Texte intégral
J'entendais, il y a quelques jours une auditrice d¹Europe 1 demander à Arlette Chabot : "Mais qu'est-ce qu'il pense vraiment M. Bayrou ?" Je crois que les Français se le demandent aussi. Mais que pensez-vous vraiment ?
Je pense vraiment qu'on ne va pas laisser la France dans cet état. Le système politique que symbolise le couple infernal Chirac-Jospin est à bout de souffle. Et nous, qui sommes la nouvelle génération politique, nous devons prendre nos responsabilités. Pour ma part, je suis décidé à les prendre. La France est en panne de projet, on l'a bien vu hier soir encore, en écoutant l'exercice laborieux de Lionel Jospin. Ce n'est pas de là, de cet épuisement, que sortira l'espoir de la France. Et pas davantage de l'actuel président. M. Chirac exerce le pouvoir depuis trente ans, par aller-retour. Recommencer avec lui une nouvelle fois, c'est se condamner aux mêmes désillusions. Il faut un projet nouveau, accessible à tous, pour la France et pour l'Europe. Il faut une nouvelle génération. Le moment venu, je prendrai mes responsabilités. Beaucoup se posent la questions : est-ce que la politique sert encore à quelque chose ? Si la politique ne sert plus à rien, cela voudrait dire que les décisions importantes sont ailleurs, qu¹elles sont financières. Si c'était le cas, tout ce que nous enseignons, les valeurs, le civisme, l'éducation serait mensonges. Moi, je crois au contraire que la France a besoin de la politique, d'une politique efficace qui amène à nous dépasser. L¹enjeu des présidentielles, c'est celui-là.
La " France humaine ", le titre de votre projet, n'est-ce pas un peu gentillet pour un tel dessein ?
Et " La Force tranquille ", c'était méchant...? La " France humaine " est précisément la réponse à la question : quelle société construisons-nous ? Voulons-nous uniquement une société de marché et de marchandisation de l'homme ? Voulons-nous une société bloquée et idéologique ? Non, la "France humaine" est la seule réponse qui vaille cette autre question : "Comment élever nos enfants demain...?"
Certains se demandent si votre candidature en 2002 n'est pas une préparation au vrai rendez-vous que vous vous êtes fixé, c¹est-à-dire 2007 ?
Je sais que l'on dit souvent cela. Mais ceux qui le disent se trompent. Le vrai tournant c'est 2002. Jospin et Chirac sont sortants tous les deux, et tous les deux épuisés. Ce sera l'heure des grands changements pour les Français. Le moment où ils se demanderont si, dans l'intérêt de notre pays, il ne faut pas sortir du couple infernal Chirac-Jospin, sortir des sortants.
Vous voulez donc être ce fameux " Troisième homme "...
Je veux que la France ait le choix. Et quand elle aura le choix, elle choisira un troisième homme qui portera une troisième voie. C'est cela mon combat.
Jean-Pierre Chevènement, lui aussi, espère bien tenir le rôle de ce
J'ai lu la tribune de Max Gallo parue dans Le Monde récemment. Il y dit que le seul vrai débat de la présidentielle se fera entre Chevènement et moi. Il a raison. Nous avons avec Chevènement un point d'accord : que le politique soit réhabilitée dans le futur, que l'on sorte du faux-semblant, de ce monde des illusions dans lequel on essaie de nous faire vivre. Et nous avons un point de désaccord : lui ne voit que des réponses nationales, tandis que moi je propose des réponses européennes mieux adaptées à notre temps...
Chirac et Jospin aussi sont européens comme vous. Quelle est " votre différence " ?
Chirac et Jospin, on les connaît... L'un comme l'autre sont européens parce que c'est la mode. Tant mieux d'ailleurs, je préfère cela plutôt que le contraire. Mais pour l'Europe, aujourd'hui, qui prend un si mauvais chemin, (et en partie par leur faute, eux qui ont si mal négocié à Nice) il va falloir une foi à déplacer les montagnes. C'est le temps des vraies convictions dans le domaine européen comme ailleurs...
Quel est votre jugement sur Lionel Jospin ?
Je l'ai trouvé hier soir, mal à l'aise, confus, ennuyeux et surtout sans élan. Sur le fond, c'est un homme dont la boussole est fausse. Regardez les développements interminables qu'il a consacrés hier soir au marxisme. Si la France est le seul pays du monde occidental qui passe son temps à se référer au marxisme, où en est-on ? Et Chirac on le connaît aussi. Il n'est pas mal intentionné, mais il va dans le sens du vent. Depuis trente ans qu'il est là, ce qui me frappe chez Chirac, c'est qu'il n'a pas de ligne... Bref, les deux, Chirac et Jospin, sont des archaïques. Ils représentent un système d'un autre temps. Ils entretiennent une connivence artificielle, de gauche à droite. Ils veulent nous faire croire que la question c'est toujours droite contre gauche, la générosité d'un côté, et l'ordre de l'autre. Mais tout cela c'est fini. En fait, c'est un " jeu de rôles " dans lequel ils trouvent tous deux leur intérêt. La première chose sur laquelle ils sont d'accord, c'est se repasser le pouvoir tous les quatre ans. Ainsi, ils s'accommodent de cette haine d'un camp à l'autre qui paralyse la France, de cette cohabitation qui affaiblit notre pays, d¹un système d¹impuissance... Un exemple. Le Moyen-Orient. Nous assistons à un incroyable effacement de la France. Imaginez que c'est le ministre allemand des Affaire Etrangères, Joska Fischer, qui sert de Monsieur Bons Offices entre Israéliens et Palestiniens. Sachez que c'est de l'Allemagne que vient la véritable pensée européenne... Cela est largement dû au fait que nous sommes gouvernés par ces co-sortants...
Vous voulez dire que Chirac et Jospin sont pour vous des adversaires équivalents ?
Ce ne sont pas les mêmes hommes bien sûr... Je considère que la pensée de Jospin est fausse, trop technocratique, empreinte d'idées du passé. Tandis que j'ai l'impression que, sur la plupart des sujets, Jacques Chirac est suffisamment maléable, certains diront intuitif, pour suivre la pensée à la mode. Un exemple, en 1999, j¹avais proposé l'idée d'une Constitution européenne. Chirac et ses amis m'avaient alors violemment critiqué, puis ils ont récupéré cette idée. C¹est comme pour l'écologie...
Finalement, vous êtes parfois plus sévère avec Chirac qu¹avec Jospin ...
Pas du tout. Je sais quel est mon camp... Mais j'aimerais bien, si les Français en décident ainsi, que l'on casse ces camps préétablis... Regardez, sur tous les grands sujets du temps, il n'y a pas de solution de gauche ou de solution de droite. Sur le chômage, sur la conception du travail, sur l'Europe, sur la question des retraites en panne depuis douze ans, sur l'Education nationale, sur le sentiment d'insécurité... il n'y a pas un seul de ces problèmes où la réponse soit de gauche ou de droite. Et pourtant, la France continue à vivre dans cet ancien système. Et à chaque élection, on nous refait le coup, on ranime à la va-vite cette droite et cette gauche en coma dépassé. On les remet sur le devant de la scène, pour nous rejouer le vieille pièce. Il y a là, dans l'ancien clivage droite-gauche, une escroquerie qui interdit les vrais débats... Regardez l'Angleterre de Tony Blair, l'Allemagne de Schroeder, l'Espagne de Aznar, ces pays se sont mis à l'heure de la modernité. Pas la France.
Imaginons Bayrou président - on peut toujours imaginer. Mettriez-vous dans le même gouvernement Juppé et Fabius ?
Vous voyez une vraie différence entre eux vous ? (rires). Mais rassurez-vous, ils continueront à faire semblant d'être opposés, malgré Normale, l'ENA, etc. Mais pour prendre d'autres noms moins compromettants, je vous dis sans crainte que c'est un malheur pour la France que le centre gauche et le centre droit n'aient pas gouverné ensemble sous la Ve. Que Jacques Delors et Raymond Barre, ou Giscard et Rocard, n'aient jamais travaillé ensemble. Il ne s'agit pas de nier leurs différences mais de voir ce qui les réunit. Ils pensent tous que la France ne se développera qu'en faisant l'Europe. Ils pensent tous que justice sociale et prospérité sont intimement liées. Ils pensent tous qu¹il ne faut pas faire la " chasse au travail " - et sont, au fond d'eux-mêmes, comme moi, très inquiets des trente-cinq heures. Ils pensent tous que la France gagnera par l'audace et la créativité... Du coup, chacun d¹eux est minoritaire dans son propre camp. Il faut que ce courant, disons social-libéral, jusque-là minoritaire à gauche et à droite devienne demain majoritaire.
Finalement votre programme, c'est le giscardisme. Une majorité qui regrouperait deux Français sur trois comme il en rêvait dans les années 70 ?
Et c'était un projet juste! Giscard n'a pas réussi à l¹imposer, car à l¹époque un gouffre séparait la gauche et la droite. N'oublions pas que le Mur de Berlin était encore en place... Aujourd¹hui, ce n¹est plus le cas.
Vous voulez dire que la gauche et la droite, c'est fini ?
Pas question de dire que la gauche, la droite ou le centre n'existent plus. Le sujet c'est savoir s'ils peuvent travailler ensemble. Dans l'histoire de France, certains chefs d¹État, les plus grands, ont su transcender les clivages. Henri IV, mon cher Henri IV, de Gaulle, Barre et Mendès s'y sont essayés. Et chaque fois que ces hommes ont fait cela, c'était contre les conformismes des deux camps.
Et vous espérez que le centre sera ce point de ralliement ?
Je crois ardemment à cette voie sociale-libérale.
N'y a-t-il pas pourtant une malédiction du centre en France ? N'est-ce pas
Une seule réponse à ce que vous appelez une chimère : avoir du caractère.
Avoir du caractère, cela n'est pas très centriste !
Cette légende du centre mou est injustifiée (rires). Moi je n'ai pas peur de la castagne. Je serais plutôt centre rugby que centre mou... Vous le verrez, si toute campagne présidentielle est une castagne, il ne faut pas s'échapper en courant. Et puis il faut savoir qu'après, ça cicatrise.
Vous pensez au RPR, avec qui vous allez vous " castagner " comme vous dites ?
Hélas ou heureusement, il n'y a pas que le RPR ! Mais je me suis fixé une règle : j'ai dit à mes amis de l'UDF que nous ne devions lancer aucune attaque personnelle blessante, même si les médias nous poussent à cela. J'essaierai donc d'éviter toute agression inutile.
Pourtant, à vous écouter parler en juin des affaires touchant le président
Contrairement à ce qu'on a dit, je n'ai aucun problème personnel avec Jacques Chirac. Je le conteste aujourd¹hui, car il est le représentant le plus ancien et le plus éminent de ce système gauche-droite qui mène à l'impuissance. Parce qu'il est depuis quinze ans en haut de l'affiche de cette cohabitation qui bloque la France. Tout comme je suis l'adversaire de Lionel Jospin qui dirigea le Parti socialiste il y a vingt ans. Imaginez, vingt ans... Une génération. Je suis contre les deux parce qu'ils sont ligués pour empêcher le renouvellement de la France.
Manière de dire que vous voulez être " calife à la place du calife ", pour la simple raison que vous êtes plus jeune ?
La question, ce n'est pas la jeunesse, c'est l'alternance, le rythme régulier des changements nécessaires en démocratie. Ce qu'on appelle l'alternance en France est risible. On prend les mêmes et on recommence. C'est du conservatisme déguisé. Ce sont les mêmes réflexes de clans, à gauche et à droite. Or, dans la politique comme dans la vie, le changement est une vertu. Regardez à l'étranger, en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, les dirigeants qui perdent s'en vont...
Vous êtes l¹un des seuls candidats virtuels à l¹élection présidentielle qui ne soit pas énarque...
J'ai beaucoup de chance, en effet (rires)... Car tous les dirigeants français sortent de là. L'ENA n'est pas condamnable en soi mais est devenue " mortelle " dans la mesure où elle est un monopole. Il y a un malentendu, l'ENA est une école de gestion administrative. Or, pour moi, la politique n¹est pas seulement la gestion mais l'audace, l'innovation, la volonté de construire un monde différent. On a besoin d'une énergie nouvelle et ce ne sont pas les partis des sortants qui pourront l¹apporter.
Vous dites cela à cause de la concurrence historique entre les gaullistes et les centristes ? A cause de l'hégémonie du RPR qui a failli avaler l¹UDF ?
Sans doute ont-ils eu cette envie de nous avaler... C'est humain. Mais j'ai fait en sorte que ma famille politique survive, et que peut-être demain elle gagne.
Ce projet n'est-il pas impossible à cause du mode de scrutin majoritaire qui vous ligote au RPR ?
Je suis favorable à un scrutin mixte, à l'allemande qui mêlerait de la proportionnelle afin que la société respire.
Comment espérez-vous sérieusement pouvoir réunir ces Français qui aiment Barre et Delors ? Le PS et le RPR sont des réalités solides...
Si j'ai voulu l'inversion du calendrier électoral, c'est que je pensais que l'élection présidentielle était l'occasion unique de recomposer le paysage politique, de bâtir une autre majorité, de sortir de la coupure de la France en deux, de proposer une Troisième Voie.
La Troisième voie ? La Troisième Voie, c¹est un serpent de mer de la vie politique française. Gaston Defferre en rêvait, et en 1969, il a fait 5 % des voix.
Je vous le redis. A l'époque il y avait le Mur de Berlin. Nous étions dans une société bloquée. Aujourd'hui, nous sommes dans la société de l'Euro. Vous n'imaginez pas à quel point ce sera une révolution. Demain, il y aura un président européen - élu d'abord par les parlements puis par les peuples, j'en suis persuadé. Demain, ce président européen parlera d'égal à égal, du moins je l¹espère, avec le président américain. Depuis Defferre et Mendès, vous le voyez, la société a considérablement évolué.
Quels sont, selon vous, les hommes politiques les plus exemplaires que vous ayez rencontrés ?
Giscard, Barre, Delors.
Votre ami Giscard ne suffisait pas ?
Chacun des trois apporte quelque chose au portrait de cet homme politique idéal.
Vous m'avez dit au début de cet entretien que vous comptiez bien être le "Troisième homme". Pourtant, pour vous les sondages ne décollent toujours pas ?
Les sondages, c'est ce qui bouge en dernier. Edouard Balladur, par exemple, n'a commencé à s¹effondrer qu'en février 1995, trois mois avant l'élection présidentielle alors que depuis deux ans il était au zénith des sondages.
Quel est le portrait idéal du futur président ?
Un homme qui sait où il va, qui n'ait pas peur de proposer de changer les choses, même quand elles n'ont pas bougé depuis vingt ans. Un homme qui a des convictions. Un homme capable de fédérer autour de lui des gens venus d'horizons différents et qui acccepteraient de travailler ensemble.
Georges-Marc BENAMOU
(source http://www.udf.org, le 3 septembre 2001)
Je pense vraiment qu'on ne va pas laisser la France dans cet état. Le système politique que symbolise le couple infernal Chirac-Jospin est à bout de souffle. Et nous, qui sommes la nouvelle génération politique, nous devons prendre nos responsabilités. Pour ma part, je suis décidé à les prendre. La France est en panne de projet, on l'a bien vu hier soir encore, en écoutant l'exercice laborieux de Lionel Jospin. Ce n'est pas de là, de cet épuisement, que sortira l'espoir de la France. Et pas davantage de l'actuel président. M. Chirac exerce le pouvoir depuis trente ans, par aller-retour. Recommencer avec lui une nouvelle fois, c'est se condamner aux mêmes désillusions. Il faut un projet nouveau, accessible à tous, pour la France et pour l'Europe. Il faut une nouvelle génération. Le moment venu, je prendrai mes responsabilités. Beaucoup se posent la questions : est-ce que la politique sert encore à quelque chose ? Si la politique ne sert plus à rien, cela voudrait dire que les décisions importantes sont ailleurs, qu¹elles sont financières. Si c'était le cas, tout ce que nous enseignons, les valeurs, le civisme, l'éducation serait mensonges. Moi, je crois au contraire que la France a besoin de la politique, d'une politique efficace qui amène à nous dépasser. L¹enjeu des présidentielles, c'est celui-là.
La " France humaine ", le titre de votre projet, n'est-ce pas un peu gentillet pour un tel dessein ?
Et " La Force tranquille ", c'était méchant...? La " France humaine " est précisément la réponse à la question : quelle société construisons-nous ? Voulons-nous uniquement une société de marché et de marchandisation de l'homme ? Voulons-nous une société bloquée et idéologique ? Non, la "France humaine" est la seule réponse qui vaille cette autre question : "Comment élever nos enfants demain...?"
Certains se demandent si votre candidature en 2002 n'est pas une préparation au vrai rendez-vous que vous vous êtes fixé, c¹est-à-dire 2007 ?
Je sais que l'on dit souvent cela. Mais ceux qui le disent se trompent. Le vrai tournant c'est 2002. Jospin et Chirac sont sortants tous les deux, et tous les deux épuisés. Ce sera l'heure des grands changements pour les Français. Le moment où ils se demanderont si, dans l'intérêt de notre pays, il ne faut pas sortir du couple infernal Chirac-Jospin, sortir des sortants.
Vous voulez donc être ce fameux " Troisième homme "...
Je veux que la France ait le choix. Et quand elle aura le choix, elle choisira un troisième homme qui portera une troisième voie. C'est cela mon combat.
Jean-Pierre Chevènement, lui aussi, espère bien tenir le rôle de ce
J'ai lu la tribune de Max Gallo parue dans Le Monde récemment. Il y dit que le seul vrai débat de la présidentielle se fera entre Chevènement et moi. Il a raison. Nous avons avec Chevènement un point d'accord : que le politique soit réhabilitée dans le futur, que l'on sorte du faux-semblant, de ce monde des illusions dans lequel on essaie de nous faire vivre. Et nous avons un point de désaccord : lui ne voit que des réponses nationales, tandis que moi je propose des réponses européennes mieux adaptées à notre temps...
Chirac et Jospin aussi sont européens comme vous. Quelle est " votre différence " ?
Chirac et Jospin, on les connaît... L'un comme l'autre sont européens parce que c'est la mode. Tant mieux d'ailleurs, je préfère cela plutôt que le contraire. Mais pour l'Europe, aujourd'hui, qui prend un si mauvais chemin, (et en partie par leur faute, eux qui ont si mal négocié à Nice) il va falloir une foi à déplacer les montagnes. C'est le temps des vraies convictions dans le domaine européen comme ailleurs...
Quel est votre jugement sur Lionel Jospin ?
Je l'ai trouvé hier soir, mal à l'aise, confus, ennuyeux et surtout sans élan. Sur le fond, c'est un homme dont la boussole est fausse. Regardez les développements interminables qu'il a consacrés hier soir au marxisme. Si la France est le seul pays du monde occidental qui passe son temps à se référer au marxisme, où en est-on ? Et Chirac on le connaît aussi. Il n'est pas mal intentionné, mais il va dans le sens du vent. Depuis trente ans qu'il est là, ce qui me frappe chez Chirac, c'est qu'il n'a pas de ligne... Bref, les deux, Chirac et Jospin, sont des archaïques. Ils représentent un système d'un autre temps. Ils entretiennent une connivence artificielle, de gauche à droite. Ils veulent nous faire croire que la question c'est toujours droite contre gauche, la générosité d'un côté, et l'ordre de l'autre. Mais tout cela c'est fini. En fait, c'est un " jeu de rôles " dans lequel ils trouvent tous deux leur intérêt. La première chose sur laquelle ils sont d'accord, c'est se repasser le pouvoir tous les quatre ans. Ainsi, ils s'accommodent de cette haine d'un camp à l'autre qui paralyse la France, de cette cohabitation qui affaiblit notre pays, d¹un système d¹impuissance... Un exemple. Le Moyen-Orient. Nous assistons à un incroyable effacement de la France. Imaginez que c'est le ministre allemand des Affaire Etrangères, Joska Fischer, qui sert de Monsieur Bons Offices entre Israéliens et Palestiniens. Sachez que c'est de l'Allemagne que vient la véritable pensée européenne... Cela est largement dû au fait que nous sommes gouvernés par ces co-sortants...
Vous voulez dire que Chirac et Jospin sont pour vous des adversaires équivalents ?
Ce ne sont pas les mêmes hommes bien sûr... Je considère que la pensée de Jospin est fausse, trop technocratique, empreinte d'idées du passé. Tandis que j'ai l'impression que, sur la plupart des sujets, Jacques Chirac est suffisamment maléable, certains diront intuitif, pour suivre la pensée à la mode. Un exemple, en 1999, j¹avais proposé l'idée d'une Constitution européenne. Chirac et ses amis m'avaient alors violemment critiqué, puis ils ont récupéré cette idée. C¹est comme pour l'écologie...
Finalement, vous êtes parfois plus sévère avec Chirac qu¹avec Jospin ...
Pas du tout. Je sais quel est mon camp... Mais j'aimerais bien, si les Français en décident ainsi, que l'on casse ces camps préétablis... Regardez, sur tous les grands sujets du temps, il n'y a pas de solution de gauche ou de solution de droite. Sur le chômage, sur la conception du travail, sur l'Europe, sur la question des retraites en panne depuis douze ans, sur l'Education nationale, sur le sentiment d'insécurité... il n'y a pas un seul de ces problèmes où la réponse soit de gauche ou de droite. Et pourtant, la France continue à vivre dans cet ancien système. Et à chaque élection, on nous refait le coup, on ranime à la va-vite cette droite et cette gauche en coma dépassé. On les remet sur le devant de la scène, pour nous rejouer le vieille pièce. Il y a là, dans l'ancien clivage droite-gauche, une escroquerie qui interdit les vrais débats... Regardez l'Angleterre de Tony Blair, l'Allemagne de Schroeder, l'Espagne de Aznar, ces pays se sont mis à l'heure de la modernité. Pas la France.
Imaginons Bayrou président - on peut toujours imaginer. Mettriez-vous dans le même gouvernement Juppé et Fabius ?
Vous voyez une vraie différence entre eux vous ? (rires). Mais rassurez-vous, ils continueront à faire semblant d'être opposés, malgré Normale, l'ENA, etc. Mais pour prendre d'autres noms moins compromettants, je vous dis sans crainte que c'est un malheur pour la France que le centre gauche et le centre droit n'aient pas gouverné ensemble sous la Ve. Que Jacques Delors et Raymond Barre, ou Giscard et Rocard, n'aient jamais travaillé ensemble. Il ne s'agit pas de nier leurs différences mais de voir ce qui les réunit. Ils pensent tous que la France ne se développera qu'en faisant l'Europe. Ils pensent tous que justice sociale et prospérité sont intimement liées. Ils pensent tous qu¹il ne faut pas faire la " chasse au travail " - et sont, au fond d'eux-mêmes, comme moi, très inquiets des trente-cinq heures. Ils pensent tous que la France gagnera par l'audace et la créativité... Du coup, chacun d¹eux est minoritaire dans son propre camp. Il faut que ce courant, disons social-libéral, jusque-là minoritaire à gauche et à droite devienne demain majoritaire.
Finalement votre programme, c'est le giscardisme. Une majorité qui regrouperait deux Français sur trois comme il en rêvait dans les années 70 ?
Et c'était un projet juste! Giscard n'a pas réussi à l¹imposer, car à l¹époque un gouffre séparait la gauche et la droite. N'oublions pas que le Mur de Berlin était encore en place... Aujourd¹hui, ce n¹est plus le cas.
Vous voulez dire que la gauche et la droite, c'est fini ?
Pas question de dire que la gauche, la droite ou le centre n'existent plus. Le sujet c'est savoir s'ils peuvent travailler ensemble. Dans l'histoire de France, certains chefs d¹État, les plus grands, ont su transcender les clivages. Henri IV, mon cher Henri IV, de Gaulle, Barre et Mendès s'y sont essayés. Et chaque fois que ces hommes ont fait cela, c'était contre les conformismes des deux camps.
Et vous espérez que le centre sera ce point de ralliement ?
Je crois ardemment à cette voie sociale-libérale.
N'y a-t-il pas pourtant une malédiction du centre en France ? N'est-ce pas
Une seule réponse à ce que vous appelez une chimère : avoir du caractère.
Avoir du caractère, cela n'est pas très centriste !
Cette légende du centre mou est injustifiée (rires). Moi je n'ai pas peur de la castagne. Je serais plutôt centre rugby que centre mou... Vous le verrez, si toute campagne présidentielle est une castagne, il ne faut pas s'échapper en courant. Et puis il faut savoir qu'après, ça cicatrise.
Vous pensez au RPR, avec qui vous allez vous " castagner " comme vous dites ?
Hélas ou heureusement, il n'y a pas que le RPR ! Mais je me suis fixé une règle : j'ai dit à mes amis de l'UDF que nous ne devions lancer aucune attaque personnelle blessante, même si les médias nous poussent à cela. J'essaierai donc d'éviter toute agression inutile.
Pourtant, à vous écouter parler en juin des affaires touchant le président
Contrairement à ce qu'on a dit, je n'ai aucun problème personnel avec Jacques Chirac. Je le conteste aujourd¹hui, car il est le représentant le plus ancien et le plus éminent de ce système gauche-droite qui mène à l'impuissance. Parce qu'il est depuis quinze ans en haut de l'affiche de cette cohabitation qui bloque la France. Tout comme je suis l'adversaire de Lionel Jospin qui dirigea le Parti socialiste il y a vingt ans. Imaginez, vingt ans... Une génération. Je suis contre les deux parce qu'ils sont ligués pour empêcher le renouvellement de la France.
Manière de dire que vous voulez être " calife à la place du calife ", pour la simple raison que vous êtes plus jeune ?
La question, ce n'est pas la jeunesse, c'est l'alternance, le rythme régulier des changements nécessaires en démocratie. Ce qu'on appelle l'alternance en France est risible. On prend les mêmes et on recommence. C'est du conservatisme déguisé. Ce sont les mêmes réflexes de clans, à gauche et à droite. Or, dans la politique comme dans la vie, le changement est une vertu. Regardez à l'étranger, en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, les dirigeants qui perdent s'en vont...
Vous êtes l¹un des seuls candidats virtuels à l¹élection présidentielle qui ne soit pas énarque...
J'ai beaucoup de chance, en effet (rires)... Car tous les dirigeants français sortent de là. L'ENA n'est pas condamnable en soi mais est devenue " mortelle " dans la mesure où elle est un monopole. Il y a un malentendu, l'ENA est une école de gestion administrative. Or, pour moi, la politique n¹est pas seulement la gestion mais l'audace, l'innovation, la volonté de construire un monde différent. On a besoin d'une énergie nouvelle et ce ne sont pas les partis des sortants qui pourront l¹apporter.
Vous dites cela à cause de la concurrence historique entre les gaullistes et les centristes ? A cause de l'hégémonie du RPR qui a failli avaler l¹UDF ?
Sans doute ont-ils eu cette envie de nous avaler... C'est humain. Mais j'ai fait en sorte que ma famille politique survive, et que peut-être demain elle gagne.
Ce projet n'est-il pas impossible à cause du mode de scrutin majoritaire qui vous ligote au RPR ?
Je suis favorable à un scrutin mixte, à l'allemande qui mêlerait de la proportionnelle afin que la société respire.
Comment espérez-vous sérieusement pouvoir réunir ces Français qui aiment Barre et Delors ? Le PS et le RPR sont des réalités solides...
Si j'ai voulu l'inversion du calendrier électoral, c'est que je pensais que l'élection présidentielle était l'occasion unique de recomposer le paysage politique, de bâtir une autre majorité, de sortir de la coupure de la France en deux, de proposer une Troisième Voie.
La Troisième voie ? La Troisième Voie, c¹est un serpent de mer de la vie politique française. Gaston Defferre en rêvait, et en 1969, il a fait 5 % des voix.
Je vous le redis. A l'époque il y avait le Mur de Berlin. Nous étions dans une société bloquée. Aujourd'hui, nous sommes dans la société de l'Euro. Vous n'imaginez pas à quel point ce sera une révolution. Demain, il y aura un président européen - élu d'abord par les parlements puis par les peuples, j'en suis persuadé. Demain, ce président européen parlera d'égal à égal, du moins je l¹espère, avec le président américain. Depuis Defferre et Mendès, vous le voyez, la société a considérablement évolué.
Quels sont, selon vous, les hommes politiques les plus exemplaires que vous ayez rencontrés ?
Giscard, Barre, Delors.
Votre ami Giscard ne suffisait pas ?
Chacun des trois apporte quelque chose au portrait de cet homme politique idéal.
Vous m'avez dit au début de cet entretien que vous comptiez bien être le "Troisième homme". Pourtant, pour vous les sondages ne décollent toujours pas ?
Les sondages, c'est ce qui bouge en dernier. Edouard Balladur, par exemple, n'a commencé à s¹effondrer qu'en février 1995, trois mois avant l'élection présidentielle alors que depuis deux ans il était au zénith des sondages.
Quel est le portrait idéal du futur président ?
Un homme qui sait où il va, qui n'ait pas peur de proposer de changer les choses, même quand elles n'ont pas bougé depuis vingt ans. Un homme qui a des convictions. Un homme capable de fédérer autour de lui des gens venus d'horizons différents et qui acccepteraient de travailler ensemble.
Georges-Marc BENAMOU
(source http://www.udf.org, le 3 septembre 2001)