Interview de Mme Christine Boutin, candidate à l'élection présidentielle, à France 2 le 14 février 2002, sur sa volonté de mettre la France au service de l'homme.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Evoquons d'abord un sondage concernant les intentions de vote des Français après la déclaration de candidature du Président J. Chirac, qui gagne 4 points au premier tour, à 27 % des intentions de vote, 52 % au second tour et les Français l'ont plutôt trouvé convaincant, sauf pour les affaires et la dissolution. J'imagine que vous avez écouté J. Chirac. Est-ce que vous avez été convaincue ?
- "Honnêtement, je ne l'ai pas regardé, j'ai beaucoup de choses à faire et je n'ai pas eu le temps de regarder. Je trouve normal qu'à la suite d'une annonce de candidature, il y ait des modifications dans les sondages et que cela aille dans un sens positif. Lorsque le putatif candidat Jospin se présentera, il y aura aussi un effet d'annonce et cela se traduira. Pour l'instant, la campagne n'a pas véritablement commencé."
Fin janvier, vous avez fait votre entrée en campagne de façon assez tonitruante, à l'américaine, au Zénith, avec 3.000 personnes...
- "5. 000 !"
5.000 personnes... Il y a aussi une brochure qui s'appelle "C. Boutin : Mettons la France au service de l'homme" - elle est mise en vente sur votre site. C'est une tonalité particulière que vous avez voulu donner à votre démarrage ?
- "C'était un challenge, c'était très risqué pour moi. Je suis une femme libre, je me présente complètement indépendante et je ne savais pas du tout si j'arriverais à remplir le Zénith. Du reste, on avait choisi le Zénith parce que c'est une salle modulable et en fait, il a été comble. Je note qu'un certain nombre de candidats à l'élection présidentielle s'était inscrit pour y démarrer leur campagne et ont reculé. Je suis la seule à avoir démarré au Zénith ma campagne présidentielle, ce qui montre bien que ma candidature intéresse un certain nombre de personnes."
Vous êtes en rupture de votre famille politique, l'UDF ?
- "En suspension."
Est-ce compliqué ou cela vous est parfaitement indifférent ?
- "Cela m'est indifférent. Je suis très attachée à cette famille, cela fait 20 ans que j'en fait partie. Pour l'instant, je suis en suspension, on verra après. Vous savez ce qui va se passer après l'élection présidentielle ?"
Mais pourquoi vous voulez être candidate à l'élection présidentielle ? C'est beaucoup de boulot, c'est fatigant, cela demande beaucoup d'énergie. Quelle parole différente amenez-vous dans cette campagne ?
- "Je veux absolument, comme le dit mon projet, mettre la France au service de l'homme. Aujourd'hui, par rapport aux défis de la mondialisation, des biotechnologies, les nouveaux modes de vie, la construction européenne, quelle est la place de l'homme ? Et je crois qu'il fait vraiment se poser la question : est-ce que ce sont des logiques boursières ou économiques qui guident les décisions politiques ou est-ce vraiment la préoccupation de l'homme, du plus petit, du plus faible - le chômeur, l'exclu, etc. ?"
Mais un certain nombre de gens disent cela ! Bayrou dit des choses qui ne sont pas très éloignées de cela, Madelin aussi...
- "Personne ne le dit en cohérence, en mettant véritablement l'homme au coeur de la préoccupation politique. Je suis pour le respect de la vie, de la conception à la mort naturelle, c'est la raison pour laquelle, je suis contre la peine de mort. Je suis pour le respect de toute personne, quelles que soient la race, la religion dans notre pays. Aujourd'hui, la pauvreté se développe, vous le savez, c'est quelque chose d'inacceptable pour un pays comme le nôtre. Je veux obliger à la cohérence et à l'exigence et mettre l'homme au coeur des débats politiques alors qu'aujourd'hui, les projets ne sont pas là. Il y a de grandes paroles, de grandes discussions des uns par rapport aux autres, mais aucun projet constructif et qui aie ce souci d'humanité, qui est, pour moi, ma cohérence et mon exigence. Vous savez, ce n'est pas facile, mais ce à quoi j'appelle, c'est à l'exigence et à la cohérence."
Concrètement, que veut dire "mettre l'homme au coeur", par exemple en matière de sécurité, de dialogue social, de protection sociale ?
- "La sécurité est aujourd'hui un thème important traité par les politiques, de droite comme de gauche, de façon très politicienne. Ce que je veux, c'est revenir au coeur et aux causes de l'insécurité, par exemple. 12 % de la population française ne sait ni lire ni écrire ni compter. Comment voulez-vous..."
Il faut les alphabétiser ? Que faut-il faire ? Des pensionnats ? Il faut sanctionner ? La tolérance zéro, c'est quoi ?
- "Il faut redonner à l'école sa mission première, qui est de donner l'acquisition de ces fondamentaux. Comment voulez-vous qu'une personne qui ne sait ni lire ni écrire le français, ni compter, qu'elle soit française ou d'origine étrangère, puisse s'intégrer à la population ? C'est absolument impossible. Naturellement, il faut donner davantage à la justice et à la police, mais on ne va pas mettre un policier derrière chacun d'entre nous ! Ce qu'il faut, c'est regarder les causes profondes. Aujourd'hui, il y a une grande désespérance. Je veux donner l'espérance à ces Français et leur permettre d'exister, d'être reconnus."
Vous voulez donner l'espérance aux Français, vous avez une vision traditionnelle, d'autres diront "traditionaliste", un peu "archaïque" peut-être, de la France. Vous représentez aujourd'hui 1 % dans les sondages. Est-ce que ce n'est pas un peu désespérant de vous dire que cette France-là pèse, à travers vous, 1 % ?
- "'De toute façon, vous verrez le résultat in fine, puisque j'irai jusqu'au bout. On oublie madame Voynet qui à la dernière présidentielle, en 1995, n'a fait que 3 %. Regardez le poids politique qu'a représenté les Verts pendant toute cette mandature ! Je pars pour construire quelque chose, je propose aux Français de peser dans la vie politique."
Vous espérez faire comme A. Laguiller, c'est-à-dire, au bout de quelques années de candidature répétées, dépasser les 10 % ?
- "Non, c'est tout de suite ! On parle beaucoup du vote utile et je dis que le vote, c'est dès le premier tour et j'appelle les Français à voter selon leurs convictions. Tous ne voteront pas pour moi, bien sur, mais que chacun vote en fonction de ses convictions. Il y aura un certain nombre de candidats, chacun peut choisir celui qui lui convient. Et c'est ainsi que les idées, les convictions qu'il porte seront prises en considération au second tour."
Avez-vous vos 500 signatures ?
- "Quasiment, pas tout à fait. Mais maintenant, je suis certaine de les avoir et je les ai librement, personne ne me les a données, c'est une adhésion et un engagement de chaque maire de France."
Vous êtes en marge de l'UDF ; qui vous finance aujourd'hui ? Parce qu'une campagne, cela coûte cher !
- "Figurez-vous que ce sont les Français. J'engage mes dépenses en fonction des recettes et ce sont des dons dans le cadre de la loi, c'est-à-dire des personnes physiques..."
Des associations ?
- "Non, pas d'association, puisque les personnes morales sont interdites dans le cadre de la campagne présidentielle, ce ne peut être que des personnes physiques. Je me demande d'ailleurs comment les grands candidats vont pouvoir arriver à financer leur campagne, puisque c'est limité à 50.000 francs par personne physique, quand ils dépensent 90 millions de francs pour une campagne."
Vous savez combien vous allez dépenser ?
- "Entre huit à dix millions, je pense."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 février 2002)