Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les opérations militaires extérieures de la France, au Sénat le 19 octobre 2016.

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Circonstance : Débat sur les opérations extérieures de la France, au Sénat le 19 octobre 2016

Texte intégral


Dans un monde instable, la France assume ses responsabilités en engageant ses forces militaires. Répétons d'abord notre gratitude pour nos soldats. Dans la bande sahélo-saharienne, au Levant, en Centrafrique, des soldats français sont tombés, d'autres sont encore sur leur lit de souffrances.
À trois reprises, le Parlement a accepté de prolonger les Opex sur le fondement de l'article 35 de la Constitution. En avril 2013, pour la force Serval au Mali, après les attentats de janvier 2015, en Irak, puis en Syrie.
La France fait face à la guerre, contre les djihadistes. L'obscurantisme, la barbarie ont déclaré la guerre à la civilisation - au sens le plus large du terme. La France n'est pas la seule visée, mais elle l'est parce qu'elle incarne l'universel. Notre ennemi s'est organisé au Levant sous la forme d'un proto-État, il ne connait pas de frontières encore moins dans le cyberspace.
Depuis le 11 septembre 2001, notre monde a changé de visage. Face au péril qui menace la démocratie, l'inaction n'est pas une option. La France marque des points. Au Mali, nous avons évité le basculement dans le chaos et la création d'un bastion djihadiste. Je veux d'ailleurs rendre hommage aux autorités maliennes - pays avec lequel nous partageons tant.
Mais tous ces groupes qui se financent par le trafic peuvent encore être dangereux. La France restera donc présente. Nous ne pouvons pas laisser seuls nos frères africains - nous le redirons au prochain sommet de Bamako.
Avec l'opération Barkhane, quatre mille soldats patrouillent avec leurs camarades africains. Au Tchad, au Mali, au Cameroun, au Nigéria, les agissements de Boko Haram restent très menaçants. En Centrafrique, une guerre civile aurait pu faire exploser le pays. Si Sangaris a bientôt fini son devoir, nous resterons sur place, notamment en poursuivant la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée.
Sans la France, nous aurions aujourd'hui un califat au coeur de l'Afrique - les chefs d'État africains eux-mêmes le disent. La France n'abandonnera jamais l'Afrique, ce continent d'avenir avec qui nous devons relever les défis communs, et en particulier le développement économique.
La France est le deuxième partenaire en Irak et en Syrie avec neuf cents frappes. La bataille de Mossoul est un enjeu stratégique et symbolique. Il faudra réfléchir à son administration après sa libération du joug de Daech. La bataille sera longue et certainement très meurtrière car il y a deux millions d'habitants à libérer.
Les Irakiens sont prêts, ils ont montré leur détermination pour la reconquête de nombreuses villes contrôlées par Daech. La France doit prendre toute sa part à une coalition de plus de soixante pays. Nous pouvons faire confiance à nos soldats de l'opération Chammal, ces visages de la liberté qui méritent notre hommage.
Batterie d'artillerie de cinquante hommes près de Mossoul, groupe aéronaval en Méditerranée orientale : nos forces appuient l'armée irakienne, et je veux rendre hommage à cet instant à l'action de Jean-Yves Le Drian, dont la compétence est unanimement reconnue. Mossoul n'est qu'une première étape. Il faudra ensuite reconquérir Raqqa, cette pseudo-capitale de Daech.
En Libye, l'État islamique a été délogé de Syrte, mais la France doit agir en soutien et en observation. Tout reste à reconstruire : nous n'avons pas su anticiper la chute de Kadhafi. Il faudra poursuivre le dialogue avec le Premier ministre Fayez el-Sarraj, pour stabiliser le pays.
N'oublions pas les 7 000 femmes et hommes de l'opération Sentinelle : il y a un continuum géographique de la menace et donc de la protection sur notre sol de nos concitoyens par la police, la justice et l'armée. Jamais nous ne transigerons avec la sécurité des Français, ici et à l'étranger.
Jamais nous ne priverons nos armées de moyens nécessaires. En 2016, le surcoût des Opex dépassera le milliard d'euros ; il sera financé par le mécanisme prévu dans la loi de programmation militaire. Les menaces vont persister ; nous poursuivons donc la croissance du budget de la défense avec comme objectif 2% du PIB. Cela doit aussi être compris par nos alliés européens. Aucun membre de l'Union européenne ne peut se sentir à l'abri et donc s'exonérer de ses responsabilités. Nous devons donner une consistance à une Europe de la défense qui doit être capable de projection, avec les ressources qui la permettent. Les débats du Conseil des affaires étrangères montrent que les choses avancent.
Nous allons gagner cette guerre contre Daech ; mais nous n'en auront pas pour autant fini avec le terrorisme. Les guerres continuent de déstabiliser les États, de menacer les minorités chrétiennes et yézidis. La Syrie est le précipité de toutes les fractures qui déchirent le Proche-Orient : la rivalité multiséculaire entre chiites et sunnites ; la résurgence de l'aspiration nationale kurde ; les luttes d'influence entre puissances régionales sunnites ; le jeu russe qui tire profit de l'absence américaine pour rehausser sa puissance et soutenir à bout de bras un régime condamné.
La France a un rôle à jouer, militairement et politiquement. Partout, ce sont des réponses politiques qui régleront les problèmes. La France parle à tout le monde au Levant. C'est peut-être elle qui connaît le mieux la région, grâce aux partenariats stratégiques conclus de longue date avec de grands pays sunnites - Turquie, Arabie Saoudite, Égypte ; elle doit renouer avec l'Iran, grande puissance de la région ; elle parle avec tous les acteurs pour sauver Alep. Des représentants de cette ville sont actuellement à Paris. Elle parle avec la Russie, cette grande nation avec qui elle partage une longue histoire, des affinités et des intérêts communs et avec qui elle sera toujours prête à travailler si elle veut agir pour la paix.
Il faudra aussi engager le dialogue avec la nouvelle administration américaine. En avril 2013, les États-Unis n'ont pas suivi la France qui lui proposait de frapper la Syrie.
Nous avons cru, avec la fin des blocs que la guerre était derrière nous. La réalité est tout autre. La France assume ses responsabilités ; elle continuera de le faire chaque fois que ses intérêts, que l'équilibre du monde est en jeu.
Nos armées ont besoin de sentir la nation rassemblée derrière elles. Soyons toujours unis. C'est cette union qui fera que la France, pays des libertés, vaincra.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2016