Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à France 2 le 5 novembre 2001, sur le mécontentement des marins-pêcheurs qui bloquent l'entrée des ports et son livre intitulé "Politique folle".

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde Les pêcheurs bretons ne sont pas contents - cela fait plusieurs jours qu'ils le disent : aujourd'hui ils sont à peu près 300 à bloquer les entrées des ports de Lorient. Ils protestent contre les nouvelles dispositions européennes en matière de taille de filet, de quota de pêche de crevettes. Qu'est-ce que vous leur dites ?
- "Actuellement, sur les ports d'Atlantique, il y a un mélange de beaucoup de problèmes, une accumulation de dossiers, qui font peut-être que les pêcheurs expriment une sorte de ras-le-bol. Il y a ces dernières semaines une espèce de tension avec les pêcheurs espagnols, à propos de la pêche à l'anchois dans le golfe de Gascogne, qui a presque conduit à des affrontements, à La Rochelle notamment. Il a fallu faire preuve de beaucoup de volonté, de calme et de sérénité. Il y aussi des menaces, plus que des réalités, qui viennent des dispositions qui sont étudiées au plan européen pour protéger des espèces qui sont en voie de disparition - je pense au cabillaud ou au merlu. Il faut donc prendre des dispositions pour préserver cette ressource. Nous avons tous une responsabilité - les politiques comme les pêcheurs - qui est de préserver la ressource halieutique, de sorte que l'activité de pêche puisse se perpétuer dans les générations futures."
Les pêcheurs disent que c'est très bien de préserver la ressource, mais qu'eux vont disparaître ?
- "Mais si dans leurs filets, dans leurs casiers, il n'y a plus de poisson... Ils sont d'ailleurs les premiers à constater l'épuisement de cette ressources dans leurs engins de pêche. Il faut mettre en oeuvre des mesures de préservation de la ressource, quand celle-ci est menacée. Cela ne concerne pas toutes les espèces, mais certaines espèces, dans certaines zones. On travaille avec la Commission européenne. Aujourd'hui, ce sont plus des menaces - car les décisions ne sont pas prises - que des réalités, mais peut-être est-ce une sorte de signal d'alarme que les pêcheurs de l'Atlantique veulent nous donner ? Et je les comprends."
Il y aura des contreparties pour eux ?
- "Cette semaine, on va mettre en place des réunions de travail avec l'ensemble des représentants des pêcheurs de l'Atlantique, sur tous ces dossiers. Il faut prendre les problèmes un à un. Il ne faut pas s'affoler outre mesure, tant que ce n'est pas encore le cas. Il faut surtout prendre les dispositions pour que, dans les discussions au niveau européen, on puisse obtenir des solutions satisfaisantes."
Il y a eu des grandes manifestations - on s'en souvient - en 1993, qui avaient conduit malheureusement à l'incendie du parlement de Rennes.
- "Je voudrais éviter cela. Ce n'est pas dans la violence et l'affrontement qu'on peut régler ce genre de problèmes. Je suis un adepte du dialogue et de la concertation. Ma porte est toujours ouverte et nous avons des contacts permanents avec les organisations de pêcheurs de l'Atlantique, comme d'ailleurs de l'ensemble du littoral. Il n'y a pas de raisons que dans ces discussions, on n'arrive pas à trouver les bonnes solutions."
Revenons à votre livre qui s'appelle "Politique folle." Vous auriez pu l'appeler : "Vive la politique". Vous faites une réhabilitation de la politique, de l'engagement politique et de la décision politique ?
- "Je l'ai appelé "Politique folle", car c'est un clin d'oeil à la vache folle. La gestion de la crise de la vache folle a été une sorte de porte d'entrée dans la politique. C'est le parallèle des formules qui m'a permis de donner ce titre. Il est vrai que je souhaite plutôt à travers ces écrits réhabiliter l'engagement politique, l'engagement militant et puis, surtout, le fondement de la légitimité de l'action politique, c'est-à-dire le suffrage universel. Je pense que tous les hommes et toutes les femmes politiques qui sont engagés ne doivent jamais oublier que s'ils sont dans la vie politique, c'est parce qu'il y a des électrices et des électeurs qui leur font confiance. C'est toujours à ce contrat de confiance entre les électeurs et nous, que nous devons revenir."
Vous dites mêmes des choses qui sont assez inattendues parfois dans la bouche d'un ministre : vous dites qu'il ne faut pas être agriculteur pour être un bon ministre de l'Agriculteur, il ne faut pas être médecin pour être ministre de la Santé.
- "Même s'il y a de bons médecins qui sont ministres de la Santé. Cette espèce de vue des choses qui voudrait mettre des experts partout, ce serait une abnégation de la démocratie. La démocratie n'aurait plus de raison d'être : on n'aurait plus besoin de choisir ou d'élire des gens. Il suffirait de désigner un médecin à la Santé, un diplomate au Quai d'Orsay, un militaire à la Défense et un juge à la Justice. Il y a des régimes qui ont été bâtis là-dessus : le régime de Vichy. C'est presque la négation de la République. Notre travail n'est pas d'être des experts, mais c'est d'incarner une certaine idée de l'intérêt général. C'est quelque chose de très différent."
Parfois vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère - si vous me passez cette expression légèrement familière - : vous dites de Chirac qu'il est incroyablement sournois. A propos de N. Mamère, vous dites qu'il est spécialiste des déclarations nauséeuses. Ce n'est pas ce qu'on appelle de la langue de bois.
- "J'ai lu beaucoup de livres politiques ces dernières années et ces dernières décennies : je les ai souvent trouvés en ennuyeux . J'ai donc décidé d'écrire un livre aussi vivant que possible."
C'est vrai que J. Chirac est sournois ?
- "J'emploie cette expression à l'occasion de la crise de la vache folle et de son intervention sur les farines animales, sur fond de drapeaux tricolore et européen, devant toutes les chaînes de télévision, pour dire qu'il fallait interdire tout de suite les farines animales, alors que le Président savait que le Gouvernement y travaillait : c'est une intervention qui m'a parue être sournoise, dans la mesure où cela ajoutait de la crise à la crise et cela ne facilitation pas la tâche du Gouvernement. C'était une sorte de croche-pied qui m'a paru tout à fait superflu. En tout cas, je parle avec ma spontanéité, avec mon engagement, ma subjectivité. Je ne suis pas un personnage neutre, objectif et un observateur. Je suis un homme engagé en politique avec mes convictions et mon franc-parler."
Précisément, cette image que vous avez souvent entendue d'écrire de vous - ministre sympa, rugbyman, le côte Sud-Ouest bon vivant, tout ce côté extrêmement chaleureux - est-ce que cela sera mis à contribution dans la campagne Jospin ? Est-ce que vous allez être propulsé en avant pour servir ?
- "Permettez-moi de vous dire que nous ne savons pas quel sera notre candidat et nous avons tout le temps d'y venir. Moi aussi je sais ce que je souhaite, mais je ne sais pas comment cela se terminera. Je sais que je souhaite que L. Jospin soit candidat le moment venu. Quand il le sera, on verra. C'est sûr que de toute façon mes capacités seront mises au service du candidat du parti socialiste. Cela ne fait pas de doute."
Dans ce livre, vous dites beaucoup de bien de L. Jospin. Il y a un petit côté aussi panégyrique de Jospin. Est-ce que c'est une façon d'effacer des moments difficiles que vous avez pu avoir avec lui ?
- "J'en ai eu très peu. Je ne vois pas pourquoi je ne le dirais pas. J'ai vu beaucoup de gouvernement fonctionner, à droite comme à gauche, y compris un où j'avais appartenu - celui de P. Bérégovoy. J'ai vu des gouvernements fonctionner de près, dans une espèce de tensions et parfois même d'agressivité. Je me souviens d'A. Juppé qui disait partout du mal de ses ministres. Travailler avec un homme qui est un bon capitaine d'équipe, qui à la fois donne l'exemple et encourage, sollicite, consulte, délègue, fait confiance, c'est pour moi quelque chose de très important. Ces valeurs humaines - vous faisiez allusion à mon engagement sportif dans le temps - et cet esprit d'équipe est quelque chose qui compte. Jospin l'incarne parfaitement."
Quand même, en ce moment la cohabitation, avec les événements internationaux - la guerre en Afghanistan, la récession économique qui s'approche - cela sert plus le Président que le Premier ministre ?
- "Je n'en sais rien. Je ne fais pas ce calcul. Les tensions sont les tensions. Il faut y faire face avec le plus de sérieux, de sérénité et de fermeté possible. Savoir à qui cela va profiter, ce sont des calculs à courte vue. En tout cas, moi, cela ne m'intéresse pas."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2001)