Texte intégral
JEAN LEYMARIE
Quel est votre souvenir, votre premier souvenir de Nelson MANDELA ?
LAURENT FABIUS
MANDELA, je l'ai rencontré plusieurs fois aussi bien à Paris qu'en Afrique du Sud et c'est un homme qui frappait d'abord par son physique. C'était un mélange de, comment dire, d'humanité et d'autorité et sa voix aussi. Et au fond quand on réfléchit il y a peu de personnage dans l'histoire dont la silhouette incarne une idée. J'y pensais ce matin, GANDHI, c'est la non-violence, EINSTEIN, la science, DE GAULLE, l'indépendance et il y aura MANDELA, la lutte contre le racisme et la réconciliation nationale. Et je dirais qu'il avait un physique moral, c'est-à-dire que quand on le voyait, quand on va le voir avec sa silhouette, avec sa voix, c'est l'incarnation, l'expression d'une idée et ce sont tous ces souvenirs qui me remontent aujourd'hui à l'esprit.
JEAN LEYMARIE
Lorsque vous étiez Premier ministre, l'Apartheid était encore la règle, et la France à l'époque s'est battue contre l'Apartheid.
LAURENT FABIUS
Oui, la France a pris la tête internationale du combat parce que c'était une idée qui nous tenait à coeur comme à François MITTERRAND, à moi-même beaucoup, moi je suis venu à la politique à travers la défense des droits de l'homme et j'étais tout jeune lorsque déjà, je savais que MANDELA était emprisonné et comme Premier ministre j'ai demandé l'autorisation à MITTERRAND de mener le combat pour l'embargo. Nous avons au plan international aux Nations Unies bataillé pour que soit décrété un embargo international, je me rappelle sur le charbon. Il y avait des résistances, aujourd'hui on les a oublié, elles existaient, je me rappelle en particulier une conversation assez rude que j'avais eu avec madame THATCHER qui m'expliquait que, je schématise mais enfin c'était le fond du sujet, l'Apartheid bien sûr c'était condamnable mais ça permettait aux noirs d'éviter de s'entredéchirer parce que sinon tel qu'ils étaient, ils se déchiraient entre eux. Ça parait aujourd'hui absolument invraisemblable, mais c'était ça.
JEAN LEYMARIE
Elle le disait comme ça avec ces mots-là ?
LAURENT FABIUS
Non, non, elle le disait avec plus de nuances mais nous avions donc décidé un embargo, le charbon ne pouvait plus arriver en Afrique du Sud et c'est un des éléments, un des éléments qui ont poussé la bourgeoisie blanche en Afrique du Sud à comprendre qu'elle ne pouvait plus soutenir le régime parce qu'en soutenant ce régime d'Apartheid finalement c'était la destruction de l'économie Sud-africaine.
JEAN LEYMARIE
A quel moment est-ce que la situation a commencé à basculer ?
LAURENT FABIUS
C'est plus tard, c'est plus tard, il y a eu toute une série d'épisodes, combat magnifique bien sûr poursuivi de MANDELA, le combat de l'ANC, la jonction entre MANDELA/DE KLERK qui a eu beaucoup d'épisodes. Mais on a du mal d'ailleurs à se rappeler ce que c'était l'Apartheid, ça voulait dire concrètement qu'on traitait les noirs comme on ne traite pas les animaux. C'était ça. Et donc il faut se rappeler tout ça pour éviter que le racisme, la ségrégation etc puissent faire des dégâts.
JEAN LEYMARIE
Les hommages sont unanimes et on s'y attendait évidemment ce matin
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN LEYMARIE
Faut-il faire le portrait d'un saint ?
LAURENT FABIUS
MANDELA, je crois qu'on en avait parlé d'ailleurs, lors d'une de nos dernières conversations, aurait beaucoup souri si on avait dit « vous êtes un saint. » D'abord parce qu'il mettait toujours en avant sa propre vie en disant « je n'ai pas toujours été ce que je suis », c'était un dur, dur, dur, dur, et puis il avait énormément d'humour. Portrait, oui, partout on va le célébrer, et au Quai d'Orsay j'avais décidé, et donc ça va être mis en application maintenant, de mettre sur la façade du Quai d'Orsay un portrait géant de MANDELA qui sera déployé aujourd'hui, parce que je pense que c'est un personnage qui s'identifie a tellement de valeurs auxquelles on croit, qu'il faut un temps arrêter un peu l'Histoire et puis se souvenir et se projeter.
JEAN LEYMARIE
L'histoire continue, notamment en Afrique ce matin Monsieur le ministre, avec le début de l'opération de l'Armée française dans ce pays, combien y a-t-il de soldats français ce matin en Centrafrique ?
LAURENT FABIUS
Aujourd'hui il y en a un peu plus de 650, et nous allons doubler d'ici la fin de la semaine. Hier, comme vous le savez, diplomatiquement l'ensemble du Conseil de sécurité des Nations Unies, à l'unanimité, a approuvé la résolution française, qui dit il faut que les forces africaines d'abord, ce qu'on appelle la MISCA, appuyées par les forces françaises, puissent rétablir la sécurité là-bas, c'est ce qui va être fait, et puis évidemment il y aura d'autres aspects, l'aspect humanitaire, l'aspect transition démocratique. Donc nous avions pensé qu'à partir du moment où la résolution était adoptée hier, nous avions imaginé que dimanche les troupes étaient déployées, mais vous avez vu les exactions abominables qui ont eu lieu hier matin, et donc le président de la République, avec sagesse, a décidé immédiatement que l'opération devait commencer et donc les renforts sont en train d'arriver, et déjà cette nuit nos troupes ont patrouillé dans Bangui, ce qui a permis d'éviter toute une série d'exactions. Mais il n'y a pas que Bangui, il y a aussi le reste du pays.
JEAN LEYMARIE
C'est ce que j'allais vous dire, le but c'est de se déployer dans tout le pays ?
LAURENT FABIUS
Alors, les répartitions vont être faites entre les différentes forces, il y a les forces africaines, il y a les forces françaises, les forces françaises vont s'occuper en particulier de Bangui et des deux routes, l'une qui monte vers le Nord, vers le Tchad, l'autre qui va vers le Cameroun, et puis il y aura aussi des éléments qui vont se déployer, en liaison avec les Africains, n'oublions pas que c'est d'abord une responsabilité africaine, dans le reste du pays, notamment à Bossangoa où on craint qu'il y ait eu beaucoup d'exactions.
JEAN LEYMARIE
Est-ce que les militaires arriveront à temps partout où les exactions ont lieu ?
LAURENT FABIUS
C'est leur mission. Je rappelle que c'est le président français, au mois de septembre, dans son discours à l'assemblée générale des Nations Unies, qui le premier a appelé l'attention grave sur ce qui se passait en Centrafrique, à l'époque on nous a dit « non, mais encore, vous nous parlez de », et heureusement que ce travail de conviction diplomatique a été fait, puisque maintenant tout le monde reconnait que l'intervention, qui doit être courte, est absolument nécessaire, et d'ailleurs je veux saluer la réaction de la quasi-totalité des responsables politiques français qui comprennent bien cette nécessité.
JEAN LEYMARIE
Une intervention courte, Laurent FABIUS, ça signifie ?
LAURENT FABIUS
Ça signifie que l'objectif est de l'ordre de 6 mois et qu'ensuite le relais doit être pris par une intervention plus large, des Africains, ou des Nations Unies. Monsieur Ban KI-MOON, le secrétaire général des Nations Unies, sera ici d'ailleurs dans quelques heures, et nous aurons l'occasion d'en discuter avec lui, et finalement c'est une coïncidence, personne ne l'avait prévu, qu'il y ait ce sommet de l'Elysée, où se trouve plus de 35 chefs d'Etat et de gouvernement africains, le secrétaire général des Nations Unies, les principaux responsables européens, l'Union Africaine, ça va être une occasion de parler de tout ça, et surtout de tirer les leçons. Il y a un certain nombre de situations de la même sorte qui se sont produites en Afrique, ce n'est pas à la France à chaque fois d'intervenir
JEAN LEYMARIE
Et c'est le cas pourtant Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Parce que malheureusement il n'existe actuellement aucune force africaine en situation d'intervenir, et l'une des propositions qui est faite dans ce sommet de l'Elysée, par les Africains eux-mêmes, c'est de constituer une force d'intervention rapide, des Africains, de quelques milliers d'hommes, bien équipés, qui serait capable d'intervenir dans ces situations-là. La France le fait parce que, au nom de ses principes, parce que la communauté internationale lui demande, mais il serait beaucoup plus logique que ce soit une force africaine qui soit déployable à chaque fois qu'il y a une intervention d'urgence, et c'est vers ça qu'on doit aller.
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'on y va, on doit y aller, mais est-ce qu'on y va ? Ça fait des années maintenant que cette force est promise sur le terrain, que des équipements sont espérés, des hommes formés.
LAURENT FABIUS
Oui, vous avez raison, beaucoup de temps a été perdu, mais je pense que les idées ont quand même beaucoup avancé, et en tout cas la France et sa diplomatie mettra tout son poids pour qu'on aille vers cette solution, qui nous paraît, qui me paraît celle qui doit être mise en place. Un grand continent comme l'Afrique doit pouvoir assurer sa défense face à des situations de crise, dans le cadre du droit international.
JEAN LEYMARIE
Pourquoi est-ce que les Européens, les partenaires de la France ne sont pas présents dans cette intervention ?
LAURENT FABIUS
Ils vont être présents ! Mais surtout sous forme logistique et financière
JEAN LEYMARIE
Oui ! Ils laissent les Français y aller, Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Mais c'est vrai que pour ce qui concerne le terrain, c'est-à-dire l'intervention directe, il y a beaucoup de précaution, ou en tout cas de réserve. Pourquoi ? D'abord parce qu'il n'existe pas d'Europe de la Défense, on le regrette mais c'est un fait ; ensuite, parce qu'il y a des pays je pense à l'Allemagne en particulier qui ont quasiment comme règle de ne pas intervenir militairement par des hommes ; et puis parce que, oui je dois le concéder, on trouve finalement que l'efficacité française c'est assez commode. Alors on donne de l'argent c'est déjà très bien, on appuie la logistique c'est déjà très bien, mais ce que je crois qu'on devrait souhaiter et là c'est beaucoup plus difficile - cest d'avoir, puisque l'Europe est un continent qui doit s'affirmer, d'avoir là aussi une Europe de la Défense, une force européenne. Elle existe sur le papier mais il faut bien reconnaître que nos collègues, en tout cas beaucoup d'entre eux, sont réticents.
JEAN LEYMARIE
Il y a eu le Mali, il y a toujours d'ailleurs le Mali
LAURENT FABIUS
Oui !
JEAN-LEYMARIE
Maintenant la Centrafrique, est-ce que la France a les moyens financiers d'intervenir durablement dans ces pays ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Nous avons les moyens, à la fois en hommes les militaires font un excellent travail et en finance, et je rappelle que, quelles que soient les évolutions du budget de la Défense, le budget de la défense
JEAN LEYMARIE
Il y a des suppressions de postes nombreuses
LAURENT FABIUS
Est préservé et l'armée française reste la première d'Europe. Mais ce qui est vrai aussi c'est que nous ne pouvons pas multiplier à l'infini ces opérations, ce qui est vrai aussi c'est que
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'on est au bord de la limite d'intervention française
LAURENT FABIUS
Non ! Non, non, non.
JEAN LEYMARIE
Aujourd'hui ?
LAURENT FABIUS
Non ! Nous avons encore des capacités importantes. Mais le cadre du Mali nous allons respecter ce que nous avons dit, c'est-à-dire que nous sommes montés à un palier important et nous sommes en descendre et, à terme, ce sera mille hommes qui seront dans cette zone, ça ne sera pas trois mille ou cinq mille.
JEAN LEYMARIE
Je voudrais qu'on revienne à la situation particulière en Centrafrique
LAURENT FABIUS
Je vous en prie !
JEAN LEYMARIE
Monsieur le ministre, il y a quelques jours vous avez expliqué que le pays était au bord du génocide
LAURENT FABIUS
Le terme
JEAN LEYMARIE
A-t-il basculé dans le génocide ?
LAURENT FABIUS
Le terme était très discutable et je ne le reprendrai pas, parce que génocide si vous voulez c'est quelque chose de bien particulier, pais ce qui est vrai c'est qu'on a une grenade dégoupillée. Ce que j'ai voulu dire, oublions le terme, c'est la chose suivante : sur quatre millions et demi cinq millions d'habitants, vous avez un million et demi de personnes qui sont en situation de quasi-famine, vous avez en tout et pour tout et je me suis rendu sur place et je vais le refaire sur cinq millions dhabitants sept chirurgiens, vous avez des situations abominables et vous avez ce qui est ce que j'avais à l'esprit, un début dopposition religieuse, qui n'est pas du tout dans la tradition centrafricaine, mais vous avez des oppositions entre tel groupe chrétien, tel groupe musulman, etc., et, là, on a tous les éléments d'un drame et d'une poudrière. Et c'est ça qu'il faut éviter ! A la fois pour les Centrafricains et parce que, quand vous regardez une carte de géographie, la Centrafrique c'est au milieu de toute une série de pays : vous avez le Tchad, vous avez les deux Soudan, vous avez le Congo, vous avez le Cameroun, pas loin vous avez le Gabon, et donc on ne peut pas admettre en tant que communauté internationale qu'il y ait une zone d'implosion aussi fragile, parce que cette implosion risque d'avoir des conséquences désastreuses sur l'ensemble des pays voisins et c'est la raison pour laquelle la communauté internationale ça n'arrive pas souvent les quinze membres du Conseil de sécurité ont dit à l'unanimité : il faut que les Africains interviennent, les Français doivent les aider, il faut qu'on aille vers un secours humanitaire, vers une opération sécuritaire, une transition démocratique aussi.
JEAN LEYMARIE
Elle sera difficile cette transition démocratique, je rappelle Laurent FABIUS que le Président centrafricain Michel DJOTODIA est arrivé au pouvoir en provoquant un coup d'état, est-ce qu'aujourd'hui la France le soutient ou est ce qu'elle le combat ?
LAURENT FABIUS
Pas seulement lui ! Il y a eu, depuis 1960, cinq coups d'état. Alors .
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'il y a un état d'ailleurs aujourd'hui en Centrafrique ?
LAURENT FABIUS
Pas vraiment ! Et c'est des gros problèmes et c'est toujours dans les zones de non état qu'évidemment ont lieu des exactions de ce type. Donc il y a une autorité, qui est une autorité j'allais dire de fait, bon qui est le Président ; il y a le Premier ministre monsieur TIANGAYE, qui dailleurs se trouve à Paris, ils reçoivent un certain nombre d'éléments, de directives de la part des pays de la communauté de Centrafrique autour ; il y a la légalité internationale, mais il est clair - et c'est rappelé encore dans la résolution des Nations unies qu'il faut aller vers des élections qui devraient au maximum avoir lieu en février 2015. Il n'y a pas de sécurité possible sans développement, pas de développement possible de sécurité, tout ça n'est possible que si on rétablit un ordre démocratique.
JEAN LEYMARIE
Je vous pose la question autrement, est-ce que le Président DJOTODIA peut rester au pouvoir dans ces conditions ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez ! Il est venu dans des conditions effectivement discutables puisqu'il était lui-même l'ex-chef de la SELECA et puis ensuite il a dissout la SELECA qui n'est pas vrai dissoute, donc c'est d'une complexité extraordinaire, mais je pense que si, aujourd'hui aux difficultés et c'est un mot mineur qui existent en Centrafrique on surajoutait le fait que le Président ne serait plus là, on n'a pas besoin de difficultés supplémentaires.
JEAN LEYMARIE
Merci Laurent FABIUS
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup à vous.
JEAN LEYMARIE
Et je rappelle donc, pour le symbole et pour l'image, ce portrait géant de MANDELA dans quelques heures sur la façade du Ministère des Affaires étrangères.
LAURENT FABIUS
Du Quai d'Orsay.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 décembre 2013
Quel est votre souvenir, votre premier souvenir de Nelson MANDELA ?
LAURENT FABIUS
MANDELA, je l'ai rencontré plusieurs fois aussi bien à Paris qu'en Afrique du Sud et c'est un homme qui frappait d'abord par son physique. C'était un mélange de, comment dire, d'humanité et d'autorité et sa voix aussi. Et au fond quand on réfléchit il y a peu de personnage dans l'histoire dont la silhouette incarne une idée. J'y pensais ce matin, GANDHI, c'est la non-violence, EINSTEIN, la science, DE GAULLE, l'indépendance et il y aura MANDELA, la lutte contre le racisme et la réconciliation nationale. Et je dirais qu'il avait un physique moral, c'est-à-dire que quand on le voyait, quand on va le voir avec sa silhouette, avec sa voix, c'est l'incarnation, l'expression d'une idée et ce sont tous ces souvenirs qui me remontent aujourd'hui à l'esprit.
JEAN LEYMARIE
Lorsque vous étiez Premier ministre, l'Apartheid était encore la règle, et la France à l'époque s'est battue contre l'Apartheid.
LAURENT FABIUS
Oui, la France a pris la tête internationale du combat parce que c'était une idée qui nous tenait à coeur comme à François MITTERRAND, à moi-même beaucoup, moi je suis venu à la politique à travers la défense des droits de l'homme et j'étais tout jeune lorsque déjà, je savais que MANDELA était emprisonné et comme Premier ministre j'ai demandé l'autorisation à MITTERRAND de mener le combat pour l'embargo. Nous avons au plan international aux Nations Unies bataillé pour que soit décrété un embargo international, je me rappelle sur le charbon. Il y avait des résistances, aujourd'hui on les a oublié, elles existaient, je me rappelle en particulier une conversation assez rude que j'avais eu avec madame THATCHER qui m'expliquait que, je schématise mais enfin c'était le fond du sujet, l'Apartheid bien sûr c'était condamnable mais ça permettait aux noirs d'éviter de s'entredéchirer parce que sinon tel qu'ils étaient, ils se déchiraient entre eux. Ça parait aujourd'hui absolument invraisemblable, mais c'était ça.
JEAN LEYMARIE
Elle le disait comme ça avec ces mots-là ?
LAURENT FABIUS
Non, non, elle le disait avec plus de nuances mais nous avions donc décidé un embargo, le charbon ne pouvait plus arriver en Afrique du Sud et c'est un des éléments, un des éléments qui ont poussé la bourgeoisie blanche en Afrique du Sud à comprendre qu'elle ne pouvait plus soutenir le régime parce qu'en soutenant ce régime d'Apartheid finalement c'était la destruction de l'économie Sud-africaine.
JEAN LEYMARIE
A quel moment est-ce que la situation a commencé à basculer ?
LAURENT FABIUS
C'est plus tard, c'est plus tard, il y a eu toute une série d'épisodes, combat magnifique bien sûr poursuivi de MANDELA, le combat de l'ANC, la jonction entre MANDELA/DE KLERK qui a eu beaucoup d'épisodes. Mais on a du mal d'ailleurs à se rappeler ce que c'était l'Apartheid, ça voulait dire concrètement qu'on traitait les noirs comme on ne traite pas les animaux. C'était ça. Et donc il faut se rappeler tout ça pour éviter que le racisme, la ségrégation etc puissent faire des dégâts.
JEAN LEYMARIE
Les hommages sont unanimes et on s'y attendait évidemment ce matin
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN LEYMARIE
Faut-il faire le portrait d'un saint ?
LAURENT FABIUS
MANDELA, je crois qu'on en avait parlé d'ailleurs, lors d'une de nos dernières conversations, aurait beaucoup souri si on avait dit « vous êtes un saint. » D'abord parce qu'il mettait toujours en avant sa propre vie en disant « je n'ai pas toujours été ce que je suis », c'était un dur, dur, dur, dur, et puis il avait énormément d'humour. Portrait, oui, partout on va le célébrer, et au Quai d'Orsay j'avais décidé, et donc ça va être mis en application maintenant, de mettre sur la façade du Quai d'Orsay un portrait géant de MANDELA qui sera déployé aujourd'hui, parce que je pense que c'est un personnage qui s'identifie a tellement de valeurs auxquelles on croit, qu'il faut un temps arrêter un peu l'Histoire et puis se souvenir et se projeter.
JEAN LEYMARIE
L'histoire continue, notamment en Afrique ce matin Monsieur le ministre, avec le début de l'opération de l'Armée française dans ce pays, combien y a-t-il de soldats français ce matin en Centrafrique ?
LAURENT FABIUS
Aujourd'hui il y en a un peu plus de 650, et nous allons doubler d'ici la fin de la semaine. Hier, comme vous le savez, diplomatiquement l'ensemble du Conseil de sécurité des Nations Unies, à l'unanimité, a approuvé la résolution française, qui dit il faut que les forces africaines d'abord, ce qu'on appelle la MISCA, appuyées par les forces françaises, puissent rétablir la sécurité là-bas, c'est ce qui va être fait, et puis évidemment il y aura d'autres aspects, l'aspect humanitaire, l'aspect transition démocratique. Donc nous avions pensé qu'à partir du moment où la résolution était adoptée hier, nous avions imaginé que dimanche les troupes étaient déployées, mais vous avez vu les exactions abominables qui ont eu lieu hier matin, et donc le président de la République, avec sagesse, a décidé immédiatement que l'opération devait commencer et donc les renforts sont en train d'arriver, et déjà cette nuit nos troupes ont patrouillé dans Bangui, ce qui a permis d'éviter toute une série d'exactions. Mais il n'y a pas que Bangui, il y a aussi le reste du pays.
JEAN LEYMARIE
C'est ce que j'allais vous dire, le but c'est de se déployer dans tout le pays ?
LAURENT FABIUS
Alors, les répartitions vont être faites entre les différentes forces, il y a les forces africaines, il y a les forces françaises, les forces françaises vont s'occuper en particulier de Bangui et des deux routes, l'une qui monte vers le Nord, vers le Tchad, l'autre qui va vers le Cameroun, et puis il y aura aussi des éléments qui vont se déployer, en liaison avec les Africains, n'oublions pas que c'est d'abord une responsabilité africaine, dans le reste du pays, notamment à Bossangoa où on craint qu'il y ait eu beaucoup d'exactions.
JEAN LEYMARIE
Est-ce que les militaires arriveront à temps partout où les exactions ont lieu ?
LAURENT FABIUS
C'est leur mission. Je rappelle que c'est le président français, au mois de septembre, dans son discours à l'assemblée générale des Nations Unies, qui le premier a appelé l'attention grave sur ce qui se passait en Centrafrique, à l'époque on nous a dit « non, mais encore, vous nous parlez de », et heureusement que ce travail de conviction diplomatique a été fait, puisque maintenant tout le monde reconnait que l'intervention, qui doit être courte, est absolument nécessaire, et d'ailleurs je veux saluer la réaction de la quasi-totalité des responsables politiques français qui comprennent bien cette nécessité.
JEAN LEYMARIE
Une intervention courte, Laurent FABIUS, ça signifie ?
LAURENT FABIUS
Ça signifie que l'objectif est de l'ordre de 6 mois et qu'ensuite le relais doit être pris par une intervention plus large, des Africains, ou des Nations Unies. Monsieur Ban KI-MOON, le secrétaire général des Nations Unies, sera ici d'ailleurs dans quelques heures, et nous aurons l'occasion d'en discuter avec lui, et finalement c'est une coïncidence, personne ne l'avait prévu, qu'il y ait ce sommet de l'Elysée, où se trouve plus de 35 chefs d'Etat et de gouvernement africains, le secrétaire général des Nations Unies, les principaux responsables européens, l'Union Africaine, ça va être une occasion de parler de tout ça, et surtout de tirer les leçons. Il y a un certain nombre de situations de la même sorte qui se sont produites en Afrique, ce n'est pas à la France à chaque fois d'intervenir
JEAN LEYMARIE
Et c'est le cas pourtant Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Parce que malheureusement il n'existe actuellement aucune force africaine en situation d'intervenir, et l'une des propositions qui est faite dans ce sommet de l'Elysée, par les Africains eux-mêmes, c'est de constituer une force d'intervention rapide, des Africains, de quelques milliers d'hommes, bien équipés, qui serait capable d'intervenir dans ces situations-là. La France le fait parce que, au nom de ses principes, parce que la communauté internationale lui demande, mais il serait beaucoup plus logique que ce soit une force africaine qui soit déployable à chaque fois qu'il y a une intervention d'urgence, et c'est vers ça qu'on doit aller.
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'on y va, on doit y aller, mais est-ce qu'on y va ? Ça fait des années maintenant que cette force est promise sur le terrain, que des équipements sont espérés, des hommes formés.
LAURENT FABIUS
Oui, vous avez raison, beaucoup de temps a été perdu, mais je pense que les idées ont quand même beaucoup avancé, et en tout cas la France et sa diplomatie mettra tout son poids pour qu'on aille vers cette solution, qui nous paraît, qui me paraît celle qui doit être mise en place. Un grand continent comme l'Afrique doit pouvoir assurer sa défense face à des situations de crise, dans le cadre du droit international.
JEAN LEYMARIE
Pourquoi est-ce que les Européens, les partenaires de la France ne sont pas présents dans cette intervention ?
LAURENT FABIUS
Ils vont être présents ! Mais surtout sous forme logistique et financière
JEAN LEYMARIE
Oui ! Ils laissent les Français y aller, Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Mais c'est vrai que pour ce qui concerne le terrain, c'est-à-dire l'intervention directe, il y a beaucoup de précaution, ou en tout cas de réserve. Pourquoi ? D'abord parce qu'il n'existe pas d'Europe de la Défense, on le regrette mais c'est un fait ; ensuite, parce qu'il y a des pays je pense à l'Allemagne en particulier qui ont quasiment comme règle de ne pas intervenir militairement par des hommes ; et puis parce que, oui je dois le concéder, on trouve finalement que l'efficacité française c'est assez commode. Alors on donne de l'argent c'est déjà très bien, on appuie la logistique c'est déjà très bien, mais ce que je crois qu'on devrait souhaiter et là c'est beaucoup plus difficile - cest d'avoir, puisque l'Europe est un continent qui doit s'affirmer, d'avoir là aussi une Europe de la Défense, une force européenne. Elle existe sur le papier mais il faut bien reconnaître que nos collègues, en tout cas beaucoup d'entre eux, sont réticents.
JEAN LEYMARIE
Il y a eu le Mali, il y a toujours d'ailleurs le Mali
LAURENT FABIUS
Oui !
JEAN-LEYMARIE
Maintenant la Centrafrique, est-ce que la France a les moyens financiers d'intervenir durablement dans ces pays ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Nous avons les moyens, à la fois en hommes les militaires font un excellent travail et en finance, et je rappelle que, quelles que soient les évolutions du budget de la Défense, le budget de la défense
JEAN LEYMARIE
Il y a des suppressions de postes nombreuses
LAURENT FABIUS
Est préservé et l'armée française reste la première d'Europe. Mais ce qui est vrai aussi c'est que nous ne pouvons pas multiplier à l'infini ces opérations, ce qui est vrai aussi c'est que
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'on est au bord de la limite d'intervention française
LAURENT FABIUS
Non ! Non, non, non.
JEAN LEYMARIE
Aujourd'hui ?
LAURENT FABIUS
Non ! Nous avons encore des capacités importantes. Mais le cadre du Mali nous allons respecter ce que nous avons dit, c'est-à-dire que nous sommes montés à un palier important et nous sommes en descendre et, à terme, ce sera mille hommes qui seront dans cette zone, ça ne sera pas trois mille ou cinq mille.
JEAN LEYMARIE
Je voudrais qu'on revienne à la situation particulière en Centrafrique
LAURENT FABIUS
Je vous en prie !
JEAN LEYMARIE
Monsieur le ministre, il y a quelques jours vous avez expliqué que le pays était au bord du génocide
LAURENT FABIUS
Le terme
JEAN LEYMARIE
A-t-il basculé dans le génocide ?
LAURENT FABIUS
Le terme était très discutable et je ne le reprendrai pas, parce que génocide si vous voulez c'est quelque chose de bien particulier, pais ce qui est vrai c'est qu'on a une grenade dégoupillée. Ce que j'ai voulu dire, oublions le terme, c'est la chose suivante : sur quatre millions et demi cinq millions d'habitants, vous avez un million et demi de personnes qui sont en situation de quasi-famine, vous avez en tout et pour tout et je me suis rendu sur place et je vais le refaire sur cinq millions dhabitants sept chirurgiens, vous avez des situations abominables et vous avez ce qui est ce que j'avais à l'esprit, un début dopposition religieuse, qui n'est pas du tout dans la tradition centrafricaine, mais vous avez des oppositions entre tel groupe chrétien, tel groupe musulman, etc., et, là, on a tous les éléments d'un drame et d'une poudrière. Et c'est ça qu'il faut éviter ! A la fois pour les Centrafricains et parce que, quand vous regardez une carte de géographie, la Centrafrique c'est au milieu de toute une série de pays : vous avez le Tchad, vous avez les deux Soudan, vous avez le Congo, vous avez le Cameroun, pas loin vous avez le Gabon, et donc on ne peut pas admettre en tant que communauté internationale qu'il y ait une zone d'implosion aussi fragile, parce que cette implosion risque d'avoir des conséquences désastreuses sur l'ensemble des pays voisins et c'est la raison pour laquelle la communauté internationale ça n'arrive pas souvent les quinze membres du Conseil de sécurité ont dit à l'unanimité : il faut que les Africains interviennent, les Français doivent les aider, il faut qu'on aille vers un secours humanitaire, vers une opération sécuritaire, une transition démocratique aussi.
JEAN LEYMARIE
Elle sera difficile cette transition démocratique, je rappelle Laurent FABIUS que le Président centrafricain Michel DJOTODIA est arrivé au pouvoir en provoquant un coup d'état, est-ce qu'aujourd'hui la France le soutient ou est ce qu'elle le combat ?
LAURENT FABIUS
Pas seulement lui ! Il y a eu, depuis 1960, cinq coups d'état. Alors .
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'il y a un état d'ailleurs aujourd'hui en Centrafrique ?
LAURENT FABIUS
Pas vraiment ! Et c'est des gros problèmes et c'est toujours dans les zones de non état qu'évidemment ont lieu des exactions de ce type. Donc il y a une autorité, qui est une autorité j'allais dire de fait, bon qui est le Président ; il y a le Premier ministre monsieur TIANGAYE, qui dailleurs se trouve à Paris, ils reçoivent un certain nombre d'éléments, de directives de la part des pays de la communauté de Centrafrique autour ; il y a la légalité internationale, mais il est clair - et c'est rappelé encore dans la résolution des Nations unies qu'il faut aller vers des élections qui devraient au maximum avoir lieu en février 2015. Il n'y a pas de sécurité possible sans développement, pas de développement possible de sécurité, tout ça n'est possible que si on rétablit un ordre démocratique.
JEAN LEYMARIE
Je vous pose la question autrement, est-ce que le Président DJOTODIA peut rester au pouvoir dans ces conditions ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez ! Il est venu dans des conditions effectivement discutables puisqu'il était lui-même l'ex-chef de la SELECA et puis ensuite il a dissout la SELECA qui n'est pas vrai dissoute, donc c'est d'une complexité extraordinaire, mais je pense que si, aujourd'hui aux difficultés et c'est un mot mineur qui existent en Centrafrique on surajoutait le fait que le Président ne serait plus là, on n'a pas besoin de difficultés supplémentaires.
JEAN LEYMARIE
Merci Laurent FABIUS
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup à vous.
JEAN LEYMARIE
Et je rappelle donc, pour le symbole et pour l'image, ce portrait géant de MANDELA dans quelques heures sur la façade du Ministère des Affaires étrangères.
LAURENT FABIUS
Du Quai d'Orsay.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 décembre 2013