Texte intégral
Madame la Directrice générale,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Bienvenue à tous, et merci de votre participation à ce séminaire commun du Ministère de lEconomie et des Finances et du Fonds Monétaire International. Cest avec un réel plaisir que nous accueillons aujourdhui, avec Christine Lagarde, les meilleurs experts en matière de fédéralisme budgétaire pour une réflexion et un débat aussi ouverts que possible.
Le fédéralisme budgétaire européen nest pas, à mes yeux, un débat théorique. Si nous réfléchissons aujourdhui à ses contours, si nous nous interrogeons sur les niveaux de transferts adéquats, les modalités de leur organisation, sur lémission en commun de dette ou sur les éléments minimaux dun budget pour la zone euro, ce nest pas une réflexion « hors sol », désincarnée ou abstraite. Cest parce que la crise a mis en lumière certaines faiblesses de la zone euro auxquelles nous devons, collectivement, apporter des solutions.
Ce que la crise a révélé si crûment, en effet, cest que lUnion Monétaire est une grande entreprise fondamentalement inachevée. Les architectes inspirés de la zone euro nont pas sous-estimé, à lépoque, le renforcement des interdépendances lié à lunification monétaire ; mais léquilibre des forces en présence lorsque la monnaie unique a vu le jour a donné naissance à ce quil faut voir comme une première ébauche plutôt que comme un projet abouti, aux contours définitifs.
Est-ce si grave ? Après tout, le marché intérieur ou les politiques de cohésion régionale ne sont pas sortis tout casqués de la cuisse de la Commission Européenne. LEurope sest toujours construite par sédimentation. On peut avoir la libre circulation des marchandises, et attendre quelques années la libre circulation des personnes. Mais si cette approche est pertinente pour des politiques qui tiennent de manière relativement autonome par elles-mêmes, elle montre rapidement ses limites pour une Union Economique et Monétaire. En effet, la zone euro nest pas une coopération renforcée comme les autres, elle nest pas simplement une nouvelle politique européenne. Elle est une mutation fondamentale de son ADN. Leuro, cest un changement fondamental dans la façon de faire de la politique économique, une responsabilité commune, des interdépendances, un symbole, une identité, de la politique, du vouloir-vivre ensemble, de la citoyenneté. On peut saccommoder dune incomplétude temporaire de certaines politiques communautaires ; pas de lunion économique et monétaire, parce que cela remet en cause les chances de succès du projet lui-même.
Quon me comprenne bien : il ne sagit pas ici de remettre en cause leuro, ses réussites, lindéniable avancée économique et politique quil représente. Il sagit simplement de constater quà côté dun pilier monétaire bien établi, il faut sattacher à présent à bâtir, à côté du pilier monétaire qui remplit pleinement son rôle, un pilier budgétaire et économique complet avec les institutions qui en assureront le bon fonctionnement.
Car cest bien en raison dune vision incomplète des piliers de lunion monétaire quont pu prospérer les déséquilibres au sein de la zone euro, bien avant 2008. Les germes de la crise nétaient en effet pas uniquement budgétaires : bulle immobilière, surchauffe, dégradation de la compétitivité, fragmentation extrême du marché du travail, perte de substance industrielle Si lUEM avait correctement fonctionné, ces déséquilibres ne se seraient pas formés. Le défaut de gouvernance, de coordination économique de la zone euro, de réponse commune aux déséquilibres qui nous touchent tous, remonte donc loin et profondément.
Voilà pourquoi la France na jamais voulu se contenter délaborer des instruments de réponse immédiate, pourquoi elle na jamais voulu sen tenir aux mesures durgence pour soutenir un Etat vulnérable aux tensions financières. A un défaut dexécution fondamental de la zone euro, il faut une réponse novatrice densemble. Et au même titre que la création dune union bancaire complète et fonctionnelle le fédéralisme budgétaire, ou à tout le moins ce budget propre à la zone euro que la France appelle de ses vux, en fait partie.
Examinons le chemin parcouru depuis que la crise a éclaté. Dans un premier temps, les Etats membres, en même temps quils mettaient en place des mécanismes dassistance novateurs, se sont attachés à renforcer les procédures de surveillance des budgets nationaux, en comblant les lacunes du cadre initial et en renforçant le pilotage structurel des finances publiques. Ce volet, le seul qui ait existé dès le début de lunion monétaire, a donc vu son assise confortée, avec le 6-pack, le traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance et le 2-pack.
Cétait un développement indispensable. Mais sans remettre en cause la dynamique de désendettement à luvre, notamment en France, reconnaissons que lEurope daujourdhui, vue de lextérieur et vécue de lintérieur, verse un peu dans le monomaniaque. La nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques ne suffit pas à contrebalancer ce mouvement, elle na pas encore la simplicité ni la lisibilité requise.
La surveillance des budgets nationaux est utile et nécessaire pour la police des déficits, mais elle nest pas efficace pour répondre aux autres priorités et défis pour la zone euro, quil sagisse de labsorption dun choc conjoncturel, du financement dexternalités positives et de la réalisation déconomies déchelles, sources de croissance, ou de la prévention de crises futures à travers la mutualisation du risque souverain. Leuro est, on le sait depuis sa création, une construction asymétrique : nous le mesurons pleinement aujourdhui.
Jirais même plus loin. En labsence de contrepoids européen, cette asymétrie aggrave potentiellement ces dysfonctionnements, puisque les budgets nationaux sont dans lincapacité de jouer leur rôle de levier de politique économique, ou davoir recours à la relance discrétionnaire, alors quaucun budget supranational ne prend en charge ces coûts.
Quelle solution la France veut-elle promouvoir, donc ? Un budget propre à la zone euro.
La France veut proposer à ses partenaires européens une feuille de route crédible et équilibrée pour faire advenir ce budget zone euro, inscrite dans le temps du quinquennat et de la prochaine législature européenne, autour de trois grands axes.
Premier axe : la constitution, à moyen terme, dun socle de fédéralisme budgétaire ce que jai appelé un budget spécifique zone euro. Par « socle », je veux dire quil ne sagirait pas dun transfert complet de compétence, mais plutôt dun partage, avec une composante financée en commun au niveau de la zone euro, et une composante nationale qui peut sy ajouter.
La question immédiate, dès alors, est la suivante : un budget de la zone euro, pour financer quoi ? La France considère quil faut accorder la priorité à une forme de mutualisation dune partie des stabilisateurs automatiques, cest-à-dire au transfert de dépenses ayant un caractère contracyclique.
Lindemnisation du chômage répond particulièrement bien au premier critère. Cest la raison pour laquelle la France propose de créer un socle commun de financement de lindemnisation chômage en zone euro comme première composante de ce budget. Je lavais évoqué il y a presque un an jour pour jour à lassemblée annuelle de Bruegel. Lexpérience que jai faite de la gestion de la crise, depuis, avec nos partenaires européens, ma conforté dans cette vision, alors que le chômage atteint des niveaux plus quinquiétants, dramatiques, dans certains Etats membres. Mais au-delà de sa portée politique et sociale, un tel instrument serait un puissant instrument économique de renforcement du pilier budgétaire dune union monétaire. Les clés de contribution devraient être soigneusement définies pour que les transferts temporaires entre Etats, qui varieront au gré de leur situation relativement à celle de leurs partenaires, soient neutres à moyen terme, chaque Etat étant tout à tour bénéficiaire et contributeur en fonction de son propre cycle.
Côté recettes, le budget zone euro serait doté de ressources fiscales propres. Différentes pistes pourraient être explorées, en prenant pour critère à la fois le caractère cyclique de la recette et la mobilité de la base imposable, afin de limiter la concurrence fiscale au sein de lUEM. On peut envisager de prendre appui sur une part de limpôt sur les sociétés, de la TVA ou des cotisations sociales, ou encore sur la TTF ou une taxe carbone.
Dans notre schéma, le budget de la zone euro serait également un facteur de mutualisation des dettes souveraines en garantissant des émissions deurobonds, sur lesquels la BCE agirait comme prêteur de dernier ressort. Une obligation déquilibre structurel cest-à-dire de neutralité budgétaire le long du cycle serait par ailleurs instaurée.
Dautres fonctions pourraient être ajoutées à ce budget. La plus évidente est celle de backstop budgétaire pour lunion bancaire. A moyen terme, il faut aussi se demander si ce budget peut permettre de mutualiser en zone euro les moyens en matière de recherche, dinnovation, de compétitivité, dinfrastructures industrielles et énergétiques, sajoutant aux politiques de lEurope à 28 sans les remettre en question.
Deuxième axe : le renforcement des institutions européennes, en miroir de lintégration et de la solidarité accrues au sein de la zone euro au travers de son budget propre. Compte tenu du « saut politique » que représenterait un budget zone euro, approfondir la légitimité et lefficacité des institutions de la zone euro est un développement incontournable. Cest pour cela que la France a proposé une chambre de la zone euro au sein du Parlement européen, pour colégiférer dans lintérêt de lUEM et voter ce budget, ainsi que la création dun « ministre des finances » de la zone euro à la tête dun trésor européen qui incarne clairement la fonction exécutive et la gestion de ce budget.
Dernier axe : un renforcement équilibré de la surveillance budgétaire à court terme. Je nignore pas en effet les réticences de nombreux partenaires sur le budget zone euro : une partie de lopinion redoute quun budget européen ne prolonge « lesprit de facilité » qui a nourri la crise, ou quil ne masque des transferts permanents. Je crois important découter les inquiétudes de nos partenaires, Allemagne en tête. Cest un pays qui a fait des efforts considérables pour réussir sa réunification, et comprenons quils attendent que chaque pays fasse leffort de se réformer. Nous devons élaborer des réponses qui rassurent sur la conversion des Etats de la zone euro à une discipline budgétaire durable et des réformes structurelles, dans le cadre dun compromis global où les mécanismes de solidarité et de mutualisation des risques ont toute leur place, ensemble.
Les modalités pratiques de ce renforcement seraient bien sûr à négocier avec nos partenaires. On peut imaginer une coordination ex ante accrue des budgets nationaux, ou donner un pouvoir de certification en aval accru à la Commission, qui lui permettrait de valider lensemble des éléments dune stratégie globale de réforme plutôt que de se concentrer seulement sur les seuils des différentes règles budgétaires du cadre européen. Limportant est, je crois, que le renforcement des disciplines sur les politiques qui restent au niveau des Etats soit laccompagnement dun compromis global.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques remarques que je souhaitais vous faire partager en introduction de vos travaux, que je souhaite riches, approfondis et fructueux. Je me situe clairement dans le camp de ceux qui pensent que si la crise en zone euro a été aussi profonde ce nest pas parce que les règles de lunion monétaire ont été mal appliquées, mais parce quelles nétaient pas suffisantes. La France sait où elle veut aller en matière de fédéralisme budgétaire européen. Elle na pas toutes les réponses, et le séminaire de ce jour va nous permettre aussi déclairer notre propre réflexion. Mais je veux faire part ici dune conviction à la fois très personnelle, et extrêmement profonde : la zone euro a besoin aujourdhui dune deuxième génération darchitectes, pour quelle puisse enfin délivrer sa promesse.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 11 septembre 2013
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Bienvenue à tous, et merci de votre participation à ce séminaire commun du Ministère de lEconomie et des Finances et du Fonds Monétaire International. Cest avec un réel plaisir que nous accueillons aujourdhui, avec Christine Lagarde, les meilleurs experts en matière de fédéralisme budgétaire pour une réflexion et un débat aussi ouverts que possible.
Le fédéralisme budgétaire européen nest pas, à mes yeux, un débat théorique. Si nous réfléchissons aujourdhui à ses contours, si nous nous interrogeons sur les niveaux de transferts adéquats, les modalités de leur organisation, sur lémission en commun de dette ou sur les éléments minimaux dun budget pour la zone euro, ce nest pas une réflexion « hors sol », désincarnée ou abstraite. Cest parce que la crise a mis en lumière certaines faiblesses de la zone euro auxquelles nous devons, collectivement, apporter des solutions.
Ce que la crise a révélé si crûment, en effet, cest que lUnion Monétaire est une grande entreprise fondamentalement inachevée. Les architectes inspirés de la zone euro nont pas sous-estimé, à lépoque, le renforcement des interdépendances lié à lunification monétaire ; mais léquilibre des forces en présence lorsque la monnaie unique a vu le jour a donné naissance à ce quil faut voir comme une première ébauche plutôt que comme un projet abouti, aux contours définitifs.
Est-ce si grave ? Après tout, le marché intérieur ou les politiques de cohésion régionale ne sont pas sortis tout casqués de la cuisse de la Commission Européenne. LEurope sest toujours construite par sédimentation. On peut avoir la libre circulation des marchandises, et attendre quelques années la libre circulation des personnes. Mais si cette approche est pertinente pour des politiques qui tiennent de manière relativement autonome par elles-mêmes, elle montre rapidement ses limites pour une Union Economique et Monétaire. En effet, la zone euro nest pas une coopération renforcée comme les autres, elle nest pas simplement une nouvelle politique européenne. Elle est une mutation fondamentale de son ADN. Leuro, cest un changement fondamental dans la façon de faire de la politique économique, une responsabilité commune, des interdépendances, un symbole, une identité, de la politique, du vouloir-vivre ensemble, de la citoyenneté. On peut saccommoder dune incomplétude temporaire de certaines politiques communautaires ; pas de lunion économique et monétaire, parce que cela remet en cause les chances de succès du projet lui-même.
Quon me comprenne bien : il ne sagit pas ici de remettre en cause leuro, ses réussites, lindéniable avancée économique et politique quil représente. Il sagit simplement de constater quà côté dun pilier monétaire bien établi, il faut sattacher à présent à bâtir, à côté du pilier monétaire qui remplit pleinement son rôle, un pilier budgétaire et économique complet avec les institutions qui en assureront le bon fonctionnement.
Car cest bien en raison dune vision incomplète des piliers de lunion monétaire quont pu prospérer les déséquilibres au sein de la zone euro, bien avant 2008. Les germes de la crise nétaient en effet pas uniquement budgétaires : bulle immobilière, surchauffe, dégradation de la compétitivité, fragmentation extrême du marché du travail, perte de substance industrielle Si lUEM avait correctement fonctionné, ces déséquilibres ne se seraient pas formés. Le défaut de gouvernance, de coordination économique de la zone euro, de réponse commune aux déséquilibres qui nous touchent tous, remonte donc loin et profondément.
Voilà pourquoi la France na jamais voulu se contenter délaborer des instruments de réponse immédiate, pourquoi elle na jamais voulu sen tenir aux mesures durgence pour soutenir un Etat vulnérable aux tensions financières. A un défaut dexécution fondamental de la zone euro, il faut une réponse novatrice densemble. Et au même titre que la création dune union bancaire complète et fonctionnelle le fédéralisme budgétaire, ou à tout le moins ce budget propre à la zone euro que la France appelle de ses vux, en fait partie.
Examinons le chemin parcouru depuis que la crise a éclaté. Dans un premier temps, les Etats membres, en même temps quils mettaient en place des mécanismes dassistance novateurs, se sont attachés à renforcer les procédures de surveillance des budgets nationaux, en comblant les lacunes du cadre initial et en renforçant le pilotage structurel des finances publiques. Ce volet, le seul qui ait existé dès le début de lunion monétaire, a donc vu son assise confortée, avec le 6-pack, le traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance et le 2-pack.
Cétait un développement indispensable. Mais sans remettre en cause la dynamique de désendettement à luvre, notamment en France, reconnaissons que lEurope daujourdhui, vue de lextérieur et vécue de lintérieur, verse un peu dans le monomaniaque. La nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques ne suffit pas à contrebalancer ce mouvement, elle na pas encore la simplicité ni la lisibilité requise.
La surveillance des budgets nationaux est utile et nécessaire pour la police des déficits, mais elle nest pas efficace pour répondre aux autres priorités et défis pour la zone euro, quil sagisse de labsorption dun choc conjoncturel, du financement dexternalités positives et de la réalisation déconomies déchelles, sources de croissance, ou de la prévention de crises futures à travers la mutualisation du risque souverain. Leuro est, on le sait depuis sa création, une construction asymétrique : nous le mesurons pleinement aujourdhui.
Jirais même plus loin. En labsence de contrepoids européen, cette asymétrie aggrave potentiellement ces dysfonctionnements, puisque les budgets nationaux sont dans lincapacité de jouer leur rôle de levier de politique économique, ou davoir recours à la relance discrétionnaire, alors quaucun budget supranational ne prend en charge ces coûts.
Quelle solution la France veut-elle promouvoir, donc ? Un budget propre à la zone euro.
La France veut proposer à ses partenaires européens une feuille de route crédible et équilibrée pour faire advenir ce budget zone euro, inscrite dans le temps du quinquennat et de la prochaine législature européenne, autour de trois grands axes.
Premier axe : la constitution, à moyen terme, dun socle de fédéralisme budgétaire ce que jai appelé un budget spécifique zone euro. Par « socle », je veux dire quil ne sagirait pas dun transfert complet de compétence, mais plutôt dun partage, avec une composante financée en commun au niveau de la zone euro, et une composante nationale qui peut sy ajouter.
La question immédiate, dès alors, est la suivante : un budget de la zone euro, pour financer quoi ? La France considère quil faut accorder la priorité à une forme de mutualisation dune partie des stabilisateurs automatiques, cest-à-dire au transfert de dépenses ayant un caractère contracyclique.
Lindemnisation du chômage répond particulièrement bien au premier critère. Cest la raison pour laquelle la France propose de créer un socle commun de financement de lindemnisation chômage en zone euro comme première composante de ce budget. Je lavais évoqué il y a presque un an jour pour jour à lassemblée annuelle de Bruegel. Lexpérience que jai faite de la gestion de la crise, depuis, avec nos partenaires européens, ma conforté dans cette vision, alors que le chômage atteint des niveaux plus quinquiétants, dramatiques, dans certains Etats membres. Mais au-delà de sa portée politique et sociale, un tel instrument serait un puissant instrument économique de renforcement du pilier budgétaire dune union monétaire. Les clés de contribution devraient être soigneusement définies pour que les transferts temporaires entre Etats, qui varieront au gré de leur situation relativement à celle de leurs partenaires, soient neutres à moyen terme, chaque Etat étant tout à tour bénéficiaire et contributeur en fonction de son propre cycle.
Côté recettes, le budget zone euro serait doté de ressources fiscales propres. Différentes pistes pourraient être explorées, en prenant pour critère à la fois le caractère cyclique de la recette et la mobilité de la base imposable, afin de limiter la concurrence fiscale au sein de lUEM. On peut envisager de prendre appui sur une part de limpôt sur les sociétés, de la TVA ou des cotisations sociales, ou encore sur la TTF ou une taxe carbone.
Dans notre schéma, le budget de la zone euro serait également un facteur de mutualisation des dettes souveraines en garantissant des émissions deurobonds, sur lesquels la BCE agirait comme prêteur de dernier ressort. Une obligation déquilibre structurel cest-à-dire de neutralité budgétaire le long du cycle serait par ailleurs instaurée.
Dautres fonctions pourraient être ajoutées à ce budget. La plus évidente est celle de backstop budgétaire pour lunion bancaire. A moyen terme, il faut aussi se demander si ce budget peut permettre de mutualiser en zone euro les moyens en matière de recherche, dinnovation, de compétitivité, dinfrastructures industrielles et énergétiques, sajoutant aux politiques de lEurope à 28 sans les remettre en question.
Deuxième axe : le renforcement des institutions européennes, en miroir de lintégration et de la solidarité accrues au sein de la zone euro au travers de son budget propre. Compte tenu du « saut politique » que représenterait un budget zone euro, approfondir la légitimité et lefficacité des institutions de la zone euro est un développement incontournable. Cest pour cela que la France a proposé une chambre de la zone euro au sein du Parlement européen, pour colégiférer dans lintérêt de lUEM et voter ce budget, ainsi que la création dun « ministre des finances » de la zone euro à la tête dun trésor européen qui incarne clairement la fonction exécutive et la gestion de ce budget.
Dernier axe : un renforcement équilibré de la surveillance budgétaire à court terme. Je nignore pas en effet les réticences de nombreux partenaires sur le budget zone euro : une partie de lopinion redoute quun budget européen ne prolonge « lesprit de facilité » qui a nourri la crise, ou quil ne masque des transferts permanents. Je crois important découter les inquiétudes de nos partenaires, Allemagne en tête. Cest un pays qui a fait des efforts considérables pour réussir sa réunification, et comprenons quils attendent que chaque pays fasse leffort de se réformer. Nous devons élaborer des réponses qui rassurent sur la conversion des Etats de la zone euro à une discipline budgétaire durable et des réformes structurelles, dans le cadre dun compromis global où les mécanismes de solidarité et de mutualisation des risques ont toute leur place, ensemble.
Les modalités pratiques de ce renforcement seraient bien sûr à négocier avec nos partenaires. On peut imaginer une coordination ex ante accrue des budgets nationaux, ou donner un pouvoir de certification en aval accru à la Commission, qui lui permettrait de valider lensemble des éléments dune stratégie globale de réforme plutôt que de se concentrer seulement sur les seuils des différentes règles budgétaires du cadre européen. Limportant est, je crois, que le renforcement des disciplines sur les politiques qui restent au niveau des Etats soit laccompagnement dun compromis global.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques remarques que je souhaitais vous faire partager en introduction de vos travaux, que je souhaite riches, approfondis et fructueux. Je me situe clairement dans le camp de ceux qui pensent que si la crise en zone euro a été aussi profonde ce nest pas parce que les règles de lunion monétaire ont été mal appliquées, mais parce quelles nétaient pas suffisantes. La France sait où elle veut aller en matière de fédéralisme budgétaire européen. Elle na pas toutes les réponses, et le séminaire de ce jour va nous permettre aussi déclairer notre propre réflexion. Mais je veux faire part ici dune conviction à la fois très personnelle, et extrêmement profonde : la zone euro a besoin aujourdhui dune deuxième génération darchitectes, pour quelle puisse enfin délivrer sa promesse.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 11 septembre 2013