Entretien de M. André Vallini, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, avec TV5Monde le 17 mars 2016, sur la Francophonie, la crise des réfugiés et sur l'aide au développement.

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Média : TV5

Texte intégral


Q - Vous êtes secrétaire d'État chargé du développement et de la Francophonie, merci infiniment de nous réserver votre première intervention à la télévision en tant que ministre. Vous venez de la Réforme territoriale et c'est un peu étonnant de se retrouver à la Francophonie.
R - Oui mais en politique, il faut être polyvalent. Je pense que, lorsqu'on s'intéresse à la chose publique, on s'intéresse bien sûr à ce qui se passe dans son propre pays, la réforme territoriale m'a passionné. On s'intéresse aussi à ce qui se passe dans le monde, et je remercie le président de la République de m'avoir proposé cette mission formidable. Je me passionne depuis un mois pour les dossiers qui me sont soumis, je lis des notes jour et nuit, je reçois beaucoup de monde dans mon bureau, je vais bien sûr me déplacer, je vais aller en Afrique très prochainement...
Q - Vous allez visiter quels pays africains ?
R - Je vais aller au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Guinée, au Niger, je vais visiter le maximum de pays...
Q - C'est la visite qui revient à la fin du mois avec Jean-Marc Ayrault ?
R - Non, sans Jean-Marc Ayrault. À la fin du mois et début avril, je vais notamment assister à l'intronisation du nouveau président nigérien. Je reviens à cette fonction qui me passionne : la francophonie, bien sûr, je suis un amoureux de la littérature française et de la langue française ; le développement, je suis passionné par les questions de développement évidemment ; et puis, bien sûr, l'action humanitaire est un sujet brûlant, l'actualité nous impose de nous en occuper tous les jours et je m'en occupe beaucoup. C'est évidemment ce qui se passe en Syrie et dans les pays de la région qui nous préoccupe ; et puis aussi les crises humanitaires qui peuvent exister ici ou là.
Bref ! L'humanitaire, le développement et la francophonie, c'est vraiment quelque chose qui - je le répète - me passionne. Je suis très heureux non pas d'avoir quitté la réforme territoriale mais, une fois la réforme territoriale achevée parce qu'elle était achevée, de passer à autre chose.
Q - André Vallini, dimanche c'est donc la Journée internationale de la Francophonie avec un thème cette année, le pouvoir des mots. Quand on parle de développement, on parle d'actions humanitaires, on parle de la langue française, on est dans la Semaine de la langue française, on se dit : finalement les mots ont un pouvoir ?
R - Les mots, les textes ont un pouvoir bien sûr. C'est par les mots, c'est par les textes, c'est par l'écrit - encore aujourd'hui, malgré l'audiovisuel ; tout cela est complémentaire bien sûr... -, mais c'est d'abord par l'écrit qu'on exprime une pensée, qu'on exprime une idée et qu'on peut la faire partager à des milliers, des millions, des centaines de millions d'êtres humains sur la terre.
Je suis donc très heureux que ce thème ait été choisi. Le pouvoir des mots, c'est plus important que jamais pour faire avancer de belles idées, pour défendre de belles valeurs mais aussi pour faire reculer des idées obscurantistes, des idées dangereuses...
Q - Oui, c'est-à-dire par exemple on voit aujourd'hui l'Afrique qui a été frappée par le terrorisme, on a vu la Côte d'Ivoire il y a encore quelques jours, Ouagadougou auparavant. On se dit : quel est le rôle de la Francophonie face à cet obscurantisme ?
R - La Francophonie, c'est bien sûr un espace linguistique ; on a une langue, on partage une très belle langue. La Francophonie, c'est au moins autant et peut-être d'abord une idée ; ce sont des principes, ce sont des valeurs, des valeurs héritées du siècle des Lumières, des valeurs humanistes, des principes démocratiques.
La Francophonie, c'est aussi une communauté d'hommes et de femmes tout autour de la terre, sur les cinq continents, qui parlent la même langue, qui aiment la même langue même s'ils ne la parlent pas tous les jours, qui aiment cette langue française, langue de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789, de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948.
Donc, je veux vraiment mettre mon action en matière de Francophonie sous le signe des libertés, des droits de l'Homme, de la démocratie et de la paix.
Q - Quand on parle de démocratie, il y a des élections en Afrique, on a le Congo-Brazzaville, dimanche le Bénin, qu'est-ce qu'on dit, qu'est-ce que la France dit par rapport à ces processus électoraux qui sont souvent contestés encore aujourd'hui ?
R - La France dit partout dans le monde, en Afrique comme sur tous les continents, qu'elle est attachée au respect de la démocratie, des droits de l'Homme, de la liberté d'expression, de la liberté de réunion, attachée à la transparence de la vie politique partout dans le monde. La démocratie, ce n'est pas un luxe qui serait réservé à quelques pays occidentaux, il faut que partout la démocratie progresse, bien sûr, en Afrique comme dans le monde entier.
Q - Oui, et donc on reconnaît la légitimité des chefs d'État africains ?
R - Un chef d'État africain ou d'un autre continent, lorsqu'il est élu, évidemment il est légitime. La France entretient des relations - et heureusement - avec tous les États d'Afrique en particulier...
Q - C'est-à-dire la fin de la Françafrique définitivement.
R - La Françafrique est derrière nous, bien sûr. Ce qui est devant nous, c'est la progression des droits de l'Homme et la France veut y contribuer. Et la Francophonie, l'espace francophone nous aide à contribuer à faire avancer la démocratie en Afrique, mais pas seulement sur ce continent. Je ne veux pas polariser la question de la démocratie sur l'Afrique, il faut que la démocratie progresse toujours, y compris chez nous en France.
Q - Y compris en Europe par exemple.
R - Y compris en Europe...
Q - L'Europe ferme ses portes aujourd'hui.
R - Oui, là c'est un sujet un peu différent mais l'Europe n'est pas à la hauteur de ce que devrait être sa mission. L'Europe n'est pas à la hauteur aujourd'hui de la vocation qu'elle s'est donnée après la Deuxième guerre mondiale, d'être un espace de liberté, de démocratie, d'ouverture aux autres.
Je ne suis pas fier de ce qui se passe en Europe aujourd'hui. Je pense que l'Union européenne est en train de désespérer tous ceux qui ont cru et qui aimeraient croire encore dans le projet européen, dans l'idéal européen.
Mais il n'est pas trop tard pour se ressaisir. J'espère que le sommet qui commence ce soir va permettre d'avancer dans la bonne direction, non pas dans les directions sur lesquelles on a hésité depuis quelques semaines, mais dans la bonne direction. Il faut que l'Europe s'organise, se réorganise, qu'elle soit plus efficace dans l'accueil des réfugiés et surtout plus ouverte, plus généreuse.
Q - Généreuse, y compris la France dans l'accueil des réfugiés à l'heure où l'on dit : la France ne peut plus accueillir de nouveaux réfugiés ?
R - La France doit être généreuse, c'est aussi sa vocation historique. La France en Europe est un pays particulier. La France a contribué à la construction européenne, avec l'Allemagne bien sûr, ce sont les deux piliers de l'Union européenne. Et je trouve que la France, effectivement, a du mal à se faire entendre, notamment en Europe de l'Est.
Je considère que nous devons nous adresser, avec de l'amitié bien sûr, à nos voisins de l'Europe de l'Est, de l'Europe centrale et orientale, avec de l'amitié mais avec de la fermeté aussi pour leur dire : «vous avez la mémoire courte, souvenez-vous de ce que vous avez vécu il y a quelques décennies ; vous avez frappé à la porte de l'Europe, de l'Union européenne, on vous a accueillis les bras ouverts, nous étions heureux de vous retrouver, de reconstituer cette grande famille européenne».
Aujourd'hui, ce qui se passe dans ces pays d'Europe centrale et orientale à l'égard de la crise des réfugiés n'est pas satisfaisant. Nous devons leur dire les choses clairement, franchement ; ce n'est pas acceptable. Les dérives que nous observons en Europe de l'Est, en Europe centrale, en Europe orientale, notamment au niveau des exécutifs, des opinions publiques mais aussi des exécutifs ne sont pas acceptables.
Q - André Vallini, vous avez défini quelles priorités, vous avez un peu plus d'un an pour agir, vers quelle population vous...
R - Je vais essayer de suivre un fil rouge dans toute mon action. Ce fil rouge sera celui de l'enfance.
L'enfance, en matière de francophonie, c'est l'éducation des enfants, leur apprendre à parler français, bien sûr. En matière d'action humanitaire, l'urgence commande, la priorité est là, dans les camps de réfugiés où il faut développer l'éducation des enfants. Il faut bien sûr prendre soin de leur santé.
Et puis, il y a le développement. Le développement c'est la santé - je viens d'en parler, lorsqu'il y a une crise humanitaire - mais c'est une priorité de tous les jours quel que soit le contexte ; crise humanitaire ou pas, il faut développer l'action que nous menons en matière de santé, de vaccination.
Il faut développer les actions que nous menons en matière de protection maternelle et infantile. Il faut aussi développer nos actions en matière de contrôle des naissances face au défi démographique. Il faut évidemment développer l'éducation au long cours et pas seulement, encore une fois, lorsqu'il y a crise humanitaire.
Je vais donc faire de l'enfance mon fil rouge, mon fil directeur : Francophonie, développement, action humanitaire, les enfants seront ma priorité.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2016