Déclarations de MM. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, et Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, sur les opérations militaires extérieures de la France, au Sénat le 19 octobre 2016.

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Circonstance : Débat sur les opérations extérieures de la France, au Sénat le 19 octobre 2016

Texte intégral


* M. Harlem Désir
Merci pour ce débat approfondi, à hauteur de la situation : nous avons un devoir de transparence, à l'égard de nos soldats déployés en opérations comme de nos concitoyens.
Vous m'interrogez sur la Syrie, où la situation est des plus graves - au-delà même d'Alep -. Les propositions russes d'une trêve de quelques heures ne devront tromper personne : l'objectif est bien de détruire méthodiquement la deuxième ville de Syrie. Jean-Marc Ayrault a rappelé hier ici même nos efforts, dans toutes les enceintes, et en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies, pour mettre fin de manière durable et soutenable à ces bombardements. Monsieur le sénateur, vous évoquez avec raison la proposition française de construction d'un mécanisme robuste de vérification de la cessation des hostilités, mais elle est hélas bien loin.
Le dialogue avec la Russie est constant, nous disons aux Russes ce que nous pensons de leurs agissements sur le théâtre syrien. Ce soir même, le président de la République, la chancelière Merkel et le président Poutine évoqueront la Syrie à Berlin : nous espérons que les Russes reverront leur position et oeuvreront avec nous à une solution, politique durable. Nous y travaillons en tout cas.
Oui, Madame la Sénatrice, la réponse politique est bien notre priorité, et nous en discutons avec l'ensemble de nos partenaires régionaux, qui souffrent également de ce conflit. L'outil militaire ne saurait suffire, mais nous devons lutter contre l'organisation qui a planifié les attentats en France : ce n'est qu'une première étape.
La Turquie, très exposée au conflit syrien, accueillant sur son sol plus de trois millions de réfugiés et confrontée à une grande instabilité à sa frontière méridionale, a le droit de se défendre contre le terrorisme, mais de manière proportionnée et dans le cadre de la légalité internationale. Jean-Marc Ayrault conduira des consultations la semaine prochaine avec ce pays.
Nous devons tout faire pour installer une gouvernance inclusive dans les zones libérées par Daech, où chaque communauté puisse trouver sa place, et susceptible de délivrer les services de base dont la population a besoin. Et je n'oublie pas l'aspect humanitaire. La France se mobilise, aujourd'hui, pour épargner le plus possible de souffrances aux populations civiles de Mossoul.
Le flux de combattants étrangers français revenant des théâtres d'opérations syro-irakiens est maintenant maîtrisable, c'est le fruit de nos efforts.
L'Europe de la défense passe par des outils transnationaux, la France et l'Allemagne ont fait des propositions que nous espérons concrétiser au prochain Conseil européen de décembre.
Le Parlement est saisi de chaque nouvelle Opex, vous adoptez le budget et le contrat pluriannuel : vous êtes les garants de l'adhésion de la Nation aux choix militaires de notre pays : je souhaite que le dialogue se poursuive.

* M. Jean-Marc Todeschini
Plusieurs d'entre vous se sont interrogés sur les raisons du présent débat. Le gouvernement s'attache à rendre compte régulièrement au Parlement de l'engagement de nos forces armées, alors que la menace est vive et les déploiements très importants. Ce débat d'ensemble, très bienvenu, résulte de l'article 4 de la loi de programmation militaire. Il est de nature à renforcer le lien entre la nation et ses armées.
S'agissant de l'intervention en Syrie, le gouvernement a exclu d'emblée l'envoi de troupes au sol, refus réitéré lors du vote de prolongation du 25 novembre 2015. La même distinction n'a pas été faite à propos de l'intervention en Irak, où le Premier ministre a explicitement indiqué que les modalités de notre intervention pourraient évoluer. Depuis des mois, des éléments terrestres de formation et de soutien sont déployés en Irak. La présence d'une unité d'artillerie à Mossoul n'en est que le prolongement, il n'y a donc pas lieu de solliciter un nouveau vote du Parlement.
La France intervient-elle trop ? Nos Opex procèdent de nos intérêts et de la responsabilité d'un membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. Au total, 30.000 de nos militaires sont déployés. Levant, Sahel, Libye... Ces théâtres sont liés depuis le début des années 2000. Nous contribuons aussi à la police des mers, via les opérations Atalante et Sophia. Toutes contribuent à tarir les sources du terrorisme.
Au sein de la FINUL au Liban, la France est restée avec 700 hommes un contributeur important. C'est un signal envoyé à ceux qui voudraient déstabiliser ce pays ami. Nous sommes également engagés en République centrafricaine où la situation sécuritaire est suffisamment sous contrôle pour que la transition ait été engagée. Le succès de la mission n'était pourtant pas assuré, mais le pays a pu se choisir un président dans des conditions de transparence avérées. Trois de nos soldats ont malheureusement perdu la vie sur place, plusieurs ont été blessés. Avec des effectifs réduits, jamais plus de 2.500 hommes, nous avons atteint l'objectif fixé, et nous continuerons à soutenir la MINUSCA par déploiement de drones dans un premier temps.
Voilà qui montre que nous savons clôturer une opération.
Monsieur le Sénateur, la France pratique une politique de tolérance zéro en matière de violences sexuelles. Trois enquêtes sont en cours, mais aucun soldat n'a pour l'heure été mis en examen.
Risque-t-on la surchauffe ? Le Livre blanc prévoit un niveau d'engagement proche de l'actuel ; la projection fait partie des fonctions stratégiques à assurer. Peu de pays dans le monde en sont capables. Mais il est vrai que son coût est élevé : 1,1 milliard d'euros, en 2015, de même en 2016. Le bouclage financier n'en sera pas moins assuré.
Nous avons pris les mesures pour renforcer la force opérationnelle terrestre pour relever le défi d'une double menace intérieure et extérieure. Les décisions arrêtées en Conseil de défense en 2015 sont en cours de mise en oeuvre.
D'aucuns suggèrent de porter le budget de la défense à 2% du PIB ; je me réjouis que le renforcement de notre défense fasse désormais consensus. L'article 6 de la loi de programmation militaire prévoit une telle cible tendancielle, cohérente avec les engagements pris à Newport en 2014. Le budget de la défense est en 2016 de 39,7 milliards d'euros pensions comprises, soit 1,8% du PIB ; 3,8 milliards d'euros supplémentaires y seront alloués d'ici 2019. En 2017, 600 millions d'euros s'ajouteront par rapport au projet de loi de finances initiale pour 2016. Aux recettes exceptionnelles multipliées par la majorité précédente, nous préférons des crédits budgétaires bien réels.
La Russie, Monsieur le Sénateur, mobilise ses avions de chasse et son artillerie en Syrie. Face à la violation des principes de maintien de la paix et aux intimidations, nous devons rester fermes. Depuis l'annexion de la Crimée, elle ne cesse d'éprouver les réactions occidentales. Mais nous restons ouverts au dialogue, dès lors qu'elle fait le choix de la responsabilité. Jean-Yves Le Drian s'est d'ailleurs rendu à Moscou en décembre 2015 pour évoquer la lutte contre Daech. Hélas, on le voit tous les jours à Alep, les forces russes se concentrent sur de tout autres objectifs que Daech... Nous devons maintenir le dialogue pour servir nos objectifs communs, tout en étant fermes sur nos valeurs.
Pourquoi intervenons-nous au Levant ? Pour vaincre Daech, ce qui suppose d'abord de le défaire militairement, de détruire ses infrastructures et de reprendre les territoires qu'il a occupés en 2013 et 2014. Il faut aussi renforcer les forces de sécurité irakiennes et kurdes pour contrer le terrorisme plus durablement. Enfin, il faut soutenir la réconciliation civile en Irak, pour éviter la résurgence de forces extrémistes.
Quelle politique de défense européenne ? Après les attentats, la France a évoqué l'article 42.7 du Traité, les Européens nous ont soutenus.
Au-delà, nous voulons une Europe autonome, renforçant ses actions, hors de ses frontières, prenant ses responsabilités, pour lutter encore plus efficacement contre le terrorisme : nous devons pour cela mener la stratégie globale définie en 2015, avec des outils adaptés - à l'échelle européenne. Les ministres français et allemand de la défense ont fait une proposition de relance, à la demande du président de la République et de la chancelière, pour établir une défense européenne globale, réaliste et crédible : chaque mot a son importance.
Le Brexit aura une incidence, mais nous devrons continuer à travailler avec les Britanniques, seule autre puissance nucléaire européenne, dans le respect du traité de Lancaster House.
Notre engagement dans les Opex est à la hauteur des enjeux et des menaces que nous connaissons.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2016