Texte intégral
On loublie souvent, le développement est lun des grands succès du siècle qui sest achevé. Ces cinquante dernières années, un plus grand nombre de femmes et dhommes sont sortis de la pauvreté quentre les débuts de lhumanité et la seconde guerre mondiale.
Léducation a fait des progrès considérable. La malnutrition a globalement diminué. La mortalité infantile a chuté. La pauvreté a reculé. Entre 1981 et 2005, la part de la population mondiale vivant avec moins de 1,25 dollars par jour a été divisée par 2.
Ces progrès, nous les devons en grande partie à la mondialisation, à laccélération des échanges, à lutilisation grandissante des nouvelles technologies. Les pays émergents ont su saisir les opportunités qui se présentaient à eux. Cest notamment le cas ici en Amérique latine. Les grands moteurs de la croissance mondiale se trouvent désormais au sud.
Ce basculement, cest pour certains la grande « revanche des Sud ». Je préfère, pour ma part, parler de « rééquilibrage ». Il était urgent, en effet, de mettre fin à un monde où le développement était une exception occidentale. Un monde où les pays développés étaient les seuls à tirer profit de la croissance. Un monde scindé en deux, dans lequel lespérance de vie des peuples du Sud atteignait à peine les deux tiers de celle des peuples du Nord.
Toutefois, si laccélération de la mondialisation a permis une envolée de la croissance dans de nombreux pays, nous en percevons aujourdhui les failles et les limites. Jamais les inégalités nont été aussi fortes. Jamais le choc des pauvretés et des richesses na été aussi violent. La dernière décennie a été celle de toutes les crises.
Crises financières et économiques, qui nont cessé de senchaîner, et dont lissue est aujourdhui encore incertaine.
Crise environnementale, avec la multiplication des dérèglements climatiques et la déstabilisation de notre écosystème.
Crise sanitaire, puisque les virus ne connaissent pas les frontières et se diffusent de manière accélérée.
Crises sociale et démocratique, avec les contestations que nous avons observées ces trois dernières années, au Nord comme au Sud. Crise sécuritaire, avec lentrée de la menace terroriste dans une nouvelle ère depuis le 11 septembre 2001.
Ces crises ont un trait commun : elles sont le fruit des déséquilibres de nos modèles de développement. Ceux-ci ont laissé persister de larges poches de pauvreté et de misère, inacceptables au regard des moyens disponibles et des tensions que ces inégalités génèrent.
La mondialisation a choisi les gagnants, elle a écarté les perdants. La France et ses partenaires européens sont eux-mêmes confrontés au retour de la pauvreté. Nous sommes ainsi confrontés à deux défis :
- Nous devons tout dabord inventer et proposer ensemble de nouvelles formes de régulation mondiale. Régulation financière, régulation environnementale, mais aussi régulation sanitaire et sociale.
- Nous devons aussi réinterroger et transformer nos modèles. Nous devons les rendre plus inclusifs et plus durables, car ceux-ci ne sont plus soutenables.
Suite à une décennie de crises, nous sommes tous confrontés aux défis de la croissance durable. Comment conjuguer développement économique et réduction des inégalités sociales ?
Nos sociétés européennes ont forgé des systèmes de solidarité pour faire face à la vieillesse, à la maladie et plus généralement aux accidents de la vie. Avec lallongement de la durée de la vie, les changements des pathologies et les nouvelles attentes de la population, ces modèles doivent être adaptés.
Il nous revient donc de faire un choix historique. Nous sommes dans un processus de redéfinition des grandes priorités.
Dun côté, nous pouvons choisir de diminuer nos niveaux de protection, pour nous ajuster aux exigences de la concurrence mondiale. Selon certains, la protection sociale serait un frein à la compétitivité, voire un luxe dont nous navons plus les moyens. Cette conception nest évidemment pas la mienne.
Je crois que la protection sociale est un facteur de compétitivité pour nos économies. La diminuer, cest porter atteinte non seulement aux droits sociaux, mais cest aussi porter atteinte à notre efficacité économique. Car il est fondamental de préserver le capital social, notamment en temps de crise.
Il nous revient donc de pérenniser et de consolider nos systèmes de protection sociale. Mais aussi den partager les avantages avec ceux qui en sont aujourdhui exclus, afin de renforcer ce capital social. Cest là, jen suis convaincue, un levier du développement. Cest là le sens du progrès humain.
Cest pourquoi je veux profiter de ma présence ici, à Santiago du Chili, pour rendre hommage aux travaux de la commission présidée par Michelle Bachelet, intitulée « Le socle de protection sociale : pour une mondialisation juste et inclusive. » Ce rapport nous offre, face à la tentation du repli sur soi et du retour en arrière, un nouveau récit de la mondialisation. Dune mondialisation financière, nous devons aujourdhui jeter les bases dune mondialisation sociale.
Il nous faut ainsi porter, à léchelle de la planète, lidée dun niveau minimal de couverture sociale et dun accès universel aux services sociaux de base. Chacun doit pouvoir avoir accès à leau potable, à la santé, à un logement, à léducation. Le rapport Bachelet la montré avec force : la protection sociale nest pas réservée aux pays développés. Cest pourquoi je formule le vu que les notions de « socle de protection sociale » et de « couverture sanitaire universelle » trouvent leur place dans lagenda du développement post 2015.
Parce que la protection sociale est intimement liée à lhistoire dune nation et à sa culture, il ne sagit pas là dexporter un quelconque modèle. Il revient évidemment à chaque pays de forger le sien. Mais laspiration même à une couverture universelle peut légitimement être partagée. A cet égard, je me réjouis de la résolution sur la couverture sanitaire universelle adoptée par lassemblée générale de lONU en décembre dernier. Ces enjeux sont aussi présents dans les débats publics des pays du Nord. Le gouvernement auquel je participe défend notamment, en France, lidée dune complémentaire santé universelle. Ces aspirations face aux aléas de la vie trouvent un écho particulier dans les périodes de crise.
Pour répondre aux attentes légitimes de leur population, de nombreux pays émergents ont renforcé leurs mécanismes de protection sociale. Au Brésil, le programme Bolsa Familia a permis de faire reculer le nombre de personnes vivant avec moins d1 dollar par jour de 36% en 2003 à 21% en 2009.
Malgré tout, on estime quenviron 100 millions de personnes dans le monde tombent chaque année sous le seuil de pauvreté en raison dune maladie. Je veux rappeler quun tiers de la population mondiale na toujours pas accès à un établissement sanitaire ou à un service de santé. Il nous faut donc aujourdhui aller plus loin et ne pas nous contenter de déclarations de principe.
Il nous faut mettre en place des financements pérennes. La France et ses partenaires sont investis sur le sujet depuis des années. Cest notamment le sens de la taxe sur les billets davion qui a été mise en place pour financer laccès aux médicaments. Plus récemment, le président de la République a annoncé quune partie des ressources de la taxe française sur les transactions financières serait affectée aux défis sanitaires mondiaux.
Au-delà des financements, la mise en place de systèmes de protection sociale implique des échanges dexpériences. Concrétiser ces objectifs, cest favoriser les coopérations techniques entre acteurs de la protection sociale.
Je serai la semaine prochaine au Brésil pour signer une convention bilatérale de protection sociale. Je proposerai à cette occasion à mes homologues la mise en place dune offre dexpertise combinant les savoir-faire français et brésiliens. Si nous voulons combler les écarts structurels, nous devons miser sur ce type de schémas innovants entre pays industrialisés, pays émergents et pays moins avancés.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 29 janvier 2013