Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la carrière de M. Michel Pébereau et sur les enjeux bancaires et financiers ayant marqué l'année 2001, Paris le 28 janvier 2002.

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Circonstance : Remise du Prix 2001 du "Financier de l'année" à M. Michel Pébereau

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'être parmi vous pour remettre à Michel Pébereau le prix du Financier de l'année de l'Association nationale des docteurs ès sciences économiques. A elles seules, les performances obtenues par vous à la tête de BNP Paribas justifieraient cet hommage. S'y ajoutent l'itinéraire et la personnalité particulière du grand serviteur de l'État puis de l'entreprise que vous êtes. Aujourd'hui, à travers vous - et je sais que vous voudrez l'interpréter ainsi - c'est également l'ensemble de la place financière de Paris, ses atouts, ses talents, ses succès, qui sont distingués par ce titre, à la fois prestigieux et adéquat. Prestigieux, quand on sait l'importance à long terme de la finance et la qualité de la concurrence pour ce prix. Adéquat car la précision " financier de l'année " souligne la " mesure " nécessaire à un exercice qui reste hautement volatile. Or, le sens du long terme et celui de la mesure sont précisément deux traits qui caractérisent bien Michel Pébereau.
A l'origine, il y a votre cursus scolaire, puis l'inspection des Finances que vous rejoignez en 1967, puis Rivoli où votre esprit de synthèse et votre rigueur font l'unanimité, en cabinet ministériel comme à la direction du Trésor. Des Finances à la finance, vous faites vos premières armes de banquier au Crédit commercial de France en 1982. Un quinquennat comme directeur général, un second comme PDG, vous dirigez d'une main ferme mais toujours ouverte, prenant le temps de réviser un projet pour l'améliorer, et d'expliquer. C'est à cette méthode que vous devez, dites-vous, de " n'avoir jamais eu, de toute votre vie professionnelle, à imposer une décision ".
En 1993 commence l'aventure BNP, aujourd'hui BNP Paribas. 80 000 collaborateurs dont 60 000 en Europe, 4 Md de bénéfices enregistrés en 2000, voilà pour les chiffres et les meilleurs résultats de la zone euro. Maintien du modèle généraliste, pilotage financier adapté face au ralentissement de la conjoncture, changement d'échelle des activités et des métiers, voilà pour les orientations du stratège. La bataille de la compétitivité est une guerre contre la montre. Il faut donc se ménager quelques échappées. Régénératrices sont la musique et l'harmonie du piano. Réparatrice, la passion de l'enseignement à Sciences Po avec, 20 ans durant, votre séminaire sur la politique économique de la France. Libératrice, la science-fiction que vous prisez en connaisseur et en commentateur expert. Vous attestez que le classicisme n'exclut pas l'originalité. Que la courtoisie n'empêche pas l'imagination et la passion. Et que le sens des affaires n'est pas contraire à l'intérêt général. Sans oublier le Gers, notre commun jardin secret et qui donc le restera. Votre 4e dimension, c'est la curiosité d'esprit, le goût de l'innovation et du risque calculé. Elle vous vaut aujourd'hui l'hommage mérité de l'ensemble de la finance française.
Dans le domaine bancaire et financier, 3 enjeux ont rythmé l'année 2001. Par son ampleur logistique et sa dimension historique, la préparation du passage à l'euro a constitué le chantier essentiel. Avec les commerçants, les entreprises, les services publics, les chambres de commerce et de métiers, les forces de sécurité, les bénévoles, les élus, je veux souligner combien les banques et leurs personnels ont patiemment oeuvré pour que l'euro soit un succès. Je veux donc ici remercier tous les personnels des établissements bancaires qui ont massivement répondu présents au rendez-vous de l'euro, faisant preuve d'un sens des responsabilités qui honore votre profession. Nos concitoyens savent la valeur du réseau d'agences réparti sur le territoire : il est le meilleur gage d'une relation de confiance et de proximité. Bien sûr, en partenaires, nous restons mobilisés pour réaliser la complète remontée du franc, l'invalidation des billets ou le réassortiment des commandes en euros. Avec une extrême vigilance sur la sécurité et les prix. Mais nous savons déjà que l'euro sera la plus importante réforme économique et monétaire depuis des décennies et un vrai succès.
Le deuxième grand défi en 2001 a concerné la modernisation des relations banques-clients. De multiples concertations ont eu lieu, parfois infructueuses, le plus souvent fécondes. Ensemble, nous sommes parvenus à des améliorations substantielles, qui n'ont peut-être pas été suffisamment soulignées. Trois textes de loi récents ont permis des avancées concrètes en matière de lutte contre l'exclusion bancaire mais aussi, plus largement, pour l'ensemble de la clientèle. La loi MURCEF applique au secteur bancaire des dispositions du code de la consommation : transparence et contractualisation des services et de leur tarification, protection contre les effets des ventes forcées et des ventes à primes, accès direct au juge et recours à un dispositif décentralisé de médiation rapide et gratuite. L'ensemble de ces mesures doit désormais se traduire dans les faits, au bénéfice d'une relation de confiance entre les banques et leurs clients. Vous y avez beaucoup aidé.
Un troisième enjeu concerne l'attractivité de notre territoire et c'est un sujet qui nous tient, vous comme moi, à coeur. La France n'est forte que si ses entreprises le sont, la répartition des richesses n'a de réalité durable que si les agents économiques sont encouragés à créer, produire, innover. Renforcer les entreprises françaises sur notre territoire, favoriser l'émergence de champions français à vocation européenne et mondiale dont le centre de gravité se situe en France, attirer les centres de décisions et les capitaux, humains, technologiques, financiers, vers l'hexagone - voilà donc la feuille de route. La place financière de Paris a un rôle éminent à jouer, à condition bien sûr qu'on lui laisse faire son travail sans la soumettre à une permanente suspicion. Le Minéfi en a fait un axe fort de son action en engageant d'ores et déjà certaines mesures, je pense à l'élargissement du PEA aux actions européennes, et en souhaitant en engager d'autres. Bon gré mal gré, ce thème de l'attractivité fait son chemin au sein du monde politique. 2001 a permis d'élargir un débat jusqu'ici réservé aux professionnels. Il faudra, au cours de la prochaine législature, aller plus loin.
Car le défi de l'attractivité concerne tous les acteurs, et d'abord l'État. Globalisation, intégration européenne, aspirations sociales et locales, tout montre que l'interventionnisme et le protectionnisme doivent être révolus. Dans la même enceinte, il y a 2 ans, j'avais déjà plaidé pour l'État partenaire. L'État doit accepter d'être évalué et comparé. Il lui faut substituer une culture d'objectifs et de résultats à une logique de moyens, mieux garantir la transparence et la stabilité indispensables au développement économique et à une croissance durable. C'est le sens de l'action que nous nous attachons à conduire, c'est un enjeu majeur de la décennie qui s'ouvre, en particulier à partir de la nouvelle constitution budgétaire du 1er août 2001 que nous avons pu faire adopter. Bien entendu, l'efficacité indispensable de l'État suppose une politique économique et financière sérieuse. Cela mérite un rappel particulièrement en cette période préélectorale où fleurissent des propositions de toutes sortes. Les propositions sont libres et il ne faut pas craindre les réformes, au contraire ; mais quand je vois certaines promesses miraculeuses sur la baisse des impôts, l'augmentation simultanée des dépenses et la maîtrise du déficit, je dis, moi qui comme vous préfère la vérité et le sérieux et qui pense qu'elles sont des valeurs de la démocratie : attention à ne pas confondre la politique économique et financière et le traîneau du Père Noël !
Mesdames et Messieurs, euro, modernisation des relations banques-clients, attractivité du site France, chacun comprend que Michel Pébereau soit désigné financier de l'année. Dès la première heure, votre banque s'est impliquée dans le passage à la monnaie unique. Vous avez pris des engagements qualité vis-à-vis de vos clients, vous avez largement recruté pour faire face aux opérations d'échange des francs pendant la période de double circulation, vos distributeurs automatiques de billets ont basculé à 99 % à l'euro dès le 1er janvier.
L'amélioration des services bancaires aux particuliers constitue une autre de vos priorités si j'en juge par la place que vous accordez à la banque de réseau, de détail, de proximité, à l'industrie bancaire de distribution, refusant de tout miser sur la seule banque d'investissement. Une banque est une entreprise citoyenne, ancrée sur son territoire, au contact de clients locaux, qui ont leur histoire et leur culture. Il n'est pas exact d'affirmer que l'ancrage mondial est exclusif de la réalité nationale ou régionale.
Le mois dernier, devant l'Académie des sciences morales et politiques, le professeur Pébereau a consacré une intervention remarquée aux enjeux de l'attractivité. La fusion de BNP Paribas est une réussite. C'est une fusion approuvée par le marché, fondée sur un projet d'entreprise motivant pour le personnel et sur un dialogue social intense. Vous avez accordé une place essentielle aux hommes et à l'emploi, et je note d'ailleurs que BNP Paribas figure parmi les 10 premières entreprises françaises en matière de recrutement. Performance d'autant plus remarquable que beaucoup d'opérations de ce type achoppent précisément sur des difficultés humaines. D'un point de vue stratégique, vous avez trouvé un équilibre entre des activités stables, aux revenus récurrents grâce à la banque de détail, et des activités aux revenus plus volatils, avec la banque de financement et d'investissement. Ainsi, en période de choc sur les marchés financiers, comme en 2001, vous avez pu bénéficier, relativement à d'autres, des bons résultats de la banque de réseau. La croissance externe de BNP Paribas reste dynamique, avec le rachat récent d'une banque californienne.
Mesdames et Messieurs, le prix qui est aujourd'hui remis à Michel Pébereau récompense la synthèse du praticien et du théoricien, du décideur et du pédagogue, de l'instant et du long terme. A travers vous, sont donc salués l'esprit de conquête et la ténacité dans l'action. En ce début d'année 2002, nous aurons bien besoin des deux.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 29 janvier 2002)