Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'innovation au sein de l'industrie d'armement, à Palaiseau le 2 novembre 2013.

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Circonstance : Deuxième Forum DGA Innovation, à Palaiseau (Essonne) le 21 novembre 2013

Texte intégral


Monsieur le Délégué,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui, pour ce grand rendez-vous de la Défense et de l'innovation, et je le suis d'autant plus que nous nous retrouvons cette année à l'Ecole Polytechnique. Par la valeur de la formation qu'elle dispense, au croisement des sciences dures, des sciences appliquées et des sciences humaines, comme par l'excellence de la recherche qu'elle héberge, l'X donne aux futurs décideurs de notre pays le virus de l'innovation. Ainsi, il ne pouvait y avoir de lieu plus indiqué pour ce forum, et je tiens à remercier, outre le Délégué qui en est le parfait organisateur, Jacques Biot et Yves Demay, qui nous accueillent donc cette année.
Il y a un an, à l'occasion du premier forum DGA innovation, je lançais le Pacte Défense PME, qui venait concrétiser un engagement fort du ministère dont j'ai la charge en faveur des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Pour préparer cette stratégie globale, qui couvre l'ensemble des achats du ministère, j'avais mobilisé tous les services et directions concernés, de la DGA bien sûr pour la partie armement, mais aussi de l'Etat-major des Armées, ou du Secrétariat général pour l'administration. J'avais de plus associé à ce travail les grands industriels, les groupements professionnels, et de nombreuses PME. Et le 21 mars dernier, j'ai signé une instruction ministérielle pour décliner concrètement ce Pacte Défense PME et assurer le suivi des 40 actions ainsi lancées, dans des domaines aussi variées que l'accès à la commande publique, l'innovation, le financement, l'accompagnement à l'exportation, ou encore la sous-traitance.
Aujourd'hui, je veux faire premier bilan de l'action que j'ai souhaité engager. Je le ferai d'abord à travers quatre remarques d'ensemble.
Premièrement, le Pacte a permis une meilleure prise en compte des PME dans nos stratégies d'achat. Aujourd'hui, le ministère de la Défense « pense PME », quelle que soit sa stratégie d'achat. Il étudie systématiquement le positionnement des PME, et définit en conséquence des stratégies d'achats adaptées. Je vous en donne un exemple, parmi beaucoup d'autres : la société ITNI, dans le domaine informatique, a pu emporter un appel d'offre très important de la DIRISI, de plusieurs millions d'euros, qu'elle n'aurait jamais obtenu avant le Pacte. J'ajoute que la DIRISI s'en félicite, qui a déjà classé ITNI parmi ses meilleurs fournisseurs.
Deuxièmement, grâce aux actions menées cette année, nous avons consolidé notre vivier de fournisseurs, en inscrivant 3500 nouvelles PME. Ce vivier permet lui-même une attribution prioritaire des contrats de moins de 15.000 € HT, comme je m'y étais engagé. C'était en effet une mesure phare des annonces de l'année dernière, et force est de constater qu'elle a porté ses fruits. Sur la seule base de défense de Besançon, 398 PME ont bénéficié de cette règle depuis le début de l'année.
Troisièmement, nous avons renforcé notre soutien aux PME pour conquérir de nouveaux marchés, en particulier à l'export. Des certificats de bonne exécution ont commencé à leur être attribués. L'objectif est ici de distinguer les entreprises dont les actions sont allées au-delà des prestations commandées, quantitativement ou qualitativement parlant. En 2013, nous avons par ailleurs organisé quatre séminaires dédiés à l'exportation, qui ont réuni plus de 180 PME, et un autre aura lieu à Toulouse, début décembre, en présidence du ministre délégué, M. Kader Arif. Ces réunions d'information, je le dis en passant, ont le plus souvent lieu en région, car je souhaite que nos services aillent au contact des PME, au plus près des territoires qu'elles contribuent à dynamiser. C'est pour moi une conviction forgée de longue date, et qui inspire ce Pacte, dont l'un des axes forts est précisément le renforcement de l'action du ministère dans les régions.
C'est ma dernière remarque d'ensemble : la présence du ministère dans les territoires a été structurée pour mieux répondre aux besoins des PME. D'abord, 23 Pôles régionaux à l'économie de défense, les PRED, ont été créés pour faciliter l'accès des PME aux services du ministère, grâce notamment à une adresse mail unique par région. De nombreux PRED ont déjà été sollicités, et j'engage les PME à contacter celui de leur région si elles sont à la recherche d'informations ou tout simplement de points de contact. En parallèle, les acheteurs du ministère ont multiplié les réunions d'information dans les régions : 26 séminaires et ateliers Achats-Défense ont été organisés en 2013 sur l'ensemble du territoire national, en coopération avec les acteurs locaux du développement économique. Grâce à l'information ainsi échangée, certaines PME ont pu se porter candidates et déjà remporter de nouveaux marchés.
Nous sommes déterminés à poursuivre les efforts que nous avons engagés, mais je crois que nous pouvons déjà nous féliciter des retombées très concrètes du Pacte Défense PME. Je voudrais, toujours au titre de ce premier bilan, évoquer plus en détail le volet Armement du Pacte, et son lien avec l'innovation, puisque c'est le sujet qui nous rassemble aujourd'hui à l'Ecole Polytechnique.
Au cœur de ces actions, il y a d'abord un effort financier en matière de recherche et d'innovation que j'ai souhaité conséquent, malgré un contexte budgétaire difficile. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019, qui est examiné en ce moment même à l'Assemblée nationale, prévoit ainsi 4,4 Mds €courants pour des travaux de recherche technologique et d'innovation confiés aux laboratoires et à l'industrie. C'est une priorité que j'ai fixée. Elle revient à consacrer 730 M€ en moyenne annuelle aux études amont. Ces sommes bénéficieront dans les prochaines années à la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, à la préparation du système de combat aérien futur et des prochaines générations de missile, mais aussi à la montée en puissance des travaux sur la cyberdéfense.
Cet investissement s'accompagnera aussi d'un effort majeur en termes de recherche et développement, à travers les programmes nouveaux prévus au titre de la LPM 2014-2019. Je pense par exemple au développement d'un nouveau standard F3R pour le Rafale, qui intègrera notamment une nacelle de désignation laser de nouvelle génération ; je pense au lancement du programme SCORPION, qui est fondamental pour la modernisation de l'armée de Terre ; je pense aussi aux travaux sur le système de lutte anti-mines futur, le SLAMF, qui sera composé de drones navals de surface et sous-marins embarqués, en remplacement des actuels chasseurs de mines ; je pense encore à la poursuite du programme MUSIS, qui assure la relève du système d'observation spatiale optique HELIOS II, [et en même temps celle des systèmes d'observation radar européens Cosmos-Skymed et SAR Lup].
Au bilan, pour la seule année à venir, le budget total pour la R&T et la R&D sera de 3,6 milliards d'euros. Je crois que cela donne toute la mesure des moyens que nous souhaitons investir dans un domaine que nous considérons comme stratégique. L'innovation de défense est plus que jamais un enjeu déterminant pour la place de notre pays sur la scène internationale. Nous en avons donc tiré toutes les implications financières.
A partir de cet effort financier conséquent, nous travaillons sur les dispositifs de soutien à l'innovation. Avec le Délégué général de l'armement, notre cheval de bataille, c'est d'accélérer le passage de l'idée au produit. En d'autres termes, c'est de transformer les euros que nous investissons dans notre effort de recherche et de soutien de l'innovation, en gain opérationnel pour nos armées, et en gain économique pour notre industrie.
Avoir des dispositifs de soutien qui couvrent toute la chaîne de maturation technologique, c'est bien, mais nous devons reconnaître que c'est loin d'être suffisant pour que les résultats de la recherche bénéficient à la réalisation de nouveaux produits, jusqu'à leur commercialisation effective. L'enjeu de ce processus d'innovation, c'est ainsi de créer des courroies de transmission efficaces entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise.
Dans cette perspective, nous avons pris des mesures concrètes cet automne. Je citerai à titre d'exemple la création d'ASTRID Maturation par la DGA. Ce nouveau dispositif a pour but de mieux insérer les PME dans la chaîne d'innovation de la R&T, et faciliter ainsi les transferts des labos à l'industrie en matière de résultats de recherche. C'est une action déterminée de la DGA, en partenariat avec l'agence nationale de la recherche (ANR), qui a permis de lancer un tel dispositif en moins de six mois, avec un montant alloué de 2M€ en 2013 et qui va doubler dès l'année prochaine. Ce dispositif a déjà retenu quatre projets, qui voient des PME venir renforcer l'équipe de recherche initiale. C'est le cas par exemple du projet COFIPOL, « Composants à fibre polarisante pour les senseurs à atomes froids compacts », où trois nouvelles PME intègrent le projet [pour participer au développement d'un démonstrateur avec pour objectif des retombées commerciales et opérationnelles particulièrement intéressantes en géolocalisation de précision.] ce dispositif est un succès, qui sera donc reconduit l'année prochaine, avec un appel à projets lancé fin mars.
Le soutien à l'innovation passe également par le renforcement du dispositif RAPID, régime d'appui à l'innovation duale, que vous connaissez tous. Son budget va être augmenté de 25 % comme je m'y suis engagé, passant de 40 M€ cette année à 45 M€ l'année prochaine, puis à 50M€ en 2015. RAPID est totalement dédié au soutien des PME et des ETI, par sa souplesse d'emploi, mais aussi par les thèmes que nous soutenons. Leur caractère dual renforce l'image et le positionnement nos PME et ETI sur les marchés. Ce constat, je tiens à le dire, ce n'est pas d'abord celui du ministère, c'est le retour que nous avons des dirigeants des PME qui ont vu les premiers projets RAPID arrivés à leur terme.
Vous le voyez, le ministère dont j'ai la charge se mobilise. Avec déjà de nombreux résultats concrets, dont un certain nombre sont visibles sur le forum. Pour ma part, ce que j'ai vu aujourd'hui démontre pleinement la capacité à innover de notre base industrielle et technologique de défense. Et j'inclus bien sûr sous ce terme les petites, moyennes et grandes entreprises, et tous les laboratoires académiques qui œuvrent avec nous pour préparer les futurs systèmes de défense. Je ne peux malheureusement pas citer toutes les pépites technologiques présentées aujourd'hui, mais je voudrais tout de même en citer quelques-unes parmi celles que j'ai repérées :
- Le Buggy volant PEGASE, premier véhicule en Europe conçu pour rouler sur la voie publique et voler dans la catégorie ULM. Cela, pour un coût de l'heure de vol inférieur à 100 euros ! Une start-up alsacienne [VAYLON] est à l'origine de ce projet admirable.
- Le gravimètre GRAVITER, réalisé par une start-up bordelaise [MuQuanS]. C'est un appareil qui permet de mesurer l'accélération de la pesanteur à des niveaux de précision inégalés dans le monde, compte tenu de son encombrement très faible.
- La caméra KAMELEON, capable de voir en couleur la nuit ! Assurément, c'est une faculté nouvelle et décisive pour nos soldats. Une société bien connue de Brive la Gaillarde [PHOTONIS] en est à l'origine.
- Une thèse qui explore des techniques innovantes pour la dépollution de sites industriels et militaires, en utilisant des bactéries mangeuses de fer.
Ces quelques exemples, parmi beaucoup d'autres, illustrent la dimension duale des applications envisagées. Les concepts et technologies dont nous voulons explorer le potentiel intéressent aussi, en général, de nombreuses applications civiles. C'est cette dualité qui explique que les actions du ministère de la Défense soient mises en œuvre en étroite concertation avec d'autres ministères : le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère du Redressement productif, que je salue à nos côtés dans cette démarche forte.
L'innovation est donc au cœur du pacte défense PME. Mais ce Pacte recouvre d'autres aspects, au-delà du cercle de l'innovation. Comme je m'y étais engagé, j'ai ainsi signé six conventions bilatérales avec les principaux grands maîtres d'œuvre industriels, EADS, Thales, Safran, MBDA, Nexter et DCNS, pour une action conjointe en faveur des PME. Deux autres conventions sont en préparation. La mise en œuvre de ces conventions a été immédiate, avec la tenue , d'ores et déjà, d'une vingtaine de rencontres bilatérales (15 au niveau DGA et 5 au niveau SIMMAD) avec ces grandes entreprises et leurs filiales, pour échanger chaque fois sur plusieurs dizaines de PME et ETI critiques et innovantes. Au-delà de la systématisation de ces échanges, qui constituent en soi un changement culturel majeur, l'efficacité de cette démarche est déjà mesurable, avec plusieurs cas difficiles qui ont été résolus grâce au dialogue ainsi instauré.
La DGA, enfin, a lancé l'expérimentation du label dit « DGA testé ». L'objectif est de renforcer l'image commerciale des PME concernées, en attestant que les tests de son produit ont suivi les processus en vigueur à la DGA, sans différenciation. Ce label doit être un atout de plus pour les prospects envisagés, notamment à l'export. C'est en ce sens que nous l'avons conçu.
Pour l'innovation, pour nos PME et ETI en particulier, la mobilisation continue. Cette mobilisation que j'ai impulsée, elle concerne tous les acteurs de la Défense : acteurs ministériels, mais aussi industriels, scientifiques et territoriaux. Ensemble, depuis un an, nous avons mis en œuvre le Pacte Défense PME en lançant d'abord les actions les plus urgentes. Les effets de ces actions, bien évidemment, ne pourront être totalement mesurés que sur le moyen terme. D'ores et déjà, d'autres actions sont en cours d'expérimentation et de déploiement.
Ma stratégie pour les PME et ETI s'inscrit dans la durée. J'appelle donc à poursuivre nos efforts, à le faire tous ensemble, et je voudrais finir en m'adressant à chacun d'entre vous.
Vous, PME, je forme le vœu que vous utilisiez davantage encore les dispositifs que nous avons conçus. Faites-vous connaître sur nos portails ; abonnez-vous à la lettre électronique que nous avons créée à votre intention ; contactez le PRED de votre région ; utilisez le guide pratique Pacte Défense PME, et les didacticiels conçus pour faciliter vos démarches. Aidez-nous à vous aider !
Vous, maîtres d'œuvres industriels de l'armement, je souhaite que vous approfondissiez avec la DGA et les services de soutien des matériels, le dialogue que nous avons amorcé dans le cadre des conventions bilatérales, afin de déboucher sur de nouvelles actions en faveur des PME et des ETI.
Vous, laboratoires, mon souhait est que vous continuiez à nous proposer des projets scientifiques exploratoires, qui correspondent à nos priorités et qui puissent engendrer des ruptures technologiques transférables à nos entreprises. C'est ainsi que nos armées en bénéficieront demain. La DGA a pour mission de dialoguer avec la recherche civile ; elle le fait avec vous de manière privilégiée, notamment à travers le Club des partenaires académiques de la Défense, et les grands organismes de recherche nationaux.
Mais je pense aussi à vous, services de la Défense, qui devez poursuivre les efforts entrepris pour informer les PME en région, simplifier les procédures et réduire les obstacles qui entravent encore l'accès des PME compétitives à nos marchés. Je sais que vous y travaillez activement et je profite de cette occasion pour vous en féliciter une nouvelle fois.
Enfin je me tourne vers vous, étudiants de l'Ecole Polytechnique et de l'ENSTA, représentés par une vingtaine d'élèves dans cet amphithéâtre. Comme je l'ai dit pour commencer, c'est sur vous que nous comptons pour relever demain le défi de l'innovation. Bientôt, vous en serez les moteurs. L'innovation ouverte, celle qui encourage les échanges entre les acteurs, celle qui ne décourage pas la prise de risque, c'est avant tout un état d'esprit que vous acquérez ici et que vous diffuserez demain dans l'ensemble de la société.
J'ai conscience du chemin qu'il nous reste à parcourir tous ensemble. Aujourd'hui, nous vérifions que les fondations que nous avons posées sur les bonnes. Cette stratégie que j'ai rappelée s'inscrit dans la durée. Si toutes les conditions du succès sont réunies, il nous revient de rendre plus agile encore notre organisation, de faire en sorte que l'invention soit dans le fond inséparable de l'application, et toujours de penser « global » et « local » à la fois. C'est ainsi que nous apporterons, ensemble, une contribution décisive à la nouvelle dynamique de croissance pour la France.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 novembre 2013