Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la carrière de Gaston Monnerville, Paris le 7 novembre 2001.

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Circonstance : Hommage à Gaston Monnerville "De la France équinoxiale au Palais du Luxembourg" lors des Entretiens d'Oudinot, à Paris le 7 novembre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
bonsoir à tous,
aux amis désormais fidèles à ce rendez-vous des Entretiens d'Oudinot,
aux compagnons de Gaston Monnerville,
aux sénateurs qui siégèrent à ses côtés,
aux membres éminents de la société des Amis du Président Gaston Monnerville.
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer pour une manifestation empreinte de simplicité mais, pour moi, de grande signification politique et républicaine.
Avant d'en venir aux raisons qui font que j'ai tenu à rendre hommage avec vous à ce fils d'outre-mer qui fut aussi une grande figure de notre République, un mot à l'attention des habitués des Entretiens d'Oudinot. Notre formule d'aujourd'hui diffère, à certains égards, de nos rendez-vous thématiques entre chercheurs, praticiens et citoyens puisqu'elle est exceptionnellement dédiée à la mémoire d'un homme et mobilise, pour la première fois, les ressources de la documentation audiovisuelle. Mais elle correspond finalement bien à l'intention initiale : donner à voir, à mieux connaître et mieux comprendre les nombreuses facettes et très riches heures des réalités d'outre-mer. Et quoi de plus riche que les hommes qui ont pris leur destin en mains et voulu peser de tout leur talent, de toutes leurs convictions, sur le devenir collectif ?
J'ajoute que, comme à l'accoutumée, nous pouvons compter ce soir sur des compétences historiques et scientifiques qui nous éclaireront sur les raisons et les façons qui furent celles de Gaston Monnerville.
Je remercie tout particulièrement Rodolphe Alexandre qui nous fait l'amitié de venir spécialement de Guyane pour la circonstance alors même, je le sais, que d'importants engagements auraient dû l'y retenir. Rodolphe Alexandre est l'auteur d'une très remarquable biographie : " Gaston Monnerville et la Guyane ". Il me l'avait aimablement adressée et je profite de l'occasion pour lui dire avec quel intérêt je l'ai dévorée. J'y ai beaucoup appris. Comme d'ailleurs dans le livre consacré par Jean-Paul Brunet, professeur d'histoire contemporaine à l'Ecole normale supérieure, au " Républicain qui défia de Gaulle ", c'est le sous-tire de cet ouvrage. Je le remercie d'être lui aussi des nôtres et je compte sur lui pour nous éclairer dans le débat qui, je l'espère, suivra. A tous ceux qui souhaitent en savoir plus, je signale que ces deux ouvrages sont disponibles à la table que nous avons tenu à faire pour les amateurs de nourritures spirituelles complémentaires.
Merci aussi à Philippe Martial, que nous entendrons également. Il a longtemps dirigé la bibliothèque et les archives du Sénat, auxquelles nous devons les documents exposés ce soir. Il est également secrétaire général de la société des Amis du Président Gaston Monnerville. Proche de l'homme, c'est aussi, beaucoup d'entre vous le savent, un fin connaisseur de l'uvre, dont les articles font autorité. Je le remercie de sa présence et aussi du sérieux coup de main qu'il nous a donné pour organiser cette soirée, poussant même l'amabilité jusqu'à nous prêter le buste de Gaston Monnerville que vous voyez ici.
L'impulsion initiale revient à Henriette Dorion-Sébéloué dont je n'ai pas besoin de dire à quel point elle fut, elle aussi, proche de Gaston Monnerville. Je crois même, sans pousser trop loin l'indiscrétion, que leurs jours de naissance sont voisins A la présidence de l'Union des Guyanais et Amis de la Guyane, association très appréciée en ces lieux, Henriette Dorion Sébéloué a succédé à Gaston Monnerville dont, avec son énergie coutumière, elle s'attache à faire vivre la mémoire, notamment en direction des plus jeunes. Je crois savoir qu'elle a embarqué en Guyane de jeunes élèves du département du Lot dont Gaston Monnerville fut l'élu au long cours et où, aujourd'hui, un établissement scolaire porte son nom (exemple qui pourrait avantageusement être suivi ailleurs).
Merci, donc, à eux trois pour leur fidélité à celui dont nous allons évoquer le trajet et les combats.
Je vous rassure : je ne me substituerai ni aux historiens qui nous apportent leur concours ni au documentaire, " Gaston Monnerville, l'avenir de la République ", réalisé par Barcha Bauer et Alex Dolgorouki, que nous allons voir ensemble. Il a été coproduit par RFO, dont je salue les représentants ici présents, et le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer y a apporté son soutien.
Je vous dirai simplement quelques mots des raisons profondes qui m'ont conduit à vouloir que le Ministère dont j'ai la charge célèbre en ses murs ce 10ème anniversaire de la mort de Gaston Monnerville.
Il fut de tous les grands combats d'un siècle qui n'en pas manqué. J'ai, je ne vous le cache pas, une tendresse particulière pour le jeune avocat qui défendit les partisans guyanais de Jean Galmot. Sa magnifique plaidoirie devrait être davantage étudiée dans nos écoles. Je l'imagine affirmant devant la Cour que le procès fait à ses malheureux clients n'est pas de droit commun mais pleinement politique et qu'il entend, lui, instruire le procès de la politique coloniale. Aux jurés de la Cour d'Assise de Nantes (ville qui, comme vous le savez, fut jadis l'une des place-fortes de la traite négrière), en ce 20 mars 1931, il donne une puissante leçon d'histoire et de droit. Il prend au mot le meilleur de la promesse républicaine non pour mendier la clémence mais pour exiger l'acquittement. Il l'obtint.
Cette façon de " sortir par le haut " sans rien édulcorer, de combiner la rigueur de la démonstration et l'ampleur de la vision, si caractéristique de sa manière, reste, je le crois, une source d'inspiration toujours actuelle. La politique est noble quand elle noue solidement le fil qui doit relier les principes aux actes. Gaston Monnerville était de ceux pour qui cette éthique de l'action allait de soi.
Point n'est besoin, avec le recul que nous autorise le temps passé, de partager en tous points tous ses choix, point n'est besoin d'épouser après coup toutes ses vues sur le destin des colonies de l'époque, les chances de l'Union française ou l'avenir de nos institutions dans la 5ème République. L'important est qu'à chaque grand rendez-vous de l'histoire, Gaston Monnerville prit le parti de l'engagement et le fonda sur des valeurs qui sont toujours les nôtres. Liberté, égalité, fraternité : il prenait cela au sérieux. Nous aussi, dans le contexte d'aujourd'hui.
Dans cette salle qui porte le nom de Félix Eboué, autre grand Guyanais, nous avons à plusieurs reprises, depuis quelques mois, évoqué l'avenir de la Guyane. Bien que ce débat réponde aux aspirations du siècle qui s'ouvre et qu'un regard renouvelé soit porté sur les outre-mers dans leur diversité, j'aborde, pour ma part, ces questions en rappelant sans relâche ces valeurs qui nous guident.
L'amnésie n'est pas une vertu républicaine. Nous avons, je le crois, un devoir de transmission à l'égard des plus jeunes. Beaucoup ne savent rien de Gaston Monnerville et des combats de sa vie. Beaucoup ignorent que, pendant plus de 20 ans, le Président du Sénat fut un originaire d'outre-mer et qu'il fut, à ce poste, l'un des trois personnages les plus importants de notre République. Ce fils de Guyane n'échappa pas, au cours de sa vie, à l'imbécile préjugé raciste et sut forcer le respect sans jamais se trahir ou se renier. Dans les années 30, à l'aube de sa carrière politique, la presse réactionnaire s'indignait qu'on nommât un " homme de couleur ", comme on disait à l'époque, au gouvernement de la France. " Derrière le rouge du Front Populaire vient le Noir " titrait avec effroi une gazette coloniale Plus tard, il dut affronter des formes plus feutrées de discrimination. Mais ses électeurs, eux, s'en fichaient bien, de sa couleur : ils voulaient son talent.
Gaston Monnerville n'a jamais manqué de revendiquer son origine guyanaise " j'ai promis à mon pays, écrivait-il en 1933 dans La Voix du Peuple, je me suis promis à moi-même de le faire connaître sous son vrai jour ". Il n'en a pas dévié. Il fut l'élu des Guyanais, puis celui de St Céré et du Lot. Pleinement lui-même ici et là-bas. Il obtint à force d'acharnement la suppression du bagne, cette insulte aux droits de l'homme et à sa terre natale. Juriste de grande maîtrise mais jamais fétichiste de la technique juridique, il pratiquait le droit non comme rempart des privilèges mais comme protection essentielle des droits égaux de tous. Je crois qu'il aurait été heureux que la France soit, depuis le 10 mai dernier, de tous les pays impliqués jadis dans la traite et l'esclavage, le premier et jusqu'à ce jour le seul à reconnaître le crime pour ce qu'il fut : un crime contre l'humanité.
J'ai eu souvent l'occasion de dire que je revendique avec et pour les outre-mers une politique de la fierté. Cette politique marche sur deux jambes : elle implique qu'on ait, outre-mer, la fierté de soi et des siens ; elle implique que la France entière soit fière de cette histoire commune et sache rendre hommage à ceux qui l'ont incarnée avec grandeur :
- Delgrès et ses compagnons choisissant, au fort de Matouba, la mort plutôt que la servitude (nous nous apprêtons à en commémorer, en 2002, le bicentenaire).
- Monnerville s'engageant précocement contre le nazisme, prenant l'uniforme durant la 2è guerre mondiale alors qu'il n'a plus l'âge d'être mobilisé puis rejoignant les maquis de la Résistance et enfin, au fil d'une longue et belle carrière, assumant les responsabilités d'un homme d'Etat.
- Fanon, dont nous évoquerons la mémoire le mois prochain, tout de révolte incandescente et partageant au moins cela avec Monnerville : la fidélité aux principes, l'exigence intellectuelle, le courage dans l'action, le sens de la solidarité.
De tous ceux-là et bien d'autres encore, nous pouvons être fiers et, avec nous, ces terres -Guyane, Guadeloupe, Martinique - qui les ont portés et forgés. C'est cela aussi la politique de la fierté, où histoire et mémoire ont leur place. Monnerville était fier et je suis heureux que, ce soir, nous puissions dire ensemble que nous sommes fiers de le compter parmi nos plus grands et nos plus inspirants.
Dans l'ouvrage qu'il a consacré à Clemenceau, Gaston Monnerville a écrit : " quelle est la dominante de cette vie ? Essentiellement l'unité. Oui, l'unité d'une vie, telle nous paraît être la leçon à en tirer. Un seul combat pour une même cause : la justice ". Eric Duhamel (à qui j'emprunte ces mots cités lors d'un colloque organisé en 1997 à Cayenne) tient ce portrait d'un autre pour un véritable auto-portrait. C'est très juste.
En d'autres temps, Monnerville a travaillé et exercé des responsabilités ministérielles dans ces murs. Son bureau y est toujours. Son souvenir doit y avoir sa place. J'aimerais que les rues de nos villes, le fronton de nos écoles, un timbre aussi et, pourquoi pas, une station de métro aux abords du Sénat inscrivent davantage dans la mémoire collective la forte trace de Ti-Momo, le sage du Palais du Luxembourg. Je sais que des démarches ont été engagées en ce sens et je m'y associe bien volontiers. Nous avons retrouvé, dormant quelque peu dans les archives, les Actes du colloque organisé en 1996 par la Société des Amis du Président Gaston Monnerville et le Centre d'Histoire de l'Europe du XXème siècle. J'ai décidé que le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer s'efforcerait d'en assurer la publication en coopération avec la Fondation nationale des Sciences politiques. Je sais que les actes d'autres excellents colloques sont disponibles mais je crois qu'il est de notre devoir de ne rien laisser dans l'oubli des travaux de qualité suscités par celui qui tenait " la probité républicaine " pour la vertu majeure.
Place maintenant à l'évocation filmée puis à la parole experte de ceux qui m'entourent.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr)