Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la recherche sur les mutations et l'identité culturelle du Pacifique et sur la multi-appartenance des cultures, Paris le 4 octobre 2001.

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Circonstance : Présentation du premier numéro de la "Nouvelle revue du Pacifique" à Paris le 4 octobre 2001

Texte intégral


Monsieur le Premier ministre,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames, Messieurs,
Etre présent à vos côtés, avec Michel ROCARD ici au Musée du Louvre, pour la présentation du premier numéro de la Nouvelle Revue du Pacifique dédié aux actes du colloque de Nouméa de 1999, c'est pour moi une joie sincère. Je remercie MM. Pierre Garrigue-Guyonnaud, Stéphane Martin et Maurice Godelier de leur invitation.
C'est aussi l'occasion de passer quelques instants dans ces salles admirables. Je me réjouis d'abord qu'un nouvel instrument au service de la recherche ait vu le jour, avec cette revue qu'elle soit bilingue, qu'elle associe des chercheurs de différentes nationalités. Je me réjouis surtout qu'elle ait pour objet l'étude des sociétés océaniennes. Nous avons besoin d'une vision renouvelée de ces sociétés, qui soit attentive à la complexité de ces ensembles, de leurs cultures, de leurs identités. J'en ai besoin, pour ma part, pour nourrir la politique que conduit le gouvernement, avec les outre-mers et le Pacifique.
Cette complexité, a souvent été niée au profit de simplifications abusives. Celles-ci justifiaient une politique d'assimilation souvent forcée, qui niait la pluralité constitutive de notre communauté nationale.
Simplifications dues à l'ignorance ou, comme l'explique Marshall Sahlins dans cette revue, au désintérêt pour des cultures qu'on a cru longtemps destinées à disparaître. Les sciences sociales aujourd'hui apportent à ces raccourcis un cinglant démenti, dont cette revue est la preuve. L'heure n'est certes pas à la nostalgie, mais à l'analyse : les identités culturelles océaniennes n'ont été avalées ni par notre civilisation occidentale dans sa phase colonisatrice, ni par les lois de marché du capitalisme mondial. C'est sur ces questions que je voudrais, rapidement, insister.
1) Le Pacifique, assurément, est en mutation. Largement préservé du monde extérieur depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale, il connaît à présent les évolutions qui affectent la planète entière. Une influence culturelle occidentale de plus en plus dominante, une intégration grandissante à l'économie mondiale, tels en sont les principaux aspects. Cette mutation entraîne nécessairement des transformations sociales, dans les murs comme dans les pratiques. Les nier serait manquer de perspectives ; mais les exagérer et penser qu'elles sont autant de menaces définitives pour ces sociétés océaniennes, c'est ne pas comprendre qu'une culture se construit dans un perpétuel mouvement d'appropriation, que c'est là, en grande partie, qu'est sa capacité créatrice. Elle fait sienne ce qui lui est d'abord étranger. La langue ne cesse d'intégrer des termes et des idiomes d'autres langues, les pratiques se transforment sans rompre avec ce qu'elles sont, ni avec les significations symboliques dont elles sont pleines.
C'est ne pas voir également les ressources propres de ces populations, en particulier celles qui composent le Pacifique français. Nous restons prisonniers de schémas de pensée qui altèrent notre capacité à observer : les régions outre-mer ne sont pas des périphéries dont l'hexagone serait le centre dont elles dépendraient. Comme le dit Marshall Sahlins, les peuples ne sont pas périphériques, " ils sont là où ils sont ". Je crois pouvoir affirmer que de telles considérations ont guidé la politique que mena Michel Rocard, en qualité de Premier ministre il y a quelques années, en ouvrant la possibilité aux Calédoniens de prendre en main leur avenir. Elles guident également la politique que nous nous efforçons de mener dans le Pacifique, notamment en développant la coopération régionale entre les Territoires d'outre-mer et les Etats voisins.
2) Le Pacifique, ainsi, a une identité qui lui est propre, faîte d'échanges incessants et de réappropriations permanentes. Ce premier numéro de la Nouvelle Revue du Pacifique insiste à travers ses nombreuses contributions sur cet aspect qui pour moi est essentiel. Le discours politique en effet se crispe souvent sur les questions identitaires, faute d'une connaissance approfondie de leurs ressorts et de leur portée.
Ainsi, trop longtemps on a pensé que l'appartenance à la République française excluait toute place accordée aux revendications identitaires pourtant légitimes. Trop longtemps on a pensé que notre construction politique excluait la diversité, sans voir qu'on se condamnait alors à couper une partie des citoyens de leurs institutions. On s'est effrayé à l'excès des aspirations à davantage de reconnaissance, comme on s'effraie aujourd'hui d'une mondialisation perçue, à tort, comme une homogénéisation des cultures, où chaque peuple perdrait inéluctablement son âme, son histoire, ses racines.
Ces deux craintes, il faut les renvoyer dos à dos, au nom de la pluri-appartenance que nous enseignent nos outre-mers. Les appartenances sont multiples sans être exclusives : se sentir calédonien ou polynésien, ou antillais, guyanais, réunionnais, n'empêche pas que l'on puisse se sentir appartenir à la République. L'erreur est de croire que seule une culture commune peut rassembler des individus au sein d'une communauté politique. L'erreur est de croire que l'unité sociale passe par une intégration culturelle poussée. Je souhaite que nous puissions rompre définitivement avec cette erreur. L'outre-mer nous y invite, pour toutes les régions de France.
De même, il nous invite à considérer autrement la globalisation de l'économie, qui mettrait en péril nos identités. Qu'est-ce qu'une identité ? Certainement pas une origine fixe, une essence immuable, à laquelle nous serions définitivement assignés et qu'il faudrait fermer pour la protéger. J'aime la phrase de Jean-Marie Tjibaou : " notre identité, elle est devant nous ". Les outre-mers, ceux du Pacifique comme ceux de l'Atlantique et de l'océan Indien, ont des identités ouvertes, traversées par des influences et des appartenances multiples. Les pratiques évoluent parce que les cultures ne cessent de puiser les unes dans les autres, et que c'est dans cet échange qu'elles construisent leur identité. La mondialisation, l'autre mondialisation n'est pas la fin de toute tradition, c'est au contraire leur réinvention permanente.
Voilà, entre autres, ce que nous enseigne les travaux contenus dans ce premier, numéro de la Nouvelle Revue du Pacifique. Je ne doute pas que d'autres numéros suivront, tout aussi passionnants, tout aussi riches que celui-ci, tout aussi nécessaires à notre réflexion qui, plus que jamais peut-être, doit être sensible à la complexité des choses et fuir les simplifications abusives.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 12 octobre 2001)