Texte intégral
Reportage
Seillière pour moi, c'est effectivement le patron des patrons. Je n'ai pas une image spécialement positive vu que systématiquement il est en conflit avec les salariés. Donc je n'ai pas franchement une image positive.
Vous savez, les gestionnaires ce sont des gens qui ne s'embarrassent pas toujours de sentiment. Et ça ne plait pas toujours d'emblée.
Je vois qui c'est mais bon, je n'ai pas d'avis.
Je n'ai pas de sympathie particulière pour lui mais bon, quelquefois je suis de l'autre côté de la barrière. Mais il défend sa place, je trouve ça normal.
Dans le patronat il représente une fraction plutôt traditionaliste quant à la doctrine, rigide
Ca a l'air d'être un homme d'aplomb, sensé qui sait ce qu'il dit. Mais bon, je pense qu'il défend ses intérêts et peut-être ceux de l'entreprise, non ?
CHRISTINE OCKRENT : Monsieur Seillière, bonsoir. On l'aura compris, vous êtes le Président du MEDEF, vous êtes chef d'entreprise vous-même. Vous êtes d'ailleurs le patron du MEDEF depuis 97, c'est-à-dire que vous êtes contemporain de Lionel Jospin en beaucoup de choses puisque je rappelle que vous étiez condisciple à l'ENA, vous étiez ensemble au ministère des Affaires étrangères et en fait il s'est installé à Matignon quand vous vous installiez à la tête du MEDEF. Pour vous apporter tout à l'heure la contradiction, nous avons invité Claude Allègre. Bonsoir monsieur Allègre, vous êtes professeur d'université, membre de l'Institut, ancien ministre de l'Education nationale, personne ne l'a oublié et auteur à succès puisque vous publiez chez Laffont " Les audaces de la vérité ", donc qui est un deuxième livre d'entretiens. L'audace et la vérité ce sont deux mots qui vous conviendraient assez bien, Ernest-Antoine Seillière.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah, je n'ai rien à redire au titre et d'ailleurs beaucoup de choses du contenu m'ont paru également intéressantes.
CHRISTINE OCKRENT : Eh bien on voir tout à l'heure si vous êtes à ce point d'accord sur le constat. Un constat qui pour vous, à quelques mois d'élections cruciales pour notre pays, passe par une prise de parole plus affirmée, plus prononcée des patrons dans le débat public, c'est ce que vous avez appelez un droit d'ingérence dans le débat politique et c'est dans ce sens, on l'a vérifié au fil des semaines, que vous avez organisé dans plusieurs villes de France des réunions du MEDEF. Vous avez le sentiment que dans votre propre milieu, parmi vos propres troupes cette prise de parole dans le débat politique convainc et convient ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord, je le fais à la demande bien entendu des instances du MEDEF, qui sont très nombreuses, je rappelle qu'il y a 165 MEDEF territoriaux installés dans l'ensemble de la France et je le fais à la demande également de ce que j'appelle les entrepreneurs de terrain, c'est à dire en fait des dizaines et des dizaines de milliers d'entrepreneurs de petite et de moyenne taille qui sont confrontés à cette responsabilité de conduire l'entreprise avec des salariés et qui me disent : il faut parler, il faut s'exprimer, il faut qu'on entende, il faut que les Français entendent directement ce que les entrepreneurs ont à dire de leur métier, de leur responsabilité, du rôle qu'ils jouent dans la société française, de ce qu'ils y apportent en croissance, en emploi, en promotion des hommes et des femmes de l'entreprise. Et donc c'est ce message que je tente de transmettre en suscitant, je le sais, ça et là des réticences et des commentaires.
CHRISTINE OCKRENT : Réticences et commentaires, alors on va voir tout de suite ceux des Français puisque avec l'institut CSA et nos amis de France Info nous avons demandé à un échantillon représentatif comment est-ce que l'on apprécie justement votre souhait de participer, votre décision de participer au débat politique. Le résumé de ce sondage.
JOURNALISTE : Pour 42 % d'entre vous, Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, devrait s'impliquer et participer au débat politique dans les mois qui viennent. A l'inverse, 40 % d'entre vous ne souhaitent pas qu'il s'implique dans la vie politique. Enfin, 18 % d'entre vous ne se prononcent pas.
CHRISTINE OCKRENT : Alors ce qui est intéressant dans ce sondage, c'est que l'on voit que à gauche, évidemment, vous avez davantage de gens réticents mais il y a quand même 39 % de sympathisants de gauche qui sont favorables à cette prise de parole et à droite il y a 38 % de sympathisants de droite qui y sont défavorables. Et donc on voit bien en fait cette espèce de réticence de l'opinion française à ce que la société civile, mais surtout les patrons occupent une place plus importante dans le débat qui semble réservé à la classe politique.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui alors ce sondage est tout de même en effet assez révélateur. D'abord, si vous voulez, je trouve que la question n'est pas très bien posée. Monsieur Seillière, ce n'est pas intéressant. Ce qui est intéressant, c'est le MEDEF, le Mouvement des Entreprises de France...
CHRISTINE OCKRENT : Vous avez remarqué qu'on a pris tout de même le soin d'associer les deux qualités.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce n'est pas une question personnelle, on a le sentiment quand on pose la question comme cela qu'il y a une implication personnelle. Non, c'est le Mouvement des Entreprises de France qui représente 700 à 800 000 entreprises qui veut s'exprimer et je crois que les Français comprennent, d'où qu'ils soient, que la société civile, c'est à dire en fait ceux qui sont impliqués tous les jours dans le travail de la société, ont des choses à dire et à faire valoir et que le langage politique n'est pas le seul qui puisse traduire les aspirations de désir de réforme, le désir de progrès dans notre société. Et donc, c'est ce que je fais en tant que président du MEDEF de porter la parole et le message des entrepreneurs. Et d'ailleurs des entreprises et souvent aussi des salariés, c'est à dire cette exigence de la réussite économique, du progrès de l'emploi, etc.
CHRISTINE OCKRENT : Ce qui est intéressant ce sont les réactions des politiques parce que on a l'impression que vous embarrassez beaucoup la droite et qu'en fait vous aidez la gauche qui du coup trouve raison de se fédérer.
GILLES LECLERC : Vous n'êtes pas le meilleur allié de Lionel Jospin dans la future campagne électorale, c'est ce que l'on dit, ce que l'on dit à gauche.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais écoutez, je vais vous dire une chose, ça m'est complètement égal. Il ne s'agit pas de cela. D'ailleurs les membres du conseil exécutif du MEDEF qui sont derrière moi, un jeune et une dame, me disent sans cesse : dites ce que vos avez à dire au nom des entrepreneurs. Les effets politiques portés par cela, chacun en fera un peu ce qu'il voudra. Donc nous ne sommes pas dans le calcul politique.
SERGE JULY : Vous n'êtes pas dans le calcul politiquer mais enfin monsieur Kessler, qui est juste devant moi, et si j'ose dire devant vous, disait récemment que les thèses de la droite sur les questions économiques et sociales ne sont autres que celles prônées par le MEDEF. Vous êtes quand même dans le champ politique et un champ politique assez déterminé tout de même.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ne sais pas d'où vous avez trouvé cette citation...
SERGE JULY : Ah ça, je crois que c'est à Nantes...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, à Nantes c'est moi qui y étais.
SERGE JULY : Non, c'est à Strasbourg. Non, c'est à Strasbourg, l'un était à Nantes et l'autre à Strasbourg...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca prouve que nous sommes sur le terrain et que nous avons beaucoup de choses à dire. Mais cela dit, le problème de l'identification de notre message avec la droite et la gauche encore une fois est une chose qui passionne les politiques mais qui nous, nous est indifférent. Nous sommes non partisans.
SERGE JULY : Ce n'est pas indifférent, puisqu'il l'a dit.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, n'essayez pas d'embarrasser le Président du MEDEF avec ce que dit son vice-président. Nous sommes comme ça, la main dans la main, ensemble et donc vous ne m'aurez pas...
SERGE JULY : Je ne cherche pas du tout à vous embarrasser mais on a l'impression que vous êtes impliqué dans le débat politique parce que vous trouvez soit le politique défaillant soit plus spécifiquement l'opposition défaillante.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je ne trouve ni les uns ni les autres, je voudrais que l'on puisse entendre à gauche comme à droite, dans les partis politiques ou ailleurs ce que nous avons à dire, nous, sur l'immense domaine de notre compétence. C'est à dire à la vérité les affaires économiques et les affaires sociales ce qui en effet laisse de côté beaucoup de choses sur lesquelles nous ne nous exprimons pas, ni la justice, ni la culture même si quelquefois les intermittents se rappellent à nous, ni bien entendu la défense nationale, ni les affaires de police mais dans de grands domaines nous avons beaucoup à dire et nous le faisons et nous le faisons de façon non partisane et c'est peut-être ça en effet qui embarrasse parce que on ne comprend pas trop ce que ça vient faire là-dedans, il faudrait tomber dans une catégorie ou une autre, nous ne le faisons pas.
GILLES LECLERC : Pour bien comprendre, en même temps vous critiquez souvent l'Etat y compris quelquefois dans vos forums, qui se substitue, vos l'avez dit souvent, aux partenaires sociaux, et en même temps vous vous comportez un peu, en tout cas c'est le reproche qu'on peut vous faire, qu'on entend ici ou là, comme un parti politique qui organise des forums, qui débat, qui critique fermement l'Etat alors que souvent les grandes réformes sociales se sont faites avec l'Etat, souvent ... l'Unedic, par exemple, alors les gens ne comprennent pas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors quand les agriculteurs se rassemblent pour traiter de leurs problèmes, on ne les accuse pas de faire de la politique. Quand les entrepreneurs se rassemblent, ce qui est assez nouveau parce que jusqu'à présent ils étaient en effet prudents, souvent muets et qu'on les a tellement ignorés, tellement dédaignés, tellement maltraités que maintenant en effet ils ressentent le besoin de rassembler pour exprimer...
GILLES LECLERC : Ca remonte à quand ce mépris dont vous parlez, ça remonte à quand, depuis très longtemps ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca remonte en tous cas au moment où j'ai pris le MEDEF, c'est à dire au moment où on a imposé à l'ensemble des entrepreneurs les 35 heures sans consultation.
GILLES LECLERC : Quand Lionel Jospin dit les patrons ont de la chance en ce moment, il se trope selon vous ? C'est ce qu'il a dit à France 2 la semaine passée. Il dit " les patrons ont plutôt de la chance "...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois qu'il a de la chance d'avoir de très bons entrepreneurs qui font un bon travail dans notre pays en dépit du fait qu'on les empêche de faire aussi bien qu'ils voudraient.
CHRISTINE OCKRENT : Claude allègre, quelle est votre opinion sur cette irruption du MEDEF dans le débat politique ?
CLAUDE ALLEGRE : Je vous répondrai en physicien, la nature a horreur du vide. Comme il y a un vide idéologique total de la droite, le MEDEF l'occupe. Et le MEDEF l'occupe avec beaucoup de talent parce que dans ce pays le MEDEF est le seul à défendre les thèses vraiment libérales. La droite, il n'y a rien, il n'y a pas de propositions, alors le MEDEF l'occupe. Moi, ça ne me dérange pas que le MEDEF occupe cette place, s'exprime, je souhaite que les syndicats de salariés s'expriment également en contrepoint, parce que c'est ça le débat là-dedans. A condition de ne pas déborder sur la politique politicienne, c'est à dire sur des prises de position qui seraient trop partisanes. Moi, je crois que les entreprises françaises, il faut leur rendre hommage, elles ont faut un formidable mouvement, extraordinaire, de modernisation. C'est dû aux patrons, c'est dû aux salariés aussi, c'est dû à l'ensemble des entreprises et naturellement je comprends que derrière elles trouvent que l'Etat ne s'est pas suffisamment modernisé et ça, je comprends cette impatience.
CHRISTINE OCKRENT : Et vous la partagez...
CLAUDE ALLEGRE : Je partage cette partie là mais il faut aussi être très clair, les patrons défendent leurs intérêts et donc dans toute opération de ce type, il faut qu'il y ait un contrepoids. Donc moi je pense que le dialogue social, les patrons, les syndicats, la négociation contractuelle, moi je suis très attaché à la politique contractuelle, c'est quelque chose qui est une spécificité française et qu'il faut préserver.
CHRISTINE OCKRENT : De ce point de vue cette politique contractuelle est en ce moment en difficulté.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je voudrais revenir un instant sur ce qui a été affirmé comme toujours par les gens qui s'occupent de politique avec beaucoup d'autorité à savoir le MEDEF c'est la droite. Moi, je m'excuse...
CLAUDE ALLEGRE : Je n'ai pas dit ça, monsieur Seillière, j'ai dit qu'il occupe un certain espace idéologique...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je parlais de ces messieurs...
SERGE JULY : Non, excusez moi, je ne vous ai pas dit ça, je vous ai demandé...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je voudrais simplement préciser que la plupart des choses que nous faisons, nous les faisons tout de même avec l'appui d'un certain nombre de syndicats. Nous avons conclu des accords, lancé la Refondation sociale, notamment avec le concours de la CFDT et de Madame Notat, dont nous avons d'ailleurs repris beaucoup d'idées parce que c'est une opération commune entre les syndicats et ...
GILLES LECLERC : Oh, ça marche moyennement la Refondation sociale...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca a très bien marché...
GILLES LECLERC : Sur huit sujets, il n'y en a eu que quatre signés...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons fait des contrats, comme vous savez, des accords, qui sont très, très importants, nous avons réformé l'assurance-chômage, nous avons transformé les conditions dans lesquelles demain on fera la négociation sociale, tout ça a fait l'objet de 150 réunions pratiquement sur deux ans, c'était une intensité du dialogue comme on en avait rarement vue en France depuis des générations et donc je crois qu'on ne peut pas nous accuser de ne pas avoir été extrêmement efficaces dans la refondation sociale. Mais nous avons et nous partageons avec les syndicats beaucoup d'idées, sans quoi bien entendu nous ne pourrions rien faire. Il s'agit de faire un dialogue constructif avec eux, les salariés qu'ils représentent et nous-mêmes les entrepreneurs n'avons absolument pas des points de vue ou des intérêts distincts ou adversaires, nous avons beaucoup en commun, notamment à faire marcher ensemble les entreprises. Les entreprises marchent, salariés et entrepreneurs réunis, il y a 15 millions d'entre eux avec 1,2 million d'entrepreneurs et tout ceci fait la vie économique française. Ce sont des visions très archaïques que je n'applique à personne que de penser que par définition les syndicats et les entrepreneurs ne peuvent pas s'entendre. En tous cas, nous portons très fort, nous, le dialogue social.
CHRISTINE OCKRENT : Mais certains syndicats ont très mal pris les critiques à peine voilées que vous avez émises à leur encontre à Strasbourg, précisément. Vous avez dit...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : A Nantes...
CHRISTINE OCKRENT : ... qu'il y en a trop et certains d'entre eux sont trop archaïques.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Qui aime bien châtie bien, qui aime bien châtie bien, nous aimons les syndicats, nous avons besoin d'eux mais nous pensons qu'ils doivent se réformer un peu.
CHRISTINE OCKRENT : Bon, ce n'était pas à Strasbourg, c'était à Nantes.
CLAUDE ALLEGRE : Le MEDEF aussi il faut qu'il se réforme aussi...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, nous en a mis un paquet depuis que nous sommes.
CHRISTINE OCKRENT : Jean-Michel Blier, voyons maintenant avec vous ce que les auditeurs de France Info ont envie de demander à monsieur Seillière ce soir.
JEAN-MICHEL BLIER : Bonsoir Christine. Les auditeurs de France Info s'interrogent aussi sur la difficulté du dialogue social en France et cette espèce de culture du conflit qui continue à dominer nos relations sociales. Et à cette occasion, je le dis à Claude Allègre, ils renvoient dos à dos le MEDEF comme le gouvernement. Philippe de Lyon, par exemple, vous demande Ernest-Antoine Seillière si le MEDEF n'est pas persuadé d'avoir la science infuse et ne considère pas systématiquement que les syndicats sont à la fois rétrogrades et archaïques et puis Jérôme de Hagueneau vous demande si votre droit d'ingérence que vous vous voulez imposer n'est pas une façon, une manière de vouloir faire passer en force votre refondation sociale que vous n'avez pas réussi à imposer par la négociation et un autre vous demande si vous ne prenez pas finalement un risque en quittant le domaine du dialogue social pour celui du politique, du lobbying puisque après l'élection présidentielle il faudra bien se mettre autour d'une table de négociation pour négocier par exemple les retraites.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors si vous voulez, je crois que là aussi c'est vouloir caricaturer notre comportement que de penser que nous sommes capables de faire les choses seuls. Nous sommes capables de faire faire des progrès à l'entreprise, d'améliorer les relations sociales, d'entrer en discussion pour moderniser dans l'entreprise que si bien entendu nous pouvons le faire avec des syndicats. Nous sommes convaincus que c'est le dialogue et vous savez que nous voulons le dialogue plus près du terrain, dans l'entreprise, où on connaît les problèmes, où l'on se connaît. Dans la branche, on connaît le métier, on est capable également de comparer ce que l'on fait avec les métiers à l'étranger. Nous sommes donc partisans de ce retour à un dialogue sur le réel avec des gens compétents, capables et représentatifs. Et nous n'avons pas la science infuse, nous n'inventons rien, au contraire nous discutons sans cesse, c'est notre méthode à nous que d'entrer dans le dialogue. Et nous devons subir sans cesse, vous le savez, de la part d'un Etat qui, lui, pense avoir la science infuse, alors nous devons subir l'autorité du règlement. Et on nous dit silence dans les rangs, d'ailleurs on ne veut même pas savoir ce que vous pensez, c'est comme ça que ça se fera. C'est tout le contraire, notre méthode à nous les entrepreneurs.
JEAN-MICHEL BLIER : Oui mais en quittant le terrain social pour se placer sur le terrain du politique, c'est à dire de l'élection présidentielle de 2002, vous prenez un risque, c'est celui de quitter le champ social alors que après la présidentielle il y aura le retour à la normale, je dirais.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, c'est un risque que nous préférerions mourir que de prendre, que d'entrer en politique. Il y a là je dirais une ambiguïté qu'il faut lever. Qu'est-ce que c'est que faire de la politique ? C'est aspirer au pouvoir d'Etat, c'est vouloir se faire élire pour occuper une fonction. Demandez le moi, suis-je candidat à la présidence de la République ? Eh bien non !
CHRISTINE OCKRENT : Voilà la question !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Cent mille fois non ! ou comme diraient d'ailleurs peut-être ceux qui sont en politique, c'est improbable. Non, tout ceci, soyons sérieux, n'est pas notre partie.
SERGE JULY : En général, c'est probable.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah écoutez, en ce qui me concerne les choses sont claires et radicales , je ne suis pas dans ce jeu là, je suis mandaté par des entrepreneurs pour dire ce qui peut faire réussir l'entreprise, c'est à dire disons le carrément, le pays. Alors là, c'est en effet une vraie mission, elle n'a rien à voir avec la politique. Alors si demain arrive tel ou te l élu, nous ferons bien entendu avec lui, avec l'espoir qu'il aura repris dans son programme électoral une partie de ce que nous proposons qui nous paraît nécessaire et de bon sens. Voilà de quoi il s'agit. Donc nous ne sommes pas en politique, nous sommes dans notre mission de représentation d'une partie majeure de la société civile.
SERGE JULY : Vous allez faire ça dans toutes les consultations nationales ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien en tous cas nous allons le faire dans celle ci parce que ça fait maintenant très longtemps qu'on ne nous entend plus. J'ai été reçu deux fois par le Premier ministre en quatre ans...
SERGE JULY : C'est pas beaucoup...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est très, très peu et d'ailleurs les partenaires sociaux ne sont pas mieux traités, on a l'impression en effet qu'on peut diriger la France en ignorant ses entrepreneurs, eh bien ils se rappellent aux Français et aux Françaises avec leurs idées, leurs propositions. Que n'a-t-on dit d'ailleurs de notre ancienne organisation, le CNPF, qui se plaignait sans rien dire. Eh bien maintenant, nous ne nous plaignons plus, et nous disons beaucoup. Nous sommes dans un devoir de propositions sorties du terrain...
SERGE JULY : Est-ce qu'il y aura un label MEDEF pour un certain nombre de candidats ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais jamais de la vie ! Mais qui le prendrait ? Vous voulez rire !
SERGE JULY : Mais des candidats qui diraient ce sont de très bonnes propositions, le projet du MEDEF sur les retraites c'est formidable, alors celui-là il aurait...
CHRISINE OCKRENT : Par exemple quand Alain Madelin dit les propositions du MEDEF sont excellentes, d'ailleurs en gros ce sont les miennes, ce sont celles que je défends avec constance depuis longtemps...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien tant mieux pour lui, je dirais ça lui servira peut-être ! Mais nous n'avons pas, nous, à juger de ce que disent les politiques. Nous avons après l'élection à voir : celui qui a été élu aura-t-il ou non entendu notre message, et celui avec nous de beaucoup de Français, c'est très important.
SERGE JULY : Est-ce que vous prenez l'engagement de n'être pas ministre dans...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout de suite ! Alors là de grâce que personne ne me propose...
CHRISTINE OCKRENT : Et Premier ministre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : De grâce, Premier ministre, j'ai connu parce que j'ai eu l'honneur d'être dans les cabinets ministériels, j'ai connu la vie à Matignon, je n'y aspire en rien.
CHRISTINE OCKRENT : Vous étiez avec Jacques Chaban-Delmas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Absolument.
GILLES LECLERC : Est-ce que vous faites confiance d'une façon générale aux politiques pour reprendre telle ou telle de vos propositions ? Est-ce que vous estimez qu'ils sont capables de... Est-ce qu'ils ont... Ils ont apparemment ignoré depuis quelques années, donc, là, tout d'un coup... Vos propositions sont plus intéressantes qu'hier ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Non, attendez, je pense que dans un débat électoral de l'importance de celui que nous allons avoir, entre une présidentielle et une législative, si ceux qui se présentent au suffrage des Français ignorent ce qui peut faire la réussite du pays, c'est-à-dire très largement la manière dont nous recommandons qu'on réforme le système social, qu'on ouvre le dialogue social, et qu'on veuille bien considérer les entrepreneurs comme un atout dans notre pays et non pas comme un adversaire, vous savez qu'en politique dans notre pays, très fréquemment, on considère qu'on est flatté électoralement si l'on a pu dire que les représentants des entrepreneurs ne partageaient pas votre avis. Alors, ça, c'est évidemment quelque chose qui n'existe que chez nous. Quand vous allez en Angleterre, en Allemagne, Blair, Schröder, Berlusconi, Aznar, en Hollande, en Scandinavie, vous trouvez partout des partenaires, c'est-à-dire en fait ceux qui dirigent le pays, l'administrent et ceux qui font la production quotidienne des biens et des services...
GILLES LECLERC : ... Sauf que vous attendez encore beaucoup de l'Etat au fond, puisque c'est un partenaire...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Nous attendons beaucoup des Français, nous attendons énormément de la France et nous pensons être quelquefois en effet plus intelligents que l'Etat, ça ce n'est pas faux. Et donc, d'ailleurs, monsieur Allègre l'a dit... Attendez, c'est trop beau... Il a dit : les entreprises sont à la pointe du progrès et l'Etat est englué dans l'archaïsme. C'est bien ce que vous avez dit ? ...
CLAUDE ALLEGRE : ... Mais c'est vrai...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Et donc, nous avons beaucoup à dire.
CLAUDE ALLEGRE : Ce n'est pas seulement cet Etat-là. C'est l'Etat depuis, droite ou gauche, depuis un certain nombre d'années.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais bien entendu. Bien entendu.
CLAUDE ALLEGRE : C'est l'architecture de l'Etat français tel qu'il fonctionne.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous sommes là-dessus entièrement d'accord et nous attendons de vous beaucoup de propositions pour la réforme de l'Etat.
CLAUDE ALLEGRE : Oui, mais ce qui veut dire la preuve que ce soit Dominique Strauss-Kahn, que ce soit moi-même, que ce soit Bernard Kouchner, et d'autres, qu'on n'est pas du tout en opposition avec l'esprit d'entreprise. Je pense que l'esprit d'entreprise dans ce pays a repris de la vigueur et je trouve que c'est très bien. Mais je pense qu'il faut aussi admettre que dans ce dialogue, en face, et vous le dites, en face des patrons, les salariés jouent un rôle. Et puis il faut que les patrons jouent complètement le jeu. Quand il y a des patrons, par exemple, qui sont parmi les plus riches en France qui ne payent pas d'impôts par des combines diverses et variées, c'est absolument scandaleux et ça doit être condamné. Je sais que vous n'êtes pas de ceux-là et que vous le condamnez. Quand il y a des patrons, qui sont parmi les plus riches, et qui ne payent pas l'impôt sur la grande fortune par telle et telle disposition, c'est anormal. Et je comprends que les salariés se trouvent, dans ces cas-là, en opposition avec cette idée-là. Moi je ne fais pas partie de cette opposition systématique, mais je crois qu'il faut rouvrir le dialogue social. L'Etat, je suis d'accord avec vous, l'Etat ne doit interférer dans le dialogue social que pour légiférer à la fin et ne pas interférer en disant aux gens comment ils doivent discuter. J'ai écris et je maintiens ce point de vue.
CHRISTINE OCKRENT : A la page 323, à moins que ce ne soit à la page 324.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Dominique, Bernard, Laurent, Claude et les autres ont été membres d'un gouvernement qui a mis en place les 35 heures, qui a tenu sur cet axe mordicus et donc il existe des gens ouverts, bien entendu, au gouvernement. Cela dit, ils n'ont pas su beaucoup se faire entendre. Je le regrette beaucoup.
CHRISTINE OCKRENT : Parmi les chantiers que le pouvoir en France, de droite ou de gauche, jusqu'ici, à droite comme à gauche, n'a pas véritablement réalisé ou même défriché, il y a celui des retraites. Le Premier ministre, l'autre soir sur FRANCE 2 a annoncé que si la gauche était élue, réélue au printemps prochain, eh bien ce serait sa première que de réformer les retraites. En attendant, beaucoup de nos concitoyens se posent des questions qui sont forcément très contradictoires sur la meilleure façon de réformer les retraites ou même sur la nécessité de le faire. Reportage de Christian Deperthuis à Lyon.
Reportage
MAURICE MEURIER : Je m'appelle Maurice Meurier, j'ai 57 ans et je suis fonctionnaire, chef décorateur à l'Opéra de Lyon. En janvier prochain, j'aurai donc mes 37,5 annuités, je suis obligé de continuer jusqu'à 60 ans, je trouve ça un petit peu stupide parce que mon départ pourrait créer un emploi. Je suis contre l'allongement de la durée de cotisation. Quand on sait que les gens font des études plus longues, qu'en plus, ils ont du mal à trouver du travail tout de suite, qu'ils peuvent avoir des périodes de chômage dans leur vie, ça veut dire travailler 40, 42, 45 ans, c'est partir à la retraite à 75 ou 80 ans. Comment ils vont profiter de leur retraite ? Il faudra vraiment faire quelque chose parce qu'on va avoir des problèmes dans quelques années mais je pense qu'il faut se mettre autour d'une table pour discuter pour trouver des solutions. Je pense que le problème, c'est que le MEDEF ne veut pas mettre la main à la poche, au contraire, on dirait même qu'il essaye de se désengager. Monsieur Seillière bonsoir. Vous voulez allonger la durée des cotisations. Pourtant, dans tous les plans sociaux que vous mettez en place dans les entreprises, vous faites partir en préretraite un grand nombre de salariés de plus de 50 ans. Pouvez-vous m'expliquer cette contradiction ?
MICHEL DUMAS : Je m'appelle Michel Dumas. J'ai 40 ans, je suis assistant marketing et je suis père de trois enfants. Le système de retraite par répartition me semble être une idée philosophiquement intéressante. Le fait que les générations nouvelles cotisent pour les retraités crée une espèce de ciment dans notre société, je crois qu'il serait dommage de se passer complètement de ce système. Il est vrai que pour compléter donc le système actuel de retraite, on entendu beaucoup parler de retraite par capitalisation. Moi, je suis père de famille avec trois enfants, j'ai déjà pas mal de mal à épargner à la fin du mois, donc je ne vois pas trop comment je pourrais encore dégager du budget pour souscrire une retraite par capitalisation. Monsieur Seillière bonsoir. Ne peut-on pas considérer que nous appartenons à une génération sacrifiée puisque nous cotisons pour les retraités actuels et qu'en même temps, nous allons être dans l'obligation d'épargner pour améliorer notre future retraite ?
JEAN-LUC FOING : Je m'appelle Jean-Luc Foing, j'ai 56 ans, je suis cadre SNCF à la retraite. A 55 ans, c'est l'âge normal de départ normal à la retraite à la SNCF. Il ne devrait pas y avoir une date-couperet obligatoirement à 55 ans, 60 ou voire 65 ans. On est obligé de partir. Il y a certains salariés, notamment dans les travaux pénibles, qui, effectivement souhaitent partir beaucoup plus tôt. Mais il y a d'autres personnes qui sont toujours en pleine possession de leurs moyens e t qui souhaiteraient continuer beaucoup plus tard leur activité. Les différents gouvernements qui se sont succédés ont remis chaque fois à une législature suivante le règlement du problème. Du côté des partenaires sociaux, syndicats ou patronat, il ne semble pas non plus y avoir une réelle volonté, disons, de prendre à bras le corps le problème. Et pourtant, il me semble qu'il y a urgence. Monsieur Seillière bonsoir. Vous jouez actuellement la politique de la chaise vide à la gestion paritaire. Avez-vous des propositions concrètes pour traiter le dossier des retraites ?
CHRISTINE OCKRENT : Voilà, donc trois questions dans ce reportage. Pourquoi la politique de la chaise vide si vous avez des propositions ? S'agit-il, quand on a 40 ans, appartient-on à une génération sacrifiée à partir du moment où il faudra, en plus du système par répartition qui est le système que nous connaissons jusqu'ici, cotiser soi-même pour améliorer sa retraite ? Et puis, ce chef décorateur, CGT, qui dit, en fait que vous êtes en pleine contradiction puisque vous poussez en même temps pas mal de gens à la préretraite. Alors, commençons par la politique de la chaise vide.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, écoutez, je m'excuse de devoir contredire notre ami lyonnais, mais nous sommes partis de la gestion de la Sécurité sociale, pour des raisons que nous préciserons peut-être tout à l'heure, mais nous sommes toujours présents dans toutes les organisations dans lesquelles nous avons une responsabilité en ce qui concerne la retraite, et nous avons...
CHRISTINE OCKRENT : ... Mais vous ne participez pas au Conseil national des retraites qui a été mis en place et qui vient de remettre son rapport au Premier ministre...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui, mais alors là, vous me permettrez de sourire. Parce que ça fait maintenant depuis 1991 qu'on empile les rapports pour un diagnostic ultra connu et le COR, le comité qui a été mis en place par Lionel Jospin avait une seule fonction : occuper le terrain de façon à ce qu'on ne parle pas de ces questions pendant les deux années qui viennent. D'ailleurs, il n'a rien fait pendant les 5 ans. Un problème urgent, tout le monde le sait, on a fait toutes les manuvres de façon à ce qu'on n'en parle pas. Et on verra si au lendemain des élections, on aura le courage d'attaquer ce problème ou pas. Donc, nous, nous sommes...
GILLES LECLERC : ... Mais il y a quand même deux places pour vous dans ce Conseil d'orientation des retraites. Il n'est pas politisé. Ses conclusions ne sont pas franchement très choquantes pour vous...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Deux places sur, je crois, 35 et nous avons des responsabilités...
GILLES LECLERC : ... En même temps, c'est un petit peu compliqué à comprendre...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... C'est assez compliqué...
GILLES LECLERC : ... Vous vouliez être partenaires, on vous offre deux places et les conclusions en sont pas franchement choquantes pour le patronat.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, attendez. Nous avons des responsabilités paritaires avec les syndicats pour gérer les systèmes complémentaires de retraite et là, il y a un organisme consultatif qui a été mis en place pour gagner du temps. Nous n'avons pas voulu être dans cette manuvre qui consistait à faire semblant pour ne rien faire. Nous avons proposé des mesures, on n'a pas voulu en tenir compte, on n'a rien fait. Et donc, moi je dis aux Françaises et aux Français qui m'écoutent, je leur dis : en ce qui concerne la retraite, on a voulu, encore une fois, éviter de traiter le problème en gagnant du temps. Et nous ne sommes pas d'accord là-dessus et nous sommes dans toutes les organisations paritaires responsables des régimes complémentaires et complètement en charge de l'affaire. Donc, la critique sur la politique de la chaise vide , il faut peut-être me l'adresser en ce qui concerne la santé où nous avons pris nos responsabilités. En ce qui concerne les retraites, nous sommes dans le débat, et nous proposons et nous proposons bien entendu des choses. Nous proposons c'est-à-dire d'abord, si vous me le permettez je réponds au deuxième interlocuteur, de conserver pleinement le régime de répartition. Il est absolument nécessaire que ce régime subsiste et personne au monde dans nos rangs d'entrepreneurs ne menace la répartition. Nous voulons simplement susciter, comme on le fait d'ailleurs ailleurs, comme par exemple dans la Fonction publique, la possibilité d'aider fiscalement une épargne qui servira à compléter le système de répartition parce qu'il y a un vrai problème, c'est un choc démographique, 250 000 retraités de plus par an à partir de 2005, chaque année 250 000 de plus pour un nombre d'actifs qui restera le même ou décroîtra légèrement. C'est donc un véritable problème. Il faut aider...
CHRISTINE OCKRENT : ... Donc il n'a pas tort de parler d'une génération sacrifiée, ce jeune chef de famille de 40 ans ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il faut faire attention à ce que la génération ne soit pas sacrifiée. Parce qu'il y a deux manières de sacrifier la génération actuelle. C'est ou bien de réduire la retraite dont ils bénéficieront ou bien, bien entendu, de prélever plus sur ce qu'ils gagnent actuellement pour nourrir la retraite des gens à la retraite actuellement. Et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé, de façon extraordinairement progressive, mais en commençant tout de suite -et quand je dis tout de suite, c'était il y a 5 ans- d'allonger légèrement la durée du travail. La vie augmente considérablement, à peu près un trimestres par an. Donc, sur une vie qui dure plus, il faudra, en effet, allonger progressivement, sur ¼ de siècle, la durée du travail, de façon à ce que ni l'un ni l'autre des dangers que j'ai signalés, moins pour la retraite ou plus de prélevé sur les jeunes qui travaillent, ne soient pas aujourd'hui. Or, on ne veut pas traiter le sujet et en ne le traitant pas, je m'excuse de le dire, on va probablement en effet être conduit à proposer de prélever plus sur les actifs et de prélever sur la retraite et de ne pas rentrer dans ce mécanisme que nous conseillons avec, d'ailleurs, des syndicats qui ont signé avec nous un accord de principe sur ce sujet.
CHRISTINE OCKRENT : Et ce que vous demandez aussi, c'est que l'on aligne la Fonction publique sur le privé.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, j'ai entendu évidemment notre ami lyonnais qui appartient à la SCNF et je suis obligé de dire que l'inégalité devant la retraite entre les salariés du privé et les salariés du public est quelque chose de choquant. Il y a actuellement dans la fonction publique et les services publics une retraite plus tôt, une retraite meilleure et un poids payé par les contribuables et les salariés du privé sur leurs cotisations, environ 200 milliards par an, pratiquement tout le déficit français et donc nous disons il faut l'égalité, il faut de la justice.
CHRISTINE OCKRENT : En même temps ce retraité de la SNCF disait mais il y a parmi les gens qui sont poussés à la retraite, certains qui voudraient continuer de travailler.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors c'est également ce que nous proposons et je pense que ce sera discuté parce que ceci intéresse, je pense, beaucoup de partis politiques dans la campagne, c'est l'idée de la retraite à la carte, c'est à dire la retraite que l'on peut prendre à un moment ou à un autre à sa propre initiative. On veut travailler plus longtemps, la retraite s'amplifie, on désire arrêter plus tôt, eh bien on a compensé par de la capitalisation. Ce qui manque, le régime actuel qui fait que quelqu'un continue de travailler après 40 ans et n'a pas sa retraite amplifiée n'est pas normal et il y a beaucoup de gens qui n'ayant pas atteint 60 ans souhaitent prendre leur retraite et qui doivent pouvoir le faire.
GILLES LECLERC : Vous parlez là du choix du salarié mais la question était : le MEDEF propose par exemple d'allonger jusqu'à 45 ans la cotisation et en même temps plusieurs chefs d'entreprise font une politique de préretraite dans beaucoup d'entreprises...
CHRISTINE OCKRENT : Ca c'était la question que posait...
GILLES LECLERC : Cette question est quand même capitale ! Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je vais répondre à cela parce que ... Il y a une contradiction mais je vais expliquer pourquoi elle existe. C'est que l'on a traité, et d'ailleurs c'est l'Etat qui en a pris l'initiative, dans les entreprises nationalisées pour faire comme dans la fonction publique, on a pris l'habitude dans le secteur privé après les grandes nationalisations de 1981, de faire en sorte que l'on règle les problèmes sociaux de licenciement par de la préretraite. Et c'est devenu un système général, il a d'ailleurs été institutionnalisé, l'Arpe, etc... Or nous estimons quant à nous que ceci a vécu et qu'il faut maintenant rentrer dans un système dans lequel au contraire les entreprises vont s'efforcer de favoriser le travail des salariés les plus âgés...
GILLES LECLERC : Vous en discutez avec les entrepreneurs, ce discours-là il est bien reçu ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il est actuellement bien reçu, mais nous sommes sur la lancée du système qui fonctionne encore et qui fait qu'il y a encore des départs à la retraite à 55 ans et qui est devenu en contradiction totale avec ce qui va arriver en 2005, c'est à dire une démographie qui va s'inverser. Alors il faut vite le faire et nous sommes très actifs pour essayer de faire en sorte que l'on mette en place des systèmes qui permettront aux salariés plus âgés de rester dans l'entreprise avec d'ailleurs des formes de travail qui conviendront au fait qu'ils ont déjà beaucoup travaillé. Ils peuvent former, ils peuvent enseigner, ils peuvent aider l'entreprise à ouvrir de nouveaux domaines, ils ne sont pas forcés de rester là où ils sont et donc il faut se montrer imaginatif et le dialogue social est là pour ça en entreprise pour l'organiser.
SERGE JULY : Pour insister sur la question des préretraites comme cela a été pratiqué dans l'automobile, dans le textile, ça a été des instruments y compris de restructuration de ces secteurs et ça a été pratiqué quand même par les grandes entreprises françaises.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est incontestable que c'est comme ça que l'on a mené de la politique sociale dans notre pays. Et d'ailleurs beaucoup de retraités ont trouvé finalement que c'était très acceptable de cesser de travailler à 55 ans en ayant à peu près 80-85 % de son traitement jusqu'au moment où la retraite arrive. Ca été une facilité, elle a été extrêmement coûteuse et aujourd'hui nous considérons que ce moment est terminé, qu'il va falloir s'organiser pour autre chose. Donc vous avez encore une réalité qui perdure, elle s'arrêt et puis il va falloir...
SERGE JULY : Est-ce que vous êtes de ceux qui pensent que oui c'est vrai, en Europe la question des retraites s'est traitée dans les années 90. Et d'une certaine manière si on le fait l'année prochaine, on sera dans le calendrier.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tous les pays européens ont largement entamé la réforme des retraites. Et je suis désolé de devoir dire que le chancelier Schröder va mettre en uvre, cette année même, une loi qu'on appelait la loi Thomas qui organisait des fonds de pension que nous sommes en train d'abroger. C'est-à-dire que le peu que l'on avait fait pour essayer de contribuer à la solution du problème a été finalement abrogé et on y a renoncé. Nous avons du retard. Il y a une forme de manque de courage de la structure politique française face au problème des retraites. Et nous sommes dans notre métier d'entrepreneur en disant il faut commencer et en proposant de commencer par de l'allongement très progressif de la durée de vie au travail, un trimestre pratiquement par an sur cinq ans ou dix ans, c'est très acceptable et nous préférons cela à plus de prélèvements sur les jeunes ou moins de retraite.
SERGE JULY : Ca fait 45 ans en 2023, ce sont les calculs du MEDEF.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Dans 20 ans, et encore, personne ne sera obligé de prendre sa retraite à 45 ans. Mais il aura un système de retraite à la carte...
CHRISTINE OCKRENT : ... 45 ans de cotisation ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : De cotisation.
GILLES LECLERC : Alors le fonds de réserve décidé par Lionel Jospin, c'était une bonne ou une mauvaise idée ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'était une bonne idée si on était capable d'y mettre quelque chose. Mais comme vous le savez, on a fait beaucoup de foin autour de ce fonds de retraite et en fait on a annoncé qu'on y mettait de l'argent qu'on n'a pas mis. Et donc en réalité c'est une fausse fenêtre. Si l'Etat est capable notamment de dégager par de la cession d'entreprises qu'on privatise, que l'on mette en place, eh bien pourquoi pas.
SERGE JULY : Mais monsieur Seillière, il n'y a pas de tragédie donc aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh rassurons nous, écoutez les politiques, rassurez-vous, tout ça va aller très bien. Non, nous les entrepreneurs, qui ne sommes pas en politique et qui voyons les choses avec beaucoup de sens du réel, nous disons il faut agir de façon urgente et les Français entendent en réalité ce message.
SERGE JULY : J'ai compris. Si ça se passe dans les cinq ans qui viennent ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien écoutez, ce sera mieux que si ça se passe dans 15 ans. Mais je signale que ça fait au moins 10 ans, Rocard l'avait dit en 1991 qu'il fallait commencer et notre métier, à nous les entrepreneurs, est de provoquer en effet la structure politique en disant, allez courage, cessez de vous dérober.
CHRISTINE OCKRENT : Voyons avez vous Jean-Michel Blier quelles sont les questions que les auditeurs et internautes de FRANCE INFO vous ont envoyé depuis deux jours.
JEAN-MICHEL BLIER : Eh bien écoutez à propos de provocation, monsieur Seillière vous proposez tout simplement de mettre les caisses de Sécurité sociale en concurrence et Vincent, de Tours, vous fait remarquer que la Sécurité sociale depuis 1945, ça fait partie du pacte social. Est-ce que, dit-il, ce n'est pas un casus belli, une véritable provocation, c'est le terme qu'il avait utilisé ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, est-ce que ça n'était pas une provocation que de dire qu'on allait financer les 35 heures en prenant les cotisations de la Sécurité sociale ? Est-ce que ça n'était pas une provocation que de dire à un directeur général de la Sécurité sociale, présentez-moi un plan, un plan sur cinq ans qui économise 50 milliards ? Il l'a fait. Et je crois que madame Aubry ne l'a même pas lu. Est-ce que ce n'est pas une provocation que nous allions voir le Premier ministre en lui disant : voilà les conditions dans lesquelles on peut rénover la Sécurité sociale et que nous n'avons même pas reçu de réponse ? Alors, nous avons quitté, c'est vrai, la cogestion supposée d'un ensemble, la Sécurité sociale, qui souffre actuellement d'une absence de rigueur et de gestion impressionnante, qui ne satisfait malheureusement plus personne, je n'ai pas la liste de tous ceux qui, dans le domaine de la santé aujourd'hui, sont, ou révolté ou en grève. Et n'était-il pas normal que les entrepreneurs, ni ne revendiquent pas de responsabilités particulières en matière de santé mais qui souhaitent proposer des formules pour faire mieux, le fassent, et le fassent actuellement de façon assez claire.
JEAN-MICHEL BLIER : Monsieur Seillière, il faudrait peut-être dire aussi aux Français, dans ce cas-là, que c'est une Sécurité sociale à deux vitesses que vous proposez.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Alors ça, il faudra regarder les propositions que nous faisons d'assez près, ce que personne ne fait, tout le monde préfère crier " à bas le MEDEF ! à bas le MEDEF ! ", c'est plus commode. Mais lisez les propositions que nous faisons...
GILLES LECLERC : Quand on regarde bien effectivement dans le détail vos propositions, on s'aperçoit que les assureurs...
SERGE JULY : ... Quand on les lit...
CHRISTINE OCKRENT : ... Ce qu'on a fait...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Vous avez du mérite...
GILLES LECLERC : ... Les assureurs, si j'ai bien compris, se voient garantir leurs recettes par l'Etat, elles ne sont pas obligées de baisser leurs tarifs pour rester concurrentielles, et finalement l'usager ne fait pas d'économies. Donc c'est un système qui s'arrête un peu au milieu du guet.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, attendez, je m'excuse, nous parlons de Sécurité sociale actuellement.
GILLES LECLERC : Oui oui.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, dans la Sécurité sociale, ce que nous proposons, nous, c'est un système qui, finalement, ne change rien pour les Français. Universalité, uniformité des prestations...
GILLES LECLERC : ... Pour tous les risques, pour tous les risques ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pour tous les risques que le législateur, c'est-à-dire le Parlement, aura mis dans ce qu'on appelle le panier de soins, qui est une formule évidemment un peu particulière. Donc, chacun aura droit à la même chose, dans le pays entier...
CHRISTINE OCKRENT : ... C'est-à-dire un socle incompressible de soins...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Incompressible...
CHRISTINE OCKRENT : ... Qui serait décidé par le Parlement de façon régulière ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Absolument. Et donc tout le monde serait couvert et aura droit au remboursement de tout ceci dans les mêmes conditions qu'actuellement. La seule chose que nous proposons, c'est que ceux que l'on appelle les opérateurs de soins, c'est-à-dire ceux auxquels on s'adressera, ne soient plus monopolistiquement l'Etat, mais puissent être le cas échéant d'autres acteurs. Et nous avons cité bien entendu les mutuelles, et nous avons cité les caisses elles-mêmes, qu'il faut mettre en concurrence...
CHRISTINE OCKRENT : ... Mais aussi les compagnies d'assurance...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Et nous avons introduit, oh, l'idée qu'il pourrait y avoir peut-être un opérateur privé, alors que, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, dans les pays scandinaves où on trouve normal qu'il puisse y avoir des acteurs privés qui rentrent dans le domaine de la santé.
CHRISTINE OCKRENT : L'Angleterre n'étant pas, très franchement, la meilleure comparaison.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est malheureusement le seul système qui soit en réalité totalement étatisée. Et donc ceux qui le critiquent...
GILLES LECLERC : ... Ce n'est une concurrence des tarifs, c'est une gestion privée des caisses.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, c'est une gestion qui permettra de comparer l'efficacité, la qualité et les coûts...
GILLES LECLERC : L'usager il gagne quoi ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'usager gagnera cela. Aujourd'hui, il s'adresse à un système qui est un système uniforme où il a le libre choix, mais personne au monde ne dit, vous pourriez pour un meilleur coût, avoir plus de soins et plus d'attention. Et donc nous pensons en fait faire progresser la Sécurité sociale en y introduisant de façon modérée et progressive et d'ailleurs d'abord expérimentale un tout petit peu de compétition.
CHRISTINE OCKRENT : Le danger quand même dans ce système qui est intéressant, ne serait-ce que parce qu'il renouvelle une architecture que tout le monde dénonce comme étant assez vermoulue, d'autant que les Français ne font toujours pas l'équation entre ce qu'ils payent eux et ce qu'ils dépensent. Tout se passe comme si en fait il s'agissait de deux caisses différentes. Mais quand même dans ce système mixte que vous préconisez, ce que vous appelez les opérateurs de soins, le risque c'est quand même que les privés, si j'ose dire, aient accès au marché des jeunes et donc aux bénéfices, et que les publics, ceux qui continueront de gérer les plus gros risques, et parfois des risques qui ne seraient pas non plus dans ce panier de soins, le public devra traiter les vieux et les pertes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, votre démonstration un peu complexe en fait ne prend pas en compte le principe évident qui est le nôtre, c'est que les opérateurs de soins ne sont pas susceptibles de pouvoir refuser qui que ce soit. C'est-à-dire que c'est un système, et là le cahier des charges public doit être d'une clarté totale, aucun choix de client de santé ne peut être fait. En fait, c'est un système dans lequel chacun se détermine vers où il veut aller et personne au monde ne peut refuser quelqu'un qui vient. Donc c'est l'égalité totale devant le risque, c'est simplement le choix... de même que vous avez quelquefois, que vous voulez-vous, dans la vie la possibilité de choisir entre une marque ou une autre. Eh bien dans le système de santé nous pensons que c'est par le salarié et l'entreprise et par la négociation collective. Nous voyons un système dans lequel le dialogue social en entreprise ou dans une branche se verra proposée par les opérateurs de soins dans le cadre de la couverture générale une organisation et un prix qui fait que l'on ira plutôt ici que là et qu'on pourra d'ailleurs changer. Vous me permettez de vous dire le choix ne sera pas fait pour la vie. Tout ceci est nouveau, mais quoi de meilleur que de voir aujourd'hui des entrepreneurs qui, dans le débat public, proposent des choses nouvelles à débattre plutôt que de s'inscrire dans le conservatisme de l'Etat englué dans son archaïsme, comme le dit remarquablement le ministre Claude Allègre.
CHRISTINE OCKRENT : Jean-Michel Blier, d'autres questions.
JEAN-MICHEL BLIER : Oui. Monsieur Seillière vous êtes, on le sait, vent debout contre la loi de modernisation sociale qui prévoit notamment une réglementation des licenciements économiques. François de Toulouse vous interpelle en vous disant, mais quand on voit comment les chefs d'entreprise assument leurs propres responsabilités chez Bata ou chez Moulinex, et même vous avec AOM-Air Liberté. Est-ce que finalement l'Etat n'est pas autorisé à intervenir dans la vie des entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Sur 1 200 000 entreprises qui existent en France je crois qu'il faut reconnaître qu'il y a des échecs. Il n'y a pas de risques, il n'y a pas de compétition, il n'y a pas de concurrence sans des échecs. Il y a des échecs, et d'ailleurs il y a un système social qui protège, pour l'essentiel, ceux qui peuvent être victimes de ces échecs. Ca leur coûte beaucoup d'argent quand ils échouent. J'ai échoué dans l'affaire AOM après avoir cru prendre en effet une responsabilité avec une grande compagnie mondiale pour essayer de faire naître en France une deuxième compagnie du transport aérien. Ca n'a pas réussi, encore qu'elle fonctionne actuellement encore très bien. Mais c'est un risque et il faut savoir que ça existe. Cela dit, ce risque lui-même s'assorti évidemment de réussites innombrables. Le gouvernement et nous nous félicitons du 1,5 million d'emplois qui ont été créés en France ces 4 dernières années et qui prouvent tout de même que ce système qui connaît des échecs, des échecs en effet qui font mal et qui sont très pénibles sur le plan social. Et il n'est pas anormal que quand se produit un échec tout le monde soit autour pour essayer de faire en sorte d'en limiter les effets et que l'Etat se porte, à ce moment-là, avec ses immenses moyens et son attention, sur le problème, ne nous paraît pas en quoi que ce soit, je dirais, à réprouver. Au contraire, nous pensons que tout moyen doit être réuni dans ces cas-là. Mais je le dis en passant également, dans ces cas sociaux très très difficiles, vous savez, je fais partie d'une organisation internationale de tous les patronats européens, on se rencontre de temps en temps. J'étais avant-hier à Bruxelles. Eh bien l'effet qui a été produit sur l'ensemble européen par le fait que les salariés aient cru mettre en place un système, un dispositif de nature terroriste en disant : attention, si on ne nous donne pas raison, ça va faire " boum ". Eh bien, vous croyez que ceci est quelque chose qui peut faire autre chose que de dissuader l'ensemble des acteurs économiques mondiaux de s'intéresser à la France demain ? Alors, attention, quand il y a des cas sociaux difficiles, que chacun aussi prenne ses responsabilités de part et d'autre.
GILLES LECLERC : Sur la loi de modernisation sociale, juste un mot monsieur Seillière, quand madame Guigou dit qu'au fond, cette loi qui va être votée dans les prochains jours, ne va rallonger les procédures que de deux ou trois semaines, elle a tort ou elle a raison ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Elle a totalement tort.
GILLES LECLERC : Vous ne la croyez pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Elle a totalement tort, nous ne la croyons pas un instant, nous avons fait faire des études tout-à-fait approfondies, cela va pratiquement doubler les délais. On est autour de 100, 120 jours actuellement dans la procédure, on va passer d'une manière générale aux alentours de 200 jours. C'est la raison qui a fait que la réprobation s'est tout de même faite entendre avec beaucoup de force. Vous connaissez d'ailleurs l'origine de cette affaire. Elle est entièrement politique. Il a fallu, là aussi, que le gouvernement prenne une mesure contre les entreprises pour se faire apprécier et resserrer un peu les boulons de sa majorité semble-t-il. Tout ceci n'est pas acceptable, nous l'avons dit et on en verra, hélas, les effets négatifs pour les salariés français quand... j'espère que cette loi sera modifiée ou retirée. Chacun en sera, croyez-le moi, bien satisfait.
CHRISTINE OCKRENT : Venons-en à l'Europe, justement. Jean-Michel Blier, merci. Venons-en à l'Europe. Vous avez fait plusieurs fois allusion aux pays qui nous entourent, pays partenaires qui ont mis en chantier, selon vous, des réformes que nous aurions dû faire aussi. Il y a un grand chantier communautaire, cette fois, qui est celui de l'Europe sociale. Où en est-on ?
Etat des lieux
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CHRISTINE OCKRENT : Ernest-Antoine Seillière cette lenteur de l'Europe sociale à se construire est-elle due uniquement aux divergences ou différences de culture d'un pays à l'autre ou est-ce que de la part des patrons au niveau européen et vous appartenez, vous le rappeliez à cette instance-là, il y a vraiment une réticence, sinon une myopie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Moi je crois qu'il faut voir que le processus européen est lent, on a mis tout de même près de 20 à 30 ans pour faire le marché unique, on a mis beaucoup de temps également pour mettre en place la monnaie unique, on va vers des institutions européennes, espérons le, sur le plan politique plus efficaces, ça n'est pas encore fait et sur le plan de l'Europe sociale le mouvement est également lent mais je vous le dis au nom du MEDEF l'Europe des hommes doit se faire. Il faut une politique sociale en Europe, nous en sommes partisans et nous l'appuyons. D'abord nous pensons qu'il est normal qu'il y ait une politique sociale en Europe avec un modèle social européen qui existe et que nous reconnaissons parfaitement, dont nous sommes d'ailleurs les promoteurs par la négociation et par le dialogue et puis nous pensons bien entendu que si on veut mettre un ensemble de concurrences sur 300 millions d'Européens et une quinzaine de pays, il faut un minimum de règles communes que nous ne redoutons pas d'ailleurs parce que dans le domaine social nous sommes pratiquement les plus avancés dans tous les domaines et que donc s'il y a une moyenne européenne à mettre en place elle devrait satisfaire parfaitement les partenaires sociaux français. Pour cette raison, nous sommes connus dans les milieux bruxellois, la commission de mes homologues européens pour être partisans de cette politique sociale et du dialogue social européen dont d'ailleurs nous reconnaissons en passant qu'il est un modèle possible pour le transposer en France...
CHRISTINE OCKRENT : Pourquoi parce que les syndicats au niveau européen sont selon vous plus causants, plus...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non parce que à Maastricht il y a 10 ans on a défini une règle du jeu que nous trouvons excellente et que nous aimerions transposer. On donne un temps à un sujet pour que le dialogue social trouve sa solution. Si elle est trouvée, alors à ce moment là, on le respecte, c'est à dire que la directive, ce serait la loi en France, reprend si c'est nécessaire le dispositif et puis si on a échoué dans la négociation on reconnaît alors qu'il y a une compétence législative. Mais il y a un temps d'autonomie du dialogue social et ensuite un temps politique pour en tirer les conséquences. Donc nous sommes en ce qui concerne les affaires sociales en Europe, si j'ose dire très moteur, très alerte et nous croyons à l'Europe des hommes.
CHRISTINE OCKRENT : Et avec l'élargissement qui va être discuté, qui sera évidemment le dossier le plus délicat du sommet de Laeken de la fin de la semaine prochaine, qui va clore la présidence belge. Avec l'élargissement il y a un vrai risque de dumping social.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous reconnaissons qu'il y a une très forte pression politique en Europe pour faire un élargissement à la fois large et rapide mais nous en mesurons toutes les difficultés, voire les dangers dans beaucoup de domaines et nous sommes plutôt prudents et nous aimerions que l'élargissement se fasse à un moment où les candidats sont prêts à jouer les règles européennes dans tous les domaines, y compris dans le domaine social, je crains que ce ne soit pas le cas et on en verra certainement les conséquences.
CHRISTINE OCKRENT : Place maintenant à la dernière partie, au dernier temps de cette émission avec vous, Claude Allègre. Il faut vous reconnaître une discipline absolument méritoire pour vous être tu pendant une bonne partie de ce rendez-vous. Une question avant de vous laisser en tête à tête, est-ce que vous aller jouer un rôle dans le dispositif du probable candidat Jospin, ou pas ?
CLAUDE ALLEGRE : Je ne suis pas prophète, je ne sais pas ce que je vais faire. Pour l'instant ma volonté c'est de rester de toute manière un homme libre. Je suis engagé, mon camp n'est pas discutable, si le candidat en question est candidat effectivement je l'aiderais sûrement. De quelle manière ? On le verra le moment venu. Moi je suis pour l'instant attaché à une chose, c'est le débat d'idées, c'est pour ça que j'ai écrit ce livre, pour proposer des idées. Et je voudrais arriver sur des questions que vous avez soulevées, sur les retraites d'abord. En vous disant d'abord que je crois ou bien il fallait prendre les retraites il y a 30 ans ou je pense là-dessus que le gouvernement a eu raison d'attendre après une échéance majeure où il pourra effectivement politiquement assumer un certain nombre de décisions qui ne sont pas possibles d'assumer dans une période de cohabitation. Mais par rapport à vos propositions, moi je vais vous dire ce qui me trouble beaucoup. Vous reprenez une mécanique qui est la mécanique des expert de retraite qui est le régime unique pour tous les salariés. Je crois que c'est fondamentalement faux. Je pense qu'il y a des salariés qui ont des revenus extrêmement faibles, très faibles et pour ceux-là il ne faut rien changer. Donc le système, bien sûr il faudra une retraite complémentaire par rapport au système de répartition, c'est inévitable, démographiquement on ne peut pas l'éviter. Mais à mon avis seulement au-dessus d'un certain nombre de revenus et c'est la même chose pour la santé. Pour la santé, pour un certain nombre de revenus, tout doit être remboursé. Au-dessus de ces revenus, alors effectivement on peut avoir une modulation. Moi, je vous dirais que je m'applique ça depuis de nombreuses années, je ne me fais pas rembourser les médicaments courants etc. Parce que j'estime qu'au-dessus d'un certain nombre de revenus la Sécurité sociale n'a pas à rembourser uniformément. Car ce pays est caractérisé, il est caractérisé, vous le savez, c'est la même chose pour les bourses dans les grandes écoles, les gens dès qu'ils sont dans les grandes écoles, ils sont boursiers, ils sont payés par l'Etat, ils ne remboursent pas les sommes. Dans tous les pays du monde, quand vous êtes à Harvard vous repayez votre scolarité.
CHRISTINE OCKRENT : Oui, mais restons en aux retraites
CLAUDE ALLEGRE : Je reste dans ce problème, ce problème qui est un problème fondamental, qui est un problème de justice sociale, entre la différence, la modulation en fonction des revenus. Et je crois que ça c'est le point clé. Si on explique ça aux Français, je pense qu'il y a des gens qui comprendront. Mais qu'est-ce que vous voulez ? Quand vous avez des gens qui ont 4 enfants , qui ont des salaires, qui arrivent difficilement à payer leur loyer, comment voulez- vous leur parler d'augmenter leurs cotisations ? C'est pas possible ça !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord je note qu'en cas de cohabitation on ne traite pas le problème des retraites. Ce qui m'inquiète tout de même parce que ça veut dire que le système politique est quelquefois jugé incapable...
CLAUDE ALLEGRE : ... que la cohabitation est un mauvais système.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Deuxièmement moi je pense qu'il vaut mieux parler des choses avant les élections, dire ce que l'on fera de façon à être réélu sur un programme plutôt que de ne parler de rien et puis d'attendre après...
CLAUDE ALLEGRE : Ah non, il faut en parler...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il faut en parler. Donc nous sommes d'accord pour dire...
CLAUDE ALLEGRE : Ah, eh bien il va falloir en parler
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... pour dire très clairement...
CLAUDE ALLEGRE : Ah eh bien évidemment...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Et puis alors sur la question de la proportionnalité des coûts politiques de santé pour chacun et de ses revenus, nous préconisons de ne plus prélever des cotisations liées aux salaires. Nous pensons que la CSG, qui est un devoir de solidarité nationale doit être... Si vous gagnez 1 000 vous avez 10 % de 1 000 qui est pris et si vous gagnez 100 000, vous avez 10 % de 100 000 qui est pris. Et donc il y a une vraie proportionnalité pour nous sans plafond, dans notre idée, entre ce qui est prélevé sur chacun à proportion de ce qu'il gagne. Donc nous sommes tout à fait d'accord pour dire que l'on paye selon ses revenus.
CLAUDE ALLEGRE : Mais la proportionnalité, non Ernest-Antoine Seillière, la proportionnalité ce n'est pas cela. Si vos gagnez 100 francs, vous payez 5 francs, si vous gagnez 1 000 francs, vous ne payez pas 50 francs, vous payez 500 francs. C'est ça la justice sociale.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca, c'est la progressivité...
CLAUDE ALLEGRE : Absolument
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous pourrions avoir un débat sur la justice fiscale, proportionnalité ou progressivité.
CLAUDE ALLEGRE : Absolument, je pense que le rôle de l'Etat est d'une rerépartition sociale.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Par rapport au système actuel dans lequel vous avez des cotisations assises avec un plafond de prélèvements, le sujet que nous proposons, c'est à dire la CSG représente un progrès sur la progressivité du prélèvement sur les revenus pour financer la solidarité. Donc là-dessus nous ne sommes pas vraiment en désaccord, nous pensons que c'est un système qui pourrait fonctionner mieux. Pour le reste, la répartition doit être maintenue, notamment pour ceux qui sont les plus faibles en termes de revenus et de retraite et la possibilité de rajouter à la répartition c'est la capitalisation qui prend de l'épargne sur ceux qui peuvent en donner.
CLAUDE ALLEGRE : Là-dessus il y a un deuxième sujet, moi je suis partisan d'avoir effectivement des fonds de pension mais un fond de pension géré par les organismes paritaires, pas par les assurances.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca, c'est ... Je ne vois pas ce qui vous tracasse là, parce que si c'est bien géré, c'est ça le problème...
CLAUDE ALLEGRE : Non, non, ça me tracasse, d'ailleurs vous êtes indirectement par d'autre biais les victimes de ces fonds de pension qui font une pression absolument incroyable sur les entreprises française, parce que s'il y a un profit à faire ces fonds de pension feront des pressions sur les entreprises, comme elles le font actuellement. Je pense donc qu'il faut faire des fonds de pension à l'européenne qui sont gérés par le paritarisme, je ne dis pas par l'Etat. Le paritarisme gère les fonds de pension supplémentaires pour l'ensemble des revenus au-dessus d'un certain niveau.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je note avec intérêt que bon socialiste que vous êtes vous êtes pour les fonds de pension, et d'ailleurs bon fonctionnaire que vous êtes...
CLAUDE ALLEGRE : Les fonctionnaires les ont les fonds de pension...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien voilà, j'allais vous le dire, nous sommes bien d'accord là-dessus, donc il peut y avoir un débat et une discussion sur la gestion. Est-ce mieux géré par les syndicats ou géré par les financiers professionnels, je dirais là-dessus si on en était là, nous serions tout à fait d'accord...
CLAUDE ALLEGRE : Les syndicats peuvent embaucher des financiers professionnels...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais oui, pourquoi pas ? Et les financiers professionnels des syndicalistes. Donc je pense que tout ceci pourrait s'arranger.
CLAUDE ALLEGRE : Ca, c'est peut-être plus difficile. Donc ça, c'est la première chose. La deuxième question que je voulais poser, la grande question que se posent les Français, tous les jeunes Français, c'est la mondialisation. Les gens ont peur parce qu'ils voient brutalement une entreprise qui était prospère être soumise à une concurrence mondiale et s'effondrer et les lois du marché étant ce qu'elles sont se retrouver avec des problèmes de chômage. Comment pensez-vous que l'Europe, parce que je pense que c'est au niveau de l'Europe que cela se pose, nous puissions faire en sorte que cette mondialisation, je ne discute pas, ce n'est pas l'empêcher, c'est une réalité, mais comment mieux la réguler ? J'aimerais connaître vos propositions dans ce domaine.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord nous, nous considérons que la mondialisation est un phénomène, je dirais scientifique ou peut-être, de nature quasi climatique, c'est à dire on n'y peut rien, c'est comme ça que ça se passe et nous sommes bien d'accord là-dessus. Deuxièmement, avant de savoir comment la réguler, moi ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment nous y comporter comme les autres. Alors je vous le dis tout à fait clairement, pas par les 35 heures.
CLAUDE ALLEGRE : On va y revenir sur les 35 heures.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, attendez, c'est très important avant de savoir comment on régule les choses de savoir si on n'est pas en train d'accumuler soi-même des erreurs qui vont vous sortir progressivement de la capacité de vous comporter dans le phénomène de mondialisation avec les mêmes chances que les autres. J'estime qu'avoir mis les 35 heures, les avoir installées comme on l'a fait en France, rend difficile pour nos notre futur dans la mondialisation parce que figurez-vous que dans le monde entier on en rit tous les jours de cette affaire qui nous accable.
CLAUDE ALLEGRE : Je suis sûr que les 35 heures, je parle pour les grandes entreprises, pour les petites entreprises on en discutera après, pour les grandes entreprises les 35 heures seront en Europe pour tous les pays d'Europe dans 15 ans, je vous en prends le pari devant tout le monde.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, dans 15 ans, c'est un pari que vous et moi pouvons prendre sans difficulté mais j'ai entendu...
CLAUDE ALLEGRE : Mais oui, mais oui, par conséquent la France aura été leader dans ce domaine. Les 35 heures, c'est pas moi qui le dis, j'écoute certains de vos collègues, monsieur Bébéar qui dit que les 35 heures dans son entreprise a permis un dialogue social, etc... Donc il ne faut pas attaquer les 35 heures indistinctement. Je suis d'accord que pour les PME-PMI, et je pense que le gouvernement, très sagement, a décidé de surseoir à l'application trop stricte qui était la loi, pose des problèmes. Je suis d'accord là-dessus.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous êtes pour les fonds de pension, vous n'êtes pas pour les 35 heures dans le PME-PMI, monsieur Allègre attention !
CLAUDE ALLEGRE : Je suis pour un assouplissement... Ecoutez, moi je suis libre.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je sais, moi aussi, c'est pour ça que nous parlons agréablement d'ailleurs.
CLAUDE ALLEGRE : Je suis libre : je n'ai pas d'autres problèmes et puis je pense que le débat d'idées, c'est ça qui fait progresser les choses. Non, je pense que dans les PME-PMI, les 35 heures, il faut les faire avec un assouplissement sur les heures supplémentaires, comme ce que fait le gouvernement. Je crois que c'est bien. Vous avez protesté.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il ne faut pas que ce soit provisoire, je l'ai lu dans votre livre.
CLAUDE ALLEGRE : Il ne faut pas que ce soit provisoire. Donc on y est.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas de 35 heures dans les PME-PMI, nous sommes d'accord.
CLAUDE ALLEGRE : Pas de 35 heures rigides, 35 heures pour les travailleurs parce que c'est un progrès social. Et je vous dirais que quand vous ferez le décompte, ces 35 heures et les jours de congés pour les cadres vont créer des emplois, des milliers d'emplois dans le quartenaire, dans les loisirs...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... A condition d'avoir l'argent bien entendu.
CLAUDE ALLEGRE : Les cadres auront l'argent, ils l'ont déjà, ils partent en vacances. Donc je ne crois pas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La mondialisation marchera très bien, les 35 heures tout le monde les aura dans 15 ans...
CLAUDE ALLEGRE : ... La mondialisation...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Je réponds à votre question. Moi je suis frappé de voir que ceux qui sont contre la mondialisation empêchent de fonctionner les grandes organisations internationales qui essayent de mettre en place la régulation. Que ce soit dans le domaine du commerce, que ce soit dans le domaine financier, il y a des organisations qui essayent actuellement de faire en sorte que la mondialisation s'accompagne de règles du jeu qui, reçu et accepté par tous, régule le système.
CLAUDE ALLEGRE : Est-ce que vous croyez que ce sont les organisations internationales qui sont les plus aptes à le faire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Moi je le pense, je ne vois pas d'autre moyen.
CLAUDE ALLEGRE : Par exemple pourquoi pas les négociations bilatérales Europe-Etats-Unis, Europe-Asie...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, vous supposez le problème résolu, c'est-à-dire que là où nous avons actuellement des organisations internationales, nous aurions en fait des blocs qui négocieraient de bloc à bloc. Ce serait d'ailleurs plus simple. S'il y a en effet un ensemble européen, un ensemble asiatique, un ensemble américain, eh bien on peut imaginer en effet que ce que l'on connaît actuellement, c'est-à-dire les dialogues entre 130 pays, s'organisent mieux entre trois blocs.
CLAUDE ALLEGRE : Parce que au total ce sont les Etats-Unis qui imposent leur philosophie. Tout le temps.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pour l'instant tout à fait parce que l'Europe n'a pas réussi suffisamment en effet à s'imposer...
CLAUDE ALLEGRE : Alors que c'est le plus grand marché...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui mais la mondialisation est quelque chose qui peut se réguler mais il ne faut pas l'empêcher de se réguler en allant casser les organisations qui essayent à l'heure actuelle de faire quelque chose et je dis donc à tous ceux qui se sentent anti-mondialistes appuyez actuellement les organisations internationales qui essayent de réguler le mouvement mondial.
CHRISTINE OCKRENT : Un dernier échange, Claude Allègre.
CLAUDE ALLEGRE : Non, on pourrait parler sur le problème des licenciements. Je suis d'accord qu'on a un peu tout mélangé dans les protestations et que le cas de Danone n'avait rien à voir avec le cas des vêtements britanniques, Marks et Spencer. Je suis d'accord. Mais est-ce que vous en pensez pas que face à ces ... surtout en province je dirais, surtout dans les villes de province où la fermeture brutale d'usines nécessite que nous ayons une organisation dans laquelle le MEDEF devrait jouer un rôle important qui permettrait d'amortir cela. Autrefois il y avait des organisations sur les bassins d'emploi dans lequel le CNPF, votre prédécesseur, jouait un rôle important, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a une déficience aujourd'hui dans ce domaine de solidarité, je dirais des entreprises où l'on se débrouillait pour recaser les gens. Parce que le cas de Moulinex c'est quand même un cas ... Je ne disconviens pas des réalités économiques, je dis simplement que ce sont des cas humains terribles, quand même.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui mais je crois pouvoir répondre à votre préoccupation en vous disant ceci. Encore une fois sur le 1,2 million d'entreprises qui existent vous avez en permanence par solidarité des problèmes sociaux qui sont réglés comme vous le dites. C'est à dire en fait on doit alléger son effectif de 10 personnes, de 15 personnes, on s'y prend 6 mois avant, on se renseigne dans les entreprises voisines pour savoir s'il y a des emplois vacants, on prépare par la formation des gens à les prendre et donc en réalité quand on voit émerger un problème brutal c'est parce qu'il y a des milliers de problèmes qui se sont réglés par la manière dont vous dites. Il n'est pas possible en effet probablement de faire en sorte qu'on évite de temps en temps un problème brutal et notre société est ainsi faite que c'est celui-là qu'on médiatise et sur lequel on colle toutes les valeurs négatives. Moi je voudrais que l'on comprenne que le phénomène d'entreprise est un phénomène de solidarité constant entre des hommes et des femmes qui sont sur un projet commun. Et que ce n'est pas le lieu des conflits, que ce n'est pas le lieu des prélèvements comme on le dit partout, nous avons en fait une société entrepreneuriale qui fonctionne correctement avec beaucoup de responsabilités de la part de tous, salariés et entrepreneurs et les cas limite que nous connaissons sont très pénibles. Et à ce moment-là appellent beaucoup d'attention mais cela dit, ce n'est pas ça l'entreprise française.
CLAUDE ALLEGRE : Mais je ne pense pas ça du tout, Ernest-Antoine Seillière. Mais est-ce que vous ne pensez pas que le MEDEF, qui prône le dialogue social, aurait dû sur un cas comme Moulinex s'impliquer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je m'excuse, mais le MEDEF qui représente en effet 500 000 entreprises ne peut pas s'impliquer...
CLAUDE ALLEGRE : S'impliquer ... Si, sur un cas spectaculaire
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais nous avons les MEDEF territoriaux, les chambres de commerce et l'entreprise d'une manière générale autour des cas difficiles qui sont là en appui pour trouver toutes les formules. Et quand le préfet s'en mêle, il réunit tout le monde autour de sa table et tous ceux-ci discutent pour trouver des solutions. Encore une fois, toute la réforme que nous aimerions amener dans la société française, c'est pour chaque salarié, chaque Français et chaque Française apporter une meilleure protection contre les risques de la vie, au nombre desquels il y a le chômage, que nous avons réformé, la Sécurité sociale, où nous proposons, et les retraites sur lesquelles nous avons aussi beaucoup à dire. Et nous, les entrepreneurs et notre organisation n'avons pas autre chose en vue que d'apporter un plus et un progrès à la vie de chacun. C'est ça, la vraie solidarité nationale. Et nous sommes au cur de celle-ci.
CHRISTINE OCKRENT : Et bien voilà qui nous servira ce soir et pour quelque temps de conclusion. Merci monsieur Allègre d'être venu contredire ou parfois souscrire aux propos de Ernest-Antoine Seillière. Merci monsieur le Président du MEDEF d'avoir accepté notre invitation.
(Source http://www.medef.fr, le 14 décembre 2001)