Texte intégral
PIERRE-LUC SEGUILLON : Le MEDEF, comme les partis politiques, sacrifie à la tradition. Il tient son Université d'été à Jouy-en-Josas. Denis Kessler, bonjour. Nous vous retrouvons à Jouy-en-Josas. Merci d'avoir distrait un peu de votre temps de réflexion de cette deuxième journée de vos Universités d'été pour nous rejoindre sur LCI. Alors, il y a une première chose qui est surprenante, je dirais que c'est le thème que vous avez choisi pour ces Universités d'été : démontrer que la création de valeur, je reprends les expressions que vous avez utilisées, est compatible avec le respect des valeurs, les valeurs de l'environnement, de la nature, les valeurs de l'homme. Est-ce que le MEDEF a une si mauvaise image qu'il est obligé de recourir à ce genre de thèmes que l'on n'attendait pas tellement au MEDEF, pour se refaire une santé, une aura médiatique ?
DENIS KESSLER : Il ne s'agit pas du MEDEF. L'Université d'été traite du problème des entreprises, de toutes les entreprises et il s'agit de savoir dans quelle mesure l'entreprise dont la fonction principale est ce que l'on appelle la création de valeur, la création de richesses, c'est-à-dire la production de biens et de services, est capable, susceptible également, dans le même temps, de satisfaire le respect d'un certain nombre de valeurs, comme par exemple les exigences de qualité, de respect de l'environnement, les problèmes de parité dans l'entreprise, bref toutes ces questions qui sont des véritables attentes des Français. Nous voulions montrer que dans tous ces domaines, il y a effectivement des réponses que les entreprises élaborent et qui vont être maintenant prises au cur de notre stratégie.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais est-ce que ce n'est pas un peu paradoxal de parler de l'environnement, de parler du respect des salariés à l'heure où les entreprises sont quand même souvent de grands pollueurs et à l'heure aussi où il y a des rafales de plans sociaux ?
DENIS KESSLER : Alors, en ce qui concerne le premier point, il est évident que l'activité productive, c'est la transformation de la nature. D'ailleurs, qu'il s'agisse de l'agriculture ou qu'il s'agisse de toutes les industries, c'est la transformation de la nature. Et nous croyons fermement qu'il est possible, non pas par la réglementation, mais en faisant en sorte que la pression des clients, des consommateurs s'exerce, de faire en sorte que toutes les entreprises, que ce soient celles, par exemple, de construction automobile, que ce soient celles des entreprises pétrolières ou que ce soient celles des cimentiers par exemple, eh bien que ces entreprises modifient leurs processus de production, modifient leurs produits, de façon à davantage respecter la nature. Et le débat que nous avons eu hier avec Jean-Martin Folz, de Peugeot-Citroën et avec Thierry Desmarest de Elf, Total, a montré qu'effectivement, ces entreprises intégraient désormais ce que l'on appelle les préoccupations de développement durable, c'est-à-dire avaient intégré dans leur stratégie et dans leur activité et dans leur choix d'investissement ces préoccupations de l'environnement.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous reconnaîtrez que c'est quand même TotalFina qui avait fait affréter l'Erika, on ne l'oublie pas quand même.
DENIS KESSLER : Oui. D'ailleurs la question a été abordée, on n'a pas esquivé ce type de questions. Et on s'aperçoit que depuis le naufrage de l'Erika, il y a eu des progrès extraordinaires qui ont été faits pour faire en sorte que le transport maritime d'hydrocarbures ne donne pas lieu à des catastrophes comme celle de l'Erika. Donc, c'est comme ça que l'on progresse et je crois que c'est comme ça aussi que l'on trouvera des solutions à des attentes légitimes des Français, par exemple dans le domaine des atteintes à l'environnement.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Par exemple, vous avez fait pression, et le laboratoire d'idées qui a été jadis fondé par Ambroise Roux, qui travaille avec le MEDEF, et puis qui joue un rôle à la fois de laboratoire d'idées et de lobby, a fait pression sur le gouvernement pour qu'il renonce à l'écotaxe. Et vous avez applaudi l'annonce par Lionel Jospin du renoncement à l'écotaxe. Ce n'est pas une préoccupation très écologique, vous le reconnaîtrez.
DENIS KESSLER : Ah, je ne suis absolument pas d'accord avec vous parce que c'est un dossier dont je me suis personnellement occupé. Le MEDEF a fait des propositions au Premier ministre, d'ailleurs qui ont été rendues publiques, dans lesquelles toutes les industries françaises, toutes les fédérations prenaient des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et s'engageaient derechef dans une limitation extrêmement importante qui faisait sans doute de la France le pionnier en la matière, il est vrai avec l'Allemagne. Et donc, nous avons proposé justement une voie de lutte contre l'effet de serre, qui était la voie formidable de la négociation contractuelle entre l'Etat et les entreprises avec comme objectif des réductions chiffrées qui étaient extrêmement ambitieuses. C'est la bonne voie. Et comme par hasard, c'est finalement la voie qui a été retenue, plutôt que celle de créer une taxe, un impôt, qui aurait peut-être enrichi l'Etat mais qui n'aurait en rien réduit les émissions de gaz à effet de serre. Il y a eu un débat. Bien entendu, on s'est engagé en France dans la mauvaise voie qui était l'écotaxe, ça a été retoqué par le Conseil constitutionnel, on a essayé de ressortir de nouveau une nouvelle taxe, on s'aperçoit que la bonne voie est celle que l'on appelle les engagements négociés. C'est un exemple parfait. Et le MEDEF a été en première ligne pour proposer au gouvernement ces engagements négociés. Nous espérons, maintenant que l'écotaxe semble avoir été abandonnée, et nous nous en réjouissons profondément, que l'on va enfin s'asseoir autour d'une table pour discuter, entreprise par entreprise, secteur par secteur, les engagements de réduction de gaz à effet de serre et l'ensemble des Français bénéficieront des efforts qui seront ainsi faits par les entreprises de manière volontaire, dans un cadre contractuel. C'est un excellent exemple que vous avez pris.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, je vois apparaître derrière vous " respect des valeurs ", donc on vient de parler respect des valeurs de la nature, respect des valeurs, les salariés, les hommes, je rappelai à l'instant que tout cela se passe à un moment où il y a de nombreux plans sociaux et il y en aura encore. Est-ce que dans le contexte de compétition et de concurrence internationale, on peut vraiment concilier la recherche de la création de valeur, c'est-à-dire la création de richesses avec le respect des salariés. Est-ce que vous pouvez tenir ce discours à tous les salariés qui aujourd'hui se retrouvent plus ou moins sur le carreau.
DENIS KESSLER : Ecoutez, il y a des plans sociaux, il y en a eu dans les années qui viennent de se passer, il y en aura dans les années qui viennent, même si la France retrouve un taux de croissance élevé. Il faut dire aux Français, le répéter sans cesse, que le mouvement de l'économie entraîne des ajustements d'effectifs à la hausse quand ça va bien, à la baisse quand, dans les entreprises, ça va mal. Et ne jamais laisser croire qu'un chef d'entreprise peut éviter des licenciements ou des réductions d'effectifs lorsqu'il connaît une baisse de son activité ou qu'il connaît des véritables problèmes de concurrence et de compétitivité. Disons-le plutôt que de laisser croire que les chefs d'entreprise sont des irresponsables, amoraux et immoraux lorsqu'ils sont tenus de faire des réductions d'effectifs. Nous avons mis la question à l'ordre du jour de cette Université d'été parce que nous savons qu'un énorme effort d'explication doit être fourni et que, en ce qui concerne les valeurs dont nous considérons qu'elles sont nécessaires, la vraie valeur sera de faire en sorte que lorsqu'il y a réduction d'effectif, ceci se fasse dans des conditions telles que le maximum de salariés retrouve un emploi et que lorsqu'ils perdent leur emploi, bien entendu, des dispositifs nouveaux soient mis en place qui permettront de faire en sorte que ce ne soit pas un gâchis humain. Nous savons le coût que représente un plan social mais nous considérons que nous n'allons pas demander aux chefs d'entreprise de renoncer à tout plan social, ça serait de l'irresponsabilité la plus totale.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, si on ne joue pas cette irresponsabilité, est-ce que c'est au gouvernement, et à l'Etat en quelque sorte, de jouer les infirmiers quand il y a plan social ? On va prendre un exemple que vous connaissez bien parce qu'il concerne le président du MEDEF, c'est celui d'AOM. AOM, qu'est-ce que vous pensez des initiatives prises par le ministre des Transports, monsieur Gayssot, qui a sollicité les entreprises nationales, SNCF, Air France, d'autres entreprises, pour récupérer des salariés qui sont licenciés par une entreprise privée ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, je m'engage à titre personnel sur ce dossier, mais je dois vous avouer que je considère qu'il y a une double erreur. D'une part, je considère que les entreprises nationales n'ont pas à répondre à des ordres du ministre parce qu'elles devraient chercher elles aussi l'efficacité, le résultat et le bénéfice. Et donc, d'instrumentaliser les entreprises nationales en leur demandant de prendre des effectifs alors éventuellement qu'elles n'en ont pas besoin ou en considérant que tout ceci renvoie simplement à des préoccupations politiques, est à mon avis déjà une première erreur. Les entreprises publiques doivent pouvoir disposer, tant qu'elles sont publiques, de l'autonomie et de l'indépendance qui leur permet de satisfaire les principes d'efficacité et de rentabilité. Seconde erreur, à mon avis, bien entendu, c'est de considérer que certains salariés, parce qu'ils sont dans des secteurs dépendant de tel ou tel ministre, ont des droits prioritaires sur des postes éventuellement disponibles. Bien entendu, là, il y a une seconde erreur, à mon avis, qui fait que l'on voit encore une fois que l'interventionnisme de l'Etat conduit à des situations que l'on peut considérer et d'inefficacité en ce qui concerne les sureffectifs de certaines entreprises publiques et d'inéquité parce que permet à certains salariés d'avoir accès à des procédures que les autres salariés qui recherchent un emploi n'ont pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Donc vous dites ça ne devrait pas faire jurisprudence et d'autre part vous dites aux salariés, mais alors qu'est-ce qu'il faut dire aux salariés d'AOM ?
DENIS KESSLER : Il faut dire aux salariés d'AOM que, comme ils le voient, cette entreprise était déficitaire de manière tout à fait extraordinaire, que sa survie était en cause, que si effectivement rien n'était fait, tous les emplois disparaissaient, qu'à l'heure actuelle il faut adapter cette entreprise à la situation dans laquelle elle se trouve et à l'avenir du marché européen et qu'il fallait que ces gens-là retrouvent des emplois. Bien entendu, en faisant en sorte qu'ils s'adressent à tous les emplois disponibles. Mais je trouve que l'intervention, très honnêtement, des pouvoirs publics dans ce genre de procédure en faisant appel aux entreprises publiques, ne correspond pas, je crois encore une fois, au fonctionnement d'une économie moderne.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors vous vous êtes montré au cours de ces universités d'été assez pessimiste sur la situation économique à venir, trouvant notamment, je crois que c'est le président Seillière qui a trouvé que les perspectives dessinées par Lionel Jospin, en matière de croissance, étaient encore trop optimistes puisqu'il parlait d'une croissance revenant à 2,5, 2,3. Vous estimez qu'on sera en deça de cette situation. sur quoi vous fondez-vous pour avoir ce diagnostic plus pessimiste que le chef du gouvernement ?
DENIS KESSLER : Comme vous le voyez, il commence à pleuvoir à Jouy au moment où vous me parlez de la conjoncture et je crois que l'image est belle. Oui, il pleut sur la France
PIERRE-LUC SEGUILLON :Et merci de résister sous la pluie !
DENIS KESSLER : Je résiste à tout, vous le savez bien, y compris à la pluie lorsque je suis interviewé par vous, Pierre-Luc Séguillon. La situation quand même de la France est celle d'un ralentissement économique tout à fait marqué. Nous l'avons dit, vous vous en souvenez, il y a plus d'un an et demi et le diagnostic que nous avons fait est aujourd'hui avéré. Quand nous parlons de taux de croissance pour l'année 2001, c'est un, taux de croissance moyen. Nous sommes entrés dans l'année 23001 à assez vive allure et nous ne faisons que ralentir tout au long de l'année. Notre environnement international est très dégradé, quasiment stagnation aux Etats-Unis avec un taux de croissance au second trimestre extrêmement faible, stagnation au Japon, très grandes difficultés en Allemagne et en Italie, nous sommes dans une situation d'un ralentissement économique préoccupant. Avec des conséquences que nous avons anticipées là aussi qui seront sans doute la remontée du chômage et la multiplication, l'aggravation du déficit public si rien n'est fait en matière de dépenses publiques.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que vous pensez au plan européen que la Banque centrale européenne, Wim Duisenberg qui a décidé donc de baisser d'un quart de point les taux d'intérêt en ayant un taux de refinancement de 4,25 est encore trop timide ? Et, question subsidiaire, parce que je sens déjà votre réponse, est-ce qu'il conviendrait aujourd'hui, comme l'a dit je crois Jean-Pierre Chevènement chez vous aujourd'hui, que le gouvernements européens ne laissent pas la Banque centrale décider ainsi de la situation économique de l'Europe ?
DENIS KESSLER : Le Traité de Maastricht est clair, la Banque centrale européenne est indépendante et je crois que nous n'allons pas modifier le Traité à chaque fois qu'une difficulté est rencontrée. S'agissant de la baisse des taux, j'en tire trois conclusions. La BCE reconnaît qu'il y a difficulté économique en Europe, parce qu'autrement elle n'aurait pas baissé les taux. Donc c'est une reconnaissance officielle de la situation, d'un ralentissement, maintenant marqué, dans l'ensemble des pays de la zone euro. Deuxième commentaire, c'est que la BCE met du temps à réagir. J'aurais préféré qu'elle prenne acte de ce ralentissement il y a quelques mois, encore dans une période encore un peu, j'allais dire, infantile, dans laquelle on attend, plutôt que d'agir au moment où le diagnostic doit être fait. Donc j'ai le sentiment que, là, il y a eu du retard. Troisième point, la baisse des taux sans doute insuffisante par rapport à la situation économique, le ralentissement est suffisamment marqué pour peut-être avoir décidé une baisse des taux supérieure à celle qui a été décidée. Donc ça va dans le bon sens, mais j'allais dire, il faudra la prochaine fois agir plus vite et sans doute de manière plus marquée.
PIERRE LUC SEGUILLON : Revenons dans l'Hexagone. Est-ce que va, et je pense que vous l'estimez, dans le bons sens le choix de Lionel Jospin de décider l'assouplissement de l'application des 35 heures pour les entreprises de moins de 20 salariés ? Néanmoins, on a entendu Ernest-Antoine Seillière dire nous voulons, nous demandons, nous exigeons que les gens de terrain soient associés. Est-ce que ça signifie dans votre esprit une discussion entreprise par entreprise ?
DENIS KESSLER : La première chose, si vos voulez, quand le Premier ministre dit qu'il va assouplir la loi des 35 heures pour les entreprises de moins de 21 salariés, ça prouve que la loi est rigide. On assouplit quelque chose qui est rigide. Et donc c'est la reconnaissance officielle de ce que nous avons dit lors du vote de cette loi, c'est que cette loi est rigide. Elle est contraignante pour l'ensemble des entreprises, elle s'applique le même jour à des entreprises, quels que soient leur situation économique, leur secteur d'activité, que sais-je encore. En plus, cette loi s'applique le jour où on passe à l'euro. C'est une seconde erreur. Lorsque le gouvernement a fixé le 1er janvier 2002 pour le passage aux 35 heures, il savait que c'était le jour qui avait été choisi pour le passage à l'euro. Seconde erreur. Or que maintenant, trois mois ou quatre mois avant l'échéance on dise on va assouplir, je m'en réjouis, mais ça confirme en tous cas ce que nous avions dit : on ne fait pas des lois dans un domaine qui devrait relever des partenaires sociaux. Nous ne connaissons pas les modalités choisies par le Premier ministre. Donc avant de me réjouir et de faire un grand sourire
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il a proposé un décret, il a parlé d'un décret.
DENIS KESSLER : Attendez, il propose, évidemment il propose un décret parce qu'il n'a plus les possibilités de changer la loi compte tenu de l'état de sa majorité plurielle ! Donc il fait un décret. Mais tant que je ne connais pas le contenu du décret, je ne vais pas me réjouir. parce que l'assouplissement peut avoir des degrés divers
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il peut y avoir un degré d'augmentation d'heures supplémentaires, est-ce que vous avez un quota à proposer ?
DENIS KESSLER : Exactement .
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors est-ce que vous avez une idée de ce qu'il faut
DENIS KESSLER : Ecoutez, nous avons dit depuis le début que, au minimum, il faudrait qu'il soit porté à 180 heures, 130 à 180. Mais s'il s'agit de rajouter quelques dizaines d'heures supplémentaires, ça ne résoudra pas le problème que plein d'entreprises de moins de 20 salariés et de plus de 20 salariés affrontent, une situation dans laquelle on ne peut pas à l'heure actuelle satisfaire la demande compte tenu de la restriction du nombre d'heures de travail avant déclenchement de ce que l'on appelle le repos compensateur. Donc encore une fois, il faut que le Premier ministre nous donne les détails du décret qu'il va prendre de façon à ce que l'on puisse intégrer ces informations dans la conduite des entreprises. C'est une échéance qui se passe à peine dans quatre mois. Allons-y, allons-y.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors ça, c'est pour les entreprises de moins de 20 salariés. En ce qui concerne les grandes entreprises où la loi des 35 heures est déjà en application, vous espérez qu'un jour on reviendra aussi en arrière ou qu'il y aura des assouplissements ? Par exemple en fonction d'un changement de gouvernement ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, ce que nous espérons, quel que soit le gouvernement, c'est qu'on rende aux partenaires sociaux ce qui leur appartient, c'est-à-dire la détermination de tout ce qui concerne l'aménagement et la durée du temps de travail. L'aberration a été de faire des lois dans un domaine qui relève des partenaires sociaux. Et donc nous ne demandons rien d'autre à terme, qu'on rende aux partenaires sociaux dans l'entreprise, dans les branches, au niveau national le soin de fixer les conditions dans lesquelles ils décident de travailler. C'est ça, une démocratie moderne. L'erreur historique a été de passer par la loi. La preuve, c'est un Premier ministre qui est obligé d'annoncer la modification d'un contingent d'heures supplémentaires ! Vous vous rendez compte ? Dans une démocratie moderne, ce n'est pas à un Premier ministre de venir discuter de quelques heures supplémentaires, enfin ! Vous voyez bien que la situation universelle, globale ne correspond pas à ce qu'il souhaite, il est nécessaire à l'heure actuelle de redonner merci, on essaye de m'abriter de redonner aux entreprises les possibilités, en fonction de leur activité, de dialogue qui existe dans l'entreprise, des difficultés qu'elles affrontent, le soin de déterminer avec leurs partenaires la durée du travail.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, si vous avez encore un peu de courage sous la pluie, et je suis un peu exigeant parce que maintenant, vous êtes sous un parapluie, mais bravo pour votre résistance, pour les deux minutes qui nous restent, je voudrais simplement savoir où vous en êtes de la Refondation sociale. Alors, premièrement est-ce que, le 30 septembre, il n'y aura pas de renouvellement des administrateurs du MEDEF de la Sécurité sociale ? Ca, c'est décidé, on ne revient pas en arrière. Question : est-ce que c'est un retrait provisoire, est-ce que c'est un retrait définitif, est-ce que c'est un retrait qui dépend de discussions à venir que l'on aura sur la réforme de la Sécurité sociale ? Il paraît que vous allez, vous, présenter une legacy ou un legs qui est votre testament en matière de réforme de la Sécurité sociale.
DENIS KESSLER : Absolument. Quand nous avons vu le Premier ministre au mois de juin, nous avons dit nous sommes prêts à rester à la Sécurité sociale à condition que vous vis engagiez à respecter un certain nombre de conditions pour clarifier les responsabilités et surtout pour éviter de ponctionner financièrement la Sécurité sociale pour financer les 35 heures. Nous avons donné un document au Premier ministre relativement clair. Deux mois plus tard, le Premier ministre persiste avec son gouvernement à vouloir utiliser les recettes de la Sécurité sociale pour financer les 35 heures. Nous sommes radicalement contre pour des raisons de principe. L'argent des cotisants n'est pas fait pour financer les 35 heures, il est fait pour les malades, et pour les retraités et pour les chargés de famille. Nous avons également indiqué les voies d'une réforme de la Sécurité sociale pour clarifier les responsabilités. En l'absence de réponse, nous ne nommerons pas d'administrateur au 30 septembre. Eh bien, c'est, je crois, faire preuve de responsabilité. Nous voulons la réforme de la Sécurité sociale et peut-être notre départ est le moyen d'obtenir cette réforme. Nous allons laisser bien entendu un testament, je n'aime pas ce terme là parce qu'il est connoté avec la mort alors que nous, nous souhaitons faire vivre la Sécurité sociale, nous allons lasser un document qui indiquera une nouvelle architecture d e la Sécurité sociale qui permettrait, je crois, de l'adapter à l'heure actuelle à la situation économique et sociale, c'est-à-dire assurer le meilleur soin aux Français en maîtrisant les coûts.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Donc vous êtes prêts à discuter dans les mois qui viennent aussi bien avec les autres partenaires sociaux qu'avec les représentants du gouvernement ?
DENIS KESSLER : Vous avez tout à fait raison. Nous souhaitons que le document avec les propositions que nous avons faites soit l'objet d'un débat. Nous ne demandons pas qu'elles soient adoptées le lendemain mais nous souhaitons avec nos partenaires syndicaux, puisque ils sont avec nous co-gestionnaires de la Sécurité sociale, ils le sont à l'heure actuelle, ils seront seuls dans quelques semaines et on voit bien que le paritarisme ne peut pas continuer dans ces conditions-là, mais nous souhaitons avec les organisations syndicales ouvrir ce débat et bien entendu avec le gouvernement et toutes les forces politiques. Nous espérons que dans le cadre de la campagne électorale la question de l'avenir et de la réforme de la Sécurité sociale sera à l'ordre du jour et nous contribuerons à ce débat en faisant des propositions qui, je l'espère, seront la pierre angulaire de cette réforme.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Dernière question, officieusement sinon officiellement, est-ce que le MEDEF aura un candidat à la présidence de la République ? Ou soutiendra davantage l'un que l'autre ou les uns que les autres ?
DENIS KESSLER : Certainement pas. Absolument pas. C'était clair, aujourd'hui nous avons débattu dans cette université d'été, le MEDEF n'est pas partisan. Il est politique au sens où il s'intéresse à la vie de la cité, à tous les débats de la cité. Il n'est pas partisan, nous n'avons pas à soutenir tel ou tel parti ou à soutenir tel ou tel candidat. Nous allons faire des propositions pendant tous les six mois qui viennent à l'ensemble des forces politiques et à l'ensemble des Français. Nous jouons notre rôle, nous n'aspirons pas à exercer le pouvoir d'Etat, ce n'est pas notre vocation, nous sommes des entrepreneurs, mais ce que nous souhaitons c'est que les priorités de l'entreprise, que nos analyses, que nos propositions, que ce que nous voyons dans le monde, que les adaptations que l'on propose soient prises en charge et en compte par tous ceux qui aspirent à gérer l'Etat et à gérer la chose collective. Vous voyez bien que nous n'avons pas de préférence partisane, nous avons l'intention de participer à ce grand débat national et à indiquer à notre place, dans notre rôle, et que dans notre rôle, ce qui me semble être bon pour la France.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Merci Denis Kessler d'avoir été avec nous. Merci de votre résistance sous la pluie, j'espère que la prochaine fois qu'on se retrouvera, ce sera au chaud dans ce studio.
(source http://www.medef.fr, le 3 septembre 2001)
DENIS KESSLER : Il ne s'agit pas du MEDEF. L'Université d'été traite du problème des entreprises, de toutes les entreprises et il s'agit de savoir dans quelle mesure l'entreprise dont la fonction principale est ce que l'on appelle la création de valeur, la création de richesses, c'est-à-dire la production de biens et de services, est capable, susceptible également, dans le même temps, de satisfaire le respect d'un certain nombre de valeurs, comme par exemple les exigences de qualité, de respect de l'environnement, les problèmes de parité dans l'entreprise, bref toutes ces questions qui sont des véritables attentes des Français. Nous voulions montrer que dans tous ces domaines, il y a effectivement des réponses que les entreprises élaborent et qui vont être maintenant prises au cur de notre stratégie.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais est-ce que ce n'est pas un peu paradoxal de parler de l'environnement, de parler du respect des salariés à l'heure où les entreprises sont quand même souvent de grands pollueurs et à l'heure aussi où il y a des rafales de plans sociaux ?
DENIS KESSLER : Alors, en ce qui concerne le premier point, il est évident que l'activité productive, c'est la transformation de la nature. D'ailleurs, qu'il s'agisse de l'agriculture ou qu'il s'agisse de toutes les industries, c'est la transformation de la nature. Et nous croyons fermement qu'il est possible, non pas par la réglementation, mais en faisant en sorte que la pression des clients, des consommateurs s'exerce, de faire en sorte que toutes les entreprises, que ce soient celles, par exemple, de construction automobile, que ce soient celles des entreprises pétrolières ou que ce soient celles des cimentiers par exemple, eh bien que ces entreprises modifient leurs processus de production, modifient leurs produits, de façon à davantage respecter la nature. Et le débat que nous avons eu hier avec Jean-Martin Folz, de Peugeot-Citroën et avec Thierry Desmarest de Elf, Total, a montré qu'effectivement, ces entreprises intégraient désormais ce que l'on appelle les préoccupations de développement durable, c'est-à-dire avaient intégré dans leur stratégie et dans leur activité et dans leur choix d'investissement ces préoccupations de l'environnement.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous reconnaîtrez que c'est quand même TotalFina qui avait fait affréter l'Erika, on ne l'oublie pas quand même.
DENIS KESSLER : Oui. D'ailleurs la question a été abordée, on n'a pas esquivé ce type de questions. Et on s'aperçoit que depuis le naufrage de l'Erika, il y a eu des progrès extraordinaires qui ont été faits pour faire en sorte que le transport maritime d'hydrocarbures ne donne pas lieu à des catastrophes comme celle de l'Erika. Donc, c'est comme ça que l'on progresse et je crois que c'est comme ça aussi que l'on trouvera des solutions à des attentes légitimes des Français, par exemple dans le domaine des atteintes à l'environnement.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Par exemple, vous avez fait pression, et le laboratoire d'idées qui a été jadis fondé par Ambroise Roux, qui travaille avec le MEDEF, et puis qui joue un rôle à la fois de laboratoire d'idées et de lobby, a fait pression sur le gouvernement pour qu'il renonce à l'écotaxe. Et vous avez applaudi l'annonce par Lionel Jospin du renoncement à l'écotaxe. Ce n'est pas une préoccupation très écologique, vous le reconnaîtrez.
DENIS KESSLER : Ah, je ne suis absolument pas d'accord avec vous parce que c'est un dossier dont je me suis personnellement occupé. Le MEDEF a fait des propositions au Premier ministre, d'ailleurs qui ont été rendues publiques, dans lesquelles toutes les industries françaises, toutes les fédérations prenaient des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et s'engageaient derechef dans une limitation extrêmement importante qui faisait sans doute de la France le pionnier en la matière, il est vrai avec l'Allemagne. Et donc, nous avons proposé justement une voie de lutte contre l'effet de serre, qui était la voie formidable de la négociation contractuelle entre l'Etat et les entreprises avec comme objectif des réductions chiffrées qui étaient extrêmement ambitieuses. C'est la bonne voie. Et comme par hasard, c'est finalement la voie qui a été retenue, plutôt que celle de créer une taxe, un impôt, qui aurait peut-être enrichi l'Etat mais qui n'aurait en rien réduit les émissions de gaz à effet de serre. Il y a eu un débat. Bien entendu, on s'est engagé en France dans la mauvaise voie qui était l'écotaxe, ça a été retoqué par le Conseil constitutionnel, on a essayé de ressortir de nouveau une nouvelle taxe, on s'aperçoit que la bonne voie est celle que l'on appelle les engagements négociés. C'est un exemple parfait. Et le MEDEF a été en première ligne pour proposer au gouvernement ces engagements négociés. Nous espérons, maintenant que l'écotaxe semble avoir été abandonnée, et nous nous en réjouissons profondément, que l'on va enfin s'asseoir autour d'une table pour discuter, entreprise par entreprise, secteur par secteur, les engagements de réduction de gaz à effet de serre et l'ensemble des Français bénéficieront des efforts qui seront ainsi faits par les entreprises de manière volontaire, dans un cadre contractuel. C'est un excellent exemple que vous avez pris.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, je vois apparaître derrière vous " respect des valeurs ", donc on vient de parler respect des valeurs de la nature, respect des valeurs, les salariés, les hommes, je rappelai à l'instant que tout cela se passe à un moment où il y a de nombreux plans sociaux et il y en aura encore. Est-ce que dans le contexte de compétition et de concurrence internationale, on peut vraiment concilier la recherche de la création de valeur, c'est-à-dire la création de richesses avec le respect des salariés. Est-ce que vous pouvez tenir ce discours à tous les salariés qui aujourd'hui se retrouvent plus ou moins sur le carreau.
DENIS KESSLER : Ecoutez, il y a des plans sociaux, il y en a eu dans les années qui viennent de se passer, il y en aura dans les années qui viennent, même si la France retrouve un taux de croissance élevé. Il faut dire aux Français, le répéter sans cesse, que le mouvement de l'économie entraîne des ajustements d'effectifs à la hausse quand ça va bien, à la baisse quand, dans les entreprises, ça va mal. Et ne jamais laisser croire qu'un chef d'entreprise peut éviter des licenciements ou des réductions d'effectifs lorsqu'il connaît une baisse de son activité ou qu'il connaît des véritables problèmes de concurrence et de compétitivité. Disons-le plutôt que de laisser croire que les chefs d'entreprise sont des irresponsables, amoraux et immoraux lorsqu'ils sont tenus de faire des réductions d'effectifs. Nous avons mis la question à l'ordre du jour de cette Université d'été parce que nous savons qu'un énorme effort d'explication doit être fourni et que, en ce qui concerne les valeurs dont nous considérons qu'elles sont nécessaires, la vraie valeur sera de faire en sorte que lorsqu'il y a réduction d'effectif, ceci se fasse dans des conditions telles que le maximum de salariés retrouve un emploi et que lorsqu'ils perdent leur emploi, bien entendu, des dispositifs nouveaux soient mis en place qui permettront de faire en sorte que ce ne soit pas un gâchis humain. Nous savons le coût que représente un plan social mais nous considérons que nous n'allons pas demander aux chefs d'entreprise de renoncer à tout plan social, ça serait de l'irresponsabilité la plus totale.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, si on ne joue pas cette irresponsabilité, est-ce que c'est au gouvernement, et à l'Etat en quelque sorte, de jouer les infirmiers quand il y a plan social ? On va prendre un exemple que vous connaissez bien parce qu'il concerne le président du MEDEF, c'est celui d'AOM. AOM, qu'est-ce que vous pensez des initiatives prises par le ministre des Transports, monsieur Gayssot, qui a sollicité les entreprises nationales, SNCF, Air France, d'autres entreprises, pour récupérer des salariés qui sont licenciés par une entreprise privée ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, je m'engage à titre personnel sur ce dossier, mais je dois vous avouer que je considère qu'il y a une double erreur. D'une part, je considère que les entreprises nationales n'ont pas à répondre à des ordres du ministre parce qu'elles devraient chercher elles aussi l'efficacité, le résultat et le bénéfice. Et donc, d'instrumentaliser les entreprises nationales en leur demandant de prendre des effectifs alors éventuellement qu'elles n'en ont pas besoin ou en considérant que tout ceci renvoie simplement à des préoccupations politiques, est à mon avis déjà une première erreur. Les entreprises publiques doivent pouvoir disposer, tant qu'elles sont publiques, de l'autonomie et de l'indépendance qui leur permet de satisfaire les principes d'efficacité et de rentabilité. Seconde erreur, à mon avis, bien entendu, c'est de considérer que certains salariés, parce qu'ils sont dans des secteurs dépendant de tel ou tel ministre, ont des droits prioritaires sur des postes éventuellement disponibles. Bien entendu, là, il y a une seconde erreur, à mon avis, qui fait que l'on voit encore une fois que l'interventionnisme de l'Etat conduit à des situations que l'on peut considérer et d'inefficacité en ce qui concerne les sureffectifs de certaines entreprises publiques et d'inéquité parce que permet à certains salariés d'avoir accès à des procédures que les autres salariés qui recherchent un emploi n'ont pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Donc vous dites ça ne devrait pas faire jurisprudence et d'autre part vous dites aux salariés, mais alors qu'est-ce qu'il faut dire aux salariés d'AOM ?
DENIS KESSLER : Il faut dire aux salariés d'AOM que, comme ils le voient, cette entreprise était déficitaire de manière tout à fait extraordinaire, que sa survie était en cause, que si effectivement rien n'était fait, tous les emplois disparaissaient, qu'à l'heure actuelle il faut adapter cette entreprise à la situation dans laquelle elle se trouve et à l'avenir du marché européen et qu'il fallait que ces gens-là retrouvent des emplois. Bien entendu, en faisant en sorte qu'ils s'adressent à tous les emplois disponibles. Mais je trouve que l'intervention, très honnêtement, des pouvoirs publics dans ce genre de procédure en faisant appel aux entreprises publiques, ne correspond pas, je crois encore une fois, au fonctionnement d'une économie moderne.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors vous vous êtes montré au cours de ces universités d'été assez pessimiste sur la situation économique à venir, trouvant notamment, je crois que c'est le président Seillière qui a trouvé que les perspectives dessinées par Lionel Jospin, en matière de croissance, étaient encore trop optimistes puisqu'il parlait d'une croissance revenant à 2,5, 2,3. Vous estimez qu'on sera en deça de cette situation. sur quoi vous fondez-vous pour avoir ce diagnostic plus pessimiste que le chef du gouvernement ?
DENIS KESSLER : Comme vous le voyez, il commence à pleuvoir à Jouy au moment où vous me parlez de la conjoncture et je crois que l'image est belle. Oui, il pleut sur la France
PIERRE-LUC SEGUILLON :Et merci de résister sous la pluie !
DENIS KESSLER : Je résiste à tout, vous le savez bien, y compris à la pluie lorsque je suis interviewé par vous, Pierre-Luc Séguillon. La situation quand même de la France est celle d'un ralentissement économique tout à fait marqué. Nous l'avons dit, vous vous en souvenez, il y a plus d'un an et demi et le diagnostic que nous avons fait est aujourd'hui avéré. Quand nous parlons de taux de croissance pour l'année 2001, c'est un, taux de croissance moyen. Nous sommes entrés dans l'année 23001 à assez vive allure et nous ne faisons que ralentir tout au long de l'année. Notre environnement international est très dégradé, quasiment stagnation aux Etats-Unis avec un taux de croissance au second trimestre extrêmement faible, stagnation au Japon, très grandes difficultés en Allemagne et en Italie, nous sommes dans une situation d'un ralentissement économique préoccupant. Avec des conséquences que nous avons anticipées là aussi qui seront sans doute la remontée du chômage et la multiplication, l'aggravation du déficit public si rien n'est fait en matière de dépenses publiques.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que vous pensez au plan européen que la Banque centrale européenne, Wim Duisenberg qui a décidé donc de baisser d'un quart de point les taux d'intérêt en ayant un taux de refinancement de 4,25 est encore trop timide ? Et, question subsidiaire, parce que je sens déjà votre réponse, est-ce qu'il conviendrait aujourd'hui, comme l'a dit je crois Jean-Pierre Chevènement chez vous aujourd'hui, que le gouvernements européens ne laissent pas la Banque centrale décider ainsi de la situation économique de l'Europe ?
DENIS KESSLER : Le Traité de Maastricht est clair, la Banque centrale européenne est indépendante et je crois que nous n'allons pas modifier le Traité à chaque fois qu'une difficulté est rencontrée. S'agissant de la baisse des taux, j'en tire trois conclusions. La BCE reconnaît qu'il y a difficulté économique en Europe, parce qu'autrement elle n'aurait pas baissé les taux. Donc c'est une reconnaissance officielle de la situation, d'un ralentissement, maintenant marqué, dans l'ensemble des pays de la zone euro. Deuxième commentaire, c'est que la BCE met du temps à réagir. J'aurais préféré qu'elle prenne acte de ce ralentissement il y a quelques mois, encore dans une période encore un peu, j'allais dire, infantile, dans laquelle on attend, plutôt que d'agir au moment où le diagnostic doit être fait. Donc j'ai le sentiment que, là, il y a eu du retard. Troisième point, la baisse des taux sans doute insuffisante par rapport à la situation économique, le ralentissement est suffisamment marqué pour peut-être avoir décidé une baisse des taux supérieure à celle qui a été décidée. Donc ça va dans le bon sens, mais j'allais dire, il faudra la prochaine fois agir plus vite et sans doute de manière plus marquée.
PIERRE LUC SEGUILLON : Revenons dans l'Hexagone. Est-ce que va, et je pense que vous l'estimez, dans le bons sens le choix de Lionel Jospin de décider l'assouplissement de l'application des 35 heures pour les entreprises de moins de 20 salariés ? Néanmoins, on a entendu Ernest-Antoine Seillière dire nous voulons, nous demandons, nous exigeons que les gens de terrain soient associés. Est-ce que ça signifie dans votre esprit une discussion entreprise par entreprise ?
DENIS KESSLER : La première chose, si vos voulez, quand le Premier ministre dit qu'il va assouplir la loi des 35 heures pour les entreprises de moins de 21 salariés, ça prouve que la loi est rigide. On assouplit quelque chose qui est rigide. Et donc c'est la reconnaissance officielle de ce que nous avons dit lors du vote de cette loi, c'est que cette loi est rigide. Elle est contraignante pour l'ensemble des entreprises, elle s'applique le même jour à des entreprises, quels que soient leur situation économique, leur secteur d'activité, que sais-je encore. En plus, cette loi s'applique le jour où on passe à l'euro. C'est une seconde erreur. Lorsque le gouvernement a fixé le 1er janvier 2002 pour le passage aux 35 heures, il savait que c'était le jour qui avait été choisi pour le passage à l'euro. Seconde erreur. Or que maintenant, trois mois ou quatre mois avant l'échéance on dise on va assouplir, je m'en réjouis, mais ça confirme en tous cas ce que nous avions dit : on ne fait pas des lois dans un domaine qui devrait relever des partenaires sociaux. Nous ne connaissons pas les modalités choisies par le Premier ministre. Donc avant de me réjouir et de faire un grand sourire
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il a proposé un décret, il a parlé d'un décret.
DENIS KESSLER : Attendez, il propose, évidemment il propose un décret parce qu'il n'a plus les possibilités de changer la loi compte tenu de l'état de sa majorité plurielle ! Donc il fait un décret. Mais tant que je ne connais pas le contenu du décret, je ne vais pas me réjouir. parce que l'assouplissement peut avoir des degrés divers
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il peut y avoir un degré d'augmentation d'heures supplémentaires, est-ce que vous avez un quota à proposer ?
DENIS KESSLER : Exactement .
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors est-ce que vous avez une idée de ce qu'il faut
DENIS KESSLER : Ecoutez, nous avons dit depuis le début que, au minimum, il faudrait qu'il soit porté à 180 heures, 130 à 180. Mais s'il s'agit de rajouter quelques dizaines d'heures supplémentaires, ça ne résoudra pas le problème que plein d'entreprises de moins de 20 salariés et de plus de 20 salariés affrontent, une situation dans laquelle on ne peut pas à l'heure actuelle satisfaire la demande compte tenu de la restriction du nombre d'heures de travail avant déclenchement de ce que l'on appelle le repos compensateur. Donc encore une fois, il faut que le Premier ministre nous donne les détails du décret qu'il va prendre de façon à ce que l'on puisse intégrer ces informations dans la conduite des entreprises. C'est une échéance qui se passe à peine dans quatre mois. Allons-y, allons-y.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors ça, c'est pour les entreprises de moins de 20 salariés. En ce qui concerne les grandes entreprises où la loi des 35 heures est déjà en application, vous espérez qu'un jour on reviendra aussi en arrière ou qu'il y aura des assouplissements ? Par exemple en fonction d'un changement de gouvernement ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, ce que nous espérons, quel que soit le gouvernement, c'est qu'on rende aux partenaires sociaux ce qui leur appartient, c'est-à-dire la détermination de tout ce qui concerne l'aménagement et la durée du temps de travail. L'aberration a été de faire des lois dans un domaine qui relève des partenaires sociaux. Et donc nous ne demandons rien d'autre à terme, qu'on rende aux partenaires sociaux dans l'entreprise, dans les branches, au niveau national le soin de fixer les conditions dans lesquelles ils décident de travailler. C'est ça, une démocratie moderne. L'erreur historique a été de passer par la loi. La preuve, c'est un Premier ministre qui est obligé d'annoncer la modification d'un contingent d'heures supplémentaires ! Vous vous rendez compte ? Dans une démocratie moderne, ce n'est pas à un Premier ministre de venir discuter de quelques heures supplémentaires, enfin ! Vous voyez bien que la situation universelle, globale ne correspond pas à ce qu'il souhaite, il est nécessaire à l'heure actuelle de redonner merci, on essaye de m'abriter de redonner aux entreprises les possibilités, en fonction de leur activité, de dialogue qui existe dans l'entreprise, des difficultés qu'elles affrontent, le soin de déterminer avec leurs partenaires la durée du travail.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, si vous avez encore un peu de courage sous la pluie, et je suis un peu exigeant parce que maintenant, vous êtes sous un parapluie, mais bravo pour votre résistance, pour les deux minutes qui nous restent, je voudrais simplement savoir où vous en êtes de la Refondation sociale. Alors, premièrement est-ce que, le 30 septembre, il n'y aura pas de renouvellement des administrateurs du MEDEF de la Sécurité sociale ? Ca, c'est décidé, on ne revient pas en arrière. Question : est-ce que c'est un retrait provisoire, est-ce que c'est un retrait définitif, est-ce que c'est un retrait qui dépend de discussions à venir que l'on aura sur la réforme de la Sécurité sociale ? Il paraît que vous allez, vous, présenter une legacy ou un legs qui est votre testament en matière de réforme de la Sécurité sociale.
DENIS KESSLER : Absolument. Quand nous avons vu le Premier ministre au mois de juin, nous avons dit nous sommes prêts à rester à la Sécurité sociale à condition que vous vis engagiez à respecter un certain nombre de conditions pour clarifier les responsabilités et surtout pour éviter de ponctionner financièrement la Sécurité sociale pour financer les 35 heures. Nous avons donné un document au Premier ministre relativement clair. Deux mois plus tard, le Premier ministre persiste avec son gouvernement à vouloir utiliser les recettes de la Sécurité sociale pour financer les 35 heures. Nous sommes radicalement contre pour des raisons de principe. L'argent des cotisants n'est pas fait pour financer les 35 heures, il est fait pour les malades, et pour les retraités et pour les chargés de famille. Nous avons également indiqué les voies d'une réforme de la Sécurité sociale pour clarifier les responsabilités. En l'absence de réponse, nous ne nommerons pas d'administrateur au 30 septembre. Eh bien, c'est, je crois, faire preuve de responsabilité. Nous voulons la réforme de la Sécurité sociale et peut-être notre départ est le moyen d'obtenir cette réforme. Nous allons laisser bien entendu un testament, je n'aime pas ce terme là parce qu'il est connoté avec la mort alors que nous, nous souhaitons faire vivre la Sécurité sociale, nous allons lasser un document qui indiquera une nouvelle architecture d e la Sécurité sociale qui permettrait, je crois, de l'adapter à l'heure actuelle à la situation économique et sociale, c'est-à-dire assurer le meilleur soin aux Français en maîtrisant les coûts.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Donc vous êtes prêts à discuter dans les mois qui viennent aussi bien avec les autres partenaires sociaux qu'avec les représentants du gouvernement ?
DENIS KESSLER : Vous avez tout à fait raison. Nous souhaitons que le document avec les propositions que nous avons faites soit l'objet d'un débat. Nous ne demandons pas qu'elles soient adoptées le lendemain mais nous souhaitons avec nos partenaires syndicaux, puisque ils sont avec nous co-gestionnaires de la Sécurité sociale, ils le sont à l'heure actuelle, ils seront seuls dans quelques semaines et on voit bien que le paritarisme ne peut pas continuer dans ces conditions-là, mais nous souhaitons avec les organisations syndicales ouvrir ce débat et bien entendu avec le gouvernement et toutes les forces politiques. Nous espérons que dans le cadre de la campagne électorale la question de l'avenir et de la réforme de la Sécurité sociale sera à l'ordre du jour et nous contribuerons à ce débat en faisant des propositions qui, je l'espère, seront la pierre angulaire de cette réforme.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Dernière question, officieusement sinon officiellement, est-ce que le MEDEF aura un candidat à la présidence de la République ? Ou soutiendra davantage l'un que l'autre ou les uns que les autres ?
DENIS KESSLER : Certainement pas. Absolument pas. C'était clair, aujourd'hui nous avons débattu dans cette université d'été, le MEDEF n'est pas partisan. Il est politique au sens où il s'intéresse à la vie de la cité, à tous les débats de la cité. Il n'est pas partisan, nous n'avons pas à soutenir tel ou tel parti ou à soutenir tel ou tel candidat. Nous allons faire des propositions pendant tous les six mois qui viennent à l'ensemble des forces politiques et à l'ensemble des Français. Nous jouons notre rôle, nous n'aspirons pas à exercer le pouvoir d'Etat, ce n'est pas notre vocation, nous sommes des entrepreneurs, mais ce que nous souhaitons c'est que les priorités de l'entreprise, que nos analyses, que nos propositions, que ce que nous voyons dans le monde, que les adaptations que l'on propose soient prises en charge et en compte par tous ceux qui aspirent à gérer l'Etat et à gérer la chose collective. Vous voyez bien que nous n'avons pas de préférence partisane, nous avons l'intention de participer à ce grand débat national et à indiquer à notre place, dans notre rôle, et que dans notre rôle, ce qui me semble être bon pour la France.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Merci Denis Kessler d'avoir été avec nous. Merci de votre résistance sous la pluie, j'espère que la prochaine fois qu'on se retrouvera, ce sera au chaud dans ce studio.
(source http://www.medef.fr, le 3 septembre 2001)