Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la place du RPR dans la majorité et dans le cadre de la politique gouvernementale et les valeurs du gaullisme, Chessy (Seine-et-Marne) le 15 octobre 1995.

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Circonstance : Assises nationales du RPR à Chessy (Seine-et-Marne) le 15 octobre 1995 : élection d'Alain Juppé à la présidence du RPR

Texte intégral

Assises nationales du Rassemblement Pour la République
Chessy – 15 octobre 1995
Compagnons,
Du fond du coeur, merci !
- merci de vous être rassemblés si nombreux autour de moi,
- merci de l'accueil chaleureux que vous m'avez fait depuis de matin,
- merci du soutien qu'en ces jours difficiles, vous n'avez cessé de m'apporter,
- merci de la confiance que vous venez de me témoigner en m'élisant à la présidence du Mouvement.
- Dans l'épreuve, on a besoin des siens.
- Je viens de traverser une épreuve qui me marquera pour longtemps. Une épreuve qui m'a beaucoup appris sur moi-même et sur les autres. J'avais besoin de vous, parce que vous êtes -en politique- ma famille. Merci d'avoir répondu : « Présent »
Nos Assises de 1995, vous le sentez bien, ne sont pas des Assises ordinaires.
Elles nous font entrer dans une nouvelle époque, dans un nouvel âge.
I - Nouvelle époque, nouvel âge pour le R.P.R.
- Pendant près de 20 ans, le R.P.R. s'est identifié à un homme, Jacques CHIRAC.
- Moi-même, je suis né à l'engagement politique en rencontrant Jacques CHIRAC et en le servant. C'était le temps de la fondation du Rassemblement : souvenez-vous, Porte de Versailles, le 5 Décembre 1976.
- Que de combats depuis lors, que de crises, que de victoires et d'échecs alternés ! Nous avons vécu tout cela ensemble. Je n'en referai pas le récit détaillé devant vous.
- Les moments les plus récents sont évidemment les plus présents dans nos mémoires et dans nos coeurs.
Oui, nous avons souffert de la compétition entre les deux candidats issus de nos rangs au premier tour de l'élection présidentielle.
Mais quelle joie, quelle joie pour tous, le 7 mai dernier quand nous avons vu se dessiner sur nos écrans le visage du nouveau Président de la République : c'était le visage de Jacques CHIRAC !
Nous étions nombreux à nous dire, au fond de nous-mêmes : « mission accomplie ! après tant d'années, un gaulliste revient à l'Elysée ».
- Et maintenant ?
Nouvelle époque, nouvel âge.
Moins que jamais, nous ne devons déposer le fardeau ou relâcher l'effort.
Il nous faut écrire une nouvelle page
- D'abord, pour que les fondations soient solides, la réconciliation, l'unité, le rassemblement.
Comme je le disais, il y a huit jours, en Avignon, devant nos parlementaires, effaçons les vieilles étiquettes, chiraquiens, balladuriens, pasquaïens, séguinistes, juppéistes... Que sais-je encore ! un seul titre : tous gaullistes. Je salue, rassemblés avec nous, en ce jour symbolique, Philippe SEGUIN, Edouard BALLADUR, Charles PASQUA.
Je salue ceux qui, par la pensée sont en communion avec nous, au premier rang desquels Jacques CHABAN-DELMAS.
Oh ! certes, il ne s'agit pas d'ignorer les différences ou de brider les personnalités. Notre diversité, aussi, fait notre force.
Mais elle doit s'exprimer dans la sérénité et l'amitié.
C'est la mission première du Président du Mouvement que de veiller à l'harmonie et au bon compagnonnage entre tous.
Je prendrai, dès notre prochain Conseil National, les initiatives qui s'imposent pour que chacun se sente chez lui dans la maison commune et soit représenté dans nos instances, à commencer par notre Bureau politique.
Je demanderai à Jean-François MANCEL, que je confirmerai dans ses fonctions de Secrétaire Général, de s'entourer d'une équipe qui reflète le mieux possible notre volonté d'unité dans la diversité.
Je veux être le Président du Rassemblement de tous les gaullistes
Un Mouvement rassemblé, mais aussi un Mouvement populaire.
La vie politique française, la démocratie en France ont besoin d'un mouvement gaulliste organisé et fort.
Il ne s'agit pas, pour nous, de dominer les autres.
Nous respectons toutes les opinions dès lors qu'elles s'inscrivent dans le cadre républicain et démocratique.
Nous sommes sincèrement attachés à l'union de la majorité. Je salue les responsables de l'U.D.F. qui nous font l'amitié d'être parmi nous aujourd'hui. Je leur redis, comme à BIARRITZ, que nous sommes décidés à renforcer l'union qui nous a conduits aux victoires de 1993 et de 1995. Nous devons d'ores et déjà préparer ensemble, dans le même esprit, les échéances qui nous attendent.
Le R.P.R. sera un allié loyal.
Je veux en même temps un R.P:R. capable d'apporter à la majorité la force de son organisation et surtout l'originalité de son militantisme.
Le Mouvement gaulliste n'est jamais aussi fort que lorsqu'il cultive ses racines populaires.
Cela dépend de nous tous. Cela dépend particulièrement de vous, militantes et militants, mes Compagnons.
Ne vous laissez pas enfermer dans le donjon d'une vie politique coupée des réalités. Les Français attendent de leurs hommes politiques qu'ils soient aujourd'hui plus que jamais proches d'eux, attentifs aux difficultés de leur vie quotidienne ; disponibles pour le dialogue et l'échange. On ne gouverne plus, on ne gouvernera plus dans la solitude d'un pouvoir parisien désincarné. On ne convaincra plus par exhortations oratoires ou envolées lyriques.
Il faut aller au contact, donner son temps et sa peine, comme vous savez si bien le faire quand vous vous mobilisez sur le terrain.
Oui, le vrai terrain c'est le militantisme.
Veillez à ce qu'à tous les niveaux, de la commune, ou du canton jusqu'à la région, nos instances et nos rangs soient ouverts à tous, sans préjugé d'aucune sorte : nous ne sommes pas le parti d'une catégorie professionnelle ou d'une classe sociale. Soyons, plus que jamais, le R.P.R. pour tous.
II - Nouvelle époque, nouvel âge pour le gaullisme aussi
- De Gaulle, le De Gaulle de 1958, a construit la République, la nouvelle République, la République dotée des institutions sans lesquelles le mauvais génie de notre peuple ramène le régime des partis.
- Georges Pompidou a assigné à la France l'impératif industriel qui en a fait une puissance économique européenne et mondiale, capable de relever les défis de la concurrence et de l'innovation.
- Avec Jacques Chirac, c'est un nouveau dessein, une nouvelle ambition qui apparaissent, comme on l'a vu tout au long de sa campagne électorale : préparer la société française au XXIème siècle en lui insufflant tout à la fois l'esprit de fraternité et l'esprit de conquête.
- Le mouvement gaulliste, le gaullisme doivent être, dans les années qui viennent, porteurs de cette ambition qui s'alimente aux sources mêmes de notre pensée, de notre vision de la France et du monde.
- En trente ans, la société française a profondément changé. Ses responsables politiques ne l'ont pas toujours compris.
Les quinquagénaires - dont je suis - sentent pourtant plus de différence entre leur génération et celle de leurs enfants qu'ils n'en ont eux-mêmes avec leurs parents.
Bien des références traditionnelles se sont affaiblies ou ont disparu. Les structures familiales ont beaucoup évolué. Le magistère des églises n'est plus ce qu'il était. Il y a plus de liberté individuelle. Les gens sont mieux formés. Ils n'ont plus la même attitude vis-à-vis du pouvoir, de tous les pouvoirs.
Je dis cela sans nostalgie. Je constate une réalité. Oui, tout a changé souvent en bien, pas toujours en bien.
Et ce changement - c'est normal - fait un peu peur. Il laisse sans repères, sans boussole. Il n'est pas exagéré de dire que la société française semble parfois déboussolée.
Elle est désunie par des injustices qui peuvent aller jusqu'à l'exclusion.
Elle est travaillée par des peurs qui nourrissent l'attentisme et le manque de confiance en soi.
Elle se réfugie parfois dans l'égoïsme, les corporatismes, les conservatismes ... ou le poujadisme.
Jacques CHIRAC l'a senti et compris lorsqu'il a parlé de l'affaiblissement du lien social et qu'il a invité les Français à refonder le pacte républicain.
Nous devons maintenant aider Jacques CHIRAC dans sa tâche. Nous devons préparer avec lui la société nouvelle du nouveau siècle. Et pour cela, nous devons engager la bataille contre le doute et le renoncement. Les gaullistes ont cela dans le sang : quand la Nation hésite et flanche, ils font face, ils reprennent le drapeau, ils affirment leurs convictions.
La France a besoin, aujourd'hui, qu'on lui communique des convictions.
Eh bien ! nous gaullistes, nous affirmons nos convictions et nos fidélités.
Nous Gaullistes, nous croyons à la primauté de l'intérêt général sur les intérêts particuliers. Et pour nous, c'est l'État qui incarne l'intérêt général. C'est pourquoi nous voulons un État qui assume pleinement ses fonctions d'autorité, qui fasse donc respecter la loi et la sécurité républicaines. Nous voulons un État qui garantisse la pérennité de nos services publics, des services publics comme on les a construits en France - ce qui ne veut pas dire des services publics sclérosés dans le conservatisme ; nous aspirons tous à des services publics modernes, capables de s'ouvrir à la concurrence là où elle est utile mais fidèles aux principes d'égalité, de continuité, et de qualité auxquels les Français tiennent. L'État, à nos yeux, c'est aussi l'artisan de la solidarité et de l'équité entre les Français, quelle que soit leur condition, quel que soit leur territoire. Nous savons que toutes les périodes d'abaissement de l'État ont été marquées par l'injustice et le désordre. Et le désordre est plus dur aux faibles qu'aux forts.
Nous Gaullistes, nous croyons en la Nation Française. Nous n'hésitons pas à nous proclamer patriotes. Nous aimons notre patrie, le lien librement consenti qui la constitue, l'identité qui la définit à travers les siècles. C'est pourquoi nous sommes attachés aux nouvelles règles qui régissent l'acquisition de la nationalité française. C'est pourquoi nous demandons qu'avant d'ouvrir nos frontières, toutes précautions soient prises pour lutter contre les mouvements clandestins de population ou les trafics les plus destructeurs de la cohésion de notre société. Nous savons que « qui veut faire l'ange fait la bête » et que le laxisme favorise l'intolérance et fait le lit de l'extrémisme.
Nous Gaullistes, nous croyons en la France, en sa capacité à s'affirmer comme une grande puissance, à assurer la sécurité de son peuple et la défense de ses intérêts vitaux fût-ce au prix d'une impopularité passagère - à mener une politique étrangère originale et courageuse comme Jacques CHIRAC le montre depuis 5 mois, notamment en Bosnie, mais aussi à respecter ses engagements européens, à se préparer au rendez-vous de la fin du siècle où elle prendra rang, aux côtés de l'Allemagne, dans le peloton de tête de l'Union Européenne.
Nous Gaullistes, nous croyons à l'esprit de conquête qui anime tous ceux qui entreprennent, innovent, créent, cherchent, parient sur l'intelligence et l'initiative pour relever le défi que nous lancent les économies émergentes.
La Nation a besoin de ces jeunes entrepreneurs imaginatifs et dynamiques comme j'en ai rencontré vendredi dernier au Futuroscope de Poitiers où je lançais le Tour de France de l'Innovation.
Quand on les entend, on perd tout complexe. On mesure combien la France est intelligente. Combien ses entreprises méritent l'excellence.
Nous Gaullistes, nous croyons aussi à l'esprit de fraternité qui soude le pacte républicain, qui inspire notre combat contre l'exclusion, qui appelle les plus favorisés à aider ceux qui ne le sont pas, qui apaise les tensions et réconcilie ceux que leurs intérêts ou leurs situations opposent.
Oui, la Société du nouveau siècle doit être une société apaisée, réconciliée, plus fraternelle.
La France qui entreprend et qui réussit ne continuera pas à réussir sans, ni contre la France qui peine et qui galère.
C'est une illusion de croire qu'une Nation peut avancer en laissant sur le bord de la route ceux qu'on accuse de freiner sa marche. C'est tous ensemble que nous réussirons.
C'est pourquoi j'ai fait de l'emploi l'objectif numéro 1 de l'action de mon gouvernement.
C'est pourquoi le moment est venu de créer un véritable devoir national d'insertion qui mobilise tous les employeurs de France - entreprises, collectivités, associations ... - pour qu'ils donnent une chance à ceux que la privation de travail exclut de la société. Partage et fraternité sont aussi des principes de base du gaullisme.
Voilà nos convictions. Voilà nos fidélités. Voilà les repères que nous pouvons offrir à la société nouvelle du siècle qui vient.
Le moment est venu de les communiquer et de les transmettre.
Le moment est venu de propager la confiance, l'optimisme, la volonté de réussir.
Le moment est venu de montrer que nous croyons en nous-mêmes et que nous croyons en la France.
Conclusion
- Depuis 21 ans, à n'y a plus eu de gaulliste à l'Elysée.
- Pendant 14 ans, la France a connu deux présidences socialistes.
- Le 7 mai dernier, une nouvelle époque a commencé.
- Certains ont pu s'imaginer que tout allait devenir soudainement facile, que la baguette magique de la victoire électorale allait tout transformer.
- Eh bien ! non ce n'est pas facile.
- Ce n'est pas facile parce que la vie n'est jamais facile, que les problèmes se sont accumulés, qu'objectivement la tâche est rude et le serait pour tout le monde.
- Ce n'est pas facile non plus parce que nous avons délibérément choisi de nous attaquer tout de suite aux vraies questions. Nous aurions pu attendre ... comme d'habitude. Attendre par exemple les élections de 1998 en nous disant qu'après, nous aurions 5 ans devant nous. Nous aurions pu éponger une fois encore les déficits de la Sécurité Sociale en augmentant une fois encore la dette de la Nation. Après tout, qui paie les dettes, sinon les générations qui suivent …
Nous avons refusé d'emprunter cette voie là, qui est celle de la facilité et de la démagogie.
Nous avons tout de suite pris les mesures les plus difficiles et les plus impopulaires.
Nous l'avons fait avec une attention de tous les instants envers les plus modestes et les plus faibles :
- le contrat-initiative emploi, c'est pour les chômeurs exclus depuis longtemps du monde du travail que nous l'avons fait, et ça marche !
- la prestation-autonomie, c'est pour nos aînés qui ont besoin d'aide pour accomplir les gestes simples de la vie quotidienne que nous l'avons préparée, et ça va marcher !
- la hausse des salaires, c'est aux travailleurs les moins payés, ceux qu'on désigne du nom dur de smicards, que nous l'avons d'abord réservée et dans des proportions qu'on n'avait jamais vu depuis longtemps !
- les recettes fiscales supplémentaires, nous avons veillé à les prélever équitablement, en majorant par deux fois l'impôt de solidarité sur la fortune, en relevant temporairement l'impôt sur les sociétés, en ne touchant pas au taux réduit de T.V.A. qui concerne les produits de première nécessité.
Oui, nous avons eu et nous aurons le souci constant de réduire la fracture sociale en répartissant équitablement les efforts demandés à la Nation.
J'ai entendu les réactions des Français. Je n'ignore pas leurs inquiétudes. Je comprends certaines de leurs critiques. Nous en tiendrons compte, bien sûr.
Mais, m'adressant maintenant à tous nos compatriotes, je veux les appeler à la prise de conscience qui s'impose.
Je crois de toutes mes forces que nous avons pris le bon chemin.
Il ne faut pas lâcher !
C'est l'avenir de notre pays et de nos enfants qui est en cause.
En tant que Premier Ministre je ferai ce qu'en conscience je crois devoir faire.
Comme Président du Rassemblement Pour la République, j'adresse à tous les Français un message de responsabilité, de confiance et d'espoir.
Notre pays doit sortir maintenant de l'incertitude et de l'hésitation.
Il a les moyens d'un nouveau départ, d'une nouvelle cohésion, d'une nouvelle fierté.
Le moment est venu, pour la France, de reprendre l'initiative.
Et pour cela, il nous faut cultiver davantage cette vertu dont parle si bien un poète que je cite souvent, Charles PEGUY, la vertu d'espérance.
« Tout ce que l'on fait - dit Péguy - on le fait pour les enfants.
Et ce sont les enfants qui font tout faire comme s'ils nous prenaient par la main.
Ainsi, tout ce que l'on fait, on le fait pour la petite espérance. ».
Oui, mes Amis, mes Compagnons, voilà ce qui nous manque peut-être encore : la conviction que les efforts d'aujourd'hui paieront demain ; que le travail d'aujourd'hui sera la récolte de nos enfants demain ; que nous construisons ensemble aujourd'hui la France plus juste, plus paisible, plus belle du XXIème siècle.
Ce qui nous manque encore, ce que nous puisons dans notre Rassemblement de ce jour et qu'il nous faut apporter tout autour de nous désormais, c'est bien la vertu d'espérance :
« Cette petite fille de rien du tout - dit le poète elle seule portant les autres, qui traversera les mondes révolus ».
VIVE LE RASSEMBLEMENT
VIVE LA REPUBLIQUEVIVE LA FRANCE.