Interviews de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire PCF à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 8 avril 1998 et à RTL le 21, sur la place du parti communiste dans la majorité plurielle et son rapport au gouvernement, l'adoption de l'euro et la régularisation des "sans-papiers".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

RTL : mardi 21 avril 1998

J.-P. Defrain
Votre première réaction au discours de L. Jospin : est-ce que vous êtes plutôt déçu sur sa conception de l’euro, de l’Europe ou plutôt satisfait ?

A. Bocquet
– « Écoutez, ni l'un ni l'autre, je ne suis pas étonné des propos qu'a tenus le Premier ministre, nous nous y attendions évidemment. Chacun sait qu'il n'y a pas la même appréciation sur la marche à la construction européenne entre communistes et socialistes, c'est connu depuis un certain temps. Et Monsieur le Premier ministre a réaffirmé avec beaucoup de courtoisie ses positions sans dramatiser, ce qui est une bonne chose. »

J.-P. Defrain
Est-ce que vous voterez demain la proposition de M. Jospin ?

A. Bocquet
– « Il s'agit d'une proposition de résolution émanant de l'Assemblée elle-même qui veut que l'on se prononce pour l'entrée de la France dans l'euro. Nous sommes contre l'euro, nous allons nous prononcer contre, c’est évident. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons contre l'Europe, c'est tout le contraire. Nous sommes pour une Europe sociale, c’est parce que nous sommes pour l'Europe du progrès social et non pour l'Europe libérale que nous nous prononcerons contre l'euro. »

J.-P. Defrain
Mais comment développer en France une politique sociale, celle que défend le Gouvernement, telle que vous la concevez, vous, et faire l'euro ?

A. Bocquet
– « Écoutez, je vous dis que rien n'est irrémédiable. Il y a l'acte qui sera prononcé par l'Assemblée nationale. Vous savez que nous, nous considérons qu'il faudrait aller plus loin, et que pour un tel enjeu, une telle décision historique il faudrait consulter notre peuple sous forme d'un référendum par exemple... »

J.-P. Defrain
Oui, mais la réponse, vous l'avez eue cet après-midi : c'est non.

A. Bocquet
– « Oui, mais il y a ce qui est dit et ce qui peut être obtenu. Moi, je ne désespère jamais de ce qui peut se faire demain. »

J.-P. Defrain
Ça paraît mal parti quand même ?

A. Bocquet
– « Oui, oui mais vous savez, il y a parfois des retournements. C'est un peu comme dans les matches de football, on s'attend à telle victoire et c'est l'autre qui gagne. Moi je suis un optimiste de nature, je dis que l'avenir de l'Europe – qu’il faut réorienter dans le sens du progrès social, du développement de l'emploi, d'une vraie coopération respectueuse de l'identité des nations, des peuples – elle ne peut pas se faire avec un euro maîtrisé par une banque centrale, contrôlée par personne et qui fait ce qu'elle veut : c'est-à-dire surtout le jeu des marchés financiers. »

J.-P. Defrain
Finalement, il y a une question en vous écoutant, et en écoutant beaucoup des eurosceptiques : pourquoi être aussi défaitiste ? Regardez, la croissance est là, l’étau semble se desserrer, les perspectives sont plutôt prometteuses, l'Europe peut être après tout un beau projet, un projet passionnant, non ?

A. Bocquet
– « Mais je partage tout à fait l'idée que 1'Europe est un projet ambitieux, généreux. Et contrairement à ce que vous pensez, nous, communistes, ne sommes pas des eurosceptiques, nous sommes au contraire pour une nouvelle construction européenne. Pour l'instant, on a 1'Europe des marchands, une Europe de l'argent, l'Europe d'une banque centrale qui va tout dominer. Nous, ce que nous proposons, c'est une Europe des peuples, une Europe de la coopération entre les nations, respectueuses l'une de l'autre, y compris un instrument monétaire commun, bien entendu, mais préservant les monnaies nationales. Et surtout une Europe qui mette au centre la question de l'emploi et du développement social ; sinon, ce sera l'Europe du chômage. Et donc la question qui est posé, ce n'est pas : ou 1'Europe ou un repli dans son jardin, dans son refuge ; mais c'est : ou l'Europe sociale ou 1'Europe libérale. Les communistes sont favorables à une Europe sociale. »

J.-P. Defrain
À vous écouter, on se demande comment vous allez vous en sortir ? Est-ce que les divergences entre communistes et socialistes risquent de s'accroître ? Parce que, tout à l'heure, M. Jospin a dit : l’entrée de la France dans l'euro, c'est une chance pour la France de croissance et d'emploi ?

A. Bocquet
– « L. Jospin à sa position, je pourrais vous renvoyer par exemple à ce que M. Schröder, qui est candidat socialiste en Allemagne, vient de déclarer récemment : l'euro n'apportera pas de paysage florissant, il commencera par supprimer des emplois. Alors, qui dit vrai dans cette affaire ? Nous, nous considérons que l'entrée dans l'euro, c'est une nouvelle étape de l'Europe libérale. Et en même temps, tout le monde sait bien qu'il y a un débat, des contradictions, y compris des divergences de vue entre communistes et socialistes. Ça n'est pas nouveau, encore qu'ensemble nous avons réaffirmé à la veille des élections législatives que nous voulions réorienter la construction européenne dans le sens du progrès social, donc c'est une volonté commune, après c'est la démarche... »

J.-P. Defrain
Mais est-ce que ça vous semble être en bonne voie ? Est-ce qu'aujourd'hui, le Gouvernement, le Premier ministre, vous semblent correspondre, être conformes à cet engagement de l'époque ?

A. Bocquet
– « Nous préférerions qu'ils choisissent une autre voie, c'est clair. C'est la raison pour laquelle demain nous allons nous prononcer contre le texte qui nous est soumis. Mais cela ne met pas du tout en cause la majorité, son travail commun dans l'esprit qui est en cours depuis maintenant près d'un an. Nous voulons être constructifs. Et moi, il me semble que c'est un acquis important ces derniers temps : dans une majorité dite plurielle et qui est plurielle, chacun exprime son point de vue et chacun écoute, se respecte. Et ça ne met pas en cause la volonté de travailler ensemble. »

J.-P. Defrain
On se sent bien au Gouvernement, hein ?

A. Bocquet
– « Ah, mais moi je ne suis pas au Gouvernement, je suis président d'un groupe. Nous sommes dans la majorité, nous voulons y travailler dans le cadre du rapport de forces actuel, avec un esprit constructif. Il n'y a qu'une chose qui nous guide, sachez-le, c'est si on peut apporter un peu plus de bonheur, un peu plus d'espérance à notre peuple. Nous, les communistes, nous voulons apporter tout ce que nous pouvons faire. »

J.-P. Defrain
L'année prochaine, il y aura des élections européennes, vous allez faire une campagne donc hostile aux propositions du Gouvernement, à la politique des socialistes tout en restant au Gouvernement ?

A. Bocquet
– "D'ici l’an prochain, il peut se passer beaucoup de choses, bien entendu les choses peuvent évoluer. Le moment venu, évidemment, nous mènerons notre campagne dans le cadre des européennes, réaffirmant nos positions d'une nouvelle construction européenne, de construire l'Europe autrement, avec en tête essentiellement l'intérêt des peuples, des nations, et non pas la domination de l'argent-roi. »


EUROPE 1 : mercredi 8 avril 1998

J.-P. Elkabbach
Avec le gouvernement Jospin, c’est toujours l’idylle ?

A. Bocquet
– « Vous savez, l'idylle n'existe plus à notre époque. Je crois que le changement c'est un combat quotidien, c'est une lutte quotidienne du Gouvernement, de la majorité et surtout des citoyennes et des citoyens, car il faut beaucoup d'acteurs pour que le changement se réalise. »

J.-P. Elkabbach
Quels reproches faites-vous à ce Gouvernement ?

A. Bocquet
– « On voit déjà ce qui avance ; j'ai une vue positive des décisions qui ont été prises sur les 35 heures, sur les emplois-jeunes, sur la volonté qui est de mettre l'emploi au cœur des choix de la majorité. Donc, c'est déjà cela qui compte pour moi. Ensuite, tel ou tel aspect ne me satisfait pas et nous le disons. »

J.-P. Elkabbach
Par exemple ?

A. Bocquet
– « Cette nuit, nous avons voté par exemple, contre la transformation du statut de la Banque de France. »

J.-P. Elkabbach
C'est aujourd'hui la troisième lecture à l'Assemblée de la loi Chevènement. Vous allez la voter ?

A. Bocquet
– « Nous nous sommes abstenus au cours des deux premières lectures. »

J.-P. Elkabbach
Donc abstention ?

A. Bocquet
– « Bien sûr. "

J.-P. Elkabbach
Le 21 avril ou le 22, il y aura un débat sur l'euro, l'Europe. Vous voterez ?

A. Bocquet
– « Nous ne voterons pas le projet gouvernemental en l'état. »

J.-P. Elkabbach
Vous voterez contre ?

A. Bocquet
– « Le groupe communiste va définir sa position mardi prochain. Ce dont je peux être sûr, c'est qu'on ne votera pas pour. »

J.-P. Elkabbach
Alors ça paraît clair : un coup, c'est « ni oui-ni non », un coup c'est « non », un coup c'est « peut-être ». Est-ce que ça s'appelle la cohésion gouvernementale ?

A. Bocquet
– « Ça s'appelle la diversité, la pluralité. Et c'est une richesse considérable pour faire avancer les choses. »

J.-P. Elkabbach
Mais ça affaiblit le Gouvernement ?

A. Bocquet
– « Pas du tout. C'est une vue manichéenne de dire les choses ainsi. Je crois que ce qui fait avancer les choses, c'est que les opinions s'expriment, que les confrontations existent, et qu'ensuite on trace ensemble la meilleure voie qui soit »"

J.-P. Elkabbach
Est-ce que ce Gouvernement tient ses promesses à votre avis ?

A. Bocquet
– « Pour l'instant il n'a pas encore tenu toutes ses promesses ; on n'en est qu'au début. Mais il y a eu des pas franchis qui sont incontestables. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce que le PC a le sentiment de participer à un gouvernement d'une gauche qui est plutôt à droite ?

A. Bocquet
– « Nous sommes là pour que "la gauche soit vraiment de gauche" si je puis dire, pour reprendre un titre célèbre d'hier soir dans la presse. Et croyez que les communistes mettent toute leur énergie, tout le poids qu’ils ont, pour vraiment que les choix du Gouvernement soient des choix de gauche. »

J.-P. Elkabbach
Mais pour bien comprendre : avec R. Hue et le PC, y-a-t-il une ligne à ne pas franchir : à partir de telle ou telle décision de L. Jospin on s'en va, on plie bagages ?

A. Bocquet
– « Mais jamais nous ne partirons. Au sens que nous sommes dans ce Gouvernement et dans la majorité, avec une seule idée en tête : apporter un peu plus de bonheur à notre peuple. Et c'est cela qui nous guide. Et partout où les communistes peuvent être présents pour faire avancer les choses dans le bon sens, eh bien nous y sommes. »

J.-P. Elkabbach
Sur l'Europe : vous allez vous séparer de vos alliés socialistes – cette nuit, sur le statut de la Banque de France –, et puis le 21 avril, vous l'avez dit. Donc vous vous « alignez » si vous me permettez, sur la ligne Pasqua, de Villiers, et même, sans vous offenser... Le Pen ?

A. Bocquet
– « Ne mélangez pas tout. D'abord, qu'auriez-vous dit si nous avions complètement changé d'opinion sur ces questions que sont la Banque de France ou l'euro ? Nous sommes fidèles tout ce que nous disons, à toutes les analyses d'avant les élections et depuis. Nous sommes aussi fidèles, nous le pensons, à ce qui a été décidé ensemble à la veille des législatives, en un texte commun, qui est de réfléchir à une construction nouvelle de l'Europe ; réorganiser l'Europe en mettant au cœur le social et l'emploi. »

J.-P. Elkabbach
Mais les Français sont déjà engagés, à travers la ratification du Traité de Maastricht, il y a les choix européens du Président de la République et ceux du Premier ministre.

A. Bocquet
– « Oui, mais il y a les décisions des gouvernants et il y a aussi les volontés des peuples. On n'en est pas encore au bout. Comme disait le général de Gaulle "l'avenir dure longtemps. ».

J.-P. Elkabbach
C'est bien de le citer maintenant. Ceux des élus communistes qui manifestent aux côtés des sans-papiers, dans les églises, avec des associations, avec l'extrême-gauche, avec les Verts est-ce qu'ils vous représentent ?

A. Bocquet
– « Les élus communistes sont aux côtés de tous ceux qui souffrent. C'est leur humanisme qui s'exprime et je pense qu'ils ont raison d'être aux côtés de ces immigrés qui, en fait, sont traités parfois avec inhumanité et c'est inacceptable que l'on traite avec inhumanité ceux qui sont déjà accablés par la vie. »

J.-P. Elkabbach
Vous voulez dire que la politique de M. Chevènement est trop répressive ?

A. Bocquet
– « Je pense qu'elle devrait être vue avec une autre conception dans certains cas, notamment dans la mise en pratique i1 y a, ici ou là, du zèle qui s'exprime et je le regrette beaucoup. Je crois que le fait que cette loi soit restée à mi-chemin favorise ce genre de pratique. »

J.-P. Elkabbach
Mais vous, vous réclamez que les compteurs soient rends à zéro et que les 150 000 demandes de régularisation soient autorisées à rester en France ?

A. Bocquet
– « Pas du tout. Nous ne sommes pas pour une régularisation de tout le monde. Aujourd'hui il y a 50 % de régularisés, 50 % de non régularisés : tous ces immigrés ont été recensés et ils sont fichés dans les préfectures. Je pense qu'aujourd'hui il faut faire en sorte qu'ils puissent bénéficier du droit au recours. Il y a des commissions de recours d'ailleurs qui ont été mises en place en 82 et qui ont été enterrées par Pasqua et Debré. »

J.-P. Elkabbach
L'opération de régularisation dure depuis presque un an.

A. Bocquet
– « Oui mais je pense qu'il faut se donner du temps, que les commissions de recours fonctionnent, avec des élus, des représentants des associations, des magistrats, pour faire le meilleur choix humain possible. Je crois que ça demande une certaine patience. »

J.-P. Elkabbach
Ce n'est pas ce que le Gouvernement fait ?

A. Bocquet
– « Je pense qu'il veut précipiter les choses et on ne peut pas régler les questions profondes de l'immigration avec seulement les avions. Il faut traiter aussi le problème à la source. Les immigrés viennent bien de pays d'origine ou il y a des problèmes dramatiques de misère, de chômage. Je pense aussi que ça pose d'autres questions, comme celle de la coopération active de la France avec d'autres pays d'Afrique par exemple. »

J.-P. Elkabbach
Demandez-vous un moratoire des décisions de J.-P. Chevènement ?

A. Bocquet
– « Pour l'instant nous demandons un certain moratoire et nous demandons que les commissions de recours examinent cas par cas, par département, les problèmes posés aujourd'hui."

J.-P. Elkabbach
Mais je note que vous ne demandez pas la régularisation des 150 000 ?

A. Bocquet
– « Bien entendu parce que les flux migratoires doivent être maîtrisés. Nous en sommes conscients. »

J.-P. Elkabbach
À partir du moment où vous dites – d'ailleurs J.-P. Chevènement vous le fait remarquer – être d'accord sur la maîtrise des flux migratoires, quand on applique cette politique il faut l'accepter sinon c'est de l'hypocrisie.

A. Bocquet
– « Non ce n'est pas du tout de l'hypocrisie. Que faites-vous des 35, 40 ou 70 000 immigrés qui sont recensés ? Il faudrait dix ans, avec un charter par jour, pour les renvoyer dans leur pays. On ne peut pas régler les choses avec cette morgue-là. Il faut prendre les choses avec beaucoup d'humanité et de patience. »

J.-P. Elkabbach
En Seine-Saint-Denis, enseignants, parents et élèves manifestent sans désemparer, avec des slogans dont beaucoup sont des slogans du PC. Cela veut-il dire que vous voulez, en ce moment, entretenir les mouvements sociaux ?

A. Bocquet
– « Les mouvements sociaux ne sont pas décrétés de la place du Colonel-Fabien, ils existent. Nous apportons notre soutien à tout ce qui est juste or réclamer une école, avec des moyens pour assurer l'avenir de nos enfants, ça me paraît être juste. Eh bien nous sommes dans ces combats parce que ce sont des combats de l'homme, de l’éducation, ce sont des combats de l'épanouissement de notre peuple et je pense que c'est la vocation des communistes. »

J.-P. Elkabbach
A. Duhamel disait que toute la gauche ne représente que 20 % des inscrits.

A. Bocquet
– « C'est bien là le problème, c'est pourquoi nous voulons créer une dynamique majoritaire de changement dans ce pays. »

J.-P. Elkabbach
Oui, avec l'extrême-gauche ?

A. Bocquet
– « Avec tout le monde. »