Texte intégral
Permettez-moi tout dabord de remercier Muriel Mayette de nous avoir permis de nous rassembler en son théâtre, ainsi que les membres de la Coalition française pour la diversité culturelle de mavoir invitée à conclure cette après-midi de discussions.
Vous venez de débattre de ce que signifie et représente la diversité culturelle aujourdhui, des menaces que certains veulent faire peser sur elle et des enjeux qui sannoncent demain.
Se poser la question de ce quest la diversité culturelle 2.0 et dun éventuel retour à zéro, nous amène nécessairement à nous interroger sur ce que sa version 1.0 ou son acte 1 a pu être et ce quelle nous a apporté.
La notion de « diversité culturelle » portait en elle un idéal. Cet idéal, nos prédécesseurs, dont je salue lun des illustres représentants ici aujourdhui, cher Jacques Toubon, lont brandi il y a tout juste vingt ans, dans un contexte de menaces très vif lors des Accords du GATT. Il sagissait alors, pour mieux la protéger, daffirmer que la culture nétait pas et ne devait pas devenir une marchandise !
Par nature, et depuis ses origines, le modèle des industries récréatives américaines a toujours été en effet en mesure, de supplanter économiquement nos entreprises nationales en Europe et dans le reste du Monde. Et elles lauraient fait notamment il y a vingt ans, si certains, comme vous cher Jacques, cher Costa Gavras et cher Pascal, ne sétaient pas érigés contre ce projet implacable de négociation et de commercialisation de la culture. Je tiens donc à rendre hommage à votre lucidité, à votre clairvoyance, à votre combativité, et aux résultats que vous avez obtenus !
En vingt ans, que sest-il passé ?
Cet idéal ainsi préservé en 1993 et renforcé à la faveur de la convention de lUnesco de 2005 sur la diversité culturelle, est aujourdhui, vingt ans après, une formidable réalité ! mais permettez-moi dajouter toutes les fois où chacun a bien voulu veiller à la défendre et à la revendiquer !
Ainsi en France, cet idéal sest concrétisé et incarné grâce à différents outils, différentes politiques.
Dans un mouvement déjà initié précédemment, laction culturelle ces vingt dernières années sest davantage déconcentrée sur notre territoire vers les DRACs, mais elle sest aussi décentralisée, avec un dynamisme volontariste. Dans le secteur cinématographique, les Régions ont par exemple signé avec lEtat des contrats de moyens additionnels en faveur de la production, favorisant ainsi les tournages sur place et partant, lemploi.
A la faveur des nouveaux supports de diffusion, je pense par exemple, à lessor de la télévision payante, lEtat, avec ses partenaires privés et publics, a recherché systématiquement à adapter ses outils daide au financement de la création.
En conséquence, la production duvres, pièces de théâtres, uvres littéraires, films, expositions, etc., sest multipliée ; le nombre des lieux de diffusion, festivals, musées, théâtres, salles de cinéma, etc. a augmenté fortement ! Voyons comment, le dernier Festival de Cannes a souligné la vitalité du cinéma français et de notre politique de soutien.
Enfin, léducation artistique et culturelle, dans un élan collectif accentué à partir de la fin des années 80, a visé à poursuivre la transmission de cet idéal à nos enfants. Vous savez limportance que jaccorde à léducation artistique et culturelle que je considère être également, sur cette question de lexception culturelle, absolument essentielle pour poursuivre dans les années à venir la transmission de cet idéal.
Car tous ces outils et lieux de diffusion que je viens de décrire et ces pratiques que nous encourageons depuis tant dannées, ont su créer chez nos concitoyens un habitus, un amour pour loffre culturelle. Cest la raison pour laquelle, le public est notamment curieux de toutes ces cinématographies parmi lesquelles, celles en provenance des Etats-Unis ; Harvey Weinstein le relevait dailleurs très bien dans son allocution au Festival de Cannes.
Et que constatons-nous ?
Que, même si tout nest pas parfait parce que beaucoup reste à faire pour mieux démocratiser la culture, nos concitoyens ont encore la possibilité daccéder en France à une offre culturelle abondante, à une offre diverse, à une offre de créateurs français, ouverte aux créateurs du monde entier dans la grande tradition historique daccueil de notre pays et de sa dimension universaliste. Soyons fiers de cette politique : revendiquons-là !
LEurope cette Union européenne dont nous sommes partie intégrante nest pas non plus restée inactive en la matière
En finançant, au côté dautres partenaires comme le Centre national du cinéma et de limage animée, laction du réseau de salles de cinéma EuropaCinémas, le programme Média a ainsi favorisé la circulation duvres cinématographiques européennes au sein des salles de cinéma de lUnion européenne. Un peu plus de vingt ans après sa création, ce réseau de salles annonce que le nombre de films européens ainsi diffusés na jamais été aussi élevé.
LEurope a également encouragé et permis lessor de créations diverses entre pays européens, à travers la production muséographique notamment.
Le partage avec lautre et la découverte de lautre nous ont donc enrichis et ont été source de progrès social mais aussi de développement économique. Nos industries créatives et culturelles représentent ainsi aujourdhui 3,7 % de notre PIB européen et plus de 6 millions des emplois européens.
Alors pourquoi vouloir vingt ans après, à travers la perspective de la signature de laccord commercial avec les Etats-Unis - que nous souhaitons tous par ailleurs dans les domaines ne devant pas être exclus, « remettre sur le métier cet ouvrage », balayer cet idéal de diversité culturelle et prendre le risque de menacer de telles richesses immatérielles ainsi créées, sans parler des emplois que représentent tous ces secteurs dactivités ?
La France sy refuse et je lai dit à notre Conseil des ministres de la culture européens ! et quon se le dise : ce combat nest pas celui de la vieille Europe toute essoufflée contre le modernisme outre-atlantique tout inventif !
« Oui », lémergence du numérique et de ses moyens de diffusion est venue bousculer nos usages. Des géants comme Amazon, Google, Apple, ou Facebook, pour nen citer que quelques-uns (les « GAFA »), dominent le monde de la communication et de la diffusion sur internet, comme les géants dHollywood dominent le monde « du divertissement » / de « lentertainment ». Dautres acteurs tout aussi redoutables comme Netflix sont déjà aux portes de lEurope.
Le risque est donc plus grand quen 1993, tant les acteurs du numérique sont puissants. Mais « non », le numérique ne doit pas nous faire changer la façon de voir les choses, car ce sont toujours des uvres que ces nouveaux modes de diffusion transmettent.
Des entreprises françaises et européennes ont émergé dans ce nouveau monde, mais leur modèle ne saurait à ce jour couvrir le monde, et la compétition avec des acteurs globaux, mondialisés, intégrés, en capacité, bien souvent, damortir la plupart de leurs coûts sur un marché national très vaste qui leur donne un avantage compétitif décisif à linternational, est particulièrement rude.
Je ne dis pas du tout cela par anti-américanisme. Nous aimons tous la culture américaine, le cinéma américain et bien entendu il ne sagit pas dériger des barrières. Mais nous devons simplement porter un regard lucide sur les rapports de force, qui sont très déséquilibrés : les industries récréatives américaines ont une force de frappe inégalée, appuyée sur un vaste marché intérieur. Or, entrer dans une logique douverture et de libéralisation ne se justifie que si les partenaires sont sur un pied dégalité. Ce nest clairement pas le cas aujourdhui.
Alors, comment peut-on penser quen libéralisant les services culturels, dont font partie les services audiovisuels, nos actions et nos entreprises sauraient mieux aujourdhui, quhier, se mesurer à des modèles économiques de masse ? En réalité, le risque est immense que ces entreprises américaines, à la faveur dune fiscalité avantagée au regard de celle de nos entreprises, sauront en un rien de temps grignoter ces parts de marché quelles nauraient pas encore conquises ! Pouvons-nous vraiment croire quelles se soucieront de valoriser ces créations non américaines, quand déjà à lheure de largentique ou de tous ces modes de diffusion des années 80 et 90, elles ne le faisaient pas ? Pouvons-nous vraiment croire que libéraliser les canaux du numérique nous rendra nos entreprises plus fortes et plus puissantes ?
Ne soyons pas naïfs ! Soyons à linverse, convaincus et offensifs !
Convaincue je le suis !
Forts de cet acte 1 de la diversité culturelle, il nous appartient, à lheure du numérique, de dessiner un nouvel acte de lexception culturelle.
Cette réflexion, je la proposerai très prochainement à mes collègues de la culture en Europe : de même que j'ai souhaité définir un acte II de l'exception culturelle en France en confiant à Pierre Lescure la mission à partir de laquelle j'entends refonder les outils de notre politique culturelle, de même j'engagerai avec mes collègues un travail commun pour que la politique culturelle européenne ne se rétrécisse pas au moment même où nous avons tant besoin d'une Europe politique et culturelle forte, et où seffrite la solidarité économique entre les pays européens.
Mon ambition, avec les pays qui en formuleront le projet politique, est triple :
- que nous réunissions à une échelle européenne les conditions dun meilleur partage de la valeur créée sur internet, en faveur des auteurs et de leurs ayants droit ;
- que nous puissions veiller à ce que la création continue de se diffuser tout en en préservant son ADN multi-culturel, en adaptant nos outils de soutien à cette création ;
- que nous développions une offre légale duvres toujours plus large, tout en poursuivant ceux qui en font un commerce illicite.
Cette conviction est audacieuse ; elle est le gage de notre liberté.
Soyons donc offensifs !
Cest ce que jai fait en écrivant avec 15 de mes homologues européens au Président de la Commission Européenne pour quil exclue les services audiovisuels du mandat transatlantique afin que nous préservions lexception culturelle !
Cest ce que beaucoup dentre vous avec nous, avons dit tous ensemble à Cannes le 20 mai dernier lors de la conférence sur le renforcement de lexception culturelle, qui fut, je crois, un moment de très grande mobilisation.
Cest ce que nos amis américains Harvey Weinstein et Steven Spielberg ont affirmé devant les caméras du monde entier !
Cest aussi le message que des parlementaires français puis leurs collègues européens ont adressé à la Commission européenne le 23 mai dernier, avec panache et avec une très forte majorité en faveur de la résolution proposée par Henri Weber - dont je salue ici laction formidablement déterminée !
Cest aussi ce que feront les deux présidents de commissions de lAssemblée Nationale Danièle Auroi et Patrick Bloche qui présenteront leur résolution mercredi 12 juin à tous les parlementaires.
Et cest aussi ce que dillustres cinéastes européens ont exprimé ce matin dans la presse après lavoir fait avec plus de 6000 professionnels de la culture et quils comptent poursuivre demain à Strasbourg notamment lors dun entretien avec le Président de la Commission Européenne José-Manuel Barroso !
Eh bien, cest que fera la France le 14 juin en revendiquant lexclusion des services audiovisuels du projet de mandat transatlantique !
Rien na empêché les échanges transnationaux entre pays de lUnion et les Etats-Unis ces vingt dernières années ; le combat nest donc pas contre lUnion Européenne ni les Etats-Unis mais en faveur de la diversité culturelle pour les pays dEurope.
Largument qui consiste à dire quon nentre pas en négociation en mettant de côté certains domaines, est tout simplement fallacieux quand on sait quil ny a aucune raison à renoncer à lexception culturelle, quand on sait quen négociant lexception culturelle dont les services audiovisuels, ou en tentant de dresser des listes exhaustives au sein dun accord commercial, on ne peut que nécessairement la figer et à terme laffaiblir !
La culture nécessite un cadre et des mécanismes spécifiques, sinon cest le risque de lhomogénéisation qui guette. Lenjeu est donc celui de quelle vision du monde nous souhaitons véhiculer.
Peut-être ces industries culturelles, ainsi préservées, sauront-elles au fond, développer auprès de nos concitoyens ce sentiment dappartenance en lEurope qui fait tant défaut actuellement.
La France, solidaire derrière le Président de la République, a exprimé par ma voix et celle de la ministre du commerce extérieur Nicole Bricq, quelle était sa ligne rouge.
La France ne cèdera pas car il sagit de conforter et promouvoir des industries, de poursuivre mais aussi construire un nouveau projet culturel.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 12 juin 2013