Texte intégral
Vous êtes devenu depuis quelque temps la coqueluche des médias, ce qui nous vaut, de leur part, un traitement exceptionnel. Personnellement, je ne m'en offusquerai pas : dans ce monde politique où trop ont renoncé à leurs convictions pour leurs ambitions et ont sacrifié le bien commun au profit de leurs propres intérêts, vous êtes reconnu pour votre honnêteté et votre fidélité à vos convictions. Avec votre personnalité, à votre manière, vous avez refusé le politiquement correct et la pensée conforme. Mieux, parce que vous êtes à gauche et que personne ne pourra vous accuser de dérives, vous pouvez prononcer des discours qui, s'ils étaient tenus par un homme de droite, seraient immédiatement catalogués comme des discours extrémistes ! Avec constance, vous vous faites le défenseur des valeurs traditionnelles : autorité de l'Etat, indépendance nationale, sécurité des citoyens. Vous le faites avec talent.
Ces qualités évidentes dont vous faites preuve suffisent-elles à votre succès ? Je ne le pense pas. Vos adeptes sont assez nombreux, dit-on, mais ils sont surtout très divers, ils vont de la gauche à la droite : car ce qui vous caractérise, c'est la nostalgie, et vous réunissez les nostalgiques de tout bord. Vous êtes sympathique parce que l'on sent que vous aimez la France : mais vous aimez la France d'hier qui sent la naphtaline, celle des images d'Epinal et de l'almanach des postes.
Vous rêvez encore de l'Etat-nation tels que les siècles d'avant l'avaient construit, nanti d'une souveraineté absolue. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La France a besoin de l'Europe pour demeurer un pays qui compte. La souveraineté de Jean Bodin n'a plus de sens dans ce monde aux frontières ouvertes.
Vous rêvez encore à l'école républicaine et à ses instituteurs en blouse grise qui ont fait ânonner à des générations d'enfants les préfectures et les sous-préfectures. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La France est entrée, comme les autres pays, dans la modernité qui valorise la personne individuelle, ses capacités et ses goûts. Elle ne peut plus faire marcher au pas toute une jeunesse et imposer de Lille à Biarritz la même dissertation. Les régions cultivent leur identité propre. La carte scolaire centrée sur le fonctionnariat enseignant n' a plus de sens quand chaque famille réclame la liberté de choisir son école. La république de Jules Ferry n'a plus de sens dans une société ouverte et mobile.
Vous rêvez encore du service militaire à l'ancienne où le mélange des milieux sociaux façonnait la seule identité française. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La guerre moderne réclame des armées de professionnels et nos ennemis nous imposent de substituer la compétence au nombre. Or ce sont nos ennemis d'aujourd'hui qu'il nous faut combattre, et non ceux d'hier.
Vous rêvez d'une puissance militaire, diplomatique et même démographique qui permette à la France de garantir son indépendance absolue, de conclure des alliances comme au temps de Richelieu. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La mondialisation, l'affirmation de grands pays comme les Etats-Unis et la Russie, nous imposent d'envisager notre avenir dans le cadre de l'Union européenne. Refuser une telle évidence nous conduirait à l'isolement puis à l'effacement.
Vous rêvez encore d'une économie encadrée et planifiée, sur le modèle imaginé par Colbert, et vous prônez l'intervention de l'Etat avec, entre autres, une politique de grands travaux et un contrôle des changes, pour " réduire les inégalités et juguler le chômage ". Ce fut une belle utopie, mais elle s'est fracassée sur les réalités du temps.
Vous rêvez On pourrait multiplier les exemples. Et c'est bien cela qui vous rend sympathique : vous n'êtes pas satisfait de l'état présent des choses, en d'autres mots, vous n'êtes pas un conservateur, alors que tant d'autres se réjouissent d'une situation tiède accompagnée de tous ses petits avantages. Non, vous n'êtes pas un conservateur : vous êtes un réactionnaire, car vous ne souhaitez pas prolonger la situation présente, qui vous apparaît dégradée, mais vous souhaitez remonter le temps, retrouver la situation d'avant - c'est le propre même de la réaction.
Il y a en France toutes sortes de nostalgiques de l'âge d'or : de gauche et de droite. En brandissant l'étendard du passé, vous les attirez derrière vous comme le musicien de la fable. Car l'âge d'or est une musique douce à entendre pour un peuple qui a du vague à l'âme, et qui craint terriblement d'accomplir les transformations nécessaires. C'est parce que ce peuple ne veut pas changer qu'un candidat tel que vous peut exister. Vous incarnez avec talent et ardeur deux caractéristiques du peuple français, qui au moment présent l'empêchent d'avancer : la vanité et la peur. La vanité par laquelle il croit pouvoir rester la seule " exception " jacobine, centralisée, égalitaire, dans un monde fédéral, décentralisée, demandeur d'autonomies. La peur qui lui fait craindre les expériences, les changements, la perte des petits avantages, les bouleversements de statuts.
La réaction n'est jamais un programme : tout juste un hallali. On n'attend pas des politiques qu'ils conjurent des peurs, mais qu'ils parent aux dangers. On n'attend pas des politiques qu'ils regrettent, mais qu'ils projettent. Et le futur nous est imposé, avec des transformations du monde qui échappent à notre volonté et les événements jetés devant nous. C'est l'avenir que nous pouvons créer, mais à partir du futur réel. Le passé n'est pas une patrie. Vos regrets peuvent plaire à un certain nombre de désespérés. Mais ils ne construiront rien du tout, ils seront simplement un cautère sur une jambe de bois. Vos certitudes vont à l'inverse de mes convictions profondes. Je crois que devant l'ébranlement mondial et l'éparpillement des puissances auxquels nous assistons, il faut construire un avenir de fédéralisme qui seul nous permettra de maintenir un lien social sans récuser les désirs d'autonomie.
Je crois que face à une crise internationale telle que nous la traversons, la France seule n'a plus la puissance suffisante pour peser sur l'évolution du monde, et dessiner l'ordre international de demain. C'est la construction d'une Europe politique qui lui permettra de retrouver sa place et son rayonnement.
Je crois que devant l'exigence de liberté individuelle, la France ne pourra s'enfermer dans une approche centralisée des problèmes éducatifs et sociaux, que la France est trop riche en personnalités, en compétences, en intelligences, pour se voir imposer un moule unique, un modèle unique, comme l'idéologie républicaine a voulu le promouvoir ; et qu'il est indispensable de recourir à l'expérimentation, à l'innovation, à l'émulation.
Je crois que la première des libertés est la sécurité, mais que cela impose à l'Etat de se consacrer essentiellement à ses missions régaliennes, en respectant le principe de subsidiarité et en garantissant l'autonomie des collectivités territoriales.
Je crois que le développement économique et social ne se décrète pas, mais qu'il résulte de la confiance faite aux entreprises et du respect de l'initiative et du contrat.
Non, je ne crois pas qu'à restaurer les structures d'hier, on construise l'avenir ; je ne crois pas que ce qui fit le pouvoir d'hier puisse satisfaire aux exigences de la puissance future. Je ne crois pas que la France de demain, ce soit des fonctionnaires nommés, titulaires de prérogatives de puissance publique dans un pays aux frontières fermées, où les parents travaillent tous deux dans des ateliers nationaux, protégés de la concurrence étrangère, et où Paris décide du nombre de lignes téléphoniques allouées à chaque foyer.
Vos rêves, Jean-Pierre Chevènement, ne sont rien d'autre qu'une nouvelle ligne Maginot. Toutefois, merci. Car par votre attitude, par vos prises de position, vous nous avez fait quitter le débat conventionnel, ennuyeux, conforme, qui s'organisait entre le premier ministre et le président de la République par hauts fonctionnaires interposés.
Merci, car vous nous permettez de soumettre aux Français un vrai choix, le seul choix qui vaille, entre la solution républicaine, jacobine et étatiste, et la solution démocrate, girondine et libérale.
(source http://www.d-l-c.org, le 16 novembre 2001)
Ces qualités évidentes dont vous faites preuve suffisent-elles à votre succès ? Je ne le pense pas. Vos adeptes sont assez nombreux, dit-on, mais ils sont surtout très divers, ils vont de la gauche à la droite : car ce qui vous caractérise, c'est la nostalgie, et vous réunissez les nostalgiques de tout bord. Vous êtes sympathique parce que l'on sent que vous aimez la France : mais vous aimez la France d'hier qui sent la naphtaline, celle des images d'Epinal et de l'almanach des postes.
Vous rêvez encore de l'Etat-nation tels que les siècles d'avant l'avaient construit, nanti d'une souveraineté absolue. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La France a besoin de l'Europe pour demeurer un pays qui compte. La souveraineté de Jean Bodin n'a plus de sens dans ce monde aux frontières ouvertes.
Vous rêvez encore à l'école républicaine et à ses instituteurs en blouse grise qui ont fait ânonner à des générations d'enfants les préfectures et les sous-préfectures. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La France est entrée, comme les autres pays, dans la modernité qui valorise la personne individuelle, ses capacités et ses goûts. Elle ne peut plus faire marcher au pas toute une jeunesse et imposer de Lille à Biarritz la même dissertation. Les régions cultivent leur identité propre. La carte scolaire centrée sur le fonctionnariat enseignant n' a plus de sens quand chaque famille réclame la liberté de choisir son école. La république de Jules Ferry n'a plus de sens dans une société ouverte et mobile.
Vous rêvez encore du service militaire à l'ancienne où le mélange des milieux sociaux façonnait la seule identité française. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La guerre moderne réclame des armées de professionnels et nos ennemis nous imposent de substituer la compétence au nombre. Or ce sont nos ennemis d'aujourd'hui qu'il nous faut combattre, et non ceux d'hier.
Vous rêvez d'une puissance militaire, diplomatique et même démographique qui permette à la France de garantir son indépendance absolue, de conclure des alliances comme au temps de Richelieu. C'était une belle idée, une belle réalité, mais elle est usée. La mondialisation, l'affirmation de grands pays comme les Etats-Unis et la Russie, nous imposent d'envisager notre avenir dans le cadre de l'Union européenne. Refuser une telle évidence nous conduirait à l'isolement puis à l'effacement.
Vous rêvez encore d'une économie encadrée et planifiée, sur le modèle imaginé par Colbert, et vous prônez l'intervention de l'Etat avec, entre autres, une politique de grands travaux et un contrôle des changes, pour " réduire les inégalités et juguler le chômage ". Ce fut une belle utopie, mais elle s'est fracassée sur les réalités du temps.
Vous rêvez On pourrait multiplier les exemples. Et c'est bien cela qui vous rend sympathique : vous n'êtes pas satisfait de l'état présent des choses, en d'autres mots, vous n'êtes pas un conservateur, alors que tant d'autres se réjouissent d'une situation tiède accompagnée de tous ses petits avantages. Non, vous n'êtes pas un conservateur : vous êtes un réactionnaire, car vous ne souhaitez pas prolonger la situation présente, qui vous apparaît dégradée, mais vous souhaitez remonter le temps, retrouver la situation d'avant - c'est le propre même de la réaction.
Il y a en France toutes sortes de nostalgiques de l'âge d'or : de gauche et de droite. En brandissant l'étendard du passé, vous les attirez derrière vous comme le musicien de la fable. Car l'âge d'or est une musique douce à entendre pour un peuple qui a du vague à l'âme, et qui craint terriblement d'accomplir les transformations nécessaires. C'est parce que ce peuple ne veut pas changer qu'un candidat tel que vous peut exister. Vous incarnez avec talent et ardeur deux caractéristiques du peuple français, qui au moment présent l'empêchent d'avancer : la vanité et la peur. La vanité par laquelle il croit pouvoir rester la seule " exception " jacobine, centralisée, égalitaire, dans un monde fédéral, décentralisée, demandeur d'autonomies. La peur qui lui fait craindre les expériences, les changements, la perte des petits avantages, les bouleversements de statuts.
La réaction n'est jamais un programme : tout juste un hallali. On n'attend pas des politiques qu'ils conjurent des peurs, mais qu'ils parent aux dangers. On n'attend pas des politiques qu'ils regrettent, mais qu'ils projettent. Et le futur nous est imposé, avec des transformations du monde qui échappent à notre volonté et les événements jetés devant nous. C'est l'avenir que nous pouvons créer, mais à partir du futur réel. Le passé n'est pas une patrie. Vos regrets peuvent plaire à un certain nombre de désespérés. Mais ils ne construiront rien du tout, ils seront simplement un cautère sur une jambe de bois. Vos certitudes vont à l'inverse de mes convictions profondes. Je crois que devant l'ébranlement mondial et l'éparpillement des puissances auxquels nous assistons, il faut construire un avenir de fédéralisme qui seul nous permettra de maintenir un lien social sans récuser les désirs d'autonomie.
Je crois que face à une crise internationale telle que nous la traversons, la France seule n'a plus la puissance suffisante pour peser sur l'évolution du monde, et dessiner l'ordre international de demain. C'est la construction d'une Europe politique qui lui permettra de retrouver sa place et son rayonnement.
Je crois que devant l'exigence de liberté individuelle, la France ne pourra s'enfermer dans une approche centralisée des problèmes éducatifs et sociaux, que la France est trop riche en personnalités, en compétences, en intelligences, pour se voir imposer un moule unique, un modèle unique, comme l'idéologie républicaine a voulu le promouvoir ; et qu'il est indispensable de recourir à l'expérimentation, à l'innovation, à l'émulation.
Je crois que la première des libertés est la sécurité, mais que cela impose à l'Etat de se consacrer essentiellement à ses missions régaliennes, en respectant le principe de subsidiarité et en garantissant l'autonomie des collectivités territoriales.
Je crois que le développement économique et social ne se décrète pas, mais qu'il résulte de la confiance faite aux entreprises et du respect de l'initiative et du contrat.
Non, je ne crois pas qu'à restaurer les structures d'hier, on construise l'avenir ; je ne crois pas que ce qui fit le pouvoir d'hier puisse satisfaire aux exigences de la puissance future. Je ne crois pas que la France de demain, ce soit des fonctionnaires nommés, titulaires de prérogatives de puissance publique dans un pays aux frontières fermées, où les parents travaillent tous deux dans des ateliers nationaux, protégés de la concurrence étrangère, et où Paris décide du nombre de lignes téléphoniques allouées à chaque foyer.
Vos rêves, Jean-Pierre Chevènement, ne sont rien d'autre qu'une nouvelle ligne Maginot. Toutefois, merci. Car par votre attitude, par vos prises de position, vous nous avez fait quitter le débat conventionnel, ennuyeux, conforme, qui s'organisait entre le premier ministre et le président de la République par hauts fonctionnaires interposés.
Merci, car vous nous permettez de soumettre aux Français un vrai choix, le seul choix qui vaille, entre la solution républicaine, jacobine et étatiste, et la solution démocrate, girondine et libérale.
(source http://www.d-l-c.org, le 16 novembre 2001)