Texte intégral
Ruth Elkrief :
Bonjour François Bayrou. Merci d'être avec nous. Aujourd'hui Jacques Chirac s'envole pour Washington, qu'est-ce qu'il doit dire à George Bush ?
François Bayrou
- Il doit dire la solidarité de la France, la solidarité de l'Europe, si elle existait plus, et Alain Duhamel vient de dire, très bien à mon avis, les problèmes qui se posent. Et il doit lui dire quelque chose qui n'est pas abordé et qui me parait central, c'est que nous devons prendre la responsabilité d'une aide humanitaire beaucoup plus forte que celle qui existe aujourd'hui. Parce qu'il y a la guerre, mais il y a un peuple qui est victime depuis vingt ans, de la guerre contre les Russes, de la guerre civile ensuite, et du régime des talibans. Enfin, bref, un peuple qui a vu s'abattre sur lui tous les malheurs de la terre, ils ont une sécheresse terrible depuis trois ans. Ce peuple est en train de mourir de faim, et le froid arrive, et le froid en Afghanistan sur les hauts plateaux, ça n'est pas rien ! Et donc il me semble que l'Europe doit prendre la responsabilité, et dire aux Etats-Unis qu'il faut ménager des couloirs humanitaires, de manière à pouvoir nourrir et abriter les populations civiles.
Donc arrêter les frappes pendant ce temps-là
- Non ! des couloirs humanitaires, ça veut dire qu'on fait des routes et qu'on protège ces routes-là, qu'on ne frappe pas ces routes-là. Au demeurant, on frappe, il y a des règles, mais je vous rappelle que l'Afghanistan c'est grand, c'est plus grand que la France ! donc le territoire afghan mérite d'être nourri, et il faut le faire d'urgence parce que l'hiver arrive ! On nous reprochera dans quelques jours ou quelques semaines l'imprévoyance qui pourrait être la nôtre, si nous ne prenons pas la responsabilité de nourrir les affamés, et d'abriter ceux qui sont sans abri. C'est une responsabilité très importante parce que...
c'est un discours aussi quand même que tiennent les dirigeants français..
- Parce que ça montrera que ça n'est pas la population civile qui est visée, que c'est un régime et une dictature qui protègent Ben Laden.
Alain Duhamel en parlait : effectivement, ce petit sommet de Londres entre Tony Blair et quelques dirigeants européens, alors que les opinions publiques, que le soutien des opinions publiques européennes s'effrite un peu justement sur les bombardements, est-ce que ce sommet a eu un sens, est-ce qu'il a été utile malgré tout, ou absolument inutile ?
- Ce sommet montre le désordre européen. Il montre qu'on se réunit tantôt à trois, tantôt à six, tantôt à huit, jamais dans le cadre d'institutions claires.
... et c'est seulement une question d'égoïsme national ? c'est la seule raison de ce désordre ?
- C'est le manque de l'idée européenne. Si nous avions dans l'idée que nous sommes en train de construire un ensemble, que d'ici quelques années, nous aurons à bâtir ensemble une armée européenne, ou en tout cas les éléments d'une armée européenne, une flotte, ou bien une escadre aérienne, songez, nous la France nous avons : un porte-avions ; ce porte-avions il est, comme vous le savez, en cale sèche, parce qu'il n'a pas d'hélices, et s'il en avait, on n'a pas les avions à mettre dessus ! le jour où on voudra une deuxième porte-avions - tout le monde sait qu'il en faut deux moins - eh bien on sait bien qu'on ne pourra pas le construire dans le cadre national. Il faudra le faire dans le cadre européen, et donc, une Europe solide et qui existe. Pour l'instant, l'Europe elle est distendue, désordonnée, et malheureusement, le poids que nous pourrions avoir sur la scène du monde s'en ressent beaucoup.
La cohabitation en France, est-ce que cela c'est un obstacle à plus d'Europe ?
- Ca a été en tout cas un obstacle à la définition d'une idée claire ! Et puis cette espèce - je ne veux faire de peine à personne - mais cette espèce de ridicule dans lequel nous sommes perpétuellement. Tony Blair représente la Grande Bretagne. Gerhard Schröder représente l'Allemagne.
Jacques Chirac représente la France...
- Jacques Chirac et Lionel Jospin vont toujours par deux, comme s'il n'était pas possible d'avoir une seule voix et un seul visage pour la France ; comme s'il fallait toujours que l'un surveille l'autre. Enfin je trouve que ça n'est pas à la hauteur de ce que devrait être la France !
Et Jacques Chirac est-il, lui, à la hauteur de ce rôle ? parce que, Patrick Devedjian disait hier : c'est Jospin qui freine, mais Jacques Chirac est à la hauteur
- Je ne fais pas de critiques personnelles.
Parlons un peu de vous François Bayrou. Vous êtes en campagne, vous êtes candidat à l'élection présidentielle...
- ... en pré-campagne disons, parce que la campagne n'est pas encore ouverte.
Mais vous vous étiez un petit peu annoncé comme "le troisième homme", et puis il y a un sondage, le dernier, vous passez en-dessous de la barre des 5 %. Vous rejoignez en fait la cohorte des petits candidats ?
- Ecoutez, pour l'instant c'est vrai, pour l'ensemble des candidats les sondages ne bougent pas, sauf pour Jean-Pierre Chevènement, qui a fait une percée !
C'est lui le "troisième homme" ?
- On verra ! on est très loin du but ! la campagne n'est pas encore ouverte ! la seule question que l'on doit se poser est celle-ci : faut-il ou ne faut pas proposer aux Français autre chose ? Quand vous voyez un pays dans lequel la semaine dernière les policiers défilent contre les juges, dans lequel les juges pétitionnent contre la loi, dans lequel les cliniques privées sont en grève parce qu'on a mal géré et fait n'importe comment l'affaire des 35 heures, dans lequel à l'hôpital il va manquer des dizaines de milliers de postes...
François Bayrou, vous parlez de sécurité, vous parlez de 35 heures, vous allez droitiser votre campagne ? vous allez prendre des thèmes qui sont peut-être plus caricaturaux ?
- Il se trouve que je ne crois pas que l'on puisse répondre à ces problèmes de la France, en dressant la moitié du pays contre l'autre ! C'est ma spécificité, c'est ma différence ! je pense qu'il faut avoir des idées claires et fermes ; mais je ne pense pas qu'il faille présenter les solutions d'un bord, comme contraires ou hostiles aux solutions de l'autre bord, parce que c'est ce qu'on fait depuis vingt ans, et ça échoue ! Donc je proposerai une approche complètement différente lorsque le moment sera venu.
C'est-à-dire ? c'est quand ?
- Ecoutez, à la fin du mois de novembre, le moment viendra que les choses bougent. Et c'est nécessaire.
Et vous savez qu'il y a quelques voix qui s'élèvent à l'intérieur de l'UDF pour dire : ah la la, peut-être que les sondages ne sont pas assez bons, il faudrait peut-être réfléchir. Vous seriez prêt à jeter le gant si vous vous rendez compte que vous ne décollez pas ?
- Il faut que vous mesuriez que, chaque fois qu'on fait quelque chose de difficile, chaque fois qu'on se propose un défi, eh bien, naturellement, il y a des gens qui s'interrogent et on est un tout petit seul ! c'est la vie !
Vous vous sentez seul aujourd'hui ?
- Je ne dis pas ça ; je suis appuyé, et renforcé par des militants très actifs, et qui en veulent ! et puis il y a des élus qui quelquefois s'interrogent, c'est normal, je les comprends. Parce que, leur projet à eux est quelquefois différent du mien. Le mien, c'est qu'il faut changer la manière de gouverner la France ! si c'était pour continuer comme avant, comme on fait maintenant, ou comme on faisait avant 1997, alors je n'apporterais rien, et les autres non plus. On serait toujours dans cette alternance : l'équipe de Jacques Chirac contre l'équipe de Lionel Jospin ; on vient de voir l'une, on a vu l'autre, et on remettrait l'autre à la place de l'une.
... oui mais enfin c'est apparemment...
- Ca n'est pas comme ça, je crois profondément, je pense que ce pays manque d'alternance ; ce pays manque de ce renouveau nécessaire pour qu'on ait des approches différentes.
En tout cas les Français ont l'air de penser que ce renouveau c'est Jean-Pierre Chevènement ou Jean-Marie Le Pen
- Les Français ne sont pas dans la campagne électorale pour l'instant. Et je ne crois pas que Jean-Pierre Chevènement et Jean-Marie Le Pen puissent être ce renouveau-là, parce que les questions qui se posent, particulièrement la question européenne, évidemment ni Jean-Pierre Chevènement ni Jean-Marie Le Pen n'y répondent !
Et vous demandez à Alain Madelin de se retirer ? Parce qu'il faudra une seule candidature
- Non je pense qu'il faut que chacun montre ses idées et sa vision, et puis le moment viendra je crois, où tout cela peut se rapprocher.
(source http://www.udf.org, le 21 novembre 2001)
Bonjour François Bayrou. Merci d'être avec nous. Aujourd'hui Jacques Chirac s'envole pour Washington, qu'est-ce qu'il doit dire à George Bush ?
François Bayrou
- Il doit dire la solidarité de la France, la solidarité de l'Europe, si elle existait plus, et Alain Duhamel vient de dire, très bien à mon avis, les problèmes qui se posent. Et il doit lui dire quelque chose qui n'est pas abordé et qui me parait central, c'est que nous devons prendre la responsabilité d'une aide humanitaire beaucoup plus forte que celle qui existe aujourd'hui. Parce qu'il y a la guerre, mais il y a un peuple qui est victime depuis vingt ans, de la guerre contre les Russes, de la guerre civile ensuite, et du régime des talibans. Enfin, bref, un peuple qui a vu s'abattre sur lui tous les malheurs de la terre, ils ont une sécheresse terrible depuis trois ans. Ce peuple est en train de mourir de faim, et le froid arrive, et le froid en Afghanistan sur les hauts plateaux, ça n'est pas rien ! Et donc il me semble que l'Europe doit prendre la responsabilité, et dire aux Etats-Unis qu'il faut ménager des couloirs humanitaires, de manière à pouvoir nourrir et abriter les populations civiles.
Donc arrêter les frappes pendant ce temps-là
- Non ! des couloirs humanitaires, ça veut dire qu'on fait des routes et qu'on protège ces routes-là, qu'on ne frappe pas ces routes-là. Au demeurant, on frappe, il y a des règles, mais je vous rappelle que l'Afghanistan c'est grand, c'est plus grand que la France ! donc le territoire afghan mérite d'être nourri, et il faut le faire d'urgence parce que l'hiver arrive ! On nous reprochera dans quelques jours ou quelques semaines l'imprévoyance qui pourrait être la nôtre, si nous ne prenons pas la responsabilité de nourrir les affamés, et d'abriter ceux qui sont sans abri. C'est une responsabilité très importante parce que...
c'est un discours aussi quand même que tiennent les dirigeants français..
- Parce que ça montrera que ça n'est pas la population civile qui est visée, que c'est un régime et une dictature qui protègent Ben Laden.
Alain Duhamel en parlait : effectivement, ce petit sommet de Londres entre Tony Blair et quelques dirigeants européens, alors que les opinions publiques, que le soutien des opinions publiques européennes s'effrite un peu justement sur les bombardements, est-ce que ce sommet a eu un sens, est-ce qu'il a été utile malgré tout, ou absolument inutile ?
- Ce sommet montre le désordre européen. Il montre qu'on se réunit tantôt à trois, tantôt à six, tantôt à huit, jamais dans le cadre d'institutions claires.
... et c'est seulement une question d'égoïsme national ? c'est la seule raison de ce désordre ?
- C'est le manque de l'idée européenne. Si nous avions dans l'idée que nous sommes en train de construire un ensemble, que d'ici quelques années, nous aurons à bâtir ensemble une armée européenne, ou en tout cas les éléments d'une armée européenne, une flotte, ou bien une escadre aérienne, songez, nous la France nous avons : un porte-avions ; ce porte-avions il est, comme vous le savez, en cale sèche, parce qu'il n'a pas d'hélices, et s'il en avait, on n'a pas les avions à mettre dessus ! le jour où on voudra une deuxième porte-avions - tout le monde sait qu'il en faut deux moins - eh bien on sait bien qu'on ne pourra pas le construire dans le cadre national. Il faudra le faire dans le cadre européen, et donc, une Europe solide et qui existe. Pour l'instant, l'Europe elle est distendue, désordonnée, et malheureusement, le poids que nous pourrions avoir sur la scène du monde s'en ressent beaucoup.
La cohabitation en France, est-ce que cela c'est un obstacle à plus d'Europe ?
- Ca a été en tout cas un obstacle à la définition d'une idée claire ! Et puis cette espèce - je ne veux faire de peine à personne - mais cette espèce de ridicule dans lequel nous sommes perpétuellement. Tony Blair représente la Grande Bretagne. Gerhard Schröder représente l'Allemagne.
Jacques Chirac représente la France...
- Jacques Chirac et Lionel Jospin vont toujours par deux, comme s'il n'était pas possible d'avoir une seule voix et un seul visage pour la France ; comme s'il fallait toujours que l'un surveille l'autre. Enfin je trouve que ça n'est pas à la hauteur de ce que devrait être la France !
Et Jacques Chirac est-il, lui, à la hauteur de ce rôle ? parce que, Patrick Devedjian disait hier : c'est Jospin qui freine, mais Jacques Chirac est à la hauteur
- Je ne fais pas de critiques personnelles.
Parlons un peu de vous François Bayrou. Vous êtes en campagne, vous êtes candidat à l'élection présidentielle...
- ... en pré-campagne disons, parce que la campagne n'est pas encore ouverte.
Mais vous vous étiez un petit peu annoncé comme "le troisième homme", et puis il y a un sondage, le dernier, vous passez en-dessous de la barre des 5 %. Vous rejoignez en fait la cohorte des petits candidats ?
- Ecoutez, pour l'instant c'est vrai, pour l'ensemble des candidats les sondages ne bougent pas, sauf pour Jean-Pierre Chevènement, qui a fait une percée !
C'est lui le "troisième homme" ?
- On verra ! on est très loin du but ! la campagne n'est pas encore ouverte ! la seule question que l'on doit se poser est celle-ci : faut-il ou ne faut pas proposer aux Français autre chose ? Quand vous voyez un pays dans lequel la semaine dernière les policiers défilent contre les juges, dans lequel les juges pétitionnent contre la loi, dans lequel les cliniques privées sont en grève parce qu'on a mal géré et fait n'importe comment l'affaire des 35 heures, dans lequel à l'hôpital il va manquer des dizaines de milliers de postes...
François Bayrou, vous parlez de sécurité, vous parlez de 35 heures, vous allez droitiser votre campagne ? vous allez prendre des thèmes qui sont peut-être plus caricaturaux ?
- Il se trouve que je ne crois pas que l'on puisse répondre à ces problèmes de la France, en dressant la moitié du pays contre l'autre ! C'est ma spécificité, c'est ma différence ! je pense qu'il faut avoir des idées claires et fermes ; mais je ne pense pas qu'il faille présenter les solutions d'un bord, comme contraires ou hostiles aux solutions de l'autre bord, parce que c'est ce qu'on fait depuis vingt ans, et ça échoue ! Donc je proposerai une approche complètement différente lorsque le moment sera venu.
C'est-à-dire ? c'est quand ?
- Ecoutez, à la fin du mois de novembre, le moment viendra que les choses bougent. Et c'est nécessaire.
Et vous savez qu'il y a quelques voix qui s'élèvent à l'intérieur de l'UDF pour dire : ah la la, peut-être que les sondages ne sont pas assez bons, il faudrait peut-être réfléchir. Vous seriez prêt à jeter le gant si vous vous rendez compte que vous ne décollez pas ?
- Il faut que vous mesuriez que, chaque fois qu'on fait quelque chose de difficile, chaque fois qu'on se propose un défi, eh bien, naturellement, il y a des gens qui s'interrogent et on est un tout petit seul ! c'est la vie !
Vous vous sentez seul aujourd'hui ?
- Je ne dis pas ça ; je suis appuyé, et renforcé par des militants très actifs, et qui en veulent ! et puis il y a des élus qui quelquefois s'interrogent, c'est normal, je les comprends. Parce que, leur projet à eux est quelquefois différent du mien. Le mien, c'est qu'il faut changer la manière de gouverner la France ! si c'était pour continuer comme avant, comme on fait maintenant, ou comme on faisait avant 1997, alors je n'apporterais rien, et les autres non plus. On serait toujours dans cette alternance : l'équipe de Jacques Chirac contre l'équipe de Lionel Jospin ; on vient de voir l'une, on a vu l'autre, et on remettrait l'autre à la place de l'une.
... oui mais enfin c'est apparemment...
- Ca n'est pas comme ça, je crois profondément, je pense que ce pays manque d'alternance ; ce pays manque de ce renouveau nécessaire pour qu'on ait des approches différentes.
En tout cas les Français ont l'air de penser que ce renouveau c'est Jean-Pierre Chevènement ou Jean-Marie Le Pen
- Les Français ne sont pas dans la campagne électorale pour l'instant. Et je ne crois pas que Jean-Pierre Chevènement et Jean-Marie Le Pen puissent être ce renouveau-là, parce que les questions qui se posent, particulièrement la question européenne, évidemment ni Jean-Pierre Chevènement ni Jean-Marie Le Pen n'y répondent !
Et vous demandez à Alain Madelin de se retirer ? Parce qu'il faudra une seule candidature
- Non je pense qu'il faut que chacun montre ses idées et sa vision, et puis le moment viendra je crois, où tout cela peut se rapprocher.
(source http://www.udf.org, le 21 novembre 2001)