Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec LCI et Radio classique le 29 janvier 2015, sur la Grèce et l'Union européenne.

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Média : La Chaîne Info - Radio Classique

Texte intégral


Q - Quand le nouveau Premier ministre grec vient-il en France - François Hollande l'a invité ? Avez-vous une date ?
R - Oui. François Hollande a appelé Alexis Tsipras, ils se sont entretenus lundi. François Hollande l'a félicité et l'a invité à venir à Paris dès que possible, dès qu'il aura constitué son gouvernement. Son gouvernement a été constitué, je pense donc qu'il sera là assez vite, dans les prochains jours. Le ministre des finances grec vient à Paris lundi et il y aura une première rencontre de travail avec Michel Sapin. Moi-même, je me rendrai en Grèce très rapidement.
Q - Vous avez vu que ce matin dans les journaux - il s'agit notamment de M. Juncker -, les propos sont fermes, c'est-à-dire qu'il n'est pas question de renégocier la dette en l'état, pas question d'annuler quoi que ce soit et j'ai même souligné cette phrase qui est importante - il faut peser ses mots... - : «il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens». Donc cela veut dire qu'il n'y a rien à négocier ?
R - Non, je ne pense pas. Je pense qu'il faut partir de deux principes et qu'il faut bien entendre ce que dit Jean-Claude Juncker, qui est dans son rôle de président de la Commission. D'un côté, il y a eu des élections ; les Grecs ont fait un choix, ce choix c'est celui d'un changement politique, c'est celui du refus des politiques d'austérité qui ont été très dures, mais c'est aussi le choix de rester dans l'Europe et même dans l'euro. Alexis Tsipras a fait évoluer son discours au fur et à mesure de la campagne et je pense qu'en l'élisant les Grecs ont fait un choix souverain, libre, de changement.
À partir du moment où il y a le choix de rester dans l'Europe, de rester dans l'euro et, en même temps, le choix d'avoir une politique différente - peut-être plus de justice sociale, moins de brutalité, aussi parce que l'austérité n'a pas fonctionné pour le redémarrage économique -, il doit y avoir une discussion qui part de deux principes. Le premier principe, c'est la solidarité et l'écoute, la prise en compte d'un choix légitime des citoyens grecs ; la Grèce est un partenaire de l'Union européenne qui est fondée sur la démocratie et on entend les choix qui sont fait par chacun des peuples. Et puis, en même temps, il y a un principe de responsabilité de part et d'autre, notamment de la part des nouvelles autorités grecques qui ont eu besoin de l'aide européenne. Des prêts ont été faits, notamment par la France, par l'Allemagne, par la Slovénie, par l'Espagne, par tous les pays, les grands, les petits, ceux qui ont des difficultés et ceux qui n'en ont pas. Il y a une dette qui doit être remboursée, mais on peut discuter des conditions de ce remboursement, par exemple les délais...
Q - D'accord. Mais vous savez très bien que l'étalement cela va être l'effacement ?
R - Non, ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas parce que vous avez un peu plus de temps pour rembourser que vous n'avez pas à rembourser.
Q - D'accord, mais si on arrête de payer pendant un certain temps, pour respirer, et puis qu'on étale sur je ne sais pas combien de temps, cela veut dire que, d'une certaine manière, on va renoncer ?
R - Oui, bien sûr, cela doit être concret. Tout le monde doit avoir le même objectif, que finalement l'économie de la Grèce puisse redémarrer. Aujourd'hui, la Grèce a une dette de l'ordre de 175 % de son PIB ; c'est absolument insoutenable de continuer avec une dette de cette ampleur. C'est pour cela d'ailleurs qu'il a fallu des aides internationales.
Q - Pardonnez-moi, je vais être un peu violent, mais c'est quand même un peu de leur faute ?
R - Des réformes n'avaient pas été faites.
Q - Mais c'est un peu stupéfiant. Les Allemands viennent de leur dire : «pour l'instant, vous discutez avec les Européens, pas avec nous». C'est en gros la position qui est celle de M. Schäuble et d'Angela Merkel qui ne veut pas de tête-à-tête avec les Grecs mais qui veut que ces discussions se fassent au niveau européen - sujet que vous connaissez bien. Nous, on les invite dès la semaine prochaine, vous venez de le dire vous-même. Donc, on donne l'impression que finalement on est en train de se désolidariser des Européens...
R - Non. Le rôle de la France, c'est de faire en sorte qu'un dialogue constructif, responsable, puisse se nouer entre la Grèce et l'ensemble des partenaires européens. Nous-mêmes, avec les autres partenaires européens, nous avons une préoccupation, c'est qu'effectivement la Grèce soit en situation le plus vite possible de rembourser les emprunts qu'elle a contractés auprès de l'Europe.
Q - Vous voulez dire que François Hollande va recevoir M. Tsipras pour lui expliquer qu'il ne faut pas justement exiger de l'Europe les choses que l'Europe ne lui accordera pas ou est-ce qu'il le reçoit pour des raisons de politique intérieure, faire plaisir à la gauche de la gauche en France ?
R - L'Europe est là pour aider. Le président de la République reçoit M. Tsipras parce que c'est un Premier ministre qui vient d'être élu, que c'est un partenaire. Il va maintenant faire partie du Conseil européen, avec les autres chefs d'État ou de gouvernement et, ensemble, il faut que la Grèce, l'Europe, nous trouvions une solution pour que la Grèce retrouve de la croissance, de l'emploi et puisse rembourser sa dette.
Si la Grèce aujourd'hui a 175 % de dette, c'est aussi parce que son PIB a reculé de 25 % ; son PIB est donc de 25 % inférieur ce qu'il était avant la crise de 2008. Il y avait des mesures indispensables à prendre et elles doivent continuer à être mises en oeuvre. Par exemple, il faut qu'il y ait une fiscalité en Grèce ; il faut qu'il y ait un cadastre ; il faut que les gens qui ont des propriétés paient des impôts ; il faut que les armateurs paient des impôts ; il y a de grands propriétaires terriens qui ne paient pas d'impôts. Toutes ces questions doivent être réglées et c'est aux Grecs eux-mêmes de les régler. Nous sommes prêts à leur donner le temps...
Q - Ça fait longtemps ça !
R - Ça fait longtemps ! Et déjà ils ont progressé. Donc, il faut en même temps que nous les aidions à ce que les investissements reviennent et qu'ils soient en mesure le plus vite possible...
Q - Mais ils viennent de prendre des décisions augmentant le nombre de fonctionnaires, augmentant les salaires minimum, faire des choses qui sont contraires à ce que les économistes pensent de ce qu'il faudrait faire pour la Grèce aujourd'hui ? Donc, nous en les recevant, vous dites dans les prochains jours, c'est bien confirmé ?
R - Oui.
Q - Eh bien en le recevant rapidement on donne quand même un peu l'impression qu'on est d'accord avec leur position ?
R - Non. D'abord, recevoir le Premier ministre d'un autre gouvernement européen, c'est normal. L'Europe c'est un lieu de rencontre.
Q - D'accord. Mais pourquoi dans les prochains jours, on n'était peut-être pas dans l'obligation ?
R - Quand un nouveau leader européen est élu, normalement, il va tout de suite voir ses partenaires. Je vous rappelle que, c'est un réflexe normal, que des pays soient en difficulté ou non, parce que nous faisons partie d'une union de nations qui défend ensemble un projet de société et, en plus, nous avons une monnaie commune et nous avons effectivement à gérer des politiques en commun. La Grèce a eu à demander de l'aide à l'Union européenne. Nous, nous voulons aider la Grèce à sortir de sa situation de crise.
Q - Et vous ne considérez pas que c'est une erreur politique de François Hollande de le recevoir le premier ?
R - Au contraire. Je crois que c'est vraiment le rôle que l'on attend de la France et de François Hollande que d'aider à ce que le dialogue, sur les bases de la responsabilité et de la solidarité, se noue le plus vite possible avec la Grèce ; c'est l'intérêt de toute l'Europe. La Grèce est un pays qui est sorti de la dictature pour adhérer à l'Union européenne...
Q - Mais ça fait longtemps ça !
R - Cela fait longtemps ! Eh bien d'accord, mais enfin l'Europe, on l'a vu le 11 janvier se mobiliser autour de ses valeurs, en solidarité avec la France. L'Europe, on ne doit pas oublier que ce n'est pas simplement des traités et des règles, c'est d'abord des nations qui s'unissent pour des valeurs de démocratie, de paix, de coopération, de solidarité. Aujourd'hui, dans la mondialisation, aucun de nos pays ne peut faire face seul, on ne peut pas faire face seul aux grands enjeux de la compétition - dans le numérique par exemple - mais pas non plus aux enjeux du terrorisme et de la défense de nos valeurs, celles d'une société encore une fois de liberté et aussi de cohésion sociale. Nous allons donc aider ce nouveau gouvernement mais lui-même doit effectivement prendre des mesures qui permettent à son économie de redémarrer.
Q - Mais Harlem Désir, pardonnez-moi, vous ne pensez pas que les Allemands et d'autres vont considérer que cette invitation est un peu prématurée ?
R - Non.
Q - Regardez encore ce matin. Il a téléphoné à Frederica Mogherini, que vous connaissez, qui est donc la responsable de la politique et de la diplomatie européenne, en lui disant : «il vaudrait mieux soutenir les Russes» alors qu'il y a une même réunion aujourd'hui...
R - Cet après-midi même ! À laquelle je me rends pour représenter la France.
Q - ...qui consiste justement à augmenter les sanctions contre la Russie ?
R - ...qui consiste surtout à empêcher que l'escalade militaire entre la Russie et l'Ukraine ou entre les séparatistes...
Q - Mais il y aura des négociations ?
R - Oui. C'est un instrument pour essayer de revenir à la table des négociations.
Q - Et Tsipras dit non, il n'en veut pas.
R - Nous allons voir. Ils vont devoir participer maintenant. C'est un gouvernement qui vient d'être mis en place il y a quelques heures et je pense que, d'une certaine façon, ils vont devoir prendre leurs marques et prendre en compte le fait qu'ils font partie d'une union politique, que précisément ce n'est pas simplement une union monétaire, pas simplement une zone de libre-échange, c'est bien plus que cela.
Il doit y avoir une participation du nouveau gouvernement grec à toutes les décisions politiques en prenant en compte le fait que l'unité européenne - notamment dans des dossiers comme ceux de l'Ukraine - est absolument indispensable. Chacun peut arriver avec des sensibilités et des points de vue différents mais, à la fin, l'Europe ne peut exister que si elle est unie.
C'est pareil pour régler les problèmes de la crise économique. Nous avons des différences, chaque gouvernement peut avoir sa propre politique économique en matière de fonction publique, de retraite, mais à condition que ce soit compatible avec la cohésion économique de l'Union. C'est aussi ce à quoi nous allons peut-être aider les Grecs à parvenir.
Q - Donc, si je comprends bien, François Hollande va essayer de le convaincre de respecter les traités européens et de peut-être modérer ses propos concernant la Russie...
R - Le respect des traités fait partie des engagements qui sont pris par chacun de nos pays, indépendamment des alternances. Les traités n'empêchent pas un gouvernement de mener une politique économique ou sociale différente, mais à condition de respecter effectivement les engagements pris vis-à-vis des autres. Nous, les uns les autres, par exemple nous devons respecter un certain nombre de règles pour que la monnaie unique reste viable. En termes de dette, de déficit, on peut avoir des délais, on peut prendre en compte la situation d'un pays, mais effectivement nous sommes tenus de respecter les traités. La Grèce a pris des engagements vis-à-vis de ses partenaires parce qu'elle a eu besoin de leur aide.
La France a été aux côtés de la Grèce et continuera à être aux côtés de la Grèce parce que nous voulons que la Grèce reste dans la zone euro. Nous voulons aider la Grèce à sortir de la crise mais, effectivement, cela veut dire qu'il faut aussi respecter les engagements en termes de dette.
Q - Quand Mme Merkel a dit à un moment que, finalement, s'ils sortaient de l'euro et de l'Europe, ce n'était peut-être pas une mauvaise idée ?
R - Non. Elle ne l'a pas dit...
Q - Elle ne l'a pas dit comme ça, mais elle l'a suggéré.
R - Ce sont des propos qui lui ont été prêtés.
Q - D'accord !
R - Je crois que la position de la Chancelière Merkel est la même que la nôtre. Il faut que la Grèce, qui est dans l'euro et qui souhaite le rester - Alexis Tsipras s'est engagé dans ce sens et c'est sans doute aussi l'une des raisons pour lesquelles il a eu le soutien majoritaire des citoyens qui veut un changement de politique mais en restant dans l'euro -, puisse, dans l'euro, trouver une voie de retour à la croissance. C'est la croissance qui fera baisser la dette et qui lui permettra de rembourser et, en même temps, par le plein emploi d'avoir des recettes fiscales et d'avoir une situation assainie. Mais elle doit poursuivre les réformes d'assainissement de ses finances publiques.
Q - Rappelons, Harlem Désir, que vous êtes chargé des questions européennes au gouvernement, il y a beaucoup de gens qui commencent à écrire que finalement il est reçu pour des raisons internes...
R - C'est vraiment le rôle du président de la République ! Je l'accompagne dans beaucoup de sommets européens. J'étais notamment en déplacement avec le président de la République pour les commémorations du 70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz cette semaine ; il a eu une rencontre avec le président polonais. Ce que je veux dire, c'est le rôle particulier que joue le président de la République aujourd'hui dans le Conseil européen, c'est-à-dire dans la relation entre les différents chefs d'État et de gouvernement...
Q - Donc, ce n'est pas de la politique politicienne ?
R - Non, parce qu'il a défendu une réorientation des politiques européennes en faveur de la croissance, en faveur de l'investissement, cela a aussi une influence sur la politique monétaire.
Vous avez vu que maintenant l'euro est revenu à des niveaux qui sont plus compatibles avec ce que nous souhaitons, qu'il y a une injection de liquidité très importante de 1000 milliards d'euros, qu'il y a un plan d'investissement de Jean-Claude Juncker de 315 milliards d'euros pour qu'on redevienne très forts dans les domaines d'avenir : le numérique, l'énergie, les grands projets européens.
Il y a donc une nouvelle approche du pacte de stabilité et de croissance. François Hollande est au centre aujourd'hui de la discussion entre les chefs d'État et de gouvernement sur la façon de sortir l'Europe de la crise. C'est donc normal qu'il soit dans ce rôle de médiateur et de facilitateur.
Q - Harlem Désir, vous avez le jour où Alexis Tsipras viendra en France ?
R - Non. Le président de la République lui a proposé de venir dès qu'il le pourrait
Q - Avant ou après la conférence de presse ?
R - Avant le Conseil européen du 12 février.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2015