Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien président du Mouvement des citoyens, à RTL le 8 juin 2001, sur l'évolution de la vie politique à gauche, le congrès du MDC, les élections présidentielles de 2002 et sur le libéralisme mené par Tony Blair.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - T. Blair est réélu, il s'avance vers un nouveau mandat : c'est un raz de marée ! Il incarne un peu tout ce que vous détestez. Qu'en tirez-vous comme leçon ?
- "Pas du tout !"
Vous ne détestez pas T. Blair ?
- "Je ne déteste pas T. Blair et je le félicite pour son beau succès. Bien sûr, je considère qu'il a mené une politique assez libérale, ayant reçu le soutien du Financial Time ou du Times qui ont déclaré que c'était, de leur point de vue, le moins mauvais Premier ministre, et qu'il avait repris une bonne partie de l'héritage de Mme Thatcher. Mais ce n'est pas tout à fait exact : T. Blair a aussi su faire appel à l'esprit de responsabilité, au mérite. De ce point de vue, il y a dans la révolution blairiste quelque chose de tout à fait original. Si l'on était en France, je dirais qu'il y a, d'une certaine manière, une inspiration républicaine."
Sur la sécurité, par exemple ?
- "Sur la sécurité, sur la promotion sociale, sur le fait qu'il faut récompenser ceux qui le méritent vraiment, qui travaillent, qui créent, qui réussissent. C'est une bonne orientation. Cela dit, le bilan n'est pas tout rose. T. Blair a laissé les services publics dans la situation où il les a trouvés ; on voit le résultat des privatisations : en Grande-Bretagne, les trains continuent à dérailler ou à ne pas partir à l'heure."
Que peut en tirer la gauche française qui se présente aux élections l'année prochaine ?
- "Rappelez-vous les campagnes sur L. Casta qui allait s'installer à Londres ; tout cela paraît un peu ridicule parce qu'on sait très bien qu'il vaut mieux être soigné en France, dans un hôpital, qu'à Londres. Du point de vue du service public, nous offrons des choses beaucoup plus performantes, alors qu'historiquement, la Grande-Bretagne a été le modèle des services publics. Donc il y a fort à faire. Je crois que T. Blair a dit qu'il en était conscient ; on verra bien. Et puis, évidemment, il y a le défi de l'euro : est-ce que la Grande-Bretagne va rentrer dans la zone euro ? Si tel était le cas, ce serait de nature à changer passablement l'équation."
Un mot sur les révélations de L. Jospin sur son trotskisme. Cela lui permet de rappeler ses vrais racines de gauche. Comment le prenez-vous ?
- "Personne n'a jamais douté que L. Jospin était un homme de gauche..."
... Vous l'avez vu arriver au PS en 1970-71. Vous saviez qu'il était trotskiste ?
- "Je l'ignorais bien que je l'aie connu auparavant. Je n'ai jamais douté qu'il était un homme de gauche. Nous avons partagé les mêmes indignations lors des guerres coloniales. Son passé trotskiste n'est nullement déshonorant ; c'est un cheminement. Tout cheminement, dès lors qu'il est sincère, est respectable. Ce qui compte, c'est ce que fait L. Jospin. De ce point de vue, nous ne sommes pas vraiment satisfaits de la distance prise avec les engagements pris en 1997 quant au nouveau pacte républicain : en tout domaine, faire retour à la République."
Avant d'évoquer le congrès du MDC qui se déroule aujourd'hui et demain, il y a une manifestation demain autour de l'extrême gauche - a priori - contre les licenciements pour dénoncer les abus des grandes entreprises. N'avez-vous pas le sentiment que ce durcissement de la législation sur les licenciements pourrait poser un problème alors que la conjoncture économique ne s'annonce pas si rose ?
- "Des plans sociaux boursiers se sont multipliés et ont heurtés à juste titre l'opinion publique ; il y a des restructurations industrielles mais en fait financières, comme celles que nous connaissons à Alsthom et qui a des conséquences à Belfort. L'opinion publique est émue par le déséquilibre qui s'est créé au fil des ans, entre le capital, désormais mondialisé, et le monde du travail qui n'a plus les moyens de se défendre. Aujourd'hui, on a transféré..."
N'est-ce pas un peu démagogique de défiler ? Cela changera-t-il vraiment quelque chose ?
- "Il n'est jamais démagogique d'exprimer ses opinions. Aujourd'hui, le monde du travail n'a plus les leviers d'action dans la mesure où depuis le Traité de Maastricht, on s'en est remis à la Commission de Bruxelles pour décider si une concentration, une restructuration industrielle était licite ou non. Des gens sont donc jetés comme travailleurs au rebut, en fonction d'exigences de rentabilité vraiment exorbitantes. De ce point de vue, je crois que l'Etat a abdiqué. Le MDC a demandé que, s'agissant de très grandes opérations de restructuration industrielle, l'Etat retrouve le pouvoir de dire son mot. "
Ce congrès est aussi organisé pour organiser un pôle républicain qui va du trotskisme au gaulliste. J'ai l'impression d'avoir entendu cela très souvent et ça ne marche pas vraiment. Pourquoi cela marcherait-il cette fois ?
- "Cela marche beaucoup mieux que vous ne le croyez. Vous aurez l'occasion de vous en apercevoir si vous venez à Marseille. Nous aurons un beau congrès..."
Pourquoi cela marcherait plus aujourd'hui alors que vous avez fait des scores moyens en 1994 ; l'année dernière, pour les européennes, vous vous êtes ralliés à la liste socialiste... Qu'est ce qui change ?
- "D'abord, les européennes n'ont jamais porté chance à ceux qui les gagnaient. Ce n'est pas une élection intéressante, il y en a d'autres qui le sont davantage."
La présidentielle alors : 50 intellectuels et personnalités ont appelé à votre candidature. Est-ce vous qui avez organisé cet appel du peuple ?
- "Ce sont mes amis qui souhaitent que je sois candidat. Moi-même, je dois y réfléchir et prendre la mesure de ce que cela signifie parce que je ne serais pas un candidat de témoignage - si je devais l'être. J'entends bouleverser la donne ; cela n'a d'intérêt que dans ces conditions. Naturellement, cela m'amène à regarder autour de moi si les conditions peuvent se réunir, notamment du point de vue de ce que j'appelle "le pôle républicain" qui est une configuration de la vie politique française qui serait apte à prendre le relais d'une formule épuisée. Je pense bien évidemment à ce qu'on appelle "la gauche plurielle.""
Justement, la gauche plurielle n'existe pas ? Il faut la remplacer ? Est-ce que le fait que C. Pasqua soit mis en examen vous ouvre un espace sur la droite ?
- "Il y a des républicains partout ; il y en a beaucoup au PS. Le PC est en crise et je pense que cela lui offrirait la possibilité de se ressourcer dans sa tradition nationale. Et sur l'autre rive, il y a effectivement beaucoup de gens qui comprennent que les solutions des grands problèmes qui se posent au pays, dans des domaines comme la sécurité, l'école, la place de la France en Europe, ne se posent pas dans les termes où les posent des formations politiques usées et sans imagination. C'est une définition en avant des solutions qu'il faut apporter aux problèmes du pays."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 juin 2001)