Message de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la réflexion politique franco-allemande sur l'Europe par rapport aux nouveaux équilibres mondiaux, Paris le 2 juillet 1998.

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Circonstance : Colloque de Stromberg (Allemagne) le 2 juillet 1998

Texte intégral

Bonjour à tous. Quand je suis rentré d'Afrique il y a deux jours, les médecins m'ont dit que j'avais un grave problème d'oreilles, qu'il fallait me traiter tout de suite et qu'il m'était tout à fait interdit de prendre l'avion pendant quelques jours. Je suis en train de subir ce traitement, vous comprendrez que je ne peux pas traiter cela à la légère. J'ai malheureusement dû annuler le déplacement à Stromberg. J'en suis vraiment désolé comme je l'ai dit à Klaus Kinkel lorsque je l'ai appelé pour lui faire part de cet empêchement.
Je suis vraiment désolé de ne pas être avec vous, d'abord parce que ce colloque me paraît une excellente chose en soi et je sais l'importance, le rayonnement et le prestige que cela a en Allemagne sur le plan de la réflexion politique ; d'autre part, parce que Klaus Kinkel avait fait le geste amical d'ouvrir ce colloque à la France et que nous étions, lui et moi, les co-invitants de cette rencontre d'aujourd'hui. Ne pas pouvoir me joindre à vous dans cette réflexion que je crois vraiment utile m'a absolument navré, mais c'était un cas de force majeure. Je vous exprime aujourd'hui mes regrets et mes voeux pour cette journée. Je trouve de plus que le thème était vraiment bien choisi : l'Europe par rapport aux nouveaux équilibres mondiaux, ce que nous souhaitons être des équilibres, il y a encore trop souvent des déséquilibres. Je trouve ce thème très important, car nous sommes, tous, et ceux qui sont là sont engagés d'une façon ou d'une autre dans la mécanique de la construction européenne. Que ce soient des responsables politiques, des ministres, des hauts fonctionnaires, des grands patrons, des spécialistes, des journalistes, tout le monde est associé à ce mouvement d'une façon ou d'une autre.
Nous passons un temps considérable à nous concerter, à préparer les décisions, à les mettre en oeuvre, à organiser les relations entre les différents pôles du pouvoir européen entre ceux-ci et l'Etat, les régions, etc. et c'est tout à fait normal, nécessaire et légitime, politiquement, constitutionnellement, juridiquement, civiquement, c'est naturellement nécessaire. Mais, du coup, il y a une chose qui est tout à fait frappante, c'est que cet ensemble européen, qui théoriquement, sur la carte, est une puissance considérable par rapport au reste du monde, un facteur d'équilibre considérable, un des pôles les plus évident du monde de demain, ce pôle n'ose pas être ce qu'il est déjà.
Dès que l'on circule, comme nous le faisons tous, dès que l'on voit l'Europe depuis Pékin, depuis New York, depuis Buenos Aires, depuis Le Cap, on s'interroge sur ce point. Cette Europe, avec ce potentiel immense, qui fait qu'elle est théoriquement un des grands facteurs d'équilibres du monde de demain, qu'elle pourrait donner à sa politique d'encouragement à la démocratie, d'encouragement à la croissance économique, de prévention des conflits ou de solutions pacifiques, sans parler des valeurs culturelles ou d'autres éléments, qui pourrait donner à cela une force presque irrésistible, comment se fait-il que cet ensemble européen, tant occupé de lui-même, n'ose pas être ce qu'il est ? Je crois que ce serait très intéressant si une partie des réflexions d'aujourd'hui pouvaient être consacrées à ce manque d'audace, ce manque d'audace sur lequel le reste du monde s'interroge, en général avec confiance car la plupart des autres régions et pays du monde sont convaincus que l'Europe deviendra complètement ce qu'elle peut devenir. Mais, nous qui voulons avoir une maîtrise de cette évolution, de cette mutation, la conduire et la conduire en même temps dans l'intérêt des peuples de l'Europe, je crois que nous devrions réfléchir à ce paradoxe et voir comment nous pouvons donner le plus d'élan à l'Europe sur ce point.
Bon travail.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)