Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec France Culture le 21 novembre 2012, sur la situation au Proche Orient, en République démocratique du Congo, au Mali et en Syrie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Culture

Texte intégral

Q - Commençons par l'actualité en Israël et à Gaza. Israël et le Hamas ne sont toujours pas parvenus à un cessez-le-feu, et cela malgré votre voyage ce week-end, malgré la présence d'Hillary Clinton en Israël et malgré la négociation de l'Égypte en ce moment-même.
Dites Monsieur le Ministre, la trêve imminente dure depuis environ 24 heures. Tout cela n'est-il pas en train de tomber définitivement à l'eau, dans la mesure où, qui plus est, on parle de trêve sur trêve et plus vraiment de paix ?
R - C'est vrai que c'est une situation extrêmement difficile. La position de la France est très claire. Nous voulons une paix, un cessez-le-feu urgent et durable. Nous le voulons parce que la situation, comme vous l'avez rappelé, est extrêmement dure à Gaza où il y a encore eu cette nuit, beaucoup de tirs de roquettes. D'ailleurs, une bombe est tombée à proximité d'un hôtel où il y avait beaucoup de vos confrères.
La situation est aussi très difficile en Israël qui se trouve sous la menace et sous le feu effectif des roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Évidemment, s'agissant d'Israël, je comprends tout à fait sa réaction de défense. On ne peut pas admettre qu'un pays se trouve sous la menace de tels tirs. C'est vrai que la situation est très dure avec plus de cent morts du côté palestinien et une population israélienne choquée.
Il faut donc bouger et la guerre n'est absolument pas une solution. À la demande du président de la République, j'étais dimanche dans la région où j'ai vu les différents responsables. Je suis en contact permanent avec les Égyptiens qui jouent un rôle très important dans cette affaire. Je suis en contact avec les Israéliens, avec Hillary Clinton et d'autres collègues. Il y a une volonté d'aller vers le cessez-le-feu.
Q - Il y a aussi des conditions à la trêve que certains émettent, comme lever le blocus de l'enclave palestinienne par exemple.
R - En effet. Qu'est-ce qui bloque principalement ? Il y a une demande du côté israélien, je la comprends parfaitement, qui consiste à dire qu'ils accepteraient un cessez-le-feu, à condition que ce dernier ne concerne pas seulement le Hamas mais aussi l'ensemble des groupes qui tirent depuis Gaza. De plus, Israël indique que beaucoup d'armes sont arrivées à Gaza, notamment des missiles de longue portée et ce sont eux qui font le plus de dégâts puisqu'ils ont une portée de 75 kms. C'est pourquoi Israël veut qu'il y ait un processus interdisant que de nouvelles roquettes parviennent jusqu'à la bande de Gaza.
Du côté de Gaza, et là aussi c'est parfaitement compréhensible, on dit qu'il faut desserrer le blocus parce que la vie là-bas est impossible. Et c'est sur la base de ces éléments que les choses butent jusqu'à ce jour. Je conserve un espoir fort que l'on aboutisse rapidement à un cessez-le-feu.
Q - Et sur quelle base ? Israël pourrait accepter une levée de blocus même partielle, cela suffirait-il ?
R - La discussion porte en particulier sur les deux éléments dont j'ai parlé. Cela peut d'ailleurs se faire, soit en une fois, soit en deux fois : avec d'abord un arrêt immédiat et mutuel des hostilités suivi d'un processus qui permettrait, dans les jours qui viennent, d'assurer les éléments complémentaires de la paix. Toutes les forces de tous les pays et de tous les groupes qui souhaitent la paix doivent être réunies pour aller vers ce cessez-le-feu urgent. La France veut être une puissance facilitatrice de paix.
Q - Aujourd'hui, l'Égypte joue un rôle que, peut-être, on n'attendait pas ?
R - Elle joue en effet un rôle majeur. Le président Morsi a pris les choses en main. Bien sûr, autour de lui, il y a la Ligue arabe, le Qatar et d'autres puissances. Il a des relations avec les Palestiniens et il discute aussi, même si c'est indirectement, avec les autorités israéliennes. Mais, il est tout à fait vrai que le président Morsi et l'Égypte retrouvent un rôle, avec une Égypte différente.
Je suis également en contact avec mon collègue égyptien et François Hollande a appelé le président Morsi pour régler un certain nombre d'éléments.
Q - Ce rôle est aussi constitutif au fait que l'Égypte parle avec le Hamas.
R - Oui.
Q - N'est-ce pas finalement là l'impasse dans laquelle on se trouve depuis très longtemps. Vous le disiez encore hier soir la France dialogue avec les Israéliens, avec les Palestiniens, vous vous êtes entretenu avec Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, mais cela suffit-il ?
R - Je suis encore plus direct que vous. Vous posez la question de savoir s'il faudrait dialoguer avec le Hamas.
Q - En effet. On peut aussi dire que dans la grande tradition de la diplomatie française, François Mitterrand en son temps l'aurait fait, comme il avait choqué en parlant avec Yasser Arafat.
R - La grande tradition de la diplomatie française, c'est de faire avancer la cause de la paix. On va y venir dans un instant, c'est ce que nous essayons de faire en Syrie, au Mali, en Israël et à Gaza.
S'agissant du Hamas, la position, non seulement de la France mais des Européens est tout à fait claire. Nous savons l'importance de ce groupe mais nous ne pouvons pas discuter avec lui car il ne reconnaît pas l'existence d'Israël et il n'a pas renoncé expressément à la violence. C'est une position qui a été prise, qui est tout à fait compréhensible et qui est appliquée par la France.
Q - Ne sommes-nous pas maintenant au moment où il faut un geste politique, au moment où l'Autorité palestinienne envisage de porter devant les Nations unies, une demande de reconnaissance de l'État palestinien. Depuis des années, la communauté internationale se contente d'obtenir des trêves à Gaza. Il y a pourtant eu de grands engagements pris mais on constate aujourd'hui le désengagement de la communauté internationale. N'est-ce pas un peu l'épreuve de vérité ?
R - C'est une question très difficile qui sera peut-être abordée le 29 novembre prochain, c'est-à-dire dans quelques jours. J'ai parlé en tête à tête avec Mahmoud Abbas dimanche dernier. Notre objectif dans tout cela, et je pense que c'est le même pour beaucoup d'autres, est le suivant : «qu'est-ce qui peut le mieux servir la paix.»
Vous savez combien la France, c'est sa tradition, soutient la lutte des Palestiniens. Nous pensons qu'il est vraiment juste qu'il y ait deux États, de même qu'Israël a droit à la sécurité. De même, et il y a un rapport entre les deux, il faut que les Palestiniens puisse obtenir leur État et il y a eu des votes de la France dans ce sens par le passé. La question qui se pose est double : est-ce le bon moment ? Nous pouvons toujours dire que ce n'est jamais le moment et c'est vrai que dans la situation actuelle, avec Israël qui est en campagne électorale et les États-Unis qui n'ont pas encore de nouveau gouvernement, toute la question est de savoir, après ce vote - s'il a lieu - , quelle sera la réaction des uns et des autres et si cela fera avancer la paix. Si néanmoins ce vote a lieu, il faudra que la France, comme les autres pays européens, se détermine et nous sommes en discussion avec tous pour déterminer notre position qui sera annoncée la semaine prochaine.
Q - Je note qu'un dirigeant de l'OLP, Alan Arfaoui a reproché à la déclaration des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne de ne pas prendre acte du fait que, je le cite : «Les souffrances, dans cette affaire-là sont très majoritairement palestiniennes.»
R - Il y a deux débats mais pour moi, pour tous les gens de bonne volonté, l'essentiel est de savoir ce que l'on peut faire concrètement pour aller rapidement vers un cessez-le-feu durable. Après, il y a toute une controverse sur les responsabilités et l'origine de ce conflit.
Q - Les responsabilités sont-elles partagées ?
R - Plaçons-nous des deux côtés pour être honnête. Du coté israélien, il n'est pas possible d'accepter d'être sous la menace de recevoir des roquettes sur son territoire. Aucun pays ne l'accepterait. Simplement, il faut que la réaction soit proportionnée.
De leur côté, les Palestiniens disent qu'il y a eu le meurtre de tel ou tel et de nombreuses roquettes sont tirées du côté israélien vers Gaza. Voilà pour ce qui concerne les responsabilités. En ce qui concerne le développement de la situation, nous mettons tous nos efforts à trouver une solution. Croyez-moi je passe évidemment mes jours et une partie de mes nuits en discussion avec les uns et les autres pour faire en sorte que l'on puisse contribuer à la paix.
Q - Aujourd'hui, est-ce vraiment le Hamas qui contrôle Gaza ?
R - Le Hamas a évidemment une influence prépondérante mais il y a d'autres groupes comme le djihad et d'autres. Ce qui est important, c'est le rôle de l'Égypte qui, semble-t-il, doit pouvoir influer sur l'ensemble de ces éléments. C'est nécessaire parce qu'un cessez-le-feu qui ne serait pas inclusif, c'est-à-dire qui ne concernerait pas l'ensemble des forces, ne serait pas efficace.
Q - Comment explique-t-on que la bande de Gaza ait pu à ce point avoir eu les moyens de s'armer alors qu'un blocus avait justement été mis en place ?
R - Parce notamment il y a des tunnels et d'autres mécanismes qui ont permis l'acheminement d'armes. Le fait nouveau, c'est qu'il y a maintenant des armes de longue portée de 75 kms et qui pèsent 950 Kg, ce sont des missiles iraniens. La responsabilité iranienne est extrêmement lourde dans tout cela.
Q - On la retrouve également avec ce drone qui a survolé Israël il y a quelques temps. Comment gère-t-on ce rôle iranien «sous-marin» mais très en surface ?
R - Pour tous ceux qui suivent cette situation, ce rôle est en surface, apparent et négatif. C'est vrai que l'on retrouve l'Iran au Liban, en Syrie, en Irak, - ce qui est trop peu souligné -, à Gaza. Et, à chaque fois, avec des intentions et même une réalité qui est extrêmement négative. Et puis, il y a la grande question, peut-être en parlera-t-on, de l'Iran nucléaire qui est devant nous.
Le peuple iranien est un grand peuple, ce n'est pas cela qui est remis en question mais l'orientation de son gouvernement qui est extrêmement dangereuse pour la paix dans plusieurs régions du monde.
Q - Pour revenir sur cette question quant à la position française vis-à-vis du Hamas, la complication diplomatique ne vient-elle pas du fait qu'en plus, en période électorale pour le premier ministre israélien, il y a une manière de s'adresser directement, dans sa façon de gérer ce moment, au Hamas ?
R - J'entends bien l'argument. Ce n'est pas M. Netanyahou qui est responsable du fait que des roquettes sont envoyées sur Israël, il ne faut quand même pas inverser les choses. Par ailleurs, je vous disais tout à l'heure que le rôle de l'Égypte en relation avec le Hamas est particulièrement important parce que l'Égypte peut prendre des engagements au nom de la diversité des groupes présents à Gaza, au premier rang desquels le Hamas.
Q - Et quel est le rôle des États-Unis aujourd'hui. On voit des déclarations d'intention très fortes, Hilary Clinton disant que leur protection et leur soutien à Israël restera inébranlable.
R - J'ai eu Mme Clinton, hier après-midi, nous avons parlé d'Israël, de Gaza et de ce qui se passait en RDC. Traditionnellement, les Américains soutiennent Israël, mais dans le même temps, par leur puissance ils ont un rôle évidemment régional et international. Comme nous, ils sont aussi membres du Conseil de sécurité. Ils sont donc importants dans la solution qui doit être trouvée.
Q - On le sait, il n'y aura pas de trêve durable, de cessez-le-feu valable, tant qu'une solution politique n'aura pas été trouvée entre Palestiniens et Israéliens. Vous parliez de la reconnaissance de l'État palestinien, mais qu'est-ce qui bloque ? Qu'est-ce qui empêche la création de cet État palestinien ?
R - Vous avez raison, il n'y a pas de paix durable sans justice. C'est la position de la France et justice n'est pas rendue aux Palestiniens. La question de fond est effectivement celle que vous soulevez. C'est la raison pour laquelle nous sommes partisans de négociations directes sans préalable, mais pour l'instant, elles n'ont pas pu avoir lieu. Les uns et les autres se renvoient la responsabilité. Nous disons qu'il faut que les Palestiniens aient un État, que la sécurité d'Israël doit être assurée et que les conditions doivent être trouvées par une négociation directe.
Q - Ce sera donc la position de la France pour reconnaître l'État palestinien à L'ONU ?
R - C'est une position traditionnelle de la France.
Q - Mais, plaiderez-vous la reconnaissance de l'État palestinien devant les Nations unies ?
R - Nous avons toujours dit que nous étions partisans qu'un État soit reconnu. Après, à la question précise qui est posée à travers cette résolution, si elle doit être déposée et votée le 29 novembre, j'ai dit que nous y répondrions la semaine prochaine.
Q - On vous sent réservé.
R - Non, je ne suis pas réservé, je suis réfléchi.
Q - L'actualité du moment complique-t-elle une prise de décision ?
R - Bien sûr et quand vous parlez de l'actualité du moment, ce sont plusieurs données. C'est à la fois la situation sur le terrain. C'est aussi le fait que nous sommes dans une période électorale et que la nouvelle administration américaine ne soit pas encore installée avec les conséquences afférentes. Ce que nous souhaitons d'abord, c'est que l'on aille vers le chemin de la paix car, certains l'avaient un peu oublié ces derniers mois, le fait que ce conflit israélo-palestinien ne soit pas réglé est la mère de beaucoup de conflits.
Q - Le point positif, c'est ce rôle de l'Égypte que l'on voit reprendre sa position traditionnelle d'alliée de la communauté internationale au Proche-Orient. Tout cela est-il rassurant finalement presque deux ans après la révolution égyptienne ?
R - Rassurant, je ne sais pas mais le fait est que l'Égypte, et notamment le président Morsi, optent pour des positions de plus en plus importantes. On le voit à travers d'autres éléments. Lakhdar Brahimi qui est l'envoyé spécial des Nations unies pour le conflit syrien a son Siège en Égypte tout comme la Coalition Syrienne et, depuis longtemps, la Ligue arabe. La France est en dialogue permanent avec ce pays et nous pensons que dans le futur, ce dialogue va se renforcer.
Q - L'ONU a adopté ce matin une résolution proposée par la France. Le texte condamne la prise de Goma et demande d'ouvrir également une enquête sur les soutiens extérieurs du M23. Pouvez-vous dire ce matin, M. Fabius, que le M23 est piloté, en tout cas aidé, par le Rwanda et que les heurts actuels sont une agression du voisin rwandais en RDC ?
R - Une enquête des Nations unies a été publiée il y a quelques jours sur ce qui se passe au Kivu en général. Le Rwanda et d'autres pays sont cités. Mais, pour revenir sur ce qui vient d'être décrit de manière très juste, le M23 a pénétré dans Goma et tient cette ville. Le drame est que la RDC est amputée d'une partie de son territoire et, dans le même temps, cela montre le côté complètement absurde du mandat qui a été donné à la force de l'ONU, la MONUSCO. Cette force comporte 17.000 hommes et, compte tenu du mandat qui lui a été donné, elle ne peut pas intervenir suffisamment alors qu'en face il n'y a que quelques centaines d'hommes. C'est donc une absurdité.
Quelle était l'urgence ? Moi-même, j'ai été saisi à la fois par le gouvernement de la RDC et par la ministre des affaires étrangères du Rwanda. Là encore, la France, on le disait dans le précédent conflit mais c'est vrai aussi ailleurs, la France essaie de jouer un rôle actif pour aller vers la paix. Après avoir été saisi, nous avons déposé une motion aux Nations unies votée à l'unanimité, ce qui n'est pas facile dans les temps qui courent. M. Ban Ki-Moon a dépêché sur place sa directrice de Cabinet et une rencontre au plus haut niveau est prévue en Ouganda entre M. Kabila et M. Kagamé. Nous espérons que cela pourra faire baisser la pression. Dans le même temps, il y a une condamnation d'un certain nombre de personnes, qui animent le M23, qui a été prononcée.
Q - Que faut-il changer au mandat de la MONUSCO ?
R - Il n'y a pas besoin de 17.000 hommes. Il faut qu'ils puissent intervenir effectivement pour séparer les combattants et aussi empêcher les combats. Le Kivu est une région extrêmement difficile d'accès et je m'en étais entretenu avec leurs responsables à Kinshasa il y a quelques semaines. Mais, malgré leur courage, leur mandat fait que les casques bleus arrivent après la bataille. Cela ne sert donc à rien.
Je m'en suis d'ailleurs entretenu hier avec Mme Clinton qui, sur ce point et j'en ai été heureux, partage mon sentiment.
Q - La France est en première ligne sur le dossier du Mali, ici aussi en RDC. Est-ce une nouvelle France-Afrique que vous êtes en train de dessiner au quai d'Orsay ?
R - Non. La France est attendue et espérée comme une puissance de paix. Nous n'avons pas d'achat d'armes à cacher, nous ne sommes pas une puissance impérialiste, nous voulons simplement contribuer à paix. Nous sommes l'une des grandes puissances du monde, un membre permanent du Conseil de sécurité, il n'y en a que cinq. Mais, compte tenu de notre indépendance et des principes qui sont les nôtres et à la mesure de notre puissance, nous ne pouvons pas, d'un coup de baguette magique, régler telle ou telle situation. Mais on nous demande d'être un facilitateur de paix et c'est vrai pour la RDC dont nous parlons comme au Mali ou en Syrie.
C'est très intéressant, cela pose des problèmes de fond, il me faudrait de longues minutes pour répondre et je vais donc aller à l'essentiel. Oui nous sommes une puissance d'influence et dans le même temps nous n'avons pas de baguette magique. À nous seuls, nous ne pouvons pas résoudre tous les conflits mais nous pouvons et nous devons aider à leurs solutions. Prenons les deux exemples dont vous avez parlé :
En Syrie, c'est vrai nous avons été audacieux en reconnaissant les premiers la Coalition. Mais immédiatement, et je m'en félicite, nous avons été suivis par d'autres, y compris hier par les Britanniques qui vont avoir une sorte d'ambassadeur. Cela ne suffit pas.
Lorsque j'ai rencontré, avec François Hollande, les responsables de la Coalition, ils se sont appuyés sur les zones libérées. Dans la Coalition qui a été constituée, les zones libérées ont des représentants. Il y a maintenant trois problèmes à résoudre. Premièrement, le problème humanitaire car, de plus en plus, les aides humanitaires vont passer par la Coalition.
Deuxièmement, la formation d'un gouvernement provisoire et les membres de la Coalition nous ont assuré que, d'ici quelques semaines, ce gouvernement provisoire serait en place. Et puis, c'est vrai, il y a la question militaire qui reste en point d'interrogation.
Q - Elle est décisive n'est-ce pas ?
R - Elle est très importante mais nous avons pour le moment un embargo européen sur les armes et nous n'allons pas le violer. Mais la question se posera, c'est une évidence.
Deuxième terrain, c'est le Mali. Oui, la France, puissance de paix, veut aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale et à se débarrasser des terroristes et du narco-terrorisme. Cela appartient d'abord aux Africains mais la France, l'Europe et la communauté internationale peuvent et vont aider. C'est ce que nous avons décidé en Europe lundi dernier. La France est en appui même si elle n'est pas en première ligne. Mais là aussi, c'est le rôle d'une puissance d'influence. Enfin, un dernier mot concernant l'Europe de la défense, lorsque Jean-Yves Le Drian dit «c'est l'arlésienne», il parle du passé. Mais c'est un Européen convaincu et il souhaite que l'Europe de la défense prenne plus de force. La semaine dernière, nous avons réuni ce que l'on appelle le Weimar + c'est-à-dire, les Français, les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Polonais pour donner plus de contenu à cette Europe de la défense. Elle n'est pas contradictoire avec l'OTAN, mais c'est un concept que nous voulons remplir de sens.
Q - J'ai envie de vous poser une question tout à fait absurde Monsieur le Ministre à laquelle vous ne pourrez sans doute pas répondre.
Au fond, il y a une diplomatie qui existe bien sur une aide militaire mais qui ne peut pas se dire officiellement. Nous ne sommes pas loin, si ce n'est pas déjà en train de se faire, de pouvoir armer, avec des armes défensives, les rebelles syriens sur le territoire syrien. Cela peut même se murmurer, y compris dans les couloirs du Quai d'Orsay, pas loin de votre bureau Monsieur le Ministre.
R - Oui, enfin je ne vois pas trop à quoi vous faites allusion. Moi qui ne suis que ministre des affaires étrangères, je puis vous dire que, si votre est de savoir si la France viole l'embargo en livrant des armes puissantes sans le dire, la réponse est non.
Q - On peut poser la question autrement, la France se débrouille-t-elle pour aider les rebelles syriens à se doter d'armes défensives ?
R - Votre question est livre-t-on des armes et vile-t-on l'embargo ? La réponse est non.
Q - On peut aussi faciliter ou laisser des alliés de l'opposition syrienne armer cette opposition.
R - Ce que font tels ou tels pays arabes ne dépend pas de nous.
Q - Et la Turquie ?
R - Mais cela ne dépend pas de la France.
Q - Et, ces armes défensives dont parle la France, c'est quoi ?
R - Cette question n'est pas théorique. Beaucoup de Syriens, avec un courage énorme se sont libérés. Ces zones libérées sont de plus en plus administrées par des conseils révolutionnaires civils. La coalition s'en occupera de plus en plus. Les peuples de ces zones disent : «Bravo à la France, bravo l'Europe, mais M. Bachar Al-Assad à toujours la possibilité de continuer à nous bombarder avec ses 550 avions.» Donc, ils demandent et on peut le comprendre, qu'il y ait des armes défensives. La question est posée mais elle n'est pas réglée.
Q - Anti aériennes et anti chars ?
R - La question est posée mais elle n'est pas tranchée, tant qu'il y a cet embargo.
Q - Pour en revenir à la question de la coalition nationale, cette coalition est élue, elle est formée de personnalités qui sont respectées en Syrie. Mais déjà, sur le terrain, dans ces zones libérées dont vous parlez, une grosse partie des unités combattantes sont aujourd'hui en désaccord avec la création-même de cette coalition nationale. Je pense à la Liwaa al-Tawhid et de façon plus marginale en nombre, mais certainement pas marginale dans son influence et dans son importance, du front djihadistes Al-Nosra.
R - Oui, l'une des tâches aussi de cette coalition, c'est d'unifier la résistance armée. Il est vrai que deux organisations djihadistes ont dit qu'elles n'acceptaient pas cette coalition. Je ne pense pas que ces déclarations nous permettent de condamner cette coalition, je crois même le contraire.
Q - Alors, comment peut-on donner les moyens à cette coalition de gagner du contrôle et de gagner de la légitimité en interne ?
R - Eh bien, tout d'abord en la reconnaissant, ce qu'a fait la France, ensuite en lui apportant des soutiens humanitaires et en l'incitant à constituer un gouvernement provisoire.
Q - Que veut dire M. Ban Ki-Moon qui se dit profondément préoccupé par la militarisation du conflit syrien et qui dit le risque de voir la Syrie devenir un champ de bataille régional, avec la violence qui s'intensifie ?
R - Le premier ministre du Liban, M. Mikati, est présent à Paris. Nous étions avec François Hollande présents au Liban il y a quelques semaines. Cela traduit notre préoccupation face à l'amplification du conflit. La Syrie essaie d'exporter la crise dans les zones voisines dont le Liban. Or, le Liban doit rester à l'écart de tout cela. On pense à la Jordanie où il y a de plus en plus de réfugiés et qui est un pays assez fragile. Il y a aussi la Turquie et l'Irak, et donc, il faut refuser au maximum l'extension de ce conflit.
J'ajoute, pour être complet, que nous sommes nous, Français, en contact avec les Russes car ils jouent aussi un rôle très important dans la solution de cette crise. Nous avons signé ensemble un communiqué à Genève, j'étais de ceux qui tenaient la plume, et nous essayons de voir, en liaison avec l'envoyé spécial des Nations unies, s'il n'y a pas là une piste de solutions.
Q - Peut-on avoir une explication de texte d'une dépêche AFP du 20 novembre nous indiquant qu'un envoyé spécial du président Bachar Al-Assad s'est rendu à La Havane où il a rencontré le vice-président Cubain. Le diplomate syrien a remis au vice-président cubain un message du chef de l'État syrien à destination de son homologue.
Le vice-président cubain a réaffirmé le soutien du gouvernement cubain aux droits de la Syrie et à sa souveraineté.
R - Je ne suis pas le meilleur interprète de la pensée de M. Bachar Al-Assad ni de celle de M. Castro mais je crois là qu'il y a des contacts entre deux régimes qui ne sont pas exactement ce que l'on souhaite.
Q - Les groupes islamistes s'affrontent désormais dans le nord-Mali. Le président François Hollande se rend bientôt en Algérie qui joue un rôle déterminant dans le règlement de cette crise malienne. Quels seront les arguments que François Hollande va pouvoir utiliser pour amener l'Algérie à agir de façon décisive dans cette crise malienne. Je le rappelle, il y a toujours cette question de l'intervention militaire, dont l'envoyé européen pour le Sahel a dit hier que son imminence s'éloignait, probablement pas avant le mois de septembre prochain.
R - Essayons de faire simple dans cette question compliquée. Le Mali est confronté au terrorisme, au narco-terrorisme. Il s'agit d'une menace, non seulement sur le Mali qui est coupé en deux, mais également sur l'ensemble des pays africains voisins, sur l'ensemble de l'Afrique et même sur l'Europe. C'est la menace du terrorisme qui est en jeu. N'oublions pas que ces terroristes détiennent des otages !
Par rapport à cela, la France joue un rôle de facilitateur de paix. Nous avons contribué à faire prendre conscience de la gravité de ce qui est en train de se passer, ce qui explique le soutien unanime des Nations unies.
Pour l'Algérie, il y a trois volets dans cette action. Un volet politique parce qu'il faut faire en sorte qu'il y ait une discussion entre le sud et le nord, tout au moins avec les groupes du nord qui ne sont pas des terroristes et qui acceptent l'intégrité du Mali.
Il y a un volet sécuritaire parce qu'il faut reconstituer l'armée malienne et faire en sorte qu'il y ait des soutiens militaires de pays africains, si cela est nécessaire.
Il y a aussi un volet de développement et un volet humanitaire.
L'Algérie, compte tenu de sa situation géographique et de sa puissance, joue évidemment un rôle important dans tout ce qui se passe dans la région. Le voyage de François Hollande, les 19 et 20 décembre, ne portera pas principalement sur cette question. C'est un voyage d'amitié, de rapprochement, de développement de nos relations entre deux grands pays que sont l'Algérie et la France. Ces questions seront abordées mais elles le sont déjà et je dois dire qu'il y a un grand rapprochement de point de vue dont je me réjouis. L'Algérie est parfaitement d'accord pour dire qu'il faut une solution politique de développement et sécuritaire et qu'il faut pourchasser les mouvements terroristes qui refusent d'abandonner le terrorisme.
Maintenant, il y a deux mouvements avec lesquels des discussions sont menées, un mouvement qui s'appelle Ansar Dine et un autre qui est le MNLA. Ces mouvements ont déjà évolué dans leurs positions. Nous souhaitons que cette évolution soit plus forte encore.
Q - Ils ont évolué parce que ce sont deux mouvements maliens et il y a un rapprochement de circonstance sur cette identité malienne. Peut-être va-t-on vers une solution politique ?
R - Ils commencent à abandonner un certain nombre d'éléments - revendication du terrorisme et désintégration du Mali - qui empêchaient toute discussion avec eux. Maintenant, il semble qu'il y ait une évolution, je souhaite qu'elle continue.
Q - Comment la France peut-elle peser là-dedans pour garantir la suite ?
R - Même sans être un grand spécialiste, on peut penser qu'il y a un rapport entre ce qui a été décidé aux Nations unies à l'initiative de la France et l'évolution de ces mouvements. Maintenant, il faut compléter cette évolution.
Je le redis, c'est d'abord aux Africains d'apporter une solution à ces problèmes. La France, là aussi, est un facilitateur de paix.
Q - Une intervention soutenue de la France sur cette question met-elle la vie des otages en danger ?
R - Les otages doivent évidemment être libérés. Il y a toute une série d'actions qui sont menées en ce sens mais je n'ai pas l'intention d'en parler ici. Les otages font preuve d'un grand courage, leur famille aussi. Mais nous savons dans le même temps qu'il y a une politique internationale, comme la politique de la France, qui doit être menée.
Q - Concernant l'Afghanistan, l'armée française a mis fin hier à sa mission de combat là-bas en quittant la province de Kapisa, cette province qui a été la plus meurtrière, notamment pour la France depuis 2001.
On a pu lire çà et là, notamment de la part de gradés américains que la France et les Américains partaient trop tôt, certains sont même un peu amers. Ils disent qu'ils abandonnent la tache avant de l'avoir terminée.
R - Non, c'est l'application d'un engagement express qu'avait pris François Hollande lorsqu'il était candidat. Engagement pris, engagement tenu. Nous garderons des liens civils étroits avec l'Afghanistan, quelques militaires resteront avec une tache de formation et non pas comme unité combattante. Puis, le précédent gouvernement de M. Sarkozy avait signé et nous l'avons ratifié, un accord civil qui porte sur plusieurs années entre la France et l'Afghanistan pour le développement des hôpitaux et des écoles. Il y a un moment où notre présence militaire devait prendre fin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2012