Texte intégral
Mesdames et messieurs les officiers généraux,
Mesdames et messieurs, chers amis,
Europe first : voilà le thème qui a animé vos débats et vos réflexions.
Europe first, en disant ces mots, j'aimerais que nous revenions quelques années en arrière. Il y a seulement 10 ans. L'Europe de la défense était alors un voeux pieu, au mieux un espoir, au pire une crainte : en tous cas, c'était un concept. Rien de concret, jamais. Des déclarations d'intention répétées avec plus ou moins de conviction. Et dans le domaine de l'industrie, parlons-en ! Une industrie de défense européenne était plutôt redoutée que désirée. La conviction, longtemps, était que, chacun dans nos silos, nous serions plus forts que si nous étions unis.
Aujourd'hui, les choses ont changé. Rien que sur les deux dernières semaines, l'Union européenne a décidé de se doter d'un budget conséquent pour la défense. Elle a décidé d'accorder 13 milliards d'euros au Fonds européen de défense. L'Allemagne a accepté de rejoindre l'initiative européenne d'intervention, lancée il y a moins d'un an par le Président Macron. Et, bien sûr, la France et l'Allemagne, ont décidé d'unir leurs forces pour bâtir ensemble le système de combat aérien du futur, le char de combat du futur, l'artillerie du futur.
En somme, aujourd'hui, l'Europe de la défense n'est plus un sujet de colloque, c'est une réalité qui prend forme.
Europe first, vous incarnez cette nécessité. Vous l'avez comprise, il y a bien longtemps, peut-être plus longtemps que les autres. Pour la trentième fois cette année, la session européenne des responsables d'armement, organisée sous l'égide de l'IHEDN, montre la volonté de notre communauté européenne d'armement de s'unir, de se rassembler, de se comprendre.
La SERA a été précurseur, il a senti et promu plus tôt l'impérieuse nécessité d'une industrie de défense européenne. Il a permis, au fil des ans, de permettre à des responsables industriels et étatiques européens, de se rencontrer, d'apprendre à travailler ensemble. Il a permis de forger la conviction que nos intérêts allaient dans le même sens, que notre horizon était européen.
Vous avez été des précurseurs et vous avez su le rester, en cherchant, par ces cycles annuels, à pousser toujours plus loin la réflexion, le travail, l'audace, aussi.
C'est un immense plaisir que de pouvoir me tenir devant vous.
C'est un plaisir d'autant plus grand que nous sommes à un moment charnière. L'Europe de la défense se concrétise, il faut donc lui donner les moyens de réussir. Nous voyons des projets concrets émerger, des initiatives prendre forme. Nous prouvons que cette Europe est possible, que cette Europe est utile. Décevoir ces espoirs, décevoir ces attentes, c'est sacrifier notre chance.
Nous avons une opportunité unique, nous ne pouvons pas la gâcher.
Mais alors pourquoi ? Pourquoi cette Europe de l'industrie de défense ?
Je vais vous faire une confidence : l'Europe n'avait rien d'une évidence pour moi. Comme beaucoup, je constate les blocages, les obstacles. Comme beaucoup, j'observe les réticences, j'entends les critiques.
Et déplacement après déplacement, entretiens après entretiens, je me suis forgée une conviction : l'Europe est une chance. Une chance pour nos industries, une chance pour notre innovation, une chance pour notre souveraineté.
Regardons un instant le monde autour de nous. Le terrorisme continue de nous frapper. Les Etats cherchent à montrer leur puissance par tous les moyens. Des individus sans loi ni visage peuvent bloquer nos gares, nos hôpitaux et nos entreprises par une simple attaque cyber. Les changements climatiques provoquent des déstabilisations majeures et laissent poindre des conflits qui, demain, pourraient être violents.
De Londres à Rome, de Madrid à Berlin, en passant par Paris, ces menaces nous concernent tous, elles nous exposent tous. Face à elles, devons-nous toujours compter sur des alliés incertains ? Devons-nous perpétuellement compter sur les autres, plutôt que de choisir de tenir nous-même notre destin en main ?
L'Europe de la défense, c'est précisément la réponse à cette question. C'est affirmer que nous refusons d'être une addition de puissances moyennes quand nous pouvons être un ensemble fort et cohérent. C'est dire que nous sommes prêts à affronter nos responsabilités, résolus face à nos ennemis.
L'Europe de la défense, ce n'est certainement pas tourner le dos à l'OTAN, bien au contraire. L'alliance atlantique sera renforcée si, en son sein, il y a une Europe de la défense forte et capable.
Mais regardons maintenant l'industrie de défense. Vous le savez autant que moi, les marchés sont assez captifs, les opportunités d'exportation sont nombreuses mais nécessitent des efforts considérables pour offrir des offres innovantes à des prix satisfaisants. L'industrie de défense, ce sont des concurrents de plus en plus puissants, en Amérique et en Asie, notamment. Vous le savez aussi, quand on parle d'industrie de défense en Europe, on parle aujourd'hui plutôt de morcellement. D'industries enfermées dans des marchés trop petits pour garantir leur pérennité, face à une concurrence trop forte pour permettre leur expansion.
L'industrie de défense européenne, l'émergence d'une BITD européenne, c'est la voie vers des groupes plus solides, des marchés plus vastes, des moyens plus forts pour la recherche et l'innovation. Ce sont autant d'opportunités de développement, d'emplois, de nouvelles technologies. Ce sont autant de chances pour nos exportations, pour notre souveraineté.
Alors, pour réussir, nous avons des défis devant nous.
Le premier défi, c'est celui de la remontée en puissance.
Depuis des années, les Etats européens ont éprouvé leurs défenses. Elles ont subi coupes sur coupes, restrictions sur restrictions. La norme pour un programme d'armement est bien devenue le retard, voire l'annulation. Il fallait réagir, réparer notre outil de défense.
Je veux saluer une prise de conscience européenne sur ce point, alors que presque tous les pays augmentent les budgets alloués à la défense.
La France a décidé de montrer l'exemple et c'est le sens même de la loi de programmation militaire qui sera votée définitivement la semaine prochaine. D'ici 2025, ce sont 295 milliards qui seront investis dans la défense française et nous consacrerons, conformément à l'engagement du Président de la République, 2% de notre PIB à la défense.
Cette loi de programmation militaire, c'est aussi un renouvellement massif de nos équipements. Ils étaient usés par un engagement opérationnel massif et dans les trois armées, nos programmes sont accélérés et les cibles augmentées pour les équipements les plus stratégiques.
Il nous faut maintenant nous montrer à la hauteur de ces moyens exceptionnels. Notre responsabilité collective, c'est de s'assurer que les objectifs soient respectés, que les livraisons se fassent à temps, de vérifier que chaque euro soit bien employé.
Cette remontée en puissance, c'est notre crédibilité. C'est notre capacité à peser, à nous faire entendre. C'est la promesse de carnets de commandes remplis pour notre industrie, d'emplois et de croissance pour nos économies.
Le second défi, que nous allons affronter ensemble, c'est celui de l'innovation.
Le numérique a investi les théâtres d'opérations. Il est présent partout, chez nous comme chez nos adversaires. Nos technologies nous offrent plus de rapidité, de protection, de précision. Les recherches que nous menons sur l'intelligence artificielle ou le big data ouvrent des opportunités dont nous cernons à peine l'ampleur.
Face à tous ces défis, l'Europe ne peut pas attendre. La France ne peut pas attendre. Et nous l'avons tous, vous l'avez tous bien compris. Le Fonds européen de défense, je le disais, est doté de moyens exceptionnels : 13 milliards qui font de l'Union européenne le quatrième investisseur européen en matière de recherche et technologie de défense.
La France, aussi, prend le tournant de l'innovation. Nous augmentons les moyens consacrés à la recherche et technologie de défense de plus d'un tiers et nous les porterons à 1 milliard d'euros par an dès 2022. Nous investissons dans les start-up, dans les PME en créant le fonds d'investissement Definvest ou le Plan Action PME. Nous lançons, une agence pour l'innovation de défense, acteur unique, visible, ouvert sur l'économie civile, qui abritera tous nos dispositifs en faveur de l'innovation. Enfin, nous réformerons la DGA, pour la rendre plus ouverte à l'innovation, plus accessible à toutes les entreprises, pour faciliter les procédures d'achat.
Réussir ensemble le défi de l'innovation, c'est s'assurer que nous ne serons jamais à la traîne. C'est garder notre supériorité opérationnelle. C'est être attractifs face à nos concurrents.
Le dernier défi, que je voulais évoquer, vous le connaissez bien. C'est celui de la consolidation industrielle européenne.
Pour l'Europe de la défense, la coopération politique est indissociable de la coopération industrielle. L'émergence de groupes européens permettra l'audace et la puissance nécessaires pour remporter des marchés, produire les meilleurs équipements, garantir notre souveraineté stratégique.
Car aujourd'hui, je veux le dire, si nous voulons construire une Europe capable d'agir, il nous faut créer une « grammaire européenne des équipements ». Il faut que, sur le terrain, nos équipements se comprennent, communiquent. On ne peut pas prétendre agir ensemble, si nos équipements ne sont pas interopérables.
Le char de combat du futur, le système de combat aérien du futur, que nous venons de lancer avec l'Allemagne sont des opportunités exceptionnelles, pour l'Europe, pour notre industrie, pour nos systèmes d'armements. Chaque pays, et je veux le dire devant vous, qui souhaite participer à ces projets est le bienvenu. Nous ouvrons la voie vers des coopérations plus larges, plus ambitieuses encore.
Bien d'autres projets sont lancés et bien d'autres nous attendent. Chacun d'entre vous, venus de plusieurs pays d'Europe, vous apportez vos qualités, vos sensibilités. Vous représentez toute la diversité et les espoirs de notre industrie de défense. Pourquoi nous priver, alors, d'agir ensemble ? D'être forts, ensemble ?
Notre industrie de défense a de solides fondements, enracinés dans chacun de nos Etats. Et je lui crois un horizon vaste, fait de succès technologiques et de croissance, un horizon européen.
Vous avez toutes les cartes en main et vous pouvez compter sur ma détermination.
Merci à tous !
Source https://www.ihedn.fr, le 20 juillet 2018