Déclaration de Mme Hélène Conway-Mouret, ministre des français de l'étranger, sur l'enseignement du français à l'étranger, à l'Assemblée nationale le 8 janvier 2014.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, le 8 janvier 2014

Texte intégral

Introduction :
Je souhaiterais introduire mon propos par quelques données chiffrées qui vous permettront d'appréhender rapidement la réalité de notre enseignement français à l'étranger :
- À la rentrée de septembre 2013, 320 000 élèves, dont plus de 200 000 élèves étrangers, dans 130 pays sont accueillis dans 488 établissements qui sont pilotés ou accompagnés par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères.
- Je souhaiterais également souligner qu'outre l'AEFE, opérateur public, des associations partenaires telles que la Mission laïque française interviennent dans le champ de l'enseignement français à l'étranger.
- Si près de 320 000 élèves fréquentent nos établissements français à l'étranger, l'équivalent d'une académie moyenne, il ne s'agit pas de la 31ème académie, comme nous le verrons.
- Ce réseau est unique au monde, le plus important : à titre de comparaison, l'Allemagne ne scolarise que 80 000 élèves dans des écoles allemandes à l'étranger, l'Espagne 40 000 et l'Italie 30 000. Les écoles anglaises et américaines ne constituent pas un réseau comparable.
- Ce réseau d'établissements, bien que très majoritairement de nature privée, donc payantes, constitue une projection hors de nos frontières de notre système éducatif puisque ces établissements sont tous soumis à une procédure d'homologation qui atteste leur conformité aux programmes, aux objectifs pédagogiques et aux règles applicables en France aux établissements de l'enseignement public français.
- Bien sûr, pour prendre en compte le contexte local (langue, culture), des modalités particulières de mise en oeuvre des programmes (notamment les programmes d'Histoire-géographie sous le contrôle des corps d'inspection) et objectifs pédagogiques, comme le multilinguisme, sont possibles, ainsi que des aménagements du calendrier et des rythmes scolaires (par exemple, la rentrée scolaire a lieu en mars dans les pays de l'hémisphère Sud), dans le respect du volume annuel d'heures d'enseignement.
- Ces établissements sont très différents des Établissements Publics Locaux d'Enseignement (les collèges et les lycées de France) ou des écoles communales, puisqu'ils sont des structures majoritairement privées, gérées par des comités de gestion.
- Il convient de noter que l'État n'a pas, à l'étranger, d'obligation de scolarisation envers ses ressortissants. Un amendement parlementaire, a d'ailleurs modifié l'article L452-2 du code de l'éducation lors du débat sur la loi de programmation et d'orientation sur la refondation de l'école pour préciser que les missions de l'AEFE sont conditionnées par les capacités d'accueil des établissements.
Il est également important de signaler que notre politique éducative extérieure dépasse largement le cadre des établissements français à l'étranger.
Je pense en particulier à l'enseignement de la langue française au travers d'enseignements disciplinaires, souvent basés sur des pédagogies caractéristiques de notre manière d'enseigner, qui privilégient, par exemple, le raisonnement à l'accumulation de savoirs. L'enseignement bilingue francophone dans les systèmes éducatifs étrangers relève de cette catégorie. Il touche 2 millions d'élèves, majoritairement en Europe.
1. Ce réseau scolaire extérieur fait face à de grands défis :
* Un défi quantitatif: il doit répondre, dans un contexte budgétaire contraint, à une demande croissante. Cette demande émane :
- de nos compatriotes expatriés, dont le nombre augmente de 4% en moyenne chaque année, 2% en 2013 et dont le profil socio-économique se diversifie.
- Elle émane aussi des publics étrangers, car les classes moyennes qui apparaissent dans le monde émergent accroissent mécaniquement la demande pour une éducation internationale, en particulier pour l'enseignement français en raison des valeurs dont il est porteur et de la langue qui lui est associée, la seule avec l'anglais à être parlée sur les cinq continents.
* Mais le défi est aussi qualitatif : nous devons consolider la qualité de notre offre éducative. Car les familles sont de plus en plus exigeantes, tant en ce qui concerne les contenus et les méthodes d'enseignement qu'en matière d'organisation de la vie scolaire et d'infrastructures. Par ailleurs, d'autres acteurs se positionnent sur le secteur de l'éducation internationale, qui devient de plus en
plus concurrentiel.
2. Pour répondre à ces défis, nous avons élaboré un plan d'actions :
2.1. Méthode suivie :
- Au printemps 2013, une large concertation réunissant plus de 90 partenaires de notre réseau, d'horizons les plus divers a été organisée (acteurs de la société civile, syndicats, entreprises, représentants des parents, représentants des différents ministères etc…).
- Un comité de pilotage (composé de 5 personnalités : 1 parlementaire, un diplomate, un représentant de cercles d'entreprises, un représentant du MEN, un vice-président du CESE) a formulé des propositions qui ont servi de matrice à un plan d'actions que j'ai présenté au conseil des ministres le 28 aout dernier.
2.2. Les axes du plan d'actions :
i. Un pilotage politique renforcé :
- Parce ce que nous le reconnaissons comme une composante majeure de notre action extérieure, l'enseignement français à l'étranger relève d'un pilotage de niveau politique.
- Une concertation interministérielle régulière sur l'enseignement français à l'étranger sera instituée sous la présidence du ministre des Affaires étrangères.
- Ce dernier réunira, chaque année, les ministres en charge de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, du Budget, du Commerce extérieur, de la Francophonie et des Français de l'étranger, avec l'objectif de définir, dans le cadre d'une politique globale de l'enseignement français à l'étranger, les orientations stratégiques du réseau. Ce mécanisme de concertation interministérielle permettra d'assurer une gestion dynamique de notre offre éducative à l'étranger. Les services du ministère des Affaires étrangères et ceux de l'Education nationale prépareront les réunions interministérielles et assureront le suivi de leurs décisions.
- Afin de décliner dans chaque pays ce pilotage politique renforcé, les ambassades concernées seront invitées à présenter une stratégie locale de développement de notre offre éducative, basée sur l'analyse de la demande, un examen de la concurrence et une évaluation des moyens mobilisables.
ii. Consolider l'excellence pédagogique
- La consolidation de l'excellence pédagogique du réseau d'enseignement français à l'étranger passe, d'une manière générale, par une implication plus importante du ministère de l'Éducation nationale.
- Notre réseau scolaire doit d'abord son succès à la qualité de l'enseignement qu'il délivre (plus de 95% de réussite au BAC et 20% de mention Très Bien). Nous devons consolider cette qualité si nous voulons renforcer la position de notre pays dans un secteur de l'éducation internationale de plus en plus compétitif.
- Notre réseau doit ainsi pleinement tirer parti de la loi de refondation de l'Ecole, qui renforce l'enseignement précoce des langues étrangères, introduit un nouvel enseignement moral et civique afin d'approfondir les valeurs de la République, place le numérique au coeur des apprentissages (ce qui sera une priorité du prochain Plan d'Orientation stratégique de l'opérateur), développe la formation artistique et culturelle.
- Notre réseau à l'étranger continuera à développer la dimension internationale de son enseignement par une politique ambitieuse et systématique d'apprentissage renforcé des langues. Le développement de l'enseignement bilingue, en particulier à travers les « sections internationales », constituera une priorité, sans que soit négligé l'impératif de la maîtrise du français. L'ouverture de sections « langue et culture du pays d'accueil » sera expérimentée même quand celles-ci n'existent pas en France, selon des modalités définies avec le ministère de l'éducation nationale. Le plurilinguisme doit être l'une des « signatures » du réseau.
- L'AEFE pourra également examiner la possibilité, dans certains pays, d'ouvrir des classes technologiques dans des spécialités (Sciences et Technologies du Management et de la gestion /STMG et Sciences et technologies de l'industrie et du développement durable /STIDD par exemple- ne nécessitant pas d'infrastructures particulières, sachant que ce type d'initiatives doit être mené sans coût supplémentaire pour l'État.
- Un dialogue pédagogique entre la Direction générale de l'enseignement scolaire, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et la Mission laïque française, associant le MAE sera institué dès cette année. Il se matérialisera notamment par la mise en place d'un contrat pluriannuel d'objectifs éducatifs et pédagogiques. Les inspecteurs détachés à l'AEFE verront leur lettre de mission co-signée par l'agence et par l'Inspection générale du MEN.
Les corps d'inspection du MEN renforceront leur participation à l'évaluation des personnels et des établissements, à l'animation pédagogique du dispositif, à la formation des personnels, comme au suivi et au contrôle de l'homologation. Les partenariats entre les académies et les pays d'implantation des écoles françaises seront rationalisés et réorganisés.
- Ce dialogue plus étroit doit également permettre au ministère de l'Education nationale en France de bénéficier des innovations réalisées par notre réseau scolaire extérieur, qui constitue dans beaucoup de domaines un véritable laboratoire, en particulier en matière d'enseignement des langues et de la dématérialisation de la correction des copies du bac.
iii. Elargir l'accès aux offres éducatives complémentaires de l'enseignement homologué
- Il n'apparaît pas envisageable de répondre avec le seul enseignement homologué à l'ensemble de la demande d'éducation en français qui nous est adressée. Une partie de cette demande doit être orientée vers d'autres offres éducatives.
- Elle peut l'être vers les filières bilingues francophones implantées dans des établissements locaux, qu'il faut continuer à soutenir et mettre en réseau au moyen du label FrancEducation, mais aussi vers les cours du CNED et, pour les enfants qui recherchent des activités extra-scolaires, vers le programme FLAM (Français Langue Maternelle). Il importe d'articuler notre offre d'enseignement homologué avec l'ensemble de ces propositions éducatives, dans le cadre d'une politique d'ensemble cohérente et ambitieuse.
- Le développement du label FrancEducation, qui permet d'identifier et de mettre en réseau les établissements étrangers proposant des classes bilingues francophones de haut niveau, constitue une priorité. L'objectif est de former avec ces établissements FrancEducation un nouveau réseau mondial, qui s'ajoute à celui des lycées français. Les freins actuels à l'essor de ce réseau seront levés. Ainsi, le label sera étendu très rapidement aux pays francophones dont la langue d'enseignement n'est pas le français. Son attribution sera gratuite pour les établissements publics qui ne font pas payer de frais de scolarité. Pour les établissements privés, les tarifs aujourd'hui appliqués à l'ensemble des établissements seront revus à la hausse.
- Les conditions d'obtention du label seront assouplies, principalement par l'abaissement à 20% (contre 30% aujourd'hui) du volume d'enseignement en français. La labellisation de filières technologiques ou professionnelles sera encouragée. Enfin, l'Institut français, qui apporte un soutien important au développement de ce réseau, est dorénavant associé à la commission de labellisation (depuis décembre 2013).
- Dans le même esprit, nous encourageons le développement à l'étranger de l'offre du CNED. En particulier, il est désormais possible, pour les élèves qui ne souhaitent pas s'inscrire au CNED pour suivre la totalité de l'enseignement français, de bénéficier tout de même de l'enseignement à distance, en choisissant trois matières. Cette nouvelle offre du Centre a fait l'objet d'une promotion.
Cet enseignement français complémentaire sera particulièrement utile à nos jeunes compatriotes scolarisés dans des systèmes éducatifs étrangers qui ne peuvent pas suivre l'ensemble du programme français mais veulent conserver un lien fort avec notre système d'enseignement, qu'ils pourraient être amenés à rejoindre ultérieurement.
- Le dispositif FLAM (Français Langue Maternelle) sera renforcé. Il apporte un soutien aux initiatives extra-scolaires visant à conserver la pratique de notre langue chez les enfants français scolarisés à l'étranger dans une autre langue que la nôtre, sera renforcé.
Conclusion :
Notre réseau scolaire extérieur est un outil précieux de notre diplomatie, un atout pour notre pays dans la mondialisation, notamment :
- Il est un appui à l'implantation à l'étranger de nos entreprises en assurant une continuité dans la scolarisation des enfants des collaborateurs expatriés. Il est à ce titre un soutien à notre diplomatie économique.
- En assurant la scolarisation des enfants de nos concitoyens vivant à l'étranger dont le nombre croît, en particulier les double-nationaux, dans l'objectif du maintien d'un lien fort avec la communauté nationale par la diffusion de notre langue et de notre culture. Il s'agit également de faciliter leur mobilité et leur retour éventuel en France.
- Notre réseau est un soutien à la diversité linguistique et culturelle. En effet, le réseau des établissements liés à l'AEFE scolarise un grand nombre d'élèves étrangers, environ 200 000. À cet égard, il contribue très concrètement à renforcer le pluralisme des langues et des cultures dans le monde.
- Il est enfin un instrument essentiel de notre diplomatie d'influence puisque ces élèves étrangers, scolarisés dans notre langue conformément aux valeurs que porte notre éducation, sont incités ainsi à poursuivre leurs études supérieures en France (la moitié des élèves de terminales poursuivent leurs études en France) et deviennent souvent des décideurs dans leurs pays. Ils constituent alors des partenaires naturels pour la France et des relais de son influence. Formation de prescripteurs qui seront des décideurs.
L'objectif n'est pas de former des citoyens globaux mais de construire leur identité plurielle, développer la capacité à se comporter en citoyen responsable, dans leur pays comme ailleurs.
Source http://www.helene-conway.com, le 10 janvier 2014