Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 7 mars 2013, notamment sur l'intervention militaire française au Mali.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Q - Deux mois de guerre au Mali, un quatrième soldat français a été tué hier. François Hollande annonce une diminution des troupes en avril, est-ce que ce sera un début de retrait, ou une simple réduction d'un contingent qui est destiné à rester encore longtemps sur place ?
R - Non l'avons dit dès le début, la France est intervenue à la fois pour bloquer la décente des terroristes au sud et reconquérir les villes, ce qui a été accompli, et puis pour assurer l'intégrité du Mali. Il faut désormais que les troupes africaines, appuyées par les Nations unies, prennent le relais. Donc, à partir d'avril, il y aura un début de décroissance des troupes. Cela ne veut pas dire que l'on va partir du jour au lendemain, il ne s'agit pas de cela. Mais nous avons indiqué dès le début, que nous n'avions pas vocation à rester éternellement au Mali.
Q - À quel rythme va se dérouler ce retrait ?
R - Cela dépendra de ce qui se passe sur le terrain, il faut être très pragmatique. Et puis, il y a d'autres aspects au Mali : la sécurité, le processus politique et le volet du développement. Sur le plan politique, on avance vers ce qu'on appelle une opération de maintien de la paix, c'est-à-dire que l'ONU va prendre le relais sur le terrain. Cela prendra un certain temps mais les Français continueront à apporter leur aide, avec des troupes moins nombreuses qu'aujourd'hui.
Q - Il y a eu encore des combats très durs en début de semaine, dans le nord du Mali. Est-ce qu'en se retirant trop vite, on ne court pas le risque que les terroristes reconstituent leurs forces ?
R - Évidemment, nous avons cela présent à l'esprit. Nous sommes actuellement présents dans la région que l'on appelle l'Adrar des Ifoghas. Nous aurons terminé le ratissage de cette zone au moment qu'a cité le président de la République.
Q - Dans quelques semaines, le ratissage de cette zone sera terminé ?
R - Oui. Par ailleurs, nous sommes très présents autour de Gao où il reste des poches importantes de groupes terroristes. Bien sûr, il ne s'agit pas de se retirer pour que les terroristes reviennent. Cela n'aurait pas de sens !
Q - Des terroristes ont été anéantis dans le massif des Ifoghas, c'est ce qu'a dit hier François Hollande. Est-ce que cela signifie que, cette fois, vous avez la preuve de la mort des deux chefs d'AQMI, Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar ?
R - Nous avons choisi une méthode. Nous savons qu'il y a pas mal de chefs parmi les plusieurs centaines de terroristes qui ont été tués dans toute cette opération. S'agissant des précisions sur l'identité des trois chefs ou deux chefs qui ont été cités, il faut faire des vérifications très précises d'ADN. C'est ce que les services de l'armée sont en train de faire.
Q - Cela prendra combien de temps ?
R - Maintenant, cela devrait être assez rapide. L'une des difficultés, je ne veux pas être macabre, c'est qu'un certain nombre de ces corps sont déchiquetés, ce qui rend leur identification très difficile. Je voudrais rendre hommage - je ne peux pas parler du Mali sans le faire - à nos forces armées, en particulier à nos quatre militaires qui ont perdu la vie et aux Tchadiens qui ont essuyé de lourdes pertes et qui se sont conduits de manière exemplaire.
Q - Donc les vérifications d'ADN notamment que vous évoquez, c'est à cela que faisait allusion le chef de l'État, hier, quand il disait que des succès seront démontrés ces prochains jours ?
R - Tout à fait.
Q - un hebdomadaire rapporte cette semaine des propos de Nicolas Sarkozy, qu'il n'a pas démenti : «que fait-on là-bas au Mali, sinon, soutenir des putschistes et tenter de contrôler un territoire trois fois grands comme la France». Est-ce que cela vous a surpris ?
R - J'essaie, avec le président de la République et le ministre de la défense, sur les sujets de politiques étrangères et sur le Mali, d'avoir une attitude de rassemblement. J'observe d'autre part que quasiment tous les pays du monde, sauf l'Iran et la Syrie, et que tous les pays d'Afrique soutiennent et applaudissent l'intervention française [...]
Je crois que, d'une manière générale, il faut aborder ces questions à la fois avec une très bonne information, et en même temps un esprit de rassemblement.
Q - Votre prédécesseur, Alain Juppé, hier à ce micro, a reproché au gouvernement de ne pas délivrer justement suffisamment d'informations ?
R - Le ministre de la défense, le ministre chargé du développement et moi-même avons, la semaine dernière à l'Assemblée nationale, répondu à toutes les questions qui nous ont été posées pendant 3 heures et demie. Ces questions sont légitimes. Nous travaillons toujours dans cet esprit de rassemblement.
Q - Vous nous confirmez la réouverture du Lycée français de Bamako ?
R - Oui, c'est une décision que nous avons prise hier et qui sera effective lundi prochain : le lycée français Liberté que nous avions fermé pour des raisons de sécurité sera rouvert. Il a été estimé que nous pouvions le rouvrir, ce qui est évidemment une bonne nouvelle pour les Français qui sont là-bas, à Bamako, et que je tiens à saluer.
Q - Vous avez reçu hier la famille des sept otages dont quatre enfants enlevés au Cameroun, dernièrement. Vous êtes bien sûr tenu à la discrétion mais est-ce qu'en dehors de la vidéo de la semaine dernière, vous avez d'autres preuves de vie ?
R - S'agissant de la question des otages, j'ai toujours la même ligne, c'est beaucoup de détermination - les services de l'État sont entièrement mobilisées - et beaucoup de discrétion. J'ai reçu les proches de la famille Moulin-Fournier qui sont des gens remarquables, extrêmement responsables. Nous avons fait le tour des informations que nous avions. Ils souhaitent la confidentialité, moi aussi.
Je me rendrai la semaine prochaine à la fois au Nigeria et au Cameroun pour voir les deux présidents. En tout cas, tous les services de l'État, à la fois l'État français, l'État camerounais, l'État nigérian, sont mobilisés. Je rappelle qu'il y a sept personnes prises en otages dont 4 enfants, le plus petit Clarence est âgé de quatre ans et demi.
Q - Une enquête terrifiante a été publiée cette semaine sur les victimes du conflit syrien, photos et documents à l'appui. L'hebdomadaire évoque un faisceau d'indices qui laisse peu de place au doute : des gaz chimiques seraient utilisés contre la rébellion par Bachar Al-Assad, quel crédit accordez-vous à ces informations ?
R - C'est quelque chose qui avait été dit, il y a plusieurs semaines, vous le rappelez peut-être. Nous avions fait des vérifications avec d'autres pays, notamment les Américains, et nous n'avions pas eu de confirmation. Mais avec Bachar Al-Assad, on peut s'attendre à tout et cela montre à quel point il est nécessaire de soutenir la coalition nationale syrienne. J'ajoute aussi, que nous avons eu l'occasion, lors du voyage de François Hollande à Moscou et lors du voyage de John Kerry à Paris, en liaison avec la coalition nationale, d'essayer d'avancer pour nouer un dialogue politique. Mais sur le plan militaire, il faut être extrêmement ferme.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 2013