Texte intégral
Aide humanitaire de la France à Anjouan et dans les îles comoriennes
{^#200>^Aide humanitaire - Comores - OUA^}
L'archipel des Comores a fait l'objet d'une médiatisation importante depuis le 6 juillet, jour de la fête nationale comorienne, où les Anjouanais ont choisi d'exprimer leur différence. Depuis, l'actualité a été marquée par l'arrivée à Anjouan de troupes comoriennes, avec le résultat que vous connaissez. J'ai pensé que vous seriez intéressés par le témoignage du docteur Jean-Louis Machuron et du docteur Jacques Amblard, représentants de "Pharmaciens sans Frontière", organisation humanitaire envoyée sur place avant que le président Taki décide de recourir à la force pour rétablir l'ordre sur Anjouan.
Cette mission avait été décidée avant ces événements parce que, la situation d'Anjouan étant critique, il nous semblait qu'il fallait apprécier les besoins sanitaires et alimentaires de cette île. Le docteur Machuron était sur place quelques heures avant que la malencontreuse opération décidée par le président Taki ne soit lancée. Vous souhaitez sans doute savoir quelles décisions nous avons prises concernant l'aide humanitaire que la France pourra apporter à Anjouan et au reste de l'archipel des Comores. Je répondrai à vos questions, avec Cécile Sportis, chargée au sein du Cabinet des questions humanitaires, et la cellule chargée de ces questions, installée dans les locaux du Quai d'Orsay. Je n'écarte pas les questions diplomatiques que vous souhaiteriez également poser.
Le docteur Jean-Louis Machuron va maintenant vous exposer la mission qu'il a effectuée à notre demande et qu'il a terminée récemment : il est rentré en France samedi matin, après avoir passé presque une semaine sur place (il était à Anjouan dès le vendredi de la semaine précédente).
Q - La population manifestant contre les militaires voulait-elle être française ou cette revendication émanait-elle des militaires anjouanais ?
R - La pression de l'opinion était surtout dirigée contre les militaires venus de la Grande Comore, en particulier contre ceux qui s'étaient livrés à des actes de violence qui ont fait des morts.
Q - La France est-elle prête à soutenir le fort sentiment d'autonomie des Anjouanais ?
R - La France n'a pas l'intention, en l'état actuel des réflexions, de revenir sur sa position : nous n'entendons pas débattre de l'autonomie ou de l'indépendance d'Anjouan. La République fédérale islamique des Comores est une réalité. C'est à tous les Comoriens de trouver une solution durable à une situation préoccupante. Vous avez beaucoup écrit sur la différence existant, dans une zone géographique réduite, entre la situation maoraise et celle des îles voisines, notamment Anjouan. La médiation, dont M. Yéré avait été chargée, envisagée dans le cadre de l'OUA, marque le pas. Une nouvelle médiation semble se mettre en place à l'initiative du président Taki. Elle serait conduite sous l'égide de la Ligue arabe.
Nous ne pouvons qu'encourager les médiations qui se mettent en place et espérons qu'elles aboutiront à une solution. Dans l'immédiat, nous avons choisi d'apporter l'aide humanitaire nécessaire aux victimes. Ainsi, une première aide humanitaire a été acheminée et une seconde est en cours d'acheminement vers Anjouan. Ces aides comprennent des médicaments, des vivres et du carburant (nécessaire pour faire fonctionner les groupes électrogènes des hôpitaux), dont 10 000 litres de fioul. Une aide est également prévue à destination de la Grande Comore et de Mohéli (qui demande des médicaments de base et des vivres).
Dès le début, on a dit que ce conflit trouvait sa source dans une situation économique et sociale grave, amplifiée par les inégalités auxquelles j'ai fait allusion. La coopération française préexistait à ce conflit, y compris à Anjouan, où quelques enseignants français étaient présents. Pour l'instant, nous avons suspendu toute coopération, en particulier militaire, depuis que le conflit a éclaté, début juillet. Les Comores ont besoin d'un plan de développement. La France n'a pas la possibilité, ni l'intention, de réaliser seule ce programme, qu'il appartient d'ailleurs aux Comoriens de définir.
La France est prête à participer, avec les autres bailleurs de fonds, notamment européens, à la définition et à la mise en oeuvre d'un programme de développement prenant en compte la réalité comorienne dans son ensemble, en évitant que telle ou telle partie de cet archipel puisse avoir le sentiment d'être oubliée. Ce ministère recèle les compétences pour définir, en liaison avec les Comoriens, les grandes lignes d'un tel programme. Si les Comoriens le veulent, il resterait à mobiliser les moyens nécessaires. C'est évidemment là que les autres bailleurs de fonds devront être au rendez-vous..
Q - Comment l'aide est-elle évaluée ?
R - Notre ambassadeur chargé de ces questions à Genève estime que 8 000 personnes à Mohéli 40 000 sur la Grande Comore et 60 000 à Anjouan auraient besoin d'une aide urgente..
Q - Quel est le montant estimé de l'aide nécessaire ?
R - A moyen et long terme, il faudrait probablement plusieurs centaines de millions de francs pour développer les îles.
Q - L'action humanitaire est importante. Cependant, cette crise place la France devant ses responsabilités politiques et diplomatiques, qu'elle ne semble pas prendre. C'est le sentiment de certains à Moroni, à Anjouan et dans la communauté internationale. Quelles sont les initiatives politiques et diplomatiques de la France dans ce dossier ? La France est responsable de l'encadrement militaire d'une armée qui vient de commettre une forfaiture, qui a tourné au massacre. Pour l'instant, elle semble s'en remettre essentiellement à une médiation de l'OUA, qui marque le pas, et à une médiation éventuelle d'une autre instance internationale. Le gouvernement français semble avoir du mal à assumer ses responsabilités.
R - En faisons-nous trop ou pas assez ?
A Moroni, certains considèrent que nous en avons trop fait. L'expression "encadrement de l'armée" va au-delà de la réalité. Confondre coopération militaire et encadrement d'une armée est un péché contre l'esprit. Les coopérants militaires (une dizaine de personnes) apportent des conseils et préparent le maintien de la paix. Dès le début du conflit, ils ont été invités à cesser toute coopération. En effet, le risque d'être impliqués dans cette affaire ne nous a pas échappé.
J'ai entendu tel responsable politique d'un parti récemment au pouvoir dire que la France ne pouvait rester sans réaction par rapport à l'appel qui lui était adressé. Nous ne sommes pourtant pas responsables de la situation institutionnelle qui a abouti à la création d'une république fédérale islamique regroupant trois îles comoriennes, tandis qu'une autre a choisi d'être rattachée à la France. Il n'est pas question de nous immiscer dans le débat institutionnel. Nous encourageons toutes les parties, y compris le président Taki, à trouver les voies d'une médiation, permettant de mettre fin à la violence, de mobiliser convenablement les aides dont l'archipel a besoin et ensuite de trouver les moyens du développement et d'une coexistence harmonieuse entre les populations.
Dans un premier temps, on a reproché à la France d'avoir joué un rôle dans les événements, pour ensuite lui demander assistance. La plainte déposée devant le Conseil de sécurité a heureusement été retirée. Nous ne pouvons que faire pression pour que le président Taki utilise tous les moyens de médiation existants, si l'OUA ne donne pas les résultats escomptés. Nous n'avons pas de préjugé à propos de la médiation de la Ligue arabe. L'important est qu'elle réussisse. De même, nous demandons aux responsables anjouanais de dialoguer. Le dialogue est en effet la seule solution pour se sortir de cette situation.
Q - Pourquoi la France ne prend-elle pas d'initiative directe dans une médiation dans la mesure où la médiation de l'OUA n'aboutira pas.
R - Une médiation n'a de chances de réussir que si toutes les parties sont prêtes à s'y conformer. Nous n'en sommes pas là..
Q - Vous avez dit avoir fait pression sur le président Taki. Par rapport aux Anjouanais, qui veulent être Français, vous êtes encore mieux placés pour servir de médiateur.
R - Comme les Anjouanais disent vouloir être Français, la France se trouve moins bien placée pour être médiateur.
Q - La réaction de la France signifie-t-elle que tout étranger demandant à être français se verrait opposer un refus ?
R - Pour l'instant, je n'ai pas entendu dire qu'une autre communauté revendiquait le rattachement à la France.
Q - Le docteur Machuron est parti à votre demande sur l'île d'Anjouan ?
R - Il est parti aux Comores. Comme nous le souhaitions, il s'est rendu à Anjouan, dans des conditions difficiles, pour savoir ce qu'il s'y passait. En effet, les informations sur la situation étaient alors très contradictoires
Q - De quand date la décision d'envoyer une aide humanitaire à Anjouan ?
R - Elle a été prise avant que nous ayons eu l'autorisation d'envoyer cette aide.
Q - Les dernières informations en provenance de Moroni et d'Anjouan font état de nouvelles rumeurs de débarquement, ce qui a provoqué une nouvelle psychose.
Cela vous inquiète-t-il ?
R - Je confirme l'existence de cette psychose. On craint à Anjouan que Moroni ait l'intention de rétablir l'ordre. La France avait mis en garde le président Taki contre le recours à la force. Nous continuons de regretter qu'il n'ait pas cru bon de suivre ce conseil. Cela montre que nous sommes loin de l'encadrement évoqué tout à l'heure.
Q - Continuez-vous à mettre en garde le président Taki ?
R - Nous continuons naturellement à privilégier la médiation et le recours au dialogue plutôt qu'à la force.
Une seconde opération risquerait plus de vies humaines que la première. On a dit que des Slaves (Ukrainiens, Serbes, Bosniaques, etc.) auraient débarqué à Moroni. Ce type de nouvelle alimente la psychose actuelle.
Q - Etes-vous favorable à l'envoi d'une force de maintien de la paix de l'OUA aux Comores ?
R - Il faudrait que la médiation de l'OUA ait abouti à une telle décision. Or, pour l'instant la mission de médiation de l'OUA est au moins provisoirement arrêtée. En effet, une autre mission de médiation, sous l'égide de la Ligue arabe, est en train de se mettre en place..
Compte tenu de l'importance des populations en présence, il est dommage d'en arriver là. Je souhaite que les responsables finissent par privilégier une solution de développement plutôt qu'une solution de guerre. Dans ce cas, nous sommes prêts à participer.
Q - Les Anjouanais de France ont fait part de leur inquiétude ce week-end. Ils demandent à la communauté internationale et à la France de faire preuve d'autorité pour éviter d'autres massacres. Pour la France, cela signifie-t-il envoyer de l'aide humanitaire ?
R - Je ne confonds pas l'aide humanitaire et l'autorité
Q - Les deux sont-elles possibles ?
R - Pour l'instant, nous apportons une aide humanitaire et nous mettons en garde contre des risques de dérapages. Nous n'avons pas les moyens de faire plus. Le contact est maintenu avec le président Taki. Il l'est aussi avec la coordination anjouanaise. J'espère que les uns et les autres éviteront un nouvel accès de violence.
Q - Vous disiez que le fait de revendiquer le rattachement à la France n'est pas commun. Cette originalité ne mérite-t-elle pas que l'on y prête une plus grande attention ?
R - Nous y prêtons beaucoup d'attention. Cependant, il serait irresponsable de notre part de répondre positivement à une telle demande. Il faudrait pouvoir en apprécier les conséquences diplomatiques, économiques et sociales. Ces conséquences doivent être étudiées de manière approfondie. C'est pourquoi la France s'en tient à sa position diplomatique actuelle.
Q - Un programme de développement est-il envisageable si d'autres pays européens y participent ?
R - Oui. Cet archipel a besoin d'une aide au développement, à laquelle la France est prête à participer. De ce point de vue, notre présence dans l'Océan indien fait de nous des interlocuteurs privilégiés en matière de développement. Nous souhaitons que la communauté internationale, notamment européenne, soit à nos côtés lorsqu'il s'agira de mobiliser des moyens financiers.
Q - Comment expliquez-vous le fait que le gouvernement du président Taki ait récusé Pierre Yéré ?
R - Il faudrait le demander au président Taki. M. Yéré a peut-être anticipé l'évolution institutionnelle, ce que Moroni n'aurait pas compris ou aurait refusé. Cette hypothèse explique la panne de la médiation de l'OUA.
Q - Si le président Taki était renversé, la France continuerait-elle à agir sur le plan humanitaire ?
R - L'action humanitaire est menée indépendamment des conditions politiques. Il appartient aux Comoriens d'apprécier la suite qu'ils entendent donner à une situation difficile. Je sais que l'opposition est tentée de saisir l'opportunité qui se présente pour faire évoluer les choses. Le président Taki va tenter de son côté de conserver sa situation. J'espère que la force ne prévaudra pas.
Q - Qui assurera la distribution de l'aide humanitaire ? Dans l'ex-Zaïre, la France a exigé que les militaires assurent cette distribution.
R - Les missions d'évaluation auxquelles le docteur Machuron et le docteur Amblard ont participé résultaient du souci d'une meilleure utilisation des aides. Certains craignent en effet que les aides ne parviennent pas à ceux auxquels elles sont destinées.
Q - Ne pensez-vous pas que les Américains pourraient apporter une aide ? Des bateaux américains sont maintenant au large de l'Océan indien.
R - J'ai parlé de bailleurs de fonds internationaux. Je pensais en particulier aux Européens, avec lesquels nous sommes habitués à collaborer. Par ailleurs, le PNUD, qui est une organisation internationale à laquelle les Américains participent, se trouve sur place. Si les Américains veulent participer à un programme de développement, ils seront les bienvenus..
Vous parlez des bateaux de guerre américains. Cependant, la participation américaine est souhaitée pour le développement, davantage que pour la mobilisation de moyens militaires.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)
{^#200>^Aide humanitaire - Comores - OUA^}
L'archipel des Comores a fait l'objet d'une médiatisation importante depuis le 6 juillet, jour de la fête nationale comorienne, où les Anjouanais ont choisi d'exprimer leur différence. Depuis, l'actualité a été marquée par l'arrivée à Anjouan de troupes comoriennes, avec le résultat que vous connaissez. J'ai pensé que vous seriez intéressés par le témoignage du docteur Jean-Louis Machuron et du docteur Jacques Amblard, représentants de "Pharmaciens sans Frontière", organisation humanitaire envoyée sur place avant que le président Taki décide de recourir à la force pour rétablir l'ordre sur Anjouan.
Cette mission avait été décidée avant ces événements parce que, la situation d'Anjouan étant critique, il nous semblait qu'il fallait apprécier les besoins sanitaires et alimentaires de cette île. Le docteur Machuron était sur place quelques heures avant que la malencontreuse opération décidée par le président Taki ne soit lancée. Vous souhaitez sans doute savoir quelles décisions nous avons prises concernant l'aide humanitaire que la France pourra apporter à Anjouan et au reste de l'archipel des Comores. Je répondrai à vos questions, avec Cécile Sportis, chargée au sein du Cabinet des questions humanitaires, et la cellule chargée de ces questions, installée dans les locaux du Quai d'Orsay. Je n'écarte pas les questions diplomatiques que vous souhaiteriez également poser.
Le docteur Jean-Louis Machuron va maintenant vous exposer la mission qu'il a effectuée à notre demande et qu'il a terminée récemment : il est rentré en France samedi matin, après avoir passé presque une semaine sur place (il était à Anjouan dès le vendredi de la semaine précédente).
Q - La population manifestant contre les militaires voulait-elle être française ou cette revendication émanait-elle des militaires anjouanais ?
R - La pression de l'opinion était surtout dirigée contre les militaires venus de la Grande Comore, en particulier contre ceux qui s'étaient livrés à des actes de violence qui ont fait des morts.
Q - La France est-elle prête à soutenir le fort sentiment d'autonomie des Anjouanais ?
R - La France n'a pas l'intention, en l'état actuel des réflexions, de revenir sur sa position : nous n'entendons pas débattre de l'autonomie ou de l'indépendance d'Anjouan. La République fédérale islamique des Comores est une réalité. C'est à tous les Comoriens de trouver une solution durable à une situation préoccupante. Vous avez beaucoup écrit sur la différence existant, dans une zone géographique réduite, entre la situation maoraise et celle des îles voisines, notamment Anjouan. La médiation, dont M. Yéré avait été chargée, envisagée dans le cadre de l'OUA, marque le pas. Une nouvelle médiation semble se mettre en place à l'initiative du président Taki. Elle serait conduite sous l'égide de la Ligue arabe.
Nous ne pouvons qu'encourager les médiations qui se mettent en place et espérons qu'elles aboutiront à une solution. Dans l'immédiat, nous avons choisi d'apporter l'aide humanitaire nécessaire aux victimes. Ainsi, une première aide humanitaire a été acheminée et une seconde est en cours d'acheminement vers Anjouan. Ces aides comprennent des médicaments, des vivres et du carburant (nécessaire pour faire fonctionner les groupes électrogènes des hôpitaux), dont 10 000 litres de fioul. Une aide est également prévue à destination de la Grande Comore et de Mohéli (qui demande des médicaments de base et des vivres).
Dès le début, on a dit que ce conflit trouvait sa source dans une situation économique et sociale grave, amplifiée par les inégalités auxquelles j'ai fait allusion. La coopération française préexistait à ce conflit, y compris à Anjouan, où quelques enseignants français étaient présents. Pour l'instant, nous avons suspendu toute coopération, en particulier militaire, depuis que le conflit a éclaté, début juillet. Les Comores ont besoin d'un plan de développement. La France n'a pas la possibilité, ni l'intention, de réaliser seule ce programme, qu'il appartient d'ailleurs aux Comoriens de définir.
La France est prête à participer, avec les autres bailleurs de fonds, notamment européens, à la définition et à la mise en oeuvre d'un programme de développement prenant en compte la réalité comorienne dans son ensemble, en évitant que telle ou telle partie de cet archipel puisse avoir le sentiment d'être oubliée. Ce ministère recèle les compétences pour définir, en liaison avec les Comoriens, les grandes lignes d'un tel programme. Si les Comoriens le veulent, il resterait à mobiliser les moyens nécessaires. C'est évidemment là que les autres bailleurs de fonds devront être au rendez-vous..
Q - Comment l'aide est-elle évaluée ?
R - Notre ambassadeur chargé de ces questions à Genève estime que 8 000 personnes à Mohéli 40 000 sur la Grande Comore et 60 000 à Anjouan auraient besoin d'une aide urgente..
Q - Quel est le montant estimé de l'aide nécessaire ?
R - A moyen et long terme, il faudrait probablement plusieurs centaines de millions de francs pour développer les îles.
Q - L'action humanitaire est importante. Cependant, cette crise place la France devant ses responsabilités politiques et diplomatiques, qu'elle ne semble pas prendre. C'est le sentiment de certains à Moroni, à Anjouan et dans la communauté internationale. Quelles sont les initiatives politiques et diplomatiques de la France dans ce dossier ? La France est responsable de l'encadrement militaire d'une armée qui vient de commettre une forfaiture, qui a tourné au massacre. Pour l'instant, elle semble s'en remettre essentiellement à une médiation de l'OUA, qui marque le pas, et à une médiation éventuelle d'une autre instance internationale. Le gouvernement français semble avoir du mal à assumer ses responsabilités.
R - En faisons-nous trop ou pas assez ?
A Moroni, certains considèrent que nous en avons trop fait. L'expression "encadrement de l'armée" va au-delà de la réalité. Confondre coopération militaire et encadrement d'une armée est un péché contre l'esprit. Les coopérants militaires (une dizaine de personnes) apportent des conseils et préparent le maintien de la paix. Dès le début du conflit, ils ont été invités à cesser toute coopération. En effet, le risque d'être impliqués dans cette affaire ne nous a pas échappé.
J'ai entendu tel responsable politique d'un parti récemment au pouvoir dire que la France ne pouvait rester sans réaction par rapport à l'appel qui lui était adressé. Nous ne sommes pourtant pas responsables de la situation institutionnelle qui a abouti à la création d'une république fédérale islamique regroupant trois îles comoriennes, tandis qu'une autre a choisi d'être rattachée à la France. Il n'est pas question de nous immiscer dans le débat institutionnel. Nous encourageons toutes les parties, y compris le président Taki, à trouver les voies d'une médiation, permettant de mettre fin à la violence, de mobiliser convenablement les aides dont l'archipel a besoin et ensuite de trouver les moyens du développement et d'une coexistence harmonieuse entre les populations.
Dans un premier temps, on a reproché à la France d'avoir joué un rôle dans les événements, pour ensuite lui demander assistance. La plainte déposée devant le Conseil de sécurité a heureusement été retirée. Nous ne pouvons que faire pression pour que le président Taki utilise tous les moyens de médiation existants, si l'OUA ne donne pas les résultats escomptés. Nous n'avons pas de préjugé à propos de la médiation de la Ligue arabe. L'important est qu'elle réussisse. De même, nous demandons aux responsables anjouanais de dialoguer. Le dialogue est en effet la seule solution pour se sortir de cette situation.
Q - Pourquoi la France ne prend-elle pas d'initiative directe dans une médiation dans la mesure où la médiation de l'OUA n'aboutira pas.
R - Une médiation n'a de chances de réussir que si toutes les parties sont prêtes à s'y conformer. Nous n'en sommes pas là..
Q - Vous avez dit avoir fait pression sur le président Taki. Par rapport aux Anjouanais, qui veulent être Français, vous êtes encore mieux placés pour servir de médiateur.
R - Comme les Anjouanais disent vouloir être Français, la France se trouve moins bien placée pour être médiateur.
Q - La réaction de la France signifie-t-elle que tout étranger demandant à être français se verrait opposer un refus ?
R - Pour l'instant, je n'ai pas entendu dire qu'une autre communauté revendiquait le rattachement à la France.
Q - Le docteur Machuron est parti à votre demande sur l'île d'Anjouan ?
R - Il est parti aux Comores. Comme nous le souhaitions, il s'est rendu à Anjouan, dans des conditions difficiles, pour savoir ce qu'il s'y passait. En effet, les informations sur la situation étaient alors très contradictoires
Q - De quand date la décision d'envoyer une aide humanitaire à Anjouan ?
R - Elle a été prise avant que nous ayons eu l'autorisation d'envoyer cette aide.
Q - Les dernières informations en provenance de Moroni et d'Anjouan font état de nouvelles rumeurs de débarquement, ce qui a provoqué une nouvelle psychose.
Cela vous inquiète-t-il ?
R - Je confirme l'existence de cette psychose. On craint à Anjouan que Moroni ait l'intention de rétablir l'ordre. La France avait mis en garde le président Taki contre le recours à la force. Nous continuons de regretter qu'il n'ait pas cru bon de suivre ce conseil. Cela montre que nous sommes loin de l'encadrement évoqué tout à l'heure.
Q - Continuez-vous à mettre en garde le président Taki ?
R - Nous continuons naturellement à privilégier la médiation et le recours au dialogue plutôt qu'à la force.
Une seconde opération risquerait plus de vies humaines que la première. On a dit que des Slaves (Ukrainiens, Serbes, Bosniaques, etc.) auraient débarqué à Moroni. Ce type de nouvelle alimente la psychose actuelle.
Q - Etes-vous favorable à l'envoi d'une force de maintien de la paix de l'OUA aux Comores ?
R - Il faudrait que la médiation de l'OUA ait abouti à une telle décision. Or, pour l'instant la mission de médiation de l'OUA est au moins provisoirement arrêtée. En effet, une autre mission de médiation, sous l'égide de la Ligue arabe, est en train de se mettre en place..
Compte tenu de l'importance des populations en présence, il est dommage d'en arriver là. Je souhaite que les responsables finissent par privilégier une solution de développement plutôt qu'une solution de guerre. Dans ce cas, nous sommes prêts à participer.
Q - Les Anjouanais de France ont fait part de leur inquiétude ce week-end. Ils demandent à la communauté internationale et à la France de faire preuve d'autorité pour éviter d'autres massacres. Pour la France, cela signifie-t-il envoyer de l'aide humanitaire ?
R - Je ne confonds pas l'aide humanitaire et l'autorité
Q - Les deux sont-elles possibles ?
R - Pour l'instant, nous apportons une aide humanitaire et nous mettons en garde contre des risques de dérapages. Nous n'avons pas les moyens de faire plus. Le contact est maintenu avec le président Taki. Il l'est aussi avec la coordination anjouanaise. J'espère que les uns et les autres éviteront un nouvel accès de violence.
Q - Vous disiez que le fait de revendiquer le rattachement à la France n'est pas commun. Cette originalité ne mérite-t-elle pas que l'on y prête une plus grande attention ?
R - Nous y prêtons beaucoup d'attention. Cependant, il serait irresponsable de notre part de répondre positivement à une telle demande. Il faudrait pouvoir en apprécier les conséquences diplomatiques, économiques et sociales. Ces conséquences doivent être étudiées de manière approfondie. C'est pourquoi la France s'en tient à sa position diplomatique actuelle.
Q - Un programme de développement est-il envisageable si d'autres pays européens y participent ?
R - Oui. Cet archipel a besoin d'une aide au développement, à laquelle la France est prête à participer. De ce point de vue, notre présence dans l'Océan indien fait de nous des interlocuteurs privilégiés en matière de développement. Nous souhaitons que la communauté internationale, notamment européenne, soit à nos côtés lorsqu'il s'agira de mobiliser des moyens financiers.
Q - Comment expliquez-vous le fait que le gouvernement du président Taki ait récusé Pierre Yéré ?
R - Il faudrait le demander au président Taki. M. Yéré a peut-être anticipé l'évolution institutionnelle, ce que Moroni n'aurait pas compris ou aurait refusé. Cette hypothèse explique la panne de la médiation de l'OUA.
Q - Si le président Taki était renversé, la France continuerait-elle à agir sur le plan humanitaire ?
R - L'action humanitaire est menée indépendamment des conditions politiques. Il appartient aux Comoriens d'apprécier la suite qu'ils entendent donner à une situation difficile. Je sais que l'opposition est tentée de saisir l'opportunité qui se présente pour faire évoluer les choses. Le président Taki va tenter de son côté de conserver sa situation. J'espère que la force ne prévaudra pas.
Q - Qui assurera la distribution de l'aide humanitaire ? Dans l'ex-Zaïre, la France a exigé que les militaires assurent cette distribution.
R - Les missions d'évaluation auxquelles le docteur Machuron et le docteur Amblard ont participé résultaient du souci d'une meilleure utilisation des aides. Certains craignent en effet que les aides ne parviennent pas à ceux auxquels elles sont destinées.
Q - Ne pensez-vous pas que les Américains pourraient apporter une aide ? Des bateaux américains sont maintenant au large de l'Océan indien.
R - J'ai parlé de bailleurs de fonds internationaux. Je pensais en particulier aux Européens, avec lesquels nous sommes habitués à collaborer. Par ailleurs, le PNUD, qui est une organisation internationale à laquelle les Américains participent, se trouve sur place. Si les Américains veulent participer à un programme de développement, ils seront les bienvenus..
Vous parlez des bateaux de guerre américains. Cependant, la participation américaine est souhaitée pour le développement, davantage que pour la mobilisation de moyens militaires.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)