Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à France-inter le 16 janvier 2002, sur la précampagne des élections présidentielles, la place occupée par le MEDEF dans le débat politique et sur son livre intitulé "Pour une nouvelle gouvernance".

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- De quel poids le programme du Medef, présenté hier à Lyon, pèsera-t-il sur le débat politique ? Portant sur la fiscalité, les 35 heures, les retraites, le services minimum dans le secteur public, la formation, la réforme de l'Etat, celle des entreprises publiques, les nouveaux contrats de travail et l'assurance-maladie ne dessine-t-il pas un projet politique ? J.-P. Raffarin, vous êtes sénateur de la Vienne, président de la région Poitou-Charentes, vice-président de DL, ancien ministre des PME, du Commerce et l'Artisanat. Il faut faire avec la probabilité maintenant, en politique ? Nous voilà avec "un probable candidat" et un "probable premier ministre", à lire Le Figaro s'agissant de vous, ce matin...
- "Je ne suis pas du tout candidat. Restons dans le réel. Je suis président de Poitou-Charentes et heureux de l'être."
Mais que dites-vous tout de même ? Parce qu'un livre paraît aujourd'hui, aux Editions de l'Archipel, que vous signez, et il a pour titre : "Pour une nouvelle gouvernance", avec un beau sous-titre : "L'humanisme en action"... C'est un programme de gouvernement ?
- "Non, c'est une réflexion sur la méthode : comment gouverner ? Au fond, je vais vous dire : j'adore la politique, j'aime ça, je suis enraciné dedans, et donc je suis blessé quand je vois que les Français n'aiment pas la politique, quand je vois qu'elle est mésestimée et donc, j'ai cherché à participer du réenchantement de la politique."
Comment voulez-vous qu'ils l'aiment, alors qu'elle est impalpable ? On ne fait qu'avec du "probable", du "peut-être", du "possible", du "on verra" ?
- "On fait surtout beaucoup trop de technique et pas assez de conviction, pas assez de pensée. C'est pour cela que j'ai essayé de chercher quelles étaient les racines politiques de mon propre engagement et de ceux de la droite. La droite a abandonné le terrain de la pensée, pour se laisser dévorer par la technique, la mesure, la procédure, la paperasse et finalement, tout cela se ressemble. Nous ne sommes pas pareils que les socialistes. En quoi sommes-nous différents ? Je crois que j'appartiens à la grande famille historique des humanistes, ceux qui veulent placer l'homme au coeur de la société et que, face à nous, il y a des utopistes, il y a des gens - je ne conteste pas leur bonne volonté - qui emmène le peuple vers des voies sans issues. Quand j'entends monsieur Jospin nous parler des 35 heures, je dis : "Monsieur Jospin, vous êtes utopiste. Peut-être que c'est bien de travailler moins, mais avons-nous les moyens de nous payer ça ? Et tous les dégâts que cette réforme provoque ! Vous dites : "Travailler moins pour vivre mieux", moi je dis : "Travailler mieux pour vivre bien"." Voilà les vrais clivages."
Mais où sont les idées aujourd'hui ? Sont-elles dans l'opposition ou au Medef ? Le programme dont je parlais à l'instant, c'est un programme de gouvernement et c'est le Medef qui le présente.
- "C'est heureux que le Medef ait des idées, c'est heureux que les entreprises, qui sont le moteur de l'économie, aient des projets. Je crois que c'est très important. Je leur dis de rester dans le domaine social et le partenariat social. Ils ont à négocier, à contractualiser..."
Ont-ils à gérer ?
- "Je ne le pense pas. Je pense qu'ils doivent gérer le contrat. Les politiques gèrent la loi, les professionnels gèrent le contrat. La politique contractuelle est leur univers, ils doivent avoir des idées. Et je reconnais à l'équipe actuelle du Medef d'avoir fait cet effort de réflexion, c'est très important. Pas d'action cohérente sans une pensée claire. Il y a donc eu cet effort. Mais attention, il y a le champ du social, c'est le champ du contrat. Et il y a le champ du politique, c'est le champ de la loi."
Quand vous entendez un député de Démocratie libérale, F. Goulard, dire : "Après tout, c'est peut-être parce qu'on est absents sur le terrain des idées que le Medef exprime tous ces points de vue". Peut-être qu'au fond, l'opposition n'a pas suffisamment proposé, inventé, réfléchi... Ce n'est peut-être pas si mal d'être un peu utopiste de temps à autre ?
- "Je pense que c'est très dangereux, quand il s'agit de détruire les finances publiques du pays ou de les abîmer - voyez aujourd'hui la situation de la France est affaiblie ! Quand vous voyez qu'il y a plus de 3 millions de Français qui sont au minima sociaux, on ne peut pas être contents de cette situation. Il y a donc des dégâts économiques dans ces utopies. Je crois que ce qui est très important, c'est d'avoir une pensée claire pour l'avenir. M. Serre dit cela superbement : "L'honnête homme du XXIème siècle, c'est celui qui jardine ses convictions jusqu'à la clarté". Eh bien que le Medef ait trouvé une certaine clarté, c'est heureux ; que cela guide leur action, c'est très bien. Mais laissons l'espace politico-politique à la démocratie et aux citoyens, et que le partenariat social s'engage vraiment pour que le Medef, avec ses idées et avec les syndicats, puisse redonner au dialogue social sa vraie place, ce qui a été complètement gâché par les socialistes - et M. Aubry en particulier. Cela ne veut pas dire que la droite doit se satisfaire aujourd'hui de toutes ces idées. Je pense que la droite a effet déserté le terrain de la pensée depuis trop longtemps. On a laissé l'expertise nous dominer, il faut revenir au citoyen et à ses grandes questions."
On en revient à votre livre. Justement, c'est peut-être là que vous situez l'humanisme en politique ? C'est drôle : C. Allègre, qui était il n'y a pas si longtemps dans ce studio, dit un peu la même chose que vous quand il dit : "Attention, les techniciens, c'est bien gentil, mais cela vous conduit à un moment donné à une forme d'abstraction, de théorisation de la politique"...
- "Absolument. Je pense que cela nous emmène vers un débat de mesure, de procédure, et on perd le sens de notre combat. Et s'il n'y a pas de jeunes qui viennent dans la politique, c'est parce que les jeunes ne s'engagent pas pour une mesure, pour une procédure, pour un formulaire, ils s'engagent pour une conviction, pour un enjeu, pour quelque chose qui mobilise leur coeur. C'est notre enjeu."
Sur quoi cette campagne va-t-elle se jouer ? Quand vous dites : "Il faut maintenant que le citoyen soit actionnaire de la chose publique", qu'est-ce que cela veut dire ? Appliquons la question à l'enjeu de la justice et aux propos du juge Halphen qui dit : "Pas de justice... Je renonce... Je m'en vais..."
- "Très bon exemple : sur la justice, comment traiter ce problème ? D'abord, la position de la clarté, de la philosophie. Qu'est-ce que cela veut dire, la justice ? Cela veut dire : est-ce qu'on considère que l'homme est responsable ou pas ? Est-il déterminé ? Est-ce que ma violence, mon agressivité est dans mon ADN ou suis-je libre ? Sartre disait : "L'homme est innocent de lui-même". Je pense que l'homme est père de ses actes. Cela veut dire : responsabilité. Cela veut dire, par exemple, sévérité pour les primo-délinquants. Le jour où vous franchissez pour la première fois la ligne jaune, c'est important. C'est la conscience de la règle. Voilà en quoi la philosophie peut guider l'action. Ensuite, il y a un débat de méthode. Je crois qu'il faut en matière de justice, en matière de sécurité, aller au plus près du terrain et impliquer les maires, les élus de terrain. Et troisièmement, il y a le débat des moyens. Quand vous regardez les moyens pour le budget 2002 - justice, police, gendarmerie. Total du budget : 84 milliards. Total des 35 heures : 120 milliards. Le Gouvernement a fait un choix. Et c'est ce choix que je remets en cause."
Vous citez M. Serre, Sartre, c'est ce la philosophie politique que vous nous proposez aujourd'hui ?
- "Nous faisons de la politique, avec J. Chirac, avec un principe d'humanité. Nous voulons nous battre pour que dans cette société, l'homme retrouve sa place. Finalement, notamment dans la mondialisation, on a le sentiment aujourd'hui que si on ne replace pas l'individu au coeur même du débat politique, on sera baladés par des forces qui nous sont extérieures. Revenons à l'essentiel : comment valoriser la place de l'homme dans la société ? Donc, priorité, par exemple, à l'éducation. Tout cela sera du concret, je dis des choses très concrètes quand je dis qu'il faut que l'homme soit créateur. Quand je vois que dans ce pays, nous sommes les derniers pratiquement en Europe pour la création d'entreprise, on décourage la création ! Mais la création, où trouve-t-elle sa ressource ? Dans l'éducation. Si vous supprimez le dessin d'un côté, la dissertation de l'autre, croyez-vous que vous donnez aux jeunes la capacité de créer ? Non. Tout ceci doit être très cohérent. Mettons l'éducation au coeur d'un projet qui valorise ce principe d'humanité."
Et sur la forme, vous êtes très critique sur le souci de paraître des hommes politiques. Vous dites qu'ils sont en train de se tromper complètement. Est-ce que cela peut s'appliquer d'ailleurs à L. Jospin, à qui on fait le reproche presqu'inverse un peu, d'être trop...
- "Oui, mais les voeux de L. Jospin, hier, c'était quand même l'entrée en campagne de J. Séguéla : plus d'image, moins de message. On voit bien quand même que le Premier ministre a de plus en plus le souci de la communication. Je crois que c'est tout à fait dangereux. C'est pour cela que j'attends, comme beaucoup, avec impatience, le débat, pour qu'on puisse parler de la situation de la France, du problème du chômage des jeunes, de ce qu'il faut faire pour aider aujourd'hui les jeunes à s'insérer dans la société, qu'on puisse parler de la réforme de l'Education, de la décentralisation, rapprocher les décisions du citoyen. Il faut engager ces débats et cela dépasse très largement l'image et le marketing."
Et pour ce qui procède de la lutte du pouvoir ? Vous êtes sensible à tout ce qui se dit de vous ? Tenez, on est en train de vous pousser en avant en ce moment, en disant que Raffarin, c'est le prochain premier ministre. Vous vous méfiez de cela ?
- "Sérieusement, oui. Je n'aime pas être une balle de ping-pong qu'on balade comme cela. Je suis enraciné dans mes convictions, dans mon territoire, je suis attentif, je travaille très bien - par exemple, avec P. Douste-Blazy, - je ne vois pas pourquoi on m'oppose à lui, c'est quelqu'un de très bien. Je travaillerai sans problème sous son autorité par exemple. J'ai pour l'énergie de Sarkozy beaucoup de respect et de considération, et je ne vois pas pourquoi toutes ces forces-là seraient contradictoires. Je suis un homme d'équipe, j'ai joué au rugby dans ma jeunesse, je suis un collectif. Donc, je participe à un travail collectif dont le capitaine est J. Chirac."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2002)