a 25.000 morts, 250.000 blessés, plus de deux millions de personnes déplacées, 300.000 personnes réfugiées. J'ai vu de mes propres yeux, à la frontière entre la Turquie, la Syrie, la Jordanie, le Liban, des femmes et des enfants, des tout petits enfants, qui n'ont pas de lait, pas d'électricité, c'est épouvantable ! Il faut donc à la fois agir sur l'aspect humanitaire et sur l'aspect diplomatique. Nous essayons de faire en sorte que l'opposition - mais cela dépend des Syriens - se rassemble pour être beaucoup plus diverse et unie.
Q - Vous en parliez déjà il y a trois mois...
R - Oui, mais personne n'a de baguette magique. Nous sommes évidemment en liaison avec toute une série de pays, notamment de la région, pour essayer de faire plier le clan Assad.
Q - La France n'est pas partie un peu seule avec cette initiative de François Hollande qui a dit, à l'occasion de la réunion des ambassadeurs, que la France reconnaîtra un gouvernement d'opposition syrienne ?
R - François Hollande a dit exactement la chose suivante. Il a dit - et je pense que c'est reconnu par chacun - qu'il faut que le Conseil national de sécurité syrien, qui est un petit peu la base de l'opposition, s'élargisse et arrive à rassembler des gens d'origine diverse qui sont à la fois de l'intérieur et de l'extérieur.
À partir du moment où cette réunion qui doit être représentative, qui doit garantir le respect des communautés et qui doit être inclusive, c'est-à-dire très large, aura eu lieu, à partir du moment où on aura devant nous cet ensemble, il sera en effet très important que les puissances, en particulier la France, les reconnaissent.
L'une des questions qui est posée aux Syriens et à d'autres puissances est la suivante : Bachar est un assassin, le bourreau de son peuple, il tombe, je l'espère et le plus tôt sera le mieux, mais qu'est-ce qui vient après ? Il ne faut pas que ce soit le régime irakien - ou le non régime irakien -, c'est-à-dire, le chaos pendant des années. Il ne faut pas non plus que ce soient les intégristes, les terroristes. Il faut donc mettre en place un gouvernement alternatif qui soit prêt et reconnu. Nous ne pouvons pas le faire, mais nous pouvons aider ; nous le faisons, notamment avec les Turcs, les Britanniques, la Ligue arabe. Si c'est le cas - et j'espère que cela va être le cas - cela permettra de résoudre un certain nombre de questions qui sont très difficiles pour nous.
Nous livrons des équipements que l'on appelle non létaux, c'est-à-dire des équipements qui ne tuent pas, par exemple des équipements de communication, de transmission, etc. Mais la question est : à qui les livre-t-on ? D'autres livrent des armes, elles, létales...
Q - Nous, on n'ira pas plus loin, on ne livrera pas des armes à la Syrie, aux Syriens ?
R - Nous, nous devons respecter l'embargo européen sur les armes. Il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre. Mais je ne veux pas être hypocrite...
Q - D'autres le font à notre place, oui...
R - Il y en a d'autres qui le font. La question est : faut-il le faire ou pas ? Ensuite, si on décide de le faire, à qui livre-t-on ? Si on livre par exemple des armes sol/sol ou des armes sol/air, il ne faut pas, ensuite, que cela puisse se retourner contre nous, comme cela s'est fait en particulier en Libye, non pas contre nos forces, mais on retrouve au Sahel un certain nombre d'armes qui avaient été livrées en Libye, dans les mains d'Aqmi.
Vous voyez donc, à partir du moment où on arrivera à avoir ce gouvernement alternatif très large, qui - j'insiste - reconnaîtra et garantira les communautés - c'est-à-dire aussi bien la communauté alaouite, les communautés chrétiennes, etc. - qu'il faut le reconnaître et que cela permettra évidemment de changer complètement la donne.
Q - Concernant le blocage russe, était-il inimaginable pour la France de suspendre la vente de navires de guerre Mistral à la Russie ?
R - Nous avons un principe, nous sommes producteurs d'armements, il ne faut pas non plus dissimuler la réalité, mais nous imposons toujours des clauses de non réexportation. À partir du moment où il y aurait des indications selon lesquelles il y aurait réexportation, nous arrêterions évidemment pour le pays en question toute livraison ultérieure.
Q - Oui, mais qu'il y ait réexportation ou pas, la question est celle d'une pression accrue des Occidentaux et de la France sur Moscou.
R - Nous exerçons une pression sur le plan diplomatique. Nous continuons à discuter, bien sûr, avec les Russes, sans rien céder, mais il faut trouver des solutions. Nous discutons avec à la fois la Ligue arabe, avec nos voisins, nos partenaires, avec les Russes pour avancer. Quand je vais aller demain à New York, l'idée, c'est, à la fois, de mettre le projecteur sur toutes les questions humanitaires - j'ai invité mes homologues de Jordanie, du Liban, de Turquie, d'Irak, et demandé au Haut-commissariat aux réfugiés d'être là - de discuter avec M. Lakhdar Brahimi, qui est le nouveau médiateur des Nations unies, apporter des solutions et, en même temps, soulever les questions, notamment sur la possibilité d'un gouvernement alternatif, des zones tampons - quels problèmes cela pose ? La France, de ce point de vue-là, est un facilitateur, elle est reconnue comme tel.
Q - Vous ne pourrez pas faire des zones tampons sans l'accord du régime syrien, Assad vient de déclarer que parler de zones tampons en Syrie est irréaliste.
R - Nous sommes en train d'étudier tout cela, mais voyez concrètement l'extrême difficulté, il y a, je le disais, 200.000, 300.000 réfugiés dans les pays voisins et ce nombre peut augmenter compte tenu de la terreur des massacres qu'opère le clan Assad. Dans le même temps, les populations fuient et cela pose des problèmes énormes aux pays qui les reçoivent. Où vont donc aller ces gens si les pays qui les reçoivent ne peuvent plus les recevoir et si, en même temps, le clan Assad refuse de les avoir chez lui.
Que fait-on ? C'est là où la question des zones tampons se pose. Si ces gens-là, dans des zones libérées, d'ailleurs contrôlées par la nouvelle armée syrienne, se réunissent, il va falloir les protéger ; cela s'appelle une zone tampon. On est en train évidemment d'y réfléchir, c'est très compliqué, on ne peut pas le faire sans l'accord des Turcs et d'autres pays.
Ce que nous voulons, c'est faire avancer les choses, faire tomber le plus vite possible Bachar et, en même temps, trouver des solutions notamment humanitaires. Je veux faire remarquer - c'est un point important qui n'a pas été assez souligné - que le nouveau président égyptien, M. Morsi, qui joue de plus en plus un rôle important dans la région et dans toutes ces affaires, a dit expressément qu'il considérait que Bachar Al-Assad était l'assassin de son peuple et qu'il fallait donc qu'il y ait rapidement un changement. Le président de la République va prendre contact avec lui. Moi-même, je me rendrai à la mi-septembre au Caire.
Q - Avant de revenir à quelques dossiers plus lourds et aux questions des auditeurs, un mot Laurent Fabius sur ce que vous avez lancé il y a quelques jours : la diplomatie économique. Il s'agit de soutenir les entreprises françaises sur les marchés extérieurs. Il y aura une direction créée spécialement au quai d'Orsay. N'y a-t-il pas déjà des ministères qui s'occupent déjà de cela ?
R - Bien sûr, mais c'est une tâche pour l'ensemble du gouvernement. La situation est critique puisque notre déficit commercial est de 70 milliards d'euros, c'est considérable ; rien qu'avec la Chine, 27 milliards d'euros de déficit. Il faut donc évidemment redresser la barre et il faut que tout le monde s'y mette. Ce plan de diplomatie économique, cela veut dire qu'il faut soutenir davantage les PME. Il y a un certain nombre de grandes entreprises qui portent sur leurs épaules des PME à l'exportation mais pas suffisamment. Cela veut dire aussi que le Quai d'Orsay lui-même fasse davantage. Cela veut dire que les ambassadeurs doivent être vraiment les chefs de la cellule export. Cela veut dire qu'il faut, dans tous les domaines, appliquer le principe de réciprocité.
J'ai sollicité à quelques grandes personnalités qui ont eu la gentillesse d'accepter de suivre nos relations : Jean-Pierre Raffarin, qui le faisait déjà très bien avec l'Algérie ; Martine Aubry, avec la Chine ; Louis Schweitzer, avec le Japon ; Pierre Sellal, qui est le Secrétaire général du quai d'Orsay, avec les Émirats Arabes Unis. Bref, tout le monde est sur le pont !
(...)
Il y a par ailleurs un travail inverse, ou plutôt symétrique qui est de développer les investissements étrangers en France. Un pays comme le Japon dont on parle trop peu a déjà 60 000 emplois en France. C'est donc extrêmement positif pour nous et il faut parvenir à développer cela, en relation avec le Brésil, et avec toute une série de pays. Donc, tout le monde sur le pont : les ambassadeurs et les postes diplomatiques, mais aussi tout le monde. Lors de cette Conférence des ambassadeurs, nous avons fait venir un grand nombre d'hommes d'affaires et beaucoup de responsables divers qui reconnaissent que déjà un travail important avait été fait mais qu'il fallait passer la surmultipliée.
Q - Bonjour, merci pour votre clairvoyance et votre réalisme dans le traitement du dossier syrien. Mais comment faire plus en Syrie sans éveiller le cauchemar libanais, pour éviter une guerre civile régionale avec la menace d'Israël pour l'Iran et asseoir surtout au pouvoir syrien, un islamisme radical cimenté par le wahhabisme international et enfin, éviter la déportation des chrétiens d'Orient comme en Irak ?
R - Vous posez malheureusement très bien la question et quand je dis malheureusement, c'est parce que l'on se rend bien compte de l'ampleur des problèmes.
Au Liban, où je me suis rendu, j'ai rencontré le président de la République, M. Sleimane et le Premier ministre M. Mikati. Ils cherchent à éviter au maximum la contagion que le clan syrien voudrait étendre au Liban. Ils ont tout à fait raison de le faire. Comme vous le savez, la France est très amie avec le Liban, Nous avons des forces au sud du Liban, au sein de la FINUL, dont nous soutenons tout à fait les efforts, alors même qu'il y a beaucoup de réfugiés syriens qui sont en train de monter au Liban.
Sur les chrétiens - mais on doit aussi parler des autres communautés -, vous avez raison de souligner que le drame, la longueur du conflit syrien, c'est que, plus le conflit syrien dure, plus cela risque de devenir un conflit confessionnel. À partir du moment où cela devient confessionnel, il est très difficile ensuite de faire retomber les choses.
Enfin, vous avez fait la comparaison avec l'Irak, c'est évidemment une immense crainte que nous avons car toute la difficulté, c'est à la fois qu'il faut que le clan Bachar s'en aille et en même temps, il ne faut pas qu'il y ait de solution de compétitivité. Il ne faut pas que, comme cela a été le cas en Irak pendant des années, il y ait un monstrueux chaos. Il faut donc conserver un certain nombre d'institutions et c'est le sens de notre travail pour aider à la formation d'un gouvernement inclusif et représentatif, pour éviter que ne survienne à terme un chaos supplémentaire. Mais c'est très difficile car, plus le temps passe, plus l'exaspération et les exactions se multiplient.
Je voudrais parler d'un cas qui m'a beaucoup touché personnellement. Au début de la semaine, j'ai reçu une organisation de médecins d'origine syrienne qui, à travers le monde essaie d'aider et de travailler en Syrie. 70 médecins syriens ont déjà été tués dernièrement et 700 sont disparus. Les forces syriennes sont venues les emprisonner, on ne sait pas où ils sont. Et savez-vous le motif que les sbires de Bachar Al-Assad utilisent lorsqu'ils viennent arrêter ces médecins ? Ils leur disent : «Monsieur, vous avez du sang sur les mains». Et ce sang, c'est celui des personnes qu'a blessées Bachar et que ces médecins sont en train d'opérer.
Q - À propos de la situation syrienne, je souhaitais que l'on fasse intervenir un journaliste de France-Inter qui se trouve sur le terrain et qui a une question à vous poser. Comment mettre en place une zone tampon sans sécurité aérienne ?
R - C'est impossible. On ne va pas se lancer dans un débat de spécialistes avec la différence entre un corridor humanitaire, une zone d'exclusion aérienne et une zone tampon. En gros, la zone tampon est une zone qui est toute proche de la frontière, en l'occurrence là dans le reportage, c'est tout près de la Turquie. Il y a une zone libérée aux mains des résistants où un certain nombre de personnes se massent. Mais, votre reporter l'a dit excellemment, compte tenu du fait que malheureusement Bachar Al-Assad a un armement et des avions puissants - il y en a 500 et beaucoup sont en très bon état - servis par différents matériels, il faut donc assurer sa protection. Et pour cela, il faut avoir des moyens aériens et anti-aériens. Ce qui signifie à la fois qu'il faut une base légale, qu'il faut des forces - et ce ne peut être des forces françaises seules - et il faut, le cas échéant, des gens au sol. Ce sont les forces résistantes. Évidemment, cela demande une organisation internationale et en plus, comme vous venez de le citer à juste titre, il faut ajouter que Bachar ne veut pas de cela sur son territoire.
Au fond, le projet de Bachar, fait un peu penser à une citation de Brecht - «le peuple n'est pas d'accord pour que l'on dissolve le peuple» -, «tous ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et c'est la majorité de la population, eh bien qu'ils s'en aillent» ; c'est-à-dire avoir une Syrie sans Syriens majoritaires anti-Bachar.
Q - L'idée sur laquelle planche le gouvernement français actuellement est donc, premièrement de reconnaître un nouveau gouvernement de la Syrie, dès que l'opposition l'aurait formé et deuxièmement, de répondre favorablement à une éventuelle demande d'intervention militaire pour protéger ces zones tampon, ces zones libérées ?
R - Nous n'en sommes pas encore là, on regarde les choses parce qu'il faut savoir anticiper, mais nous n'en sommes pas là.
Q - En effet, vous regardez les choses mais c'est une idée sur laquelle on travaille beaucoup au Quai d'Orsay, au ministère de la Défense et à l'Élysée. Si on en arrivait là, la France s'affranchirait-elle de la légalité internationale en contournant l'obstacle russo-chinois au Conseil de sécurité ou bien la France serait-elle dans la légalité internationale en répondant à une demande d'aide bilatérale formulée par le nouveau gouvernement qu'aurait reconnu la France ?
R - C'est l'une des grandes questions qui se posent. Jusqu'à présent, c'est ce que nous avons dit, dans le principe - nous restons fermes sur cette position -, quand la France intervient, elle le fait sur la base de la légalité internationale. Cela dit, vous l'avez laissé entendre en filigrane, la légalité internationale est d'abord définie par les résolutions de l'ONU mais aujourd'hui il n'y a pas de majorité possible à l'ONU et il y a des vetos. Ce peut être, mais on n'est pas dans ce cas-là, dans le cadre de l'OTAN, ce peut être aussi le devoir de protéger les populations. C'est un concept sur lequel nous avons beaucoup travaillé, beaucoup discuté, il a été utilisé en Libye, mais la Syrie ce n'est pas la même chose. C'est effectivement l'un des aspects de la difficulté de ce problème.
Q - Cela peut-il être dans le cadre de l'OTAN si la Turquie se sent agressée, si, comme cela est déjà arrivé, des avions turcs sont abattus par l'armée syrienne ?
R - Nous ne sommes pas dans ce cas-là aujourd'hui et cela voudrait dire qu'il y ait une attaque de la Syrie contre la Turquie, nous ne sommes pas dans cette situation. Mais, l'observation de M. Guetta montre la complexité immense de cette situation et en même temps, on ne peut pas rester les bras ballants. La France est donc active dans toute une série de domaines et dans toute une série de cercles et de milieux. La France n'a pas d'agenda caché, ce que nous voulons, c'est une Syrie libre.
Q - Et la France plonge donc sur la possibilité de contourner le Conseil de sécurité !
R - Non. Au nom même du rôle que doit jouer le Conseil de sécurité, nous souhaitons que cela puisse se faire dans ce cadre. Si demain, je vais présider le Conseil de sécurité, ce que je ferai demain jeudi, si j'ai demandé cette réunion, c'est parce que je pense que, malgré le veto des Russes et des Chinois, il y a des choses à faire au niveau du Conseil de sécurité. Sinon, il faut voir au-delà de ce dramatique cas syrien ce que cela veut dire. S'il n'y a plus d'Organisation des Nations unies ni de Conseil de sécurité qui puissent agir dans des circonstances aussi dramatiques, alors que se passe-t-il ? C'est la raison pour laquelle nous continuons de croire, avec toutes les limites qui existent, à une légalité internationale.
Q - On voit le nationalisme, le souverainisme se développer dangereusement en Europe. L'Allemagne a fait des propositions déjà en 1994, en 2000 et maintenant pour plus d'intégration politique. On sent la France très réticente par rapport à cette proposition qui permettrait sans doute de mieux régler les problèmes actuels. Qu'en pensez-vous M. Fabius ?
R - Je ne sens pas les choses ainsi. C'est vrai que l'Allemagne a fait des propositions, M. Van Rompuy aussi. Nous allons rendre publiques nos propres propositions. Nous n'avons pas de tabous par rapport à cela. Nous pensons simplement qu'en même temps qu'une intégration plus grande - c'est le sens de ce qui est fait et des propositions que nous avons formulées pour la croissance, la taxe sur les transactions financières, etc. - il faut qu'il y ait un contrôle démocratique plus grand et c'est là où ce n'est pas facile à faire ensemble.
Non, il n'y a pas de tabou de notre part. Nous pensons que la souveraineté de la France, c'est important, mais que la souveraineté de la France doit être partagée dans certains domaines avec l'Europe.
Q - Pensez-vous que le mot renégociation du Traité aurait dû être évité pendant la campagne. Le Traité européen n'a pas été renégocié, il y a eu le pacte de croissance mais il n'a pas été renégocié et vous allez demander aux parlementaires de voter le texte exact, à la virgule près.
R - Il y aura plusieurs votes et, surtout, ce texte s'inscrit dans un contexte qui est tout à fait différent puisque la France a réussi notamment à ce qu'il soit accompagné par un pacte pour la croissance et l'emploi ainsi que par toute une série de dispositions comme la taxe sur les transactions financières, la recapitalisation de la BEI, le plan de plusieurs centaines de milliards d'investissements nouveaux.
Q - J'entends bien mais il se trouve que les parlementaires voteront séparément et pas sur le paquet.
R - Normalement, il doit y avoir quatre votes :
- sur une déclaration générale de Jean-Marc Ayrault ;
- sur le Traité lui-même ;
- sur la loi organique qui concerne les finances - pour que les choses soient claires ;
- sur un programme de finances publiques.
Ainsi, les choses sont claires, elles sont sur la table. Un mot là-dessus parce que c'est un débat que nous allons avoir et qui commence déjà, dans l'environnement extrêmement troublé qui est celui de l'Europe, car ça bouge dans tous les sens. Ce Traité sera un élément de stabilité. Je crois qu'il est important que cet élément de stabilité soit accueilli et acquis.
Par rapport à ce que vous disiez sur le texte lui-même, c'est exact, il est ce qu'il était.
Q - Oui, parce que c'est une promesse.
(...)
R - Ce texte est équilibré par un contexte et par des mesures précises de croissance qui changent absolument sa signification.
De plus, c'est la première étape, nous voulons passer ensuite à une seconde où l'Europe serait reconquérante, beaucoup plus équilibrée, plus sociale, plus environnementale. On ne peut pas passer à la seconde étape si on n'a pas la première. Je crois en effet que ce travail de conviction est à faire. Bien sûr, il aurait toujours pu être meilleur mais là, je crois que c'est un élément de stabilité indispensable et une première étape qui permettra de passer à une deuxième où l'Europe, je l'espère, deviendra plus conquérante, plus forte, plus démocratique et plus sociale.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012