Texte intégral
Q - Bonjour Jean-Marc Ayrault, merci d'être en ligne avec France Inter. Le président de la République, François Hollande, parle des valeurs, des intérêts de la France. Sont-ils fragilisés ces valeurs et ces intérêts après l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche ?
R - Nous avons une conception du monde, nous avons, non seulement des valeurs, nous avons des intérêts à défendre et nous les défendons partout dans le monde, notamment dans la relation transatlantique. Avec les États-Unis, nous avons une relation singulière, c'est notre plus ancien allié. Nous sommes effectivement des alliés, mais nous sommes un pays indépendant, un pays souverain qui défend ses intérêts, mais qui parle et qui travaille avec les États-Unis.
Après l'élection de Donald Trump, nous sommes entrés dans une période de questionnement, et c'est parfaitement légitime si on suit tout ce qui a été dit par le candidat devenu président des États-Unis, pendant sa campagne électorale. En effet, il y a de quoi exiger toute une série de clarifications.
Q - Il y a trois dossiers entre autres qui concernent la France. La volonté de Donald Trump de dénoncer l'accord sur le climat, il y a des doutes sur l'accord avec l'Iran et il y a un rapprochement possible avec la Russie, ce qui pose la question de la politique en Syrie et en Ukraine. À quoi serez-vous plus particulièrement attentifs Monsieur Ayrault ?
R - Nous sommes attentifs à tout, tout ce qui concerne non seulement nos relations bilatérales ou les relations entre les États-Unis et l'Europe, mais également ce qui concerne les objectifs de la politique française, c'est-à-dire la paix. Vous avez évoqué la Syrie, on pourrait ajouter la lutte contre le terrorisme et la question du développement. C'est très important de pouvoir évoquer tous ces sujets.
Et la paix, c'est aussi l'accord sur le nucléaire iranien. Le candidat Trump aujourd'hui président a dit qu'il fallait le remettre en cause. Ce n'est pas rien car il a été obtenu de haute lutte et c'était un succès d'une concertation multilatérale, en particulier entre les États-Unis, les pays européens et la Russie. Il y avait là une concertation diplomatique, politique et stratégique extrêmement utile et efficace. Si cela est remis en cause, beaucoup de choses sont remises en cause.
Quant à l'accord sur le climat, c'est la préparation de l'avenir, c'est la défense de l'intérêt des peuples et donc du peuple américain, comme du peuple européen, mais aussi des autres peuples du monde qui sont confrontés à cette question du réchauffement climatique. L'accord de Paris a été fortement critiqué, donc sur toutes ces questions, nous allons demander des explications et des clarifications.
Q - Concernant la lutte contre le terrorisme, on sait à quel point les échanges d'informations sont importants dans ce domaine, sujet qui est central dans la politique française et dans la société française en ce moment. Selon vous, cette lutte contre le terrorisme est-elle aussi fragilisée ?
R - Je n'imagine pas un seul instant, qu'un président des États-Unis élu, prenant ses fonctions - il aura bientôt une équipe, vous savez qu'il y a 4.000 personnes qui seront nommées, c'est ce que l'on appelle le «spoil system», y compris dans l'intérêt des États-Unis, je n'imagine pas un seul instant que la coopération, en particulier dans le domaine du renseignement s'affaiblisse. Ce n'est pas possible. Ce serait une grave responsabilité et je n'imagine pas, quelle que soit la tendance politique du président, qu'il prenne cette responsabilité. Mais la lutte contre le terrorisme, c'est plus que cela. C'est la coalition en Irak, en Syrie, c'est la lutte contre Boko Haram en Afrique et c'est aussi pour cela que j'ai lié la question du développement. Cette question du développement, ce sont aussi les accords économiques.
Vous savez que M. Trump a décidé deux choses concernant le Mexique : d'une part, ériger un mur pour empêcher tout passage migratoire, et d'autre part, rompre le contrat de libre-échange avec le Mexique et on sait que pour ce pays, c'est vital.
Quant aux rapports avec la Chine, il a aussi annoncé qu'il mettrait des droits de douane à 45%. Tout cela aura-t-il lieu ? Y aura-t-il une suite concrète ? Et si c'est le cas, j'imagine les conséquences économiques qui peuvent être extrêmement importantes, y compris en terme d'emplois.
Je parle d'incertitude et de demande de clarification, mais quand je demande une clarification, cela veut dire que l'on va parler avec ce président et avec son administration, car nous sommes des alliés, nous sommes des partenaires et donc nous devons faire valoir nos intérêts. En même temps, nous devons continuer à coopérer.
Q - Vous posez beaucoup de questions, vous semblez être dans l'incertitude, c'est normal.
R - Vous aussi j'imagine.
Q - Avez-vous déjà préparé des choses ou fait des rapports ? On sait que vous ou votre administration avait déjà des contacts avec les proches d'Hillary Clinton. Avez-vous des débuts de réponses aux questions que vous vous posez tout haut devant nous ?
R - Bien sûr, nous avons des contacts avec les deux équipes. Vous savez que le système américain met à la disposition des candidats des équipes qui prendront éventuellement le relais et nous avons pris un certain nombre de contacts.
Q - Ces contacts sont-ils rassurants ?
R - S'agissant par exemple de l'accord sur le nucléaire iranien, les équipes de Donald Trump ne disent pas exactement la même chose que leur président aujourd'hui. Elles disent que c'est simplement pour être plus ferme et pour être certain que l'accord sera respecté. Il peut donc y avoir ce type de réponse. Maintenant, quand je parle d'incertitude, je fais simplement un constat, et ce n'est pas un jugement de valeurs, tout le monde peut faire ce constat.
Le moment de la clarification va venir, la prise de fonction est le 20 janvier, d'ici-là les contacts avec les équipes vont se multiplier. C'est indispensable pour le bon fonctionnement de la relation bilatérale et multilatérale.
Q - A propos de la relation multilatérale, vous avez entendu ce matin que Donald Trump a parlé de l'intérêt des États-Unis, et qu'il aurait des relations bilatérales avec tout le monde. On a l'impression que le multilatéralisme, c'est fini, la tentative de gouvernance mondiale, c'est fini.
R - Franchement, ce n'est pas le point de vue de la France. La France a sa politique et sa vision du monde. Elle est membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies et je peux vous dire qu'elle continuera de faire prévaloir cette conception du monde. D'ailleurs, nous parlons à tout le monde et nous essayons de trouver des solutions. J'ai cité l'exemple de l'accord iranien, je pourrais citer l'exemple de l'accord de Paris. Je pourrais citer la conférence qui aura lieu à Paris pour un gouvernement ouvert.
Q - Ne craignez-vous pas un repli nationaliste ?
R - Il est évident qu'il n'est pas question d'abandonner l'objectif du multilatéralisme. Cela pose aussi une autre question et un autre défi : c'est la nécessité que les Européens soient plus unis, plus solidaires et plus volontaristes. Je crois que nous n'échapperons pas à cette étape historique.
Q - François Hollande lui-même a dit qu'il fallait en tirer des leçons.
R - Oui bien sûr, il faut en tirer des leçons. Je viens d'en tirer une, c'est qu'il faut une Europe qui soit plus solidaire, plus forte et plus volontariste ; c'est une obligation, avec l'évolution stratégique des États-Unis qui, de plus en plus vont regarder vers l'asie, c'est déjà le cas avec le président Obama. Pour nous, c'est indispensable si nous voulons défendre nos intérêts et protéger nos citoyens européens.
Mais j'ajouterai une chose : vous parlez d'une défaite de la gauche. Je rappelle qu'il y a eu une primaire aux États-Unis, démocrate et républicaine, et dans cette primaire, il y avait Bernie Sanders qui a pointé tout une série d'insuffisances dans la société américaine. Il y a beau y avoir le plein emploi, il y a beaucoup de précarité, de pauvreté et d'incertitudes. Il y a beaucoup de d'endettement, y compris pour l'avenir des jeunes qui, pour financer leurs études, sont obligés d'emprunter toute leur vie.
Ces questions ont été posées par le débat au sein des primaires, ce qui a d'ailleurs obligé la candidate Hillary Clinton à prendre en compte un certain nombre de propositions. Cela n'a pas suffi, c'est ce que je constate ; c'est parti un peu tard. Il faut anticiper et être toujours à l'écoute. Nous sommes dans un monde qui bouge, qui change et qui présente bien des opportunités, mais il y a aussi des insuffisances et des gens qui sont laissés pour compte. Quand on ne donne pas le sentiment que l'on est à leur écoute, que l'on apporte des réponses à leurs problèmes, alors ils peuvent être tentés par l'aventure. Mais, l'aventure on la connaît, c'est le Brexit au Royaume-Uni. Et après, que se passe-t-il ? C'est le vide. Je crois donc que notre responsabilité, ce n'est pas de créer le vide en faisant de la politique tactique et politicienne en France, mais c'est d'essayer d'apporter des réponses et des solutions qui donnent un espoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2016
R - Nous avons une conception du monde, nous avons, non seulement des valeurs, nous avons des intérêts à défendre et nous les défendons partout dans le monde, notamment dans la relation transatlantique. Avec les États-Unis, nous avons une relation singulière, c'est notre plus ancien allié. Nous sommes effectivement des alliés, mais nous sommes un pays indépendant, un pays souverain qui défend ses intérêts, mais qui parle et qui travaille avec les États-Unis.
Après l'élection de Donald Trump, nous sommes entrés dans une période de questionnement, et c'est parfaitement légitime si on suit tout ce qui a été dit par le candidat devenu président des États-Unis, pendant sa campagne électorale. En effet, il y a de quoi exiger toute une série de clarifications.
Q - Il y a trois dossiers entre autres qui concernent la France. La volonté de Donald Trump de dénoncer l'accord sur le climat, il y a des doutes sur l'accord avec l'Iran et il y a un rapprochement possible avec la Russie, ce qui pose la question de la politique en Syrie et en Ukraine. À quoi serez-vous plus particulièrement attentifs Monsieur Ayrault ?
R - Nous sommes attentifs à tout, tout ce qui concerne non seulement nos relations bilatérales ou les relations entre les États-Unis et l'Europe, mais également ce qui concerne les objectifs de la politique française, c'est-à-dire la paix. Vous avez évoqué la Syrie, on pourrait ajouter la lutte contre le terrorisme et la question du développement. C'est très important de pouvoir évoquer tous ces sujets.
Et la paix, c'est aussi l'accord sur le nucléaire iranien. Le candidat Trump aujourd'hui président a dit qu'il fallait le remettre en cause. Ce n'est pas rien car il a été obtenu de haute lutte et c'était un succès d'une concertation multilatérale, en particulier entre les États-Unis, les pays européens et la Russie. Il y avait là une concertation diplomatique, politique et stratégique extrêmement utile et efficace. Si cela est remis en cause, beaucoup de choses sont remises en cause.
Quant à l'accord sur le climat, c'est la préparation de l'avenir, c'est la défense de l'intérêt des peuples et donc du peuple américain, comme du peuple européen, mais aussi des autres peuples du monde qui sont confrontés à cette question du réchauffement climatique. L'accord de Paris a été fortement critiqué, donc sur toutes ces questions, nous allons demander des explications et des clarifications.
Q - Concernant la lutte contre le terrorisme, on sait à quel point les échanges d'informations sont importants dans ce domaine, sujet qui est central dans la politique française et dans la société française en ce moment. Selon vous, cette lutte contre le terrorisme est-elle aussi fragilisée ?
R - Je n'imagine pas un seul instant, qu'un président des États-Unis élu, prenant ses fonctions - il aura bientôt une équipe, vous savez qu'il y a 4.000 personnes qui seront nommées, c'est ce que l'on appelle le «spoil system», y compris dans l'intérêt des États-Unis, je n'imagine pas un seul instant que la coopération, en particulier dans le domaine du renseignement s'affaiblisse. Ce n'est pas possible. Ce serait une grave responsabilité et je n'imagine pas, quelle que soit la tendance politique du président, qu'il prenne cette responsabilité. Mais la lutte contre le terrorisme, c'est plus que cela. C'est la coalition en Irak, en Syrie, c'est la lutte contre Boko Haram en Afrique et c'est aussi pour cela que j'ai lié la question du développement. Cette question du développement, ce sont aussi les accords économiques.
Vous savez que M. Trump a décidé deux choses concernant le Mexique : d'une part, ériger un mur pour empêcher tout passage migratoire, et d'autre part, rompre le contrat de libre-échange avec le Mexique et on sait que pour ce pays, c'est vital.
Quant aux rapports avec la Chine, il a aussi annoncé qu'il mettrait des droits de douane à 45%. Tout cela aura-t-il lieu ? Y aura-t-il une suite concrète ? Et si c'est le cas, j'imagine les conséquences économiques qui peuvent être extrêmement importantes, y compris en terme d'emplois.
Je parle d'incertitude et de demande de clarification, mais quand je demande une clarification, cela veut dire que l'on va parler avec ce président et avec son administration, car nous sommes des alliés, nous sommes des partenaires et donc nous devons faire valoir nos intérêts. En même temps, nous devons continuer à coopérer.
Q - Vous posez beaucoup de questions, vous semblez être dans l'incertitude, c'est normal.
R - Vous aussi j'imagine.
Q - Avez-vous déjà préparé des choses ou fait des rapports ? On sait que vous ou votre administration avait déjà des contacts avec les proches d'Hillary Clinton. Avez-vous des débuts de réponses aux questions que vous vous posez tout haut devant nous ?
R - Bien sûr, nous avons des contacts avec les deux équipes. Vous savez que le système américain met à la disposition des candidats des équipes qui prendront éventuellement le relais et nous avons pris un certain nombre de contacts.
Q - Ces contacts sont-ils rassurants ?
R - S'agissant par exemple de l'accord sur le nucléaire iranien, les équipes de Donald Trump ne disent pas exactement la même chose que leur président aujourd'hui. Elles disent que c'est simplement pour être plus ferme et pour être certain que l'accord sera respecté. Il peut donc y avoir ce type de réponse. Maintenant, quand je parle d'incertitude, je fais simplement un constat, et ce n'est pas un jugement de valeurs, tout le monde peut faire ce constat.
Le moment de la clarification va venir, la prise de fonction est le 20 janvier, d'ici-là les contacts avec les équipes vont se multiplier. C'est indispensable pour le bon fonctionnement de la relation bilatérale et multilatérale.
Q - A propos de la relation multilatérale, vous avez entendu ce matin que Donald Trump a parlé de l'intérêt des États-Unis, et qu'il aurait des relations bilatérales avec tout le monde. On a l'impression que le multilatéralisme, c'est fini, la tentative de gouvernance mondiale, c'est fini.
R - Franchement, ce n'est pas le point de vue de la France. La France a sa politique et sa vision du monde. Elle est membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies et je peux vous dire qu'elle continuera de faire prévaloir cette conception du monde. D'ailleurs, nous parlons à tout le monde et nous essayons de trouver des solutions. J'ai cité l'exemple de l'accord iranien, je pourrais citer l'exemple de l'accord de Paris. Je pourrais citer la conférence qui aura lieu à Paris pour un gouvernement ouvert.
Q - Ne craignez-vous pas un repli nationaliste ?
R - Il est évident qu'il n'est pas question d'abandonner l'objectif du multilatéralisme. Cela pose aussi une autre question et un autre défi : c'est la nécessité que les Européens soient plus unis, plus solidaires et plus volontaristes. Je crois que nous n'échapperons pas à cette étape historique.
Q - François Hollande lui-même a dit qu'il fallait en tirer des leçons.
R - Oui bien sûr, il faut en tirer des leçons. Je viens d'en tirer une, c'est qu'il faut une Europe qui soit plus solidaire, plus forte et plus volontariste ; c'est une obligation, avec l'évolution stratégique des États-Unis qui, de plus en plus vont regarder vers l'asie, c'est déjà le cas avec le président Obama. Pour nous, c'est indispensable si nous voulons défendre nos intérêts et protéger nos citoyens européens.
Mais j'ajouterai une chose : vous parlez d'une défaite de la gauche. Je rappelle qu'il y a eu une primaire aux États-Unis, démocrate et républicaine, et dans cette primaire, il y avait Bernie Sanders qui a pointé tout une série d'insuffisances dans la société américaine. Il y a beau y avoir le plein emploi, il y a beaucoup de précarité, de pauvreté et d'incertitudes. Il y a beaucoup de d'endettement, y compris pour l'avenir des jeunes qui, pour financer leurs études, sont obligés d'emprunter toute leur vie.
Ces questions ont été posées par le débat au sein des primaires, ce qui a d'ailleurs obligé la candidate Hillary Clinton à prendre en compte un certain nombre de propositions. Cela n'a pas suffi, c'est ce que je constate ; c'est parti un peu tard. Il faut anticiper et être toujours à l'écoute. Nous sommes dans un monde qui bouge, qui change et qui présente bien des opportunités, mais il y a aussi des insuffisances et des gens qui sont laissés pour compte. Quand on ne donne pas le sentiment que l'on est à leur écoute, que l'on apporte des réponses à leurs problèmes, alors ils peuvent être tentés par l'aventure. Mais, l'aventure on la connaît, c'est le Brexit au Royaume-Uni. Et après, que se passe-t-il ? C'est le vide. Je crois donc que notre responsabilité, ce n'est pas de créer le vide en faisant de la politique tactique et politicienne en France, mais c'est d'essayer d'apporter des réponses et des solutions qui donnent un espoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2016