Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à des questions sur les nouveaux traitements du SIDA proposés par le laboratoire Abott et sur le progrès technique et l'emploi, à l'Assemblée nationale le 20 mars 1996.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 20 mars 1996

Texte intégral

* M. Renaud Muselier. Ma question, qui s'adresse à M. le Premier ministre, concerne les nouveaux traitements du sida.
Au mois de février dernier, les spécialistes du sida venus du monde entier se sont réunis à Washington en un congrès à l'occasion duquel le public a appris l'existence d'un nouveau traitement associant une antiprotéase à d'autres antiviraux qui réduisent de façon spectaculaire, tout au moins à court terme, le taux de mortalité des malades atteints du sida. Bien entendu, cette annonce a fait naître un immense espoir chez les malades, dans leurs familles et parmi les médecins qui les accompagnent au quotidien dans leur lutte contre la maladie.
Quelques semaines plus tard, malheureusement, des difficultés techniques dans la production des nouveaux traitements ont été révélées, si bien que l'espoir s'est peu à peu transformé en crainte de voir une discrimination s'établir entre les malades par la mise en place d'une sorte de loterie.
La semaine dernière, le Gouvernement nous avait assuré avec force son refus catégorique de laisser se mettre en oeuvre cette loterie et il nous a indiqué que les mesures nécessaires au traitement de tous les malades seront prises.
Or la presse a révélé, ces derniers jours, que les rumeurs de pénurie étaient infondées et que toutes les demandes de traitements pourraient être honorées. Nous ne pouvons que nous réjouir d'une telle information, qui n'est sans doute pas sans lien avec la fermeté dont a fait preuve le Gouvernement. Néanmoins, ces révélations ont à nouveau jeté un doute dans les esprits.
Alors, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous lever définitivement les incertitudes et les ambiguïtés et rassurer les malades, leurs familles, les associations et le corps médical quant à la garantie d'accès de tous les malades à la trithérapie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur Muzelier, les engagements que j'avais pris devant les députés, ou que M. Gaymard avait pris en mon nom, sont tenus. Les résultats très prometteurs d'études réalisées à partir d'une association de trois antiviraux dont une antiprotéase de nouvelle génération suscitaient un grand espoir chez les malades du sida. Dès leur publication, au mois de janvier dernier à Washington, le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour que cet espoir thérapeutique puisse bénéficier à tous les malades français répondant aux critères médicaux retenus pour ces essais.
M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) avec une énergie, une persévérance et une efficacité auxquelles je tiens à rendre hommage a immédiatement pris tous les contacts nécessaires pour obtenir des réponses précises qui, je l'espère, vous rassureront aujourd'hui plus que les informations que vous lisez ici ou là.
Ainsi je suis en mesure de vous confirmer, au nom du Gouvernement ? comme celui-ci s'y était engagé ?, que nous disposons dès aujourd'hui de quantités de traitements suffisantes pour satisfaire les prescriptions émanant des centres d'informations et de soins de l'immunodéficience humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
A l'issue des entretiens que M. Gaymard a menés avec les laboratoires concernés, ceux-ci se sont engagés à fournir sans délai à notre pays plusieurs milliers de traitements. C'est un succès que nous devons à l'action du secrétaire d'Etat, je tiens à le souligner une fois encore. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Ces traitements seront fournis dans le respect de la réglementation sur l'efficacité et la sécurité des produits, et donc délivrés par l'Agence du médicament selon une procédure accélérée dite d'autorisation temporaire d'utilisation.
Aucun obstacle budgétaire ne saurait entraver la mise à disposition de ces avancées thérapeutiques, et toutes les dispositions ont été prises en ce sens. Le rapport du groupe de travail antiviraux, réuni autour du professeur Dormont, devrait préciser vers la fin du mois les procédures à retenir pour la mise en oeuvre de ces traitements. Pour conclure, je nous invite, collectivement, à garder une certaine prudence devant des études qui restent encore limitées quantitativement, car nous ne disposons pas d'un recul suffisant.
Cela dit, comme chacun et chacune ici, je forme des voeux pour que les résultats qui se dessinent soient confirmés et que nous disposions enfin d'un traitement efficace et durable qui rende l'espoir à ceux qui l'avaient perdu. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
* M. Denis Merville. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, l'emploi est aujourd'hui notre préoccupation essentielle. En dépit de l'action courageuse et déterminée engagée par votre gouvernement, les chiffres du chômage continuent, hélas ! de susciter l'angoisse de nos concitoyens, angoisse de ceux qui sont atteints de plein fouet par la crise, angoisse des jeunes qui s'inquiètent pour leur avenir.
Député d'un département qui connaît un fort taux de chômage, je constate chaque jour combien il est urgent de trouver des solutions. Les causes majeures du chômage sont multiples, et je n'y insiste pas. Sauf sur l'une d'entre elles qui me semble sous-estimée : je veux parler des effets de certains progrès techniques et d'une automatisation parfois excessive.
Dans de nombreux secteurs, en effet, le remplacement de l'homme par des machines entraîne la disparition d'emplois, mais aussi un moindre service aux usagers, voire des problèmes de sécurité. C'est ainsi que le développement du télépéage et autres cartes fast sur les autoroutes ou les ponts constitue une menace pour l'emploi. C'est ainsi que l'automatisation dans le métro et la suppression des surveillants ont engendré une fraude estimé à 800 millions de francs, ainsi que des problèmes d'insécurité. C'est ainsi que bien des immeubles souffrent d'un manque de concierge, tant pour améliorer la qualité du service des occupants que pour constituer une présence humaine bienvenue.
Ces quelques exemples montrent que des solutions simples et de bons sens, dans des secteurs non concurrentiels, peuvent parfois contribuer au maintien, voire à la création d'emplois. A un moment où nous devons tous unir nos efforts et faire preuve d'imagination pour remédier à l'inquiétude première de nos concitoyens, il me semble qu'une réflexion devrait être menée pour réintroduire des emplois et améliorer les services des usagers dans ces secteurs.
Ma question est donc simple : comptez-vous prendre des dispositions en ce sens et, si oui, lesquelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le député, le débat sur le lien entre le progrès technique et l'emploi est un vieux débat, que l'on pourrait faire remonter au début du XIXe siècle et aux canuts de Lyon.
Nous ne devons pas avoir peur de l'innovation et de la technologie, qui sont un des grands atouts de la France. Tout à l'heure, l'un de vos collègues évoquait les résultats du commerce extérieur français. Sur les marchés d'Asie du Sud-Est, qu'on appelle économies émergentes, nos exportations ont crû de plus de 20 p. 100 en 1995. Lorsque nous sommes compétitifs et performants, nous conquérons des parts de marché, et c'est cela qui fait la force de la France !
Reste qu'il existe, vous avez raison, des secteurs peu exposés ou pas exposés du tout à la concurrence internationale, et où la manie de l'automatisation systématique doit être freinée, limitée, équilibrée. En matière de péage autoroutier, par exemple, l'essentiel de la perception doit effectivement rester sur un mode manuel, et il n'y a aucune raison de généraliser les modalités automatiques. Actuellement, 70 p. 100 de la perception se fait sur un mode manuel, et le pourcentage de recettes perçues par télépéage n'est pas supérieur à 2 p. 100.
Je suis tout à fait prêt à réfléchir avec vous à ce problème...
M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas des miettes que nous voulons, c'est du pain !
M. le Premier ministre. ...et l'une des modalités dont nous pourrions convenir ensemble serait, par exemple, la désignation d'un parlementaire en mission (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui puisse éclairer le Gouvernement sur les mesures à prendre et les choix à effectuer.
Votre question me donne l'occasion de revenir sur la cohérence d'ensemble de notre politique pour l'emploi ? qui est l'objectif prioritaire que s'est fixé le Gouvernement.
M. Jacques Brunhes. Avec quel résultat !
M. le Premier ministre. Nous nous sommes également fixés un calendrier ? car il faudrait être bien présomptueux pour espérer changer la face des choses en dix mois. Comme je l'avais indiqué à l'Assemblée, c'est à la fin de 1996 ou au début de 1997 que l'on pourra commencer à juger sur pièces.
Qu'avons-nous fait tout au long de ces dix mois ? Tout d'abord, nous avons mené une politique de diminution des charges dans des proportions qui n'avaient jamais été atteintes avant nous. Le contrat initiative-emploi est un succès, la ristourne sur les bas salaires sera, j'en suis sûr, un succès, et nous venons d'étendre cette politique aux secteurs les plus fragiles, notamment le textile, mais, comme je l'avais annoncé, dans le cadre d'un véritable « donnant-donnant » qui implique des engagements de part et d'autre. Sur ce point, je ne varierai pas.
Ensuite, nous avons créé un environnement économique général qui a permis une baisse des taux d'intérêt comme la France n'en avait pas connu depuis des décennies. Aujourd'hui, le taux des appels d'offre de la Banque de France est inférieur à 4 p. 100 ? 3,80 p. 100. C'est un formidable ballon d'oxygène pour l'économie française. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe du l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
En outre, nous avons mis en place un plan de soutien aux petites et moyennes entreprises. Il a été très bien accueilli par l'ensemble du secteur et il va entrer en vigueur après le vote définitif du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier que votre assemblée a adopté en première lecture il y a quelques jours.
Il y a, de plus, le développement des emplois de proximité...
M. Didier Boulaud. Blablabla !
M. le Premier ministre. ...100 000 emplois, par exemple, au titre de la politique de la ville.
A la fin de l'année dernière, nous avons ouvert de nouveaux chantiers, liés à un calendrier précis, avec les partenaires sociaux : temps de travail, insertion des jeunes. Les rendez-vous fixés seront tenus.
Enfin, nous nous sommes engagés dans une réforme progressive du système éducatif dont l'un des premiers aspects a été la réforme de l'apprentissage, une réforme qui marche, puisque, en janvier dernier, le nombre des apprentis a été augmenté de plus de 8 p. 100 par rapport aux mois comparables de l'année précédente.
Au total, cette politique commence à donner des résultats. La fatalité du chômage n'existe pas. En 1995, les effectifs salariés dans les entreprises françaises ont augmenté de plus de 140 000 unités.
M. Didier Boulaud. Tout va bien !
M. le Premier ministre. Il faut donc continuer dans cette voie. C'est ce que fera le Gouvernement avec le soutien de sa majorité.
Mme Martine David. C'est de l'autosatisfaction !
M. le Premier ministre. J'ai confiance car, le moment venu ? le moment que nous avons nous-mêmes fixé et désigné ? les résultats attendus seront au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. Nous passons aux questions du groupe socialiste.Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 10 juillet 2014