Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, à l'occasion du départ du Belem vers Saint-Pierre, en Martinique, Nantes le 10 février 2002.

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Circonstance : Départ du voilier Belem vers la Martinique pour commémorer le centenaire de l'éruption de la Montagne pelée, le 8 mai 1902

Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Préfet,
Mesdames, Messieurs,
Le 8 mai 1902, le Belem qui mouillait au havre du Robert fut le témoin d'une tragédie effroyable, d'autant plus effroyable pour lui qu'il aurait dû en être victime s'il avait pu gagner, comme prévu, le port de Saint-Pierre. La Montagne Pelée, ce matin-là, vomit une nuée ardente qui brûla vifs près de 28 000 Pierrotines et Pierrotins. La population fut décimée, la ville anéantie, et toute une région fortement ébranlée.
Hier témoin de l'indescriptible, aujourd'hui symbole d'une renaissance, le Belem est à l'eau et il s'apprête à renouer avec son passé en traversant l'Atlantique, en reliant les continents et les peuples. Il est un lien, un double lien : il est notre mémoire, lien nécessaire entre passé et présent, il est un trait d'union, entre ici et là-bas.
Le 8 mai 2002, le Belem mouillera à nouveau, cent ans après, à Saint-Pierre et participera ainsi à la commémoration de l'éruption de la Montagne Pelée. Moment fort parmi les nombreuses célébrations organisées, événement symbolique d'importance, qui nous invite à nous souvenir de Saint-Pierre, ville brillante, animée, " le joyau de la Martinique ". De cette splendeur passée témoigne aujourd'hui ce navire qui, parmi tant d'autres, reliait Saint-Pierre au reste du monde. Car Saint-Pierre était une ville ouverte. Elle commerçait, elle échangeait.
Evoquer ce passé, ce n'est pas sombrer dans la nostalgie, c'est au contraire célébrer la renaissance de la ville et avec elle, celle de la Martinique toute entière. Car pour l'île, l'événement dramatique fut fondateur : elle s'est reconstruite sur de nouveaux équilibres et sur une nouvelle dynamique, inaugurant ainsi une époque nouvelle et prenant conscience, comme elle le fait encore aujourd'hui, de ses atouts et de ses ressources. L'évocation du passé construit notre présent.
C'est tout le sens de cette commémoration : se souvenir non pour souffrir d'un passé douloureux, mais pour assumer pleinement notre histoire et mesurer l'espoir qu'elle porte.
C'est ainsi qu'outre-mer on se souvient de l'esclavage : en prenant pleinement conscience du crime contre l'humanité qu'il fut, comme nous y invite la loi Taubira-Delannon adoptée le 10 mai 2001 par le Parlement, et en se rappelant que ce sont les esclaves eux-mêmes qui, par leurs révoltes, ont secoué leurs chaînes et conquis leur liberté.
Commémorer l'abolition de l'esclavage pour se souvenir des combats qui y menèrent, commémorer l'éruption de la Pelée pour célébrer la renaissance de Saint-Pierre et de la Martinique : dans l'un et l'autre cas, le souvenir vaut libération, dans l'un et l'autre cas le passé ouvre l'avenir, pour des outre-mers forts de cette histoire pleinement assumée.
Trait d'union entre histoire et modernité, le Belem est aussi ce lien essentiel entre ici et là-bas.
Son trajet signifie moins la distance que la proximité, moins l'éloignement que l'appartenance à un même ensemble. Les outre-mers ne sont pas au loin, ils sont au cur, ils forment avec les autres régions de France des liens intenses, que je souhaite encore plus resserrés. Notre communauté nationale est plurielle et riche de cette pluralité. Toutes ses dimensions se tissent pour former cette identité qui n'est pas exclusive, mais qui combine les appartenances et fait être ces nombreuses passerelles entre nous. Présence de l'hexagone outre-mer et présence des outre-mers dans l'hexagone : en témoignent la participation des originaires d'outre-mer à la vie publique et leur engagement dans les mouvements associatifs, dont nous saluons ici certains représentants.
Avant de mouiller à Saint-Pierre, le Belem s'arrêtera au Brésil, dans la ville qui lui a donné son nom. Il y a quelques jours, j'ai moi-même fait escale à Belem pour me rendre à Macapa, dans l'Etat de l'Amapa, au nord du Brésil. Je m'y suis rendu pour renforcer les relations entre l'Amapa et la Guyane qui partagent une frontière de plus de 650 km. Avec Jaoa Capiberibe, gouverneur de l'Amapa, nous nous sommes donnés les moyens d'une coopération transfrontalière plus poussée et d'une association étroite pour un développement durable commun, qui conjugue l'activité économique, l'égalité sociale et la protection de l'environnement amazonien, richesse menacée.
J'en suis revenu davantage encore convaincu que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Dans l'Amapa et en Guyane s'inventent des modèles de développement qui ont tout intérêt à s'inspirer mutuellement. Nos frontières, dans un monde toujours plus global, doivent pouvoir être dépassées quand c'est nécessaire. C'est aussi ce que symbolise aujourd'hui la traversée du Belem.
Lien entre l'hexagone et l'outre-mer, lien entre les Etats dans un monde plus resserré, le trois-mâts est aussi et enfin, à mes yeux, le symbole de la solidarité entre les peuples. En mai 1902, l'éruption de la Montagne Pelée suscita un mouvement de sympathie universelle sans précédent. De partout, d'Amérique, d'Europe, d'Afrique, des secours furent envoyés, des souscriptions furent organisées. On connut là l'une des premières grandes actions humanitaires : par delà les rapports de force et les stratégies politiques, la sensibilité de l'opinion fut mondiale. A Goma, au Congo, il y a quelques semaines, un autre volcan s'est embrasé. Avec Médecins du Monde et les élus martiniquais, nous avons lancé un appel à la solidarité de tous les Français, pour aider les populations victimes de cette catastrophe. Cette souscription est destinée à soutenir sur le terrain l'action des organisations humanitaires, difficile dans un pays qui manque de tout. N'est-ce pas le plus bel hommage que nous pouvons rendre aux Martiniquais qui périrent le 8 mai 1902 ?
La solidarité n'a pas de frontière. Elle ne connaît pas les distances, elle sait s'en affranchir. Ici et là-bas ne sont pas fermés l'un sur l'autre, mais ouverts l'un à l'autre : des lieux dans un espace commun, notre monde, qui est lisse et non strié de limites infranchissables. Le Belem, ses 520 tonneaux, ses trois-mâts, ses 21 voiles, est le symbole de ce qui nous unit par delà nos légitimes singularités et de ce qui nous ouvre toujours davantage à l'expérience des autres.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 14 février 2002)