Déclaration de M. Charles Millon, président de la Droite libérale chrétienne, sur les différences de situations politiques, économiques et internationales dans les périodes précédant et suivant les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, le terrorisme comme nouveau totalitarisme, la faiblesse de l'Europe et la préparation des échéances électorales de 2002, Evian le 6 octobre 2001.

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Circonstance : Forum d'automne de la Droite libérale chrétienne à Evian (Haute-Savoie), le 6 octobre 2001

Texte intégral

1 - Le 11 septembre 2001, tout a soudain basculé.
Avant, le monde s'organisait tranquillement en fonction d'un système de pensée hérité de 1989. Le mur de Berlin était tombé et l'empire soviétique s'était effondré. Les pays de l'Est européen s'acclimataient doucement à l'économie de marché, demandaient leur adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne.
Les Etats-Unis réfléchissaient à l'organisation politique et commerciale de leur continent avec l'ALENA, et définissaient leurs nouvelles relations avec la Chine. L'Europe préparait l'entrée en vigueur de sa nouvelle monnaie et s'enlisait dans des débats sans fin sur l'architecture de l'Union, entre élargissement et approfondissement.
Au passage, comme souvent, le monde entier était indifférent au sort de l'Afrique et le commandant Massoud frappait à toutes les portes dont la plupart restaient fermées. Le conflit israélo-palestinien allait de fièvre en fièvre et l'Intifada continuait.
Tout le monde débattait de la situation économique et s'interrogeait sur les risques de ralentissement de la croissance et de la récession. Les uns, les USA, suggéraient des solutions libérales pour soutenir l'investissement et la consommation, les autres, comme la France, persistaient dans une approche étatique et socialiste de l'économie administrée.
La mondialisation était le seul sujet sur lequel les différences semblaient exister. Elle était au cur de tous les débats, de tous les colloques. Thème de conversation à la mode, motif de manifestation, on jouait à prendre parti, à défendre le Roquefort ou à vilipender les Mac Donald. Les antimondialistes allaient bon train dans les pays repus et dans les milieux qui s'ennuyaient. Gênes et Seattle avaient des côtés Boulevard Saint-Michel en mai 68.
Nous étions dans un ronron général.
Certes, persistaient bien des guerres ethniques ou religieuses, en Bosnie, au Soudan, à Bornéo ou en Somalie. Mais par auto-persuasion, les gouvernants les considéraient comme des conflits limités, dus à des "ajustements " de la situation de l'après 1989 ou des survivances de la décolonisation. Pas suffisant pour perturber ce ronron.
D'ailleurs, la pré-campagne présidentielle en France était bien révélatrice de ce ronron. Personne ne pensait même à débattre de la situation internationale. Et beaucoup s'imaginaient que la campagne électorale se limiterait à la satisfaction simultanée de revendications catégorielles : des personnes âgées aux jeunes des banlieues, des fonctionnaires aux contribuables. Les observateurs prédisaient déjà la hiérarchie des préoccupations, l'écologie, la qualité de l'alimentation, l'occupation du temps libre dégagé par les 35 heures - dont on ne sait toujours pas comment on va les payer. On comparait les propositions des uns et celles des autres, on évaluait, on distribuait les bons points.
La campagne mourait d'ennui et la politique française s'assoupissait tranquillement dans un canapé de l'Histoire.
2 - Et la foudre s'est abattue le 11 septembre 2001.
D'un coup, les USA qui se croyaient invulnérables depuis 1812 ont compris qu'ils étaient menacés comme les autres nations et, le monde entier, effaré, a pris la mesure de la menace terroriste qui pesait sur la planète.
Après une semaine, quinze jours, trois semaines d'émotion et de solidarité affirmée, on s'est interrogé sur ce que signifiaient ces attaques terroristes. Pourquoi des hommes étaient-ils prêts à se sacrifier ? Pour quelle cause ? D'où venaient-ils ? Qui les soutenaient ?
D'un coup, le voile s'est déchiré. Et la réalité était tellement aveuglante, la remise en question de toutes les vérités admises était tellement profonde, que très vite, on a cherché à réduire ces dramatiques événements au seul terrorisme de quelques illuminés.
Les distinctions ont fleuri, sous beaucoup de plumes, entre islam et islamisme, entre bons et méchants, entre fréquentables et infréquentables. Il ne faut surtout pas y voir, nous dit-on, une guerre de civilisations.
Les nations occidentales, chacune à leur manière, ont engagé des actions anti-terroristes sur leur territoire et, les unes après les autres, regrettent aujourd'hui la bonne conscience, la naïveté, l'angélisme qui les avaient conduites à se désarmer en face d'une telle menace.
Durant des années, nos responsables, de peur d'être accusés d'extrémisme ou d'intolérance, se sont refusés à recourir aux moyens qui auraient empêché ces révolutionnaires islamistes de faire du prosélytisme et de constituer des réseaux.
Les services de renseignement s'étaient réfugiés dans des approches technologiques, informatiques sophistiquées, en négligeant le renseignement humain. Les législateurs successifs ont limité, sinon supprimé, les moyens de contrôle et d'investigation, perquisitions ou contrôles d'identité.
Les politiques d'immigration avaient fait fi de tous les déplacements de personnes qui, d'une manière ou d'une autre, pouvaient attenter à la sécurité.
Les autorités ne peuvent plus, au nom de la bonne conscience et par soi-disant respect des droits de l'homme, s'interdire d'intervenir contre des groupes pour qui "la fin justifie les moyens ".
Elles doivent réaliser que la liberté, ça se défend, et que pour la défendre, il faut s'en donner les moyens : contrôles d'identité, lutte contre les organisations criminelles, perquisitions
Elles doivent mesurer l'urgence de coordonner dans le cadre d'une délégation ministérielle tous les services qui ont à connaître des problèmes de sécurité : police, gendarmerie, douanes, impôts, justice.
On se mobilisait donc pour éradiquer le terrorisme dans le monde et sur chaque territoire. On avait le nez sur la vitre, mais peu de responsables s'interrogeaient, sinon pour les écarter, sur les causes profondes de ce terrorisme.
3 - Or, le 11 septembre 2001, ce n'est pas à un acte fou et isolé que l'on a assisté.
C'est vrai, ce n'est pas un Etat qui a déclaré la guerre. C'est vrai, ce n'est pas une revendication de territoire. C'est vrai, ce n'est pas la conquête d'un pouvoir qui a été exprimée. Mais c'est pourtant bel et bien une guerre parce qu'il y a un ennemi, d'un type nouveau, mais identifié : une internationale islamique qui dispose de réseaux dans le monde entier ; elle a des états qui la protègent et une économie souterraine qui la finance.
Oui, cela rappelle les méthodes léninistes et trotskistes de réseaux, d'internationalisation de la révolution et d'infiltration.
Oui, c'est bien un totalitarisme, qui refuse la démocratie, qui refuse de voir séparer le temporel du religieux, la justice de la police, qui refuse la séparation des pouvoirs, les droits fondamentaux de la personne.
Oui, le terrorisme islamiste, c'est un nouveau totalitarisme qui prend le relais des totalitarismes déchus.
Deux camps s'affrontent aujourd'hui : d'un côté le totalitarisme terroriste et de l'autre les démocraties. Et l'on ne doit pas laisser prospérer, discrètement l'idée que les Etats Unis auraient reçu la monnaie de leur pièce. Comme si certaines erreurs du capitalisme seraient enfin punies par un Zorro vengeur, qui l'aurait lui-même nourri et qui se serait retourné contre lui. Cette mise en scène est insupportable parce qu'elle tend à justifier l'injustifiable. Lorsqu'on vous déclare la guerre, vous n'avez pas le choix de la faire ou de ne pas la faire. Le seul choix que vous ayez c'est celui de l'attitude : passer à l'offensive ou à la défensive. Mais vous êtes bien en guerre, sauf à capituler.
La guerre, c'est malheureusement un moment où les choses se simplifient et où il faut choisir son camp. Oui, la France doit choisir son camp, sans réserve ni restriction. La guerre, c'est une attitude : une attitude d'unité, de gravité, de lucidité, de responsabilité.
On a longtemps cru ou tenté de croire, que les terroristes ne feraient pas ce qu'ils disaient. Cette naïveté nous a coûté cher et nous sommes bien obligés de nous demander "comment en sommes nous arrivés là " ? C'est la question politique par excellence, celle qui ordonne tout à coup toutes les autres questions, la réflexion et l'engagement.
Il faut le reconnaître, nous avions perdu l'habitude de penser, perdu l'habitude d'agir. Nous sommes contraints d'ouvrir les yeux, sur le réel, sur la menace, sur la crainte, sur la vie et sur la mort.
L'urgence est au rendez-vous de la politique.
Au-delà des événements dramatiques du 11 septembre, c'est à la résurgence du Politique que nous assistons. Car aujourd'hui il est demandé aux hommes politiques de définir la vision du monde, non pas théoriquement, non pas en vertu d'une idéologie, mais en fonction des réalités. La politique a pris un coup de réel. Les questions que l'on se posait ont pris un autre sens.
Quel avenir pour la France dans un monde qui change ?
Quel avenir pour notre société qui recèle en son sein des communautés diverses ?
Les mêmes questions qui, hier, semblaient fumeuses et où s'affrontaient des théories technocratiques, deviennent soudain des choix humains.
Croit-on pouvoir définir une politique étrangère, une politique de défense, une politique européenne demain comme hier ? Oui, les réponses d'hier ont pris un sérieux coup de vieux car la politique a pris un sérieux coup de réel.
Et le 11 septembre a mis en pleine lumière l'absence relative de l'Europe et l'effacement progressif de la France de la scène internationale.
Bien sûr, L'Europe tente d'être là. Mais on sent bien que c'est sur la pointe des pieds. Elle tente d'être à la table des grands, mais elle sent bien que les chaises sont encore un peu hautes pour elle. Elle voit bien que ce qui est en cause est trop fort pour elle et qu'elle risque davantage de gêner que d'être utile si elle rajoute son grain de sel.
Elle sait bien que beaucoup de ces terroristes ont été nourris au sein de sa faiblesse, de son intégration ratée, de son immigration laxiste, de ses banlieues insécures. Elle sait bien qu'elle est recroquevillée sur ses valeurs timides, qu'elle se rassure en donnant des blâmes à monsieur Berlusconi. Et oui, l'Europe sait qu'elle n'a pas de véritable politique de défense. Oui, elle sait qu'elle n'a pas de véritable politique étrangère, et que ce n'est pas une ou deux tournées d'un Monsieur " P.E.S.C ", quels que soient ses talents, qui feront entendre la volonté du vieux monde à Jérusalem, au Caire ou à Washington.
Oui, elle sait qu'elle n'a pas de véritable politique judiciaire et de sécurité, que ce n'est un "conseil J.A.I " de plus ou de moins qui unifiera les codes pénaux, que la Convention de Schengen et celle de Dublin n'ont d'intérêt que parce qu'il y a un fichier S.I.S à Strasbourg, qui donne les noms des terroristes qu'elle a laissé entrer.
Oui, au fond d'elle-même, elle sait bien tout cela, qu'elle n'a pas de chef, donc pas de pouvoir et qu'elle n'est donc pas une puissance.
Maintenant, sous la pression des événements, elle veut avancer à pas forcés, accélérer sa construction. Là n'est pas le problème, ce n'est pas avec un traité de plus succédant à l'échec de Nice, qu'elle s'en sortira.
C'est en disant au monde et d'abord à elle-même ce qu'elle veut, quelles sont ses ambitions et quelle direction elle veut prendre.
Elle ne veut pas être un empire, soit. Elle ne veut pas être un simple marché, soit.
Alors qu'elle soit une fédération... Qu'elle confie à un gouvernement fédéral les missions essentielles de défense, de sécurité, de politique migratoire, de politique étrangère. Elle verra que le fédéralisme peut aussi assurer la puissance et le courage que les Etats nations ont tant de mal aujourd'hui à incarner.
Elle verra que le fédéralisme peut incarner la voix de l'Union entre Rhin, Danube et Garonne, comme il s'incarne sur les rives du Potomac.
Oui, la France est hors du coup. Elle est aujourd'hui incapable de peser sur les événements, elle est aujourd'hui absente.
La France universaliste, celle de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, celle qui proclame le droit de se soulever contre les tyrans, cette France pourtant est absente. Alors que l'Angleterre la pragmatique, l'empirique, la méfiante des grands principes et l'insulaire est présente.
Oui, la politique française s'est évanouie. A vrai dire, nous le redoutions un peu. Nous disions que l'Etat était paralysé, ankylosé, qu'à force de ménager la chèvre et le chou, de promettre ceci tout en faisant cela, de ménager un tel pour se concilier un tel, d'avancer en fanfare pour mieux reculer en silence, de cohabiter dans un sens pour mieux cohabiter dans l'autre, ça finirait par se voir. Et bien, ça s'est vu.
Et c'est pour cela que l'Amérique ne nous a pas demandé grand chose.
Vous êtes comme moi, nostalgiques de cette France rayonnante qui assume son histoire et qui pèse sur le présent.
Cette France, alliée des pays Arabes, cette France amie de l'Afrique.
Cette France qui, face à un danger, est capable de se rassembler dans une démarche d'union nationale.
Cette France qui sait oublier ses enjeux électoraux pour privilégier ses enjeux d'avenir.
Et pourtant,
- Pays arabes ?
- Afrique ?
- Union Nationale ?
Et pourtant le Premier ministre et le Président ont joué l'effet d'aubaine au lieu de jouer l'union nationale.
C'est pourquoi, vous l'avez bien compris, la campagne présidentielle a changé de nature :
- ce n'est plus une simple formalité
- ce n'est plus un match annoncé, programmé entre un Premier ministre sortant et un Président sortant,
- ce n'est plus une concurrence d'image et de posture.
La campagne présidentielle retrouve l'essentiel :
- Que doit être le président de la République
- Comment la France va-t-elle relever les défis ?
Nous, nous répondons : un Président qui a de l'autorité
- c'est à dire plus de cohabitation
- c'est à dire un Président qui a une vision et qui l'assume
Nous, nous répondons : des parlementaires qui soient capables d'appuyer une nouvelle politique
- car nous sommes dans un système parlementaire
- car il faudra une nouvelle politique en matière de sécurité, en matière d'éducation, en matière d'immigration, en matière de relations internationales
Nous sommes affrontés à la troisième guerre mondiale. A nous de choisir le président qui aura le courage, la détermination, la volonté
A nous de faire émerger cette force politique qui autorisera cette nouvelle politique
Oui, la France est un grand pays, surtout quand elle est confrontée à un grand défi. Alors oui, nous serons les résistants à ce pacifisme qui monte, à cet esprit de démission,
Oui, nous serons les partisans d'une France qui sera capable
- de concilier identité et pluralisme
- de rencontrer les différentes civilisations
- de rayonner au-delà de ses frontières pour qu'enfin la démocratie puisse l'emporter sur la barbarie
Mes chers amis, vous l'avez bien compris, nos démarches présidentielles et parlementaires sont solidaires.
Nous ferons tout pour que le Président soit un président de courage, de détermination, de convictions, et de volonté.
Nous ferons tout pour qu'à l'Assemblée Nationale il y ait des parlementaires courageux qui poursuivent une seule chose : Une certaine idée de la France.
Non, ce n'est pas mourir qui nous fait peur. Nous sommes issus, nous aussi, d'une civilisation de martyrs. Il n'y a rien de grand dans le monde, rien de noble dans l'histoire des hommes qui ne se soit fait sans martyrs, mais le martyr est d'abord un témoin.
Alors, ce soir, c'est l'élu de Lyon qui va rendre hommage à Sainte Blandine. Elle fut Vierge et martyre. Cela peut faire sourire aujourd'hui. Cela évoque peut-être les cours de catéchisme de l'école chrétienne à l'époque de l'éducation nationale et républicaine.
Mais, elle, pourtant martyre, n'aurait pas posé de bombes, n'aurait pas piloté d'avion fou. Elle s'est laissée déchirer par les lions, sur les hauteurs alors romaines de Fourvière.
Les prétendus martyrs d'aujourd'hui sont les lions d'hier.
Voilà pourquoi je ne croirai jamais qu'ils sont amour, paix, liberté et universalité.
(source http://www.d-l-c.org, le 22 octobre 2001)