Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur l'exposition artistique de l'association "La Source", structure d'accueil d'enfants en difficulté dans l'Eure, Paris le 2 juin 1999.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "La Source" à l'Assemblée nationale le 2 juin 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Mes chers collègues,
L'art est parfois vivant et joyeux. Il peut aussi être en deuil. Je ne voulais pas évoquer peinture et tableaux ce matin sans vous demander d'avoir une pensée particulière pour Olivier Debré, dont nous venons d'apprendre le décès. J'étais, à titre personnel, un grand admirateur de son oeuvre dont l'énergie et l'éclat passeront à la postérité et cette maison s'honore de posséder plusieurs de ces extraordinaires compositions. Il aurait eu sa place parmi nous.
On vous l'a déjà dit « Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent) ». A l'initiative de l'association La Source, enfants et grandes personnes sont réunis ici pour l'exposition de leurs oeuvres afin de partager l'espace d'un moment un même univers, de repartir à la recherche d'un temps qui n'a pas été perdu puisque c'est celui des apprentissages et des émerveillements.
C'est un bien joli nom de baptême que vous avez donné à votre association. « La Source » court comme l'eau vive ou le bonheur dans le pré. Les plus belles fées se sont penchées sur son berceau. Gérard Garouste, d'abord qui est une fée d'un genre un peu particulier et qui l'a portée sur les fonts baptismaux entraînant dans son sillage des artistes de renommée internationale. Sans oublier, bien sûr, Di Rosa dont « Régis », le totem de 3 mètres de haut que vous avez fabriqué, trône dans le hall de notre 101, rue de l'Université. C'est un pied de nez espiègle à cette entrée très minérale par lesquels vous êtes entrés, avant d'emprunter des ascenseurs qui s'enfoncent pour arriver dans cette galerie que nous avons dédié aux expositions.
Comme à chaque fois que nous l'animons, mais sans doute cette fois ci avec un particulier supplément d'âme, le temps de cette exposition, ouverte au public jusqu'au 20 juin, la citrouille du 3ème sous-sol est devenue carrosse. La galerie, dite de liaison, le mot n'est pas joli, entre le Palais-Bourbon et les bureaux des députés, du 101, est passée à une vive explosion de couleurs, comme seuls les enfants savent les laisser s'échapper, après avoir ouvert la cage aux oiseaux.
Pourtant, l'histoire des enfants qui sont à l'origine de ces oeuvres n'a pas été un conte de fées. Lorsque Garouste s'est installé à Marcilly-sur-Eure, paisible village normand, il ne s'attendait pas à se trouver, loin des difficultés des banlieues, confronté avec des jeunes rejetés de leur milieu social, scolaire et rural. De même que Saint-Exupéry dédiait le Petit Prince à une France en guerre, qui a « faim » et « froid », Garouste leur a offert son talent et sa générosité. Avec Christian Gotti, l'éducateur dont c'est l'idée, il a été possible de rompre l'engrenage, en proposant aux enfants de s'investir dans un projet artistique qui leur donne -ou redonne- le goût de créer, leur permette, peu à peu, de retrouver des repères et une image positive d'eux-mêmes et du monde qui les entoure. La Source accueille aujourd'hui dans sa propriété de La Poultière, dans l'Eure, environ 170 jeunes, de 6 à 18 ans. Beaucoup sont en proie à des difficultés, familiales, scolaires, sociales. Participer aux ateliers animés par des artistes « professionnels » les éloigne d'une vie délinquante.
Cet objectif suffit à réunir dans un même enthousiasme artistes en herbes et artistes confirmés, filleuls et parrains. Pour les uns, comme pour les autres, selon le mot de Max Jacob : « L'art est un jeu. Tant pis pour celui qui s'en fait un devoir ». Cette exposition a donc le charme hétéroclite d'un « Inventaire » à la Prévert : bric à brac de plâtre, métal, béton, acrylique, ardoise ; vieux chiffons froissés, papiers mâchés, lanternes de cire et de bois ; troupeau de vaches naïves.
Car, « Pour faire le portrait d'un oiseau », M. le Questeur Derosier le sait, qui a choisi ce poème pour notre anthologie parlementaire de poésie, il ne faut :
« pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau »
Ces libres enfants de Marcilly grandiront si nous leur en donnons l'envie autant que les moyens. Pour ma part, je suis heureux que l'Assemblée les encourage, à son tour, à croire en eux et donc à croire en nous.
En attendant, je vous invite à partager avec moi le verre de l'amitié.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 04 juin 1999)