Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le développement économique et social la crise mondiale et la mondialisation, Santiago (Chili) le 25 janvier 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Coopération et politiques publiques pour combler les écarts structurels, Santiago (Chili) le 25 janvier 2013

Texte intégral


On l’oublie souvent, le développement est l’un des grands succès du siècle qui s’est achevé. Ces cinquante dernières années, un plus grand nombre de femmes et d’hommes sont sortis de la pauvreté qu’entre les débuts de l’humanité et la seconde guerre mondiale.
L’éducation a fait des progrès considérable. La malnutrition a globalement diminué. La mortalité infantile a chuté. La pauvreté a reculé. Entre 1981 et 2005, la part de la population mondiale vivant avec moins de 1,25 dollars par jour a été divisée par 2.
Ces progrès, nous les devons en grande partie à la mondialisation, à l’accélération des échanges, à l’utilisation grandissante des nouvelles technologies. Les pays émergents ont su saisir les opportunités qui se présentaient à eux. C’est notamment le cas ici en Amérique latine. Les grands moteurs de la croissance mondiale se trouvent désormais au sud.
Ce basculement, c’est pour certains la grande « revanche des Sud ». Je préfère, pour ma part, parler de « rééquilibrage ». Il était urgent, en effet, de mettre fin à un monde où le développement était une exception occidentale. Un monde où les pays développés étaient les seuls à tirer profit de la croissance. Un monde scindé en deux, dans lequel l’espérance de vie des peuples du Sud atteignait à peine les deux tiers de celle des peuples du Nord.
Toutefois, si l’accélération de la mondialisation a permis une envolée de la croissance dans de nombreux pays, nous en percevons aujourd’hui les failles et les limites. Jamais les inégalités n’ont été aussi fortes. Jamais le choc des pauvretés et des richesses n’a été aussi violent. La dernière décennie a été celle de toutes les crises.
Crises financières et économiques, qui n’ont cessé de s’enchaîner, et dont l’issue est aujourd’hui encore incertaine.
Crise environnementale, avec la multiplication des dérèglements climatiques et la déstabilisation de notre écosystème.
Crise sanitaire, puisque les virus ne connaissent pas les frontières et se diffusent de manière accélérée.
Crises sociale et démocratique, avec les contestations que nous avons observées ces trois dernières années, au Nord comme au Sud. Crise sécuritaire, avec l’entrée de la menace terroriste dans une nouvelle ère depuis le 11 septembre 2001.
Ces crises ont un trait commun : elles sont le fruit des déséquilibres de nos modèles de développement. Ceux-ci ont laissé persister de larges poches de pauvreté et de misère, inacceptables au regard des moyens disponibles et des tensions que ces inégalités génèrent.
La mondialisation a choisi les gagnants, elle a écarté les perdants. La France et ses partenaires européens sont eux-mêmes confrontés au retour de la pauvreté. Nous sommes ainsi confrontés à deux défis :
- Nous devons tout d’abord inventer et proposer ensemble de nouvelles formes de régulation mondiale. Régulation financière, régulation environnementale, mais aussi régulation sanitaire et sociale.
- Nous devons aussi réinterroger et transformer nos modèles. Nous devons les rendre plus inclusifs et plus durables, car ceux-ci ne sont plus soutenables.
Suite à une décennie de crises, nous sommes tous confrontés aux défis de la croissance durable. Comment conjuguer développement économique et réduction des inégalités sociales ?
Nos sociétés européennes ont forgé des systèmes de solidarité pour faire face à la vieillesse, à la maladie et plus généralement aux accidents de la vie. Avec l’allongement de la durée de la vie, les changements des pathologies et les nouvelles attentes de la population, ces modèles doivent être adaptés.
Il nous revient donc de faire un choix historique. Nous sommes dans un processus de redéfinition des grandes priorités.
D’un côté, nous pouvons choisir de diminuer nos niveaux de protection, pour nous ajuster aux exigences de la concurrence mondiale. Selon certains, la protection sociale serait un frein à la compétitivité, voire un luxe dont nous n’avons plus les moyens. Cette conception n’est évidemment pas la mienne.
Je crois que la protection sociale est un facteur de compétitivité pour nos économies. La diminuer, c’est porter atteinte non seulement aux droits sociaux, mais c’est aussi porter atteinte à notre efficacité économique. Car il est fondamental de préserver le capital social, notamment en temps de crise.
Il nous revient donc de pérenniser et de consolider nos systèmes de protection sociale. Mais aussi d’en partager les avantages avec ceux qui en sont aujourd’hui exclus, afin de renforcer ce capital social. C’est là, j’en suis convaincue, un levier du développement. C’est là le sens du progrès humain.
C’est pourquoi je veux profiter de ma présence ici, à Santiago du Chili, pour rendre hommage aux travaux de la commission présidée par Michelle Bachelet, intitulée « Le socle de protection sociale : pour une mondialisation juste et inclusive. » Ce rapport nous offre, face à la tentation du repli sur soi et du retour en arrière, un nouveau récit de la mondialisation. D’une mondialisation financière, nous devons aujourd’hui jeter les bases d’une mondialisation sociale.
Il nous faut ainsi porter, à l’échelle de la planète, l’idée d’un niveau minimal de couverture sociale et d’un accès universel aux services sociaux de base. Chacun doit pouvoir avoir accès à l’eau potable, à la santé, à un logement, à l’éducation. Le rapport Bachelet l’a montré avec force : la protection sociale n’est pas réservée aux pays développés. C’est pourquoi je formule le vœu que les notions de « socle de protection sociale » et de « couverture sanitaire universelle » trouvent leur place dans l’agenda du développement post 2015.
Parce que la protection sociale est intimement liée à l’histoire d’une nation et à sa culture, il ne s’agit pas là d’exporter un quelconque modèle. Il revient évidemment à chaque pays de forger le sien. Mais l’aspiration même à une couverture universelle peut légitimement être partagée. A cet égard, je me réjouis de la résolution sur la couverture sanitaire universelle adoptée par l’assemblée générale de l’ONU en décembre dernier. Ces enjeux sont aussi présents dans les débats publics des pays du Nord. Le gouvernement auquel je participe défend notamment, en France, l’idée d’une complémentaire santé universelle. Ces aspirations face aux aléas de la vie trouvent un écho particulier dans les périodes de crise.
Pour répondre aux attentes légitimes de leur population, de nombreux pays émergents ont renforcé leurs mécanismes de protection sociale. Au Brésil, le programme Bolsa Familia a permis de faire reculer le nombre de personnes vivant avec moins d’1 dollar par jour de 36% en 2003 à 21% en 2009.
Malgré tout, on estime qu’environ 100 millions de personnes dans le monde tombent chaque année sous le seuil de pauvreté en raison d’une maladie. Je veux rappeler qu’un tiers de la population mondiale n’a toujours pas accès à un établissement sanitaire ou à un service de santé. Il nous faut donc aujourd’hui aller plus loin et ne pas nous contenter de déclarations de principe.
Il nous faut mettre en place des financements pérennes. La France et ses partenaires sont investis sur le sujet depuis des années. C’est notamment le sens de la taxe sur les billets d’avion qui a été mise en place pour financer l’accès aux médicaments. Plus récemment, le président de la République a annoncé qu’une partie des ressources de la taxe française sur les transactions financières serait affectée aux défis sanitaires mondiaux.
Au-delà des financements, la mise en place de systèmes de protection sociale implique des échanges d’expériences. Concrétiser ces objectifs, c’est favoriser les coopérations techniques entre acteurs de la protection sociale.
Je serai la semaine prochaine au Brésil pour signer une convention bilatérale de protection sociale. Je proposerai à cette occasion à mes homologues la mise en place d’une offre d’expertise combinant les savoir-faire français et brésiliens. Si nous voulons combler les écarts structurels, nous devons miser sur ce type de schémas innovants entre pays industrialisés, pays émergents et pays moins avancés.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 29 janvier 2013