Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à RMC le 13 avril 2015, sur les agressions sexuelles d'élèves par des enseignants et les enquêtes judiciaires.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée ce matin, Najat VALLAUD-BELKACEM, bonjour.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, et de la Recherche. Hillary CLINTON candidate à l'élection présidentielle américaine, en France vous pensez qu'une femme pourrait être élue présidente de la République, aujourd'hui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les esprits sont prêts ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, je le crois, ils ne l'étaient pas en 2007, mais je crois qu'ils le sont aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils ne l'étaient pas en 2007, c'est-à-dire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Quand Ségolène ROYAL était candidate. Je me souviens d'avoir fait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est pour ça qu'elle a perdu ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Notamment. Je me souviens d'avoir fait campagne à ses côtés et, franchement, je me souviens notamment de ces marchés sur lesquels on me disait, mais de façon très bien attentionnée, on me disait « mais elle a encore des enfants jeunes, comment est-ce qu'elle va pouvoir s'en occuper si on la fait présidente de la République ? » Donc voilà. Je pense que depuis les esprits ont changé, parce qu'entre temps il y a eu des femmes à la tête de grands partis, en France, il y a eu, voilà, des femmes qui exercent des hautes responsabilités, qui ont, à mon avis, un petit peu changé la donne, et aujourd'hui ça pourrait marcher. Mais en tout cas c'est une bonne chose qu'Hillary CLINTON doit candidate.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parlons de Villefontaine, de ce qui s'est passé, parlons de ces agressions sexuelles, avérées ou pas, dans l'Education nationale. Villefontaine, beaucoup, et les familles notamment, s'interrogent, toujours, et n'ont pas suffisamment de réponses. Vous savez ce que nous allons faire, nous allons écouter le père, il s'appelle Nidal, il est auditeur de RMC, le papa d'une petite fille de 6 ans, l'une des victimes de l'instituteur directeur d'école de Villefontaine, mis en examen le 24 mars dernier pour viols aggravés et agressions sexuelles. Il avait une question à vous poser, nous l'écoutons ensemble.
NIDAL
(Pas de son en début d'intervention) –…. Rencontrer le personnel enseignant de l'école, les enfants, mais elle n'a pas eu la décence de venir rencontrer les 26 familles. Et le pire, Monsieur BOURDIN, c'est que personne ne s'est excusé. On nous dit « il y a eu des dysfonctionnements », mais personne ne s'est excusé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Najat VALLAUD-BELKACEM, qu'est-ce que vous dites aux familles aujourd'hui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Plusieurs choses. D'abord ce monsieur, Nidal donc, fait partie des parents que j'ai rencontrés, de fait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, il nous l'a dit.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je suis allée à leur rencontre il y a une dizaine de jours, pour précisément d'abord leur dire que l'Education nationale était à leurs côtés, que ce qui s'était passé à Villefontaine était absolument abject. Moi je ne cherche à rejeter la responsabilité sur personne, même si, il est clair maintenant pour tout le monde que si on a pu laisser un enseignant continuer à exercer pendant des années c'est parce que, en 2008, au moment de sa condamnation pour détention d'images pédopornographiques, cette condamnation n'avait pas été transmise par la justice à l'Education nationale. Donc, l'Education nationale était dans l'ignorance de cette condamnation, et c'est ainsi que ce directeur d'école, à Villefontaine, a pu continuer à exercer. Une fois qu'on a dit cela, ça ne répare pas la douleur des familles. Donc, je suis allée à leur rencontre, dans les conditions que j'ai jugé bonnes, c'est-à-dire ne pas y aller en plein sensationnalisme médiatique, mais attendre que passent quelques jours pour pouvoir avoir une discussion avec elles, résoudre les difficultés matérielles qui se posent notamment en termes de suivi psychologique, par exemple. Nous avons été amenés, notamment avec Nidal, à discuter de ce sujet, mais aussi m'engager à ce que tout cela ne puisse plus jamais se reproduire, avec des règles de fonctionnement au sein de l'Education nationale, et dans la relation Education nationale/ justice, qui à l'avenir garantissent la bonne transmission des informations, c'est ce sur quoi nous sommes en train de travailler avec Christiane TAUBIRA.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nidal, je vais y revenir, mais Nidal nous dit, nous disait ce matin, « TV5 Monde a été piratée, trois ministres se sont précipités au chevet de TV5 Monde, et nous, le ministère de la Justice, pas un mot, pas de visite, rien, semblant nous ignorer », ça a touché les familles, Najat VALLAUD-BELKACEM. Et puis j'ai une autre question à vous poser, cet homme, n'a-t-il pas commis, fait d'autres victimes dans d'autres établissements avant d'arriver dans l'Isère ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a une enquête judiciaire qui est en cours, comme vous le savez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une bonne question, non ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord remettons bien les choses au clair…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, allez-y.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Notamment pour vos auditeurs. Dès lors que deux familles ont déposé plainte, c'était le 23 mars dernier de mémoire, contre ce directeur d'école de Villefontaine, il a immédiatement été suspendu de ses fonctions, ce monsieur a été mis en garde à vue, il a avoué, en effet, des viols, sur sa classe actuelle, qui est une classe de CP à l'école « Mas de la Raz » de Villefontaine, et l'enquête judiciaire s'ouvre pour savoir s'il y a eu d'autres petites victimes dans les écoles précédentes qu'il a fréquentées. Il semblerait, puisque d'autres familles des écoles précédentes sont venues déposer des témoignages et des signalements…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'il y aurait d'autres victimes ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Qu'il y ait d'autres victimes. Ce monsieur, donc, fait l'objet…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'écoles précédentes, dans les écoles précédentes.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'écoles précédentes. Ce monsieur, donc, fait l'objet d'une enquête judiciaire, il est sous les verrous en ce moment, et pour ce qui nous concerne, pour ce qui me concerne, ministre de l'Education nationale, sitôt retrouvée cette fameuse décision de justice de 2008 pour détention d'images pédopornographiques, à laquelle nous n'avions pas accès jusqu'à présent, sitôt retrouvée cette décision, j'ai fait le choix de le radier à vie de l'Education nationale, donc il n'exercera plus jamais. Donc oui, il est plus que vraisemblable qu'il y a eu d'autres victimes dans d'autres écoles. Oui, cette affaire est absolument abjecte, et je comprends absolument l'émotion et l'indignation des familles à se dire qu'un enseignant a pu continuer à exercer comme cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, j'ai une question qui me vient à l'esprit…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et le seul sujet, pardon, qui doit nous guider aujourd'hui, et c'est pour ça qu'avec Christiane TAUBIRA nous avons lancé une enquête, cette fois-ci administrative, conjointe, avec l'Inspection de l'Education nationale et l'Inspection des services judiciaires, qui sont en train de remonter tout le fil de cette affaire de Villefontaine, pour regarder où il y a eu défaillance, où il y a eu faute, parce qu'il y a eu des manquements, clairement, et pour faire en sorte que, un, tous les manquements soient sanctionnés, et deux, que ça ne puisse plus se reproduire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les résultats de cette enquête quand ? Administrative.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
A la fin du mois d'avril, le 30 avril. Le 30 avril d'ailleurs j'irai, c'est le choix que j'ai fait avec Christiane TAUBIRA, auprès des familles de Villefontaine pour leur annoncer les résultats de cette enquête.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 30 avril, vous serez avec les familles.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Absolument, et je leur ai dit d'ailleurs il y a 10 jours, quand je suis déjà allée à leur rencontre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une question qui me vient à l'esprit, qui est venue chez mes auditeurs, nos auditeurs de RMC, ou sur BFM TV, c'est comment se fait-il que les enseignants n'aient pas une visite médicale obligatoire tous les ans ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Les enseignants ont bien sûr accès à une visite médicale…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Accès, mais elle n'est pas obligatoire.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, bien sûr, vous avez des services médicaux auxquels les enseignants peuvent faire appel…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-elle obligatoire ? Elle n'est pas obligatoire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Elle n'est pas… on peut la renforcer, ça fait partie des réflexions du moment, mais honnêtement, vous savez, dans le cas du directeur d'école de Villefontaine, d'ailleurs les parents sont bien placés pour le savoir, nous avons eu cette discussion longuement, il s'agissait d'un manipulateur, d'un manipulateur. J'ai vu y compris des carnets d'école que m'a remis un des parents, dans lequel il apparaît que ce directeur passait, au contraire, pour un très bon directeur, un très bon enseignant, très attentif au bienêtre et à la réussite scolaire de ces enfants…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il changeait d'école chaque année tout de même !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, il changeait d'école chaque année à sa demande…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que l'administration n'aurait pas dû être alertée par cela ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, alors, 1°) : il changeait d'école à sa demande. Parce qu'il prétendait vouloir tester d'autres méthodes pédagogiques d'une école à l'autre. 2°) : je l'ai dit très rapidement, je me suis exprimée sur cette affaire, même si c'est un problème de transmission par la justice à l'Education nationale, moi, je n'élude aucune responsabilité, et je me pose la question de notre gestion des ressources humaines, c'est-à-dire qu'en effet, lorsqu'on voit qu'un directeur d'école change d'école tous les ans, eh bien, ça doit davantage nous alerter. Il y a des signaux faibles qui doivent nous alerter, cela étant, je le redis, c'était un manipulateur, aucun, ni des parents ni des collègues, puisque je suis allée aussi à la rencontre des enseignants, n'avait imaginé quoi que ce soit qui relève de la prédation sexuelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il était en poste depuis quand ? Il était en poste depuis quand cet homme ? Il était en poste depuis quand cet homme ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce monsieur était en poste depuis le début des années 2000 après avoir exercé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Début des années 2000 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, après avoir exercé pendant quelques années dans le département du Rhône, il a eu deux enfants, tout simplement, en 2008, et il a demandé, compte tenu du fait que sa famille s'agrandissait, à pouvoir s'installer en Isère…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc entre 2000 et 2008, il a exercé ailleurs ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans le département du Rhône.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il a exercé ailleurs, oui, oui, et dans le département du Rhône.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les enquêtes portent d'ailleurs sur ses années d'exercice dans ce département…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr, absolument. Absolument, et dans le cadre de l'enquête, en effet, toutes les familles concernées par ses précédents établissements scolaires sont contactées pour leur demander s'il y a des signalements à faire, des témoignages à faire. Mais dans ces affaires-là, si vous permettez, Jean-Jacques BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, allez-y…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je voudrais vous dire une chose, moi, je trouve cela très bien parce que ces derniers jours, au-delà de l'affaire de Villefontaine, on a entendu parler d'autres affaires, je trouve cela très bien que la parole se libère, que la parole se libère, mon Dieu, mais le pire des écueils en la matière, c'est de ne pas dire les choses. Donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et pourquoi parfois la parole ne se libère pas, parfois, les faits sont cachés, parfois la honte prend le dessus, parfois…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, je ne crois pas, contrairement à ce qui a pu s'écrire ici…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'administration protège…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne crois pas contrairement à ce qui a pu s'écrire ici ou là qu'il y ait une volonté de cacher quoi que ce soit, mais je pense que, eh bien, parfois, on minimise, y compris parfois au sein des familles, par exemple, on ne va pas prêter autant d'attention qu'il en faudrait à la parole de l'enfant ; je pense que c'est important aujourd'hui que tout ce qui doit sortir sorte, et c'est très désagréable, c'est très désagréable parce que, on a l'impression du coup, depuis dix jours, qu'il y a plus d'affaires de pédophilie qu'auparavant, ce n'est pas le sujet, c'est que, à l'occasion de l'affaire de Villefontaine, où on a vu un dysfonctionnement dans la non-transmission de la justice à l'Education nationale, eh bien, d'autres affaires se révèlent, à Rennes par exemple, où on a vu le même type de dysfonctionnement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ou à Rueil-Malmaison, qu'est-ce qui s'est passé à Rueil-Malmaison, école Claude-Monet, un instituteur suspendu, soupçonné de pédophilie, images pédopornographiques découvertes sur son ordinateur. Mis en examen en novembre dernier, il exerçait encore !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, à Rueil-Malmaison, pour le coup, c'est… comment dire… pour moi, c'est la preuve que ce que nous avons lancé comme travail avec Christiane TAUBIRA, depuis maintenant dix jours, commence à produire des résultats, pourquoi ? Vous savez que nous avons réuni les procureurs généraux de France et les recteurs pour les faire travailler ensemble la semaine dernière, sur cette façon dont on communique les informations. Eh bien, grâce à cela, procureur général et recteur à Rueil-Malmaison se sont rapprochés pour comparer en quelque sorte leurs fichiers…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais on est d'accord !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et se sont rendu compte que ce monsieur, mais, tenez, écoutez-moi, que ce monsieur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, je vous écoute…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Que ce monsieur, qui avait été en effet mis en examen une première fois, il y a quatre mois, sans transmission, là encore…
JEAN-JACQUES BOURDIN
En novembre…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Donc en novembre, sans qu'il y ait transmission de l'information par la justice à l'Education nationale…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui est incroyable !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce qui est incroyable, mais visiblement, malheureusement, trop régulier, donc eh bien, cette fois-ci, ils ont croisé leurs fichiers, et ils se sont rendu compte que ce monsieur… enfin, que cette information n'avait pas été transmise, et cette fois-ci, eh bien, ils ont réparé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais exerçait-il ? Exerçait-il depuis novembre ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, parce que… enfin, oui, pardon…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, il exerçait…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pardonnez-moi, il exerçait, il exerçait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mis en examen en novembre, il exerçait toujours ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il exerçait, parce que bien que mis en examen, cette information n'avait pas été transmise à l'Education nationale. En fait, vous savez, Jean-Jacques BOURDIN, c'est bien simple, l'Education nationale, comme employeur, prend des mesures très rapidement : suspension, révocation, s'il le faut, dès lors qu'elle est informée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'elle sait !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Dès lors qu'elle sait, c'est normal, dès lors qu'elle sait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, j'ai deux questions, est-ce qu'il faut une loi pour obliger les Parquets, la justice à informer l'Education nationale ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça fait partie en effet de ce que nous sommes en train de…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais que, au ministère de la Justice, on y est assez opposé ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne dirais pas cela comme ça, Christiane TAUBIRA, non, honnêtement, Christiane TAUBIRA est parfaitement consciente de la gravité des événements…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non, mais ça, j'imagine, mais…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et dans la réunion que nous avons organisée entre procureurs généraux et recteurs…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous y êtes favorable, vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
J'ai senti que nous étions sur la même longueur d'onde…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y êtes favorable ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ah oui. Moi, oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une loi pour obliger les Parquets à informer l'Education nationale !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais oui, évidemment, mais moi, j'estime que nous devons absolument apporter toutes les garanties possibles aux parents qu'ils ne courront aucun risque en déposant leurs enfants à l'école d'avoir affaire à un prédateur sexuel. Dès lors que quelqu'un a été condamné en justice pour prédation sexuelle, il n'a rien à faire dans les murs de l'école. Donc si les défaillances que l'on constate à Villefontaine, à Rennes ou à Rueil-Malmaison ne sont pas réglables par une simple circulaire, puisqu'on a oublié de le dire, mais aujourd'hui, il existe des circulaires imposant aux juges de transmettre à l'Education nationale, mais si visiblement, ça ne suffit pas à les faire respecter, eh bien, il faut en passer par la loi, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut en passer par la loi. J'ai une dernière question sur le sujet : est-ce qu'il faut un contrôle systématique chaque année de l'intégralité du casier judiciaire du personnel éducatif ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, ce qu'il faut savoir, c'est que, aujourd'hui, d'ores et déjà, l'Education nationale, comme employeur, a accès au casier judiciaire de ses agents, que généralement, elle le consulte au moment d'embaucher l'agent, et puis que, ensuite, elle y a accès pendant toute la durée de la carrière, et qu'elle peut le faire lorsqu'elle le souhaite. Est-ce qu'il faut une consultation plus régulière et à quelle régularité exactement ? C'est la question que l'enquête administrative qu'on a lancée se pose en ce moment. Sachant que rien, Jean-Jacques BOURDIN, rien ne remplacera le fait que lorsque l'individu est poursuivi ou condamné par la justice, il faut nous en informer. Parce qu'imaginez une consultation de casier judiciaire mettons une fois par an, si vous le consultez le 23 mars et que l'individu commet sa faute et est condamné le 23 avril suivant et que la justice ne nous en informe pas, il faut attendre encore un an avant d'en être informé. Donc vous voyez bien que la vraie solution, c'est celle d'une bonne coordination entre la justice et l'éducation nationale. Si vous me permettez, parce qu'on parle beaucoup de l'éducation nationale, tout ce qu'on est en train de se dire vaut évidemment pour tous les métiers dans lesquels les individus sont au contact des enfants parce que les centres de loisirs, les colonies de vacances, les clubs sportifs c'est exactement la même donne. C'est pour ça que ce que nous sommes en train de construire avec la ministre de la Justice il faut ensuite, et c'est pour cela que je suis favorable à une loi, que ça s'applique pas simplement pour les agents de l'éducation nationale mais pour tous les professionnels au contact d'enfants.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez défendre un projet de loi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, bien sûr, bien sûr. C'est ce que je souhaite et nous sommes en train d'y travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Le projet de réforme du collège, je voudrais deux-trois précisions concernant la deuxième langue vivante. Apprentissage dès la 5ème, c'est bien cela.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deuxième langue vivante. Deux heures et demie par semaine, on est bien d'accord.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Suppression des classes bilangues en 6ème, on est bien d'accord.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le latin et le grec, parce que j'ai eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de protestations d'auditeurs me disant : « C'est la suppression du latin et du grec ». Aujourd'hui on peut apprendre le latin, apprendre le grec en option ; or, ça va être supprimé. L'option va être supprimée, oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Jean-Jacques BOURDIN, reprenons. Qu'est-ce que c'est que cette réforme du collège ? Le collège va mal. Le collège va mal depuis des années. Je veux dire, les résultats sont en dégradation totale, à commencer par les fondamentaux que sont le français, les maths, l'histoire. Il est de plus en plus inégalitaire et le gap s'est creusé entre ceux qui s'en sortent au collège et ceux qui sont laissés sur le bas côté de la route. Or dans le collège tel qu'il fonctionne aujourd'hui, pour 20 % des élèves les choses marchent bien et pour 80 % en revanche, ça ne marche pas. Donc on réforme le collège. Qu'est-ce que c'est que cette réforme ? On dit 1°) les élèves, il faut mieux les accompagner. On va leur offrir dans le temps scolaire des heures d'accompagnement personnalisées. C'est très important pour leur apprendre à travailler, pour consolider leurs apprentissages sans attendre des parents qu'ils leur payent du soutien privé ou juste qu'ils soient à la ramasse. Non, on dit que ça va faire partie du temps scolaire que de consolider leurs apprentissages. On les fait travailler en petits groupes parce qu'on sait que c'est beaucoup plus facile de faire réussir des enfants quand on a des petits groupes harmonisés ou homogénéisés plutôt qu'une grande classe avec des difficultés diverses. Et puis, on leur fait apprendre mieux, on les fait apprendre mieux grâce à des nouvelles pratiques pédagogiques qui s'appellent les enseignements pratiques interdisciplinaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'EPI.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà. Qui sont une façon en réalité de les faire travailler en groupe de façon concrète sur des projets, de croiser plusieurs disciplines, plusieurs savoirs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et c'est le chef d'établissement qui choisira d'ailleurs les sujets qui seront travaillés en groupes.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui. Alors quand on dit le chef d'établissement, j'ouvre une parenthèse, c'est plus précisément le conseil pédagogique de l'établissement c'est-à-dire le chef d'établissement et les enseignants. C'est très bien. On donne de l'autonomie en effet aux établissements, ce qui était réclamé depuis des années. Il était temps qu'on le fasse. 20 % du temps scolaire sera laissé à cette autonomie des établissements pour décider si par exemple l'accompagnement personnalisé, il vaut mieux le faire en maths qu'en histoire ou en français, pour décider les enseignements pratiques interdisciplinaires si on est plutôt sur de la langue et culture régionale par exemple ou sur du développement durable ou sur des sciences et techniques. Oui, c'est une chose importante que de laisser les équipes s'adapter aux besoins des élèves.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui veut dire quand même que certaines matières vont disparaître. Sincèrement.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Venons-en au latin et au grec.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez raison, vous avez posé le cadre de cette réforme, mais c'est vrai, je voudrais qu'on réponde.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi ce qui me fascine depuis quelques jours, puisque je vois les tribunaux s'écrire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Allez-y. C'est la défense du latin et du grec tout à coup.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. C'est à quel point on peut baigner dans la désinformation la plus complète, mais la plus complète. Non, le latin et le grec ne disparaissent pas du collège, au contraire ils sont renforcés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais comment renforcés ? Pourquoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce qu'aujourd'hui le latin et le grec, vous l'avez dit vous-même, c'est une option. Que veut dire option ? Ça veut dire que ça ne fait pas partie de la scolarité obligatoire, que les élèves qui veulent faire du latin et du grec, c'est un choix qu'ils font en plus de leurs heures de scolarité, donc en réalité que généralement ils ne font pas. Il n'y a que 20 % des collégiens qui font aujourd'hui du latin et du grec. Pourquoi ? Parce que c'est aride de prendre des heures en plus, et cætera, vous le savez bien, et que d'ailleurs ces 20 %, c'est au début du collège, c'est en classe de 5ème mais ensuite, quand on les retrouve au lycée, on a une déperdition totale puisqu'ils ne sont plus que – en gros, il y en a trois quarts qui abandonnent sur les 20 %. Donc ça prouve bien que le système actuel, si on croit à la vertu du latin et du grec, est mauvais. Il ne concerne qu'un tout petit nombre d'élèves.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc là, c'est dans le cadre de l'EPI qu'on enseignera le latin et le grec.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et parmi ce tout petit nombre d'élèves, la plupart abandonne. La preuve que c'est quand même pas terrible. Donc nous, qu'est-ce qu'on dit ? On dit qu'on tient beaucoup au latin et au grec, qu'on a envie que ça concerne 100 % des collégiens et pas 20 % et donc, qu'est-ce qu'on fait ? On le transforme en enseignement pratique interdisciplinaire. Un enseignement, ça veut dire que c'est dans le temps de la scolarité. Ça fait partie des vingt-six heures.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A condition que le chef d'établissement et le conseil pédagogique décident de cet enseignement, sinon il n'y en a plus.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, bien sûr. Mais Jean-Jacques BOURDIN, le système des options aujourd'hui, comment croyez-vous que ça marche ? C'est aussi quand le chef d'établissement voulait ; tous les établissements n'ont pas d'options. Sauf que demain, la différence entre l'option latin-grec telle qu'elle existe aujourd'hui et l'enseignement de latin-grec tel qu'il existera demain, c'est que demain chaque établissement aura sur une palette de huit enseignements pratiques interdisciplinaires l'obligation d'en faire au moins six. Donc au moins six, ça veut dire que le latin et grec a beaucoup plus de chance de se retrouver dedans qu'il n'était aujourd'hui dans les options. Alors pourquoi est-ce que nous souhaitons que tous les élèves puissent accéder au latin-grec, et c'est pour ça que – pardon, j'en souris presque mais je trouve ça ahurissant de devoir démentir en permanence des rumeurs alors qu'il suffit d'aller regarder le projet du ministère sur le site du ministère, education.gouv.fr. Pourquoi est-ce que nous trouvons que c'est important ? Nous trouvons que c'est important parce que d'abord ça élève le niveau du français et vous savez que nous avons fait du renforcement du français un fondamental. Ça l'élève parce qu'en donnant des connaissances aux élèves en matière d'étymologie, en matière de composition des mots, en matière de fonctions grammaticales, oui les élèves seront plus forts, mais il faut que les tous les élèves, tous les collégiens soient plus forts. Nous trouvons que c'est bien de soutenir le latin et le grec parce qu'apprendre la culture, la civilisation antique ça donne des connaissances aussi aux élèves sur la citoyenneté, qu'on est dans un temps vous savez, où on veut que l'école transmette des valeurs. Donc nous faisons cela dans un cadre qui au fond préserve tout ce qui existait jusqu'à présent pour rentrer bien dans les détails. Jusqu'à présent, l'option latin telle qu'elle existait permettait aux élèves de faire deux heures de latin en 5ème, trois heures en 4ème, trois heures en 3ème. Demain avec l'enseignement langue et culture antiques, vous aurez deux heures en 5ème, trois heures en 4ème, trois heures en 3ème mais pour un plus grand nombre d'élèves.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Najat VALLAUD-BELKACEM, j'ai une dernière question parce que nous avons Thomas GUENOLE comme chroniqueur le matin sur RMC qui m'a suggéré une question. En 2009, vous vous déclariez à la légalisation du cannabis. Vous y êtes toujours favorable ou pas ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez changé d'avis.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, enfin oui d'une certaine façon, on peut dire ça. En réalité, ça fait partie de ces sujets extrêmement délicats sur lesquels, oui c'est vrai, l'opinion peut évoluer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais je ne parle pas de l'opinion, je parle de la vôtre.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, mais je vais vous expliquer la mienne. Je ne me prononce pas au nom des autres mais pour la mienne, elle a évolué notamment lorsque j'ai été amenée à travailler sur les questions de prostitution. Pourquoi ? Parce que ç'a été l'occasion pour moi de rentrer dans le détail de ce que sont les trafics et de leur caractère complètement entremêlé : trafic de drogue, trafic du sexe, trafic des armes, et qu'au fond, moi je crois qu'il faut être implacable avec ces trafics-là. Donc pour vous répondre simplement, mon opinion a pu évoluer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez changé d'avis. Merci Najat VALLAUD-BELKACEM d'être venue nous voir ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 avril 2015

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