Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'entreprise Sodern spécialisée dans l'instrumentation spatiale, optique et neutronique, à Limeil-Brévannes le 7 février 2017.

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Circonstance : Discours devant Sodern suivi de la décoration de Franck Poirrier,chevalier de l'Ordre de la Légion d'honneur, à Limeil-Brévannes le 7 février 2017

Texte intégral


Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs, chers amis,

Je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Aller à la rencontre de Sodern, c'est se tenir auprès d'un acteur clé de la défense nationale. Sodern est également une société dont le modèle économique repose sur l'adaptation des technologies de pointe qu'il développe pour le marché civil. A travers ce modèle, et l'illustration qui en est donnée ici à Limeil-Brévannes, le développement de la base industrielle de technologies de défense révèle l'un de ses enjeux.
Il suffit d'une visite ici pour se rendre compte que nos capacités militaires s'appuient en effet sur des savoir-faire industriels précieux et sur des compétences uniques, en particulier chez nos équipementiers. Il suffit aussi d'une visite ici pour constater que le maintien de ces compétences critiques nécessite d'en faire profiter d'autres secteurs.
- La politique industrielle du Ministère de la Défense
Les équipements de Sodern contribuent directement à notre souveraineté dans des domaines régaliens, au premier rang desquels se tient la dissuasion, avec la source neutronique des armes nucléaires, le viseur d'étoiles du missile M51, mais aussi le renseignement ou les communications que l'on oublie parfois dans les enjeux de souveraineté mais vous êtes également via ses activités spatiales avec, là encore, les viseurs d'étoiles, les plans focaux et les filtres pour nos satellites d'observation.
C'est une des raisons pour lesquelles je n'ai pas hésité à soutenir la société en 2014, aux côtés d'Airbus Safran Launchers et du CEA, lorsqu'elle a connu une période difficile.
Deux ans plus tard, je suis ravi de voir que Sodern a retrouvé le chemin de la réussite économique aussi rapidement. Votre société a réussi à conserver ses personnels et continue à recruter et à former des employés passionnés, vous avez dit « orfèvres », « artistes », « scientifiques », « ingénieurs », tout cela en même temps. Sodern est mondialement reconnue pour ses compétences et ses produits innovants. La politique industrielle du ministère de la Défense, mise en œuvre par le CEA, la Direction générale de l'armement et le Centre national d'études spatiales (CNES) avec discernement, a démontré ici son efficacité, et je m'en réjouis.
Avec discernement, parce que si le ministère de la Défense est le premier investisseur de l'Etat, il participe aussi aux efforts et aux contraintes budgétaires du pays. C'est dans ce contexte qu'il faut arbitrer et c'est dans ce contexte que les arbitrages sur la loi de programmation militaire que j'ai effectués ont permis d'augmenter les investissements d'avenir par les études amont. Vous le savez, j'ai fait de la montée en puissance de notre effort de recherche et de développement une priorité de l'action de mon ministère. Sodern, comme de nombreux autres industriels français, bénéficie évidemment de cet effort : il est essentiel pour le succès de nos armées et pour l'indépendance de notre Nation.
La notion d'investisseur avisé que promeut la DGA signifie que ces investissements doivent à la fois concerner en priorité les domaines où la souveraineté n'est pas négociable, mais aussi se faire dans des entreprises avec la plus grande efficacité possible.
- L'innovation, au cœur de la préparation de l'avenir
L'investissement avisé, l'effort pour l'innovation et la recherche, voilà ce qui prépare le mieux l'avenir. Et dans le domaine spatial, comme le souligne le rapport de Madame Fioraso, Open Space remis au Premier ministre en ma présence, « on a longtemps cru que l'espace n'était qu'une affaire d'initiés et de spécialistes. Ces dernières années ont largement bousculé cette idée reçue. »[Citation rapport Fioraso].
Nous constatons tous la baisse des coûts d'accès à l'espace, l'arrivée de nouveaux acteurs étatiques mais aussi privés, et le développement de nouveaux usages liés au secteur spatial. Cette tendance démontre sans conteste le caractère visionnaire et indispensable de l'investissement et de l'effort dans le domaine spatial.
Le domaine spatial emporte avec lui bien des aspirations humaines. Souvenons-nous du thème de la « nouvelle frontière » développé en son temps par le président Kennedy ! La France s'est pleinement engagée au cours des décennies passées dans la conquête spatiale. Comment ne pas s'enthousiasmer pour les petits satellites et les nouvelles capacités qu'ils offrent ? Pour l'exploration d'astéroïdes ? Pour la réparation et le ravitaillement de satellites en orbite ? Pour les projets de construction de bases en orbite, sur la Lune ou sur Mars ?
Et, en même temps, ne soyons pas naïfs : toutes ces perspectives peuvent aussi se transformer en autant de menaces pour notre souveraineté, menaces qu'il nous faut anticiper. Cette accélération des menaces a probablement été sous-estimée et doit être rapidement appréhendée dans son intégralité. Je me félicite de voir que les sociétés françaises, en particulier Sodern, sont de véritables forces de proposition dans le domaine de la sécurité spatiale et j'encourage nos agences et nos services, le CNES et la DGA, à soutenir les initiatives les plus prometteuses dans ce domaine extrêmement sensible.
Ma visite d'aujourd'hui a mis en lumière les diverses manières dont notre filière industrielle innove, qu'il s'agisse d'améliorer l'efficacité des processus industriels, de surmonter des défis technologiques ou de répondre de façon adaptée aux besoins des clients. Cela est vital pour nos équipementiers, s'ils souhaitent garder un temps d'avance dans la compétition. L'exemple du contrat Oneweb remporté il y a quelques mois par Sodern face à la concurrence en est un exemple : en deux ans, Sodern a produit plus de viseurs d'étoiles que l'ensemble de l'industrie mondiale depuis dix ans ! Quel exploit ! Cette capacité d'innovation bénéficie aussi à la recherche : la réalisation du sismomètre martien et de l'instrument « EBEX », dont j'ai pu admirer la maquette pendant ma visite, sont des exemples des prouesses dont nous pouvons être fiers, dont vous « Soderniens » pouvez être fiers car c'est le fruit de vos efforts et de votre talent.
- Le modèle dual de Sodern
L'efficacité de Sodern repose sur son modèle dual, sa capacité permanente à transférer et valoriser les avancées technologiques du domaine de la défense vers les applications civiles. Cette logique a d'ailleurs présidé à la création du groupe Airbus Safran Launchers.
Grâce à l'investissement du ministère de la Défense, Sodern a su développer son activité neutronique dans le domaine minier et son activité spatiale pour la recherche ou le marché commercial. Lors de ma visite, j'ai constaté la symbiose réussie au sein de la culture de votre entreprise de la volonté de répondre à la fois aux besoins de la défense et de remporter des marchés commerciaux.
Cette stratégie est indispensable à plusieurs titres :
- d'abord, parce qu'elle offre un meilleur effet de levier aux investissements de l'Etat ; pour un euro investi par la Défense dans la technologie de Sodern, la société crée de la richesse et des emplois dans d'autres secteurs. Je note d'ailleurs que Sodern est cité dans le rapport parlementaire que le député Jean-Jacques Bridey a consacré au budget de la dissuasion comme un exemple du bénéfice indirect des investissements dans ce domaine ;
- ensuite, ses activités duales permettent à Sodern de maintenir et développer ses compétences et son savoir-faire à moindre coût pour le ministère de la Défense, cela s'appelle l'investissement avisé dont je parlais tout à l'heure. La diversité des sujets et l'ouverture que les activités civiles et commerciales apportent sont aussi un facteur d'attractivité et de fidélisation du personnel hautement qualifié de la société. Le développement de l'activité neutronique minière à Sodern en est un excellent exemple ;
- enfin, la dualité des industriels français est pour le ministère de la Défense un gage de compétitivité. Sodern est capable de remporter des contrats auprès de tous les fabricants de satellites du monde : c'est un gage de sa bonne organisation et de l'efficacité de son modèle. Ce dernier permet au Ministère de la Défense de bénéficier aussi de technologies issues du civil, sans risquer de perdre en souveraineté, cela marche dans les deux sens: c'est par exemple le cas des viseurs d'étoiles de Sodern, dont les développements soutenus par le CNES et le Plan d'investissements d'avenir (PIA) sont tirés par les besoins du marché et dont le ministère de la Défense bénéficie pour ses propres besoins.
J'ai déjà mentionné l'effort historique que j'ai décidé d'engager pour la recherche et le développement de défense. Cet effort concerne également les programmes spatiaux duaux, dont la DGA délègue la mise en œuvre au CNES. Cette politique vise à encourager les initiatives industrielles en matière de dualité, chez les maîtres d'œuvre comme chez les équipementiers. Elle doit aussi permettre, comme l'a noté Madame Fioraso dans son rapport « Open Space », de développer des technologies permettant de répondre aux évolutions des usages de l'espace.

- Porter le drapeau français à l'étranger
En complément de notre politique de diffusion des technologies hors du domaine de la défense et des efforts de notre politique d'innovation, il est essentiel que notre filière industrielle remporte des marchés d'exportation.
Depuis cinq ans, j'ai travaillé inlassablement à développer la politique d'exportation du ministère. La direction générale de l'armement a été tout au long de ce quinquennat le bras armé de cette volonté, car les exportations sont indispensables afin de soutenir notre industrie dans la durée, d'étaler les livraisons qui nous sont destinées, voire de financer nos propres projets. Pour les équipementiers, il est primordial de pouvoir élargir le plus possible les marchés qui sont accessibles.
2016 et 2017 auront été, dans le domaine des exportations d'armement, des années historiques en termes de résultats.
Si l'on cite souvent les principaux groupes industriels, il ne faut pas oublier que la qualité des équipementiers comme Sodern est pour beaucoup dans ces succès à l'exportation. Ce tissu industriel d'une incroyable richesse se trouve au cœur de l'équipe de France que j'ai rassemblée, dans son inlassable recherche de perfection pour la réalisation et la mise en œuvre des systèmes d'armes.
J'ai d'ailleurs appris que Sodern développait un nouveau produit, la sonde Fastgrade, avec un des leaders mondiaux du secteur minier, installé… en Australie là où nous avons gagné le contrat dit « du siècle ». Vous avez livré là-bas plusieurs équipements, y compris en Australie Méridionale. Vous savez mon attachement au partenariat que la France a noué avec l'Australie.
Mais vous qui œuvrez aussi dans le domaine spatial, vous le savez mieux que quiconque, les luttes fratricides peuvent être destructrices pour notre image mais aussi pour les équipementiers. De la même façon que la verticalisation des maîtres d'œuvre met parfois en danger notre filière industrielle. Il faut se parer des deux côtés. C'est pourquoi l'organisation d'une équipe de France des exportations aura été une de mes préoccupations constantes depuis 2012 et les succès de la méthode au cours des dernières années doivent nous encourager dans cette voie en intégrant cette unicité d'action et ce respect de l'ensemble des partenaires. Je sais aussi qu'il reste des marges de progression, en particulier pour les satellites d'observation : le sujet reste entier, à la fois entre les maîtres d'œuvre, et pour le maintien des compétences chez les équipementiers.
Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs : vous êtes essentiels à la politique de défense française, et vous bénéficiez du soutien fort de l'Etat. Ma visite témoigne de la volonté du Gouvernement de voir s'épanouir des sociétés comme la vôtre. Ce souhait se traduit je crois, au quotidien, dans les relations partenariales et de confiance que vous entretenez avec vos trois fées, comme les baptise Franck Poirrier : le CEA, la DGA, et le CNES.
Vos succès récents et la passion qui vous anime sont un encouragement pour la politique que la France a mise en œuvre depuis plusieurs années. Nos efforts, ceux de l'industrie comme ceux des institutions, doivent se poursuivre en commun pour conserver à la France sa capacité souveraine d'utilisation de l'espace.
Dans cette quête commune l'autonomie stratégique, je tiens à saluer le rôle éminent joué par le P-dg de Sodern. Il se trouve que ce rôle n'a pas échappé au ministre que je suis, cher Franck. C'est pourquoi je serai heureux de vous remettre dans un instant les insignes d'officier de la Légion d'honneur.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 14 février 2017