Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le nucléaire iranien, la lutte contre Daech en Irak et sur l'attentat terroriste à Bamako, à Paris le 7 mars 2015.

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Circonstance : Point de presse conjoint avec M. John Kerry, secrétaire d'État des États-Unis d'Amérique, à Paris le 7 mars 2015

Texte intégral

- Iran - Programme nucléaire
Mesdames et Messieurs,
Merci de votre présence. Dans quelques instants, juste après vous avoir quittés, John Kerry et moi-même nous rejoindrons nos invités, puisque j'ai demandé à la fois au ministre des affaires étrangères allemand, M. Steinmeier, au ministre des affaires étrangères britannique, M. Hammond et à Mme Mogherini de nous rejoindre. Donc, dès que nous aurons fini ce point de presse, nous les rejoindrons.
Avec John Kerry, nous avons fait un point approfondi sur un certain nombre de questions.
Sur l'état des négociations concernant le nucléaire iranien - nous allons en parler aussi avec nos amis -, il y a des progrès dans certains domaines mais il y a aussi des divergences qui doivent être comblées ; il y a donc encore du travail à surmonter. Nous partageons l'objectif d'un accord solide qui permette à l'Iran de poursuivre un programme nucléaire civil mais en montrant concrètement et avec certitude qu'il renonce à tout objectif nucléaire. Ceci devra se refléter dans les paramètres de la discussion et de l'accord éventuel.
(...)
Q - (en anglais sur le programme nucléaire iranien)
R - Oui, je me suis exprimé hier, je le confirme aujourd'hui, il y a eu un certain nombre de progrès, mais il reste encore des divergences, pour reprendre cette expression bien française utilisée tout à l'heure, «Gaps», dans plusieurs domaines. C'est une négociation multilatérale et nous faisons en sorte, bien sûr, que nos positions soient connues et qu'elles soient ajustées.
J'ai cité trois domaines : le volume, la durée et le contrôle. Je ne vais pas entrer dans les détails mais vous savez - c'est maintenant de notoriété publique - que l'idée, c'est que l'on puisse disposer de ce qu'on appelle un «break out time» de un an, c'est-à-dire qu'il y ait une garantie minimum, si jamais l'accord n'était pas respecté, que nous ayons un an pour réagir, puisqu'il faudrait à la partie iranienne au moins un an pour aller vers la possession de l'arme nucléaire.
C'est à partir de tout cela que nous déterminons nos positions. Ces positions consistent en particulier à ce qu'il y a ait une réduction de ce qu'on appelle les centrifugeuses - cela fait partie du volume - et qu'il y ait aussi une limitation de la recherche et du développement. Bien sûr, il y a des domaines dans lesquels il peut y avoir de la recherche et du développement mais si la recherche et le développement doivent aboutir à ce que les chiffres de centrifugeuses n'aient aucune valeur, on voit bien le problème. De la même façon, il y a encore du travail à faire sur la durée parce que nous voulons être sûrs que la durée choisie pour la longueur de l'accord soit telle qu'il y ait une certitude, une garantie. Et puis, j'ai dit aussi qu'il fallait que les contrôles, que la transparence soient assurés puisque l'accord ne peut évidemment avoir de sens que s'il est vérifié de très près.
Je voudrais ajouter deux idées. La première idée, c'est que lorsque nous avons négocié ensemble l'accord provisoire, nous avions mis au début de cet accord une phrase qui, d'ailleurs, est une phrase du président Rohani que nous avons repris : «Under no circumstances would [Iran] seek any nuclear weapon of mass destruction, including nuclear weapons, nor will [Iran] ever ». C'est la base à partir de laquelle nous travaillons. La seconde idée est la suivante : John Kerry a bien voulu reprendre la notion d'accord solide - on dit un bon accord, un accord solide. Pourquoi cet accord doit-il être solide ? Parce que nous voulons avoir une garantie : le nucléaire civil, oui ; la bombe atomique, non. C'est également l'intérêt de la sécurité, de la paix dans la région y compris l'intérêt des Iraniens. Pourquoi ? Si cet accord n'est pas solide, on le verra et il y aura immédiatement des réactions de la part des pays voisins.
Ce contre quoi nous voulons lutter, c'est la prolifération nucléaire. Je ne veux pas faire de philosophie politique mais le fait que quelques pays - quatre ou cinq - détiennent l'arme nucléaire a pu être dans le passé un moyen d'assurer la sécurité, parce que l'on savait que, pour ces pays, l'arme nucléaire est une arme de dissuasion. Si se produisait la prolifération nucléaire, en particulier dans cette région du monde, si l'Iran accédait à l'arme nucléaire et que à cause de cette accession d'autres pays dans la région se dotaient de l'arme nucléaire, à ce moment-là la prolifération serait la certitude d'une catastrophe mondiale. Nous avons donc besoin d'un accord solide, non seulement pour nous qui discutons mais pour l'ensemble de la région, pour la sécurité régionale et pour la sécurité mondiale, y compris d'ailleurs pour les Iraniens eux-mêmes. (...).
- Iran - Irak
(....)
Q - Quel regard porte la France sur le rôle de l'Iran en Irak ?
R - Nous connaissons l'influence de l'Iran chiite en Irak. Maintenant, il est très important que le gouvernement irakien ait une pratique inclusive, c'est-à-dire que toutes les communautés (chiite, sunnite, kurde...) s'y retrouvent. Si nous voulons que le combat soit mené contre Daech, il faut que la population et l'armée irakiennes soient totalement mobilisées. Et l'expérience prouve qu'elles ne peuvent l'être que si toutes les communautés - grâce à un gouvernement et à une pratique inclusive - sont engagées. C'est un point sur lequel nous insistons toujours auprès du gouvernement irakien et de ses différents partenaires.
Si telle ou telle ou communauté ou représentant de cette communauté prenait le commandement et que les autres communautés se sentaient à l'écart, cette inclusivité ne serait pas respectée et, à ce moment-là, la lutte contre Daech, qui est notre objectif commun, serait moins efficace.
- Mali - Attentat à Bamako
(...)
Et puis, bien sûr, nous avons abordé la question de l'attentat qui vient d'avoir lieu à Bamako. Mon ami John Kerry m'a présenté ses condoléances pour ce qui s'est passé. C'est un acte terroriste lâche, odieux, qui visait un restaurant très fréquenté de Bamako fréquenté à la fois par des citoyens maliens et par la communauté expatriée. À l'heure où je vous parle, il n'y a pas encore de revendication de cet attentat.
Mais le bilan est extrêmement lourd : il y a cinq morts dont notre compatriote français âgé de 31 ans qui vivait à Bamako, un membre de la délégation de l'Union européenne de nationalité belge et il y a trois Maliens parmi les personnes assassinées. Il y a également huit blessés, dont certains sont dans un état grave, parmi lesquels trois ressortissants suisses. Évidemment, nos pensées vont vers les victimes et vers leurs familles. Nous sommes entrés en contact avec la famille de l'expatrié français qui est très affectée et je leur redis vraiment toutes mes condoléances.
Je veux saluer aussi la réaction immédiate des autorités maliennes qui ont pour tâche d'identifier rapidement les responsables et de les traduire devant la justice. Il y a des suspects qui sont actuellement interrogés mais à ce stade on ne peut pas en dire plus.
Le président de la République vient de s'entretenir avec le président Keïta. Je veux dire ma solidarité aux autorités maliennes. Je me souviens que le président Keïta était à nos côtés le 11 janvier et, de la même façon, nous nous tenons aux côtés de la nation malienne en ce jour de deuil.
Plus que jamais, dans ce contexte, j'appelle nos ressortissants à la prudence et à suivre attentivement les recommandations de notre ambassade à Bamako. Notre ambassade est totalement mobilisée. Dès cette nuit et à notre demande, elle a mis en place une cellule de crise qui travaille en liaison très étroite avec le centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay.
Mais, au moment même où un accord a été présenté pour faire la paix totale entre l'ensemble des Maliens, cet acte terroriste lâche, odieux, est évidemment d'autant plus durement ressenti. En tout cas, je veux redire aux victimes et à leurs familles, et en particulier à la famille de Fabien Guyomard, à quel point nous sommes à leurs côtés. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2015