Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'industrie de défense, à Clermont-en-Argonne le 23 février 2016.

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Circonstance : Visite de la société Realmeca, à Clermont-en-Argonne (Meuse) le 23 février 2016

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Président, cher Jean Friess que j'ai tant de plaisir à retrouver ici,
Je dois vous le dire, cette visite me réjouit pour de multiples raisons – la première d'entre elles étant qu'elle me permet d'honorer enfin une promesse que j'avais faite à Jean Friess lors de notre première rencontre. C'était à Fréjus, en novembre 2012, alors que nous transférions les cendres du Général Bigeard dans sa dernière demeure.
Je sais que vous étiez attaché à cette personnalité, que j'ai moi-même connue à la commission de la Défense de l'Assemblée nationale. Et je sais que vous portez plus largement une attention remarquable aux questions de défense. Vous leur avez consacré votre vie, et je ne pense pas seulement à la réserve dont vous avez gravi tous les échelons, jusqu'au grade de colonel.
Cette vie, et notamment votre parcours industriel d'exception sur lequel je vais revenir dans un instant, vient d'être récompensée par la plus haute distinction dans l'Ordre de la Légion d'honneur, l'insigne de Grand-Croix que le Président de la République vous remettra bientôt. Vous étiez deux en cette fin d'année dernière à vous la voir attribuer, un ancien Premier ministre, Lionel Jospin et vous-même, et je me réjouis de vous voir récompensé à ce niveau et aux côtés d'une telle personnalité.
J'attendais cette visite avec une réelle impatience. Les hasards du calendrier, et les événements dramatiques que nous avons connus récemment, m'ont conduit à devoir la reporter à plusieurs reprises. Mes attentes étaient d'autant plus grandes ! Mais ce que je viens de voir dépasse même ces attentes. Je retrouve ici, en concentré, plusieurs convictions qui m'animent en tant que ministre de la défense, et je voudrais m'attarder un peu sur chacune d'entre elles.
Ma première conviction, je crois qu'elle sera largement partagé ici, c'est que l'excellence technologique ne se trouve pas qu'en région parisienne. J'ai été conduit à le redire à plusieurs reprises, en particulier dans une autre région, qui se trouve un peu plus à l'Ouest !
Revenons ici un peu en arrière, en 1962 exactement : un petit groupe de visionnaires dont vous faisiez partie, Monsieur Friess, installait ici même, dans ce qui était un parc à vaches, une usine de machines à fileter. Vous dites souvent qu'il fallait être fou pour le faire. Je crois que le résultat montre qu'il fallait surtout être visionnaire et tenace. Et vous l'avez été. Aujourd'hui, la société a fait du chemin, tout en conservant ses racines meusiennes. Avec ses 140 employés, elle en emploie autant dans une chaîne de sous-traitance elle aussi locale. C'est dire la richesse que vous avez créée dans cette belle région. Mais comment passe-t-on d'une usine de filetage mécanique à l'entreprise qui fabrique plus de dix produits parmi les plus complexes du Rafale ? Le tournant a lieu entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, avec un client qui sera décisif pour la suite : la société Electronique Marcel Dassault, qui se retrouvera ensuite intégrée à Thalès, que j'ai plaisir à saluer ici.
Cela me permet d'en venir à ma deuxième conviction, à savoir l'effet d'entrainement de l'industrie de défense. Au début des années 1980, les performances demandées aux brouilleurs du Mirage 2000, puis au missile MICA, nécessitaient des procédés d'usinage d'une complexité et d'une précision qui semblaient difficilement atteignables. Vous avez alors décidé de passer aux machines à commandes numériques, et êtes progressivement devenu le leader mondial dans la machine-outil de haute précision et de petite capacité. Avec deux piliers : d'une part des produits pour l'aéronautique, militaire essentiellement, et, pour les fabriquer, d'autre part, des machines-outils que vous concevez et produisez vous-mêmes, pour répondre aux exigences toujours plus fortes du monde de la défense.
Ces machines-outils, vous en vendez aussi dans de nombreux secteurs de l'industrie. On le sait peu, mais c'est ici que sont conçues les machines permettant de fabriquer les stylos et les briquets Dupont, Waterman, Montblanc, les montres Richard Mille ou les lames de rasoir Gillette. Et je passe sur l'automobile, le médical, la joaillerie ou encore l'optique… Cette dualité, et cet effet d'entraînement de la défense sur le secteur civil, je les ai souvent mis en avant. Je le répète aujourd'hui avec la joie d'en voir ici une magnifique illustration : un seul euro investi dans l'industrie de défense représente en retombée économique 2 euros, 3 euros, peut-être davantage. Il est utile pour la pour la réflexion sur la stratégie industrielle d'y réfléchir, au moins de le mettre en valeur et de le constater. Nous avons en ce lieu une traduction très concrète de ce que cela signifie.
Ma troisième conviction, mais cela commence à être une évidence, c'est que l'industrie de défense française est au plus haut niveau mondial. Vous connaissez nos résultats à l'export : les prises de commandes se sont accélérées, 16 milliards d'euros en 2015. Et ce n'est pas fini. J'ai évalué avec mes équipes à 40 000 le nombre d'emplois qui seront créés dans les années qui viennent pour soutenir cette montée en puissance de l'industrie de défense française dont le Rafale est, sans doute, le fleuron le plus spectaculaire. Or, on parle souvent des grands groupes, mais je suis particulièrement heureux de mesurer cet effet chez une PME sous-traitante, ici-même. Vous vous êtes très vite mis en mesure de multiplier par 3 vos cadences de productions associées au Rafale : cela se traduit par plusieurs dizaines d'emplois créés ici-même ou dans les sociétés de sous-traitance, recrutés souvent localement, et formés par vous. Mais ce sont aussi de nouvelles machines-outils prêtes à suivre cette montée en charge. Je viens de les voir. Ce que je tiens à dire ici, c'est que si ces excellents résultats à l'exportation vous bénéficient, n'ayez aucun doute, Mesdames et Messieurs les personnels de Realmeca, que ces succès sont avant tout la reconnaissance de votre excellence, de votre qualité, de votre ambiance de travail. Vous y avez donc votre pleine part. Vous pouvez en être fiers, car de cette manière vous portez haut les valeurs d'excellence de la France.
Permettez-moi peut-être de m'arrêter sur un quatrième point qui me tient tout particulièrement à cœur : les PME. Pour faire face aux enjeux et aux menaces auxquels notre pays se trouve confronté, le ministère de la Défense peut et doit s'appuyer sur un tissu d'entreprises performantes et innovantes, de toutes les tailles et dans tous les domaines. Les PME et ETI jouent ici un rôle clé grâce à leur capacité de réactivité, d'adaptation et d'innovation. Elles constituent à la fois un levier de performance pour la Défense et un élément structurant de nos territoires. C'est la raison pour laquelle j'ai lancé, fin 2012, le Pacte Défense PME, afin de soutenir les PME et les ETI, et leur permettre notamment de trouver, dans la sphère Défense, toute leur place aux côtés des grands groupes. Ce Pacte est désormais pleinement opérationnel. Il produit des résultats dont je suis particulièrement fier. Je voudrais vous en donner quelques exemples, parmi beaucoup d'autres :
- le délai global de paiement du ministère de la Défense a été ramené à 26 jours en 2015, ce qui représente une diminution de 43 % depuis 2012. Et il est bien encore inférieur pour les PME ;
- plus de 9000 nouvelles entreprises se sont référencées sur les sites internet du ministère grâce à une simplification de l'accès et une information continue ;
- 63 % des entreprises ayant travaillé avec le ministère au cours des dernières années considèrent que ses procédures administratives sont compréhensibles et accessibles aux PME, un pourcentage en hausse régulière depuis 2013. Nous sommes à 63 %, il faut aller au-delà. Néanmoins, ce sont des signes qui montrent que ce Pacte Défense PME commence à donner des résultats ;
- pour toutes ces raisons, et bien d'autres, la Défense est devenue en 2014 le premier ministère - et encore à ce jour le seul - à être labellisé pour ses relations fournisseurs responsables.
Dans votre cas particulier, nous n'avons pas, je crois, de relation contractuelle directe, mais essentiellement par le biais de grands maîtres d'œuvre. J'ai signé avec ces grands groupes des conventions qui visent à traduire dans vos contrats de sous-traitance les facilités du Pacte Défense PME. J'évalue chaque année le bon respect d'exigences. Vous m'avez dit, Monsieur Friess, ne pas avoir trop à vous plaindre de vos donneurs d'ordre, Thalès en particulier ici présent, ce dont je me réjouis.
Mesdames et Messieurs, arrivé au terme de cette visite, je voudrais souligner à quel point cet après-midi aura été passionnant et encourageant pour le ministre que je suis. Une PME ancrée au plein cœur de la Meuse, qui, s'appuyant sur plus de 50 ans d'histoire, s'impose comme un leader mondial de la machine-outil haute précision, en ayant eu l'intelligence de prendre les bons virages, dont celui du numérique en avance sur son temps, qui réalise des équipements parmi les plus complexes du Rafale, contribuant ainsi à son succès exceptionnel. Une entreprise qui recrute, qui forme, qui s'adapte, qui irrigue un tissu industriel local, qui se diversifie dans le civil en s'appuyant sur l'excellence acquise dans le domaine militaire : il y a là un modèle qui peut tous nous inspirer !
Cher Jean Friess, lorsque l'on se retourne sur l'histoire, vous avez su faire de ce parc à vaches acquis en 1962, de cette parcelle de terre meusienne, votre « parcelle de gloire », pour reprendre un titre qui vous est cher. En œuvrant ainsi directement au profit de la sécurité de nos forces particulièrement sollicitées aujourd'hui, vous tous illustrez la France qui gagne, la France qui est aussi attachée à ses valeurs, et qui les porte haut dans tous les combats qu'elle se reconnaît. Que ce soit le combat industriel ou le combat militaire. Soyez-en vivement remerciés.
http://www.defense.gouv.fr, le 24 février 2016