Interviews de M. Charles Millon, président de la région Rhône Alpes et président de La Droite, à RTL et dans "Le Progrès" le 4 juin 1998, à Europe 1 le 5 et dans "Le Monde" et dans "Le Figaro Magazine" le 6, sur l'avenir de son mouvement "La Droite", sur ses relations avec le FN au sein du conseil régional et sur la restructuration de la droite.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission la politique de la France dans le monde - Europe 1 - La Tribune Le Progrès - Le Figaro Magazine - Le Monde - Le Progrès - RTL

Texte intégral

RTL : jeudi 4 juin 1998

J.-P. Defrain : Samedi sera le premier acte fondateur de votre mouvement. Quel message comptez-vous délivrer au moment, où d'autres partis de l'opposition essaient de se rassembler ? Vous vous mettez en marge ?

C. Millon : La Droite a un objectif tout à fait simple : c'est un mouvement national d'action politique qui souhaite l'émergence d'une grande formation politique unique de toute la droite, comme cela existe dans des pays comme l’Allemagne, avec le CDU-CSU, la Grande-Bretagne avec le parti conservateur, ou l'Espagne avec le Parti populaire. Aujourd’hui, on se rend compte d'une dispersion de l'électorat de droite qui provoque de la part des électeurs une incompréhension et même parfois une déception. Je crois qu'il est urgent de tout mettre en œuvre pour faire pression afin que les responsables politiques tiennent compte du vœu des électeurs qui, à 85 % dans l’électorat UDF-RPR, demandent une grande formation unique.

J.-P. Defrain : Mais pour éviter cette dispersion que vous venez d’évoquer, est-ce que votre mouvement, La Droite, envisage de rejoindre l'Alliance pour la France ?

C. Millon : Mon mouvement n’est pas un parti politique. C'est un mouvement d'action politique. Nous souhaitons simplement mobiliser des zones d’opinion, des adhérents pour qu’effectivement ils fassent pression, ils jouent de leur influence afin qu'on tienne compte de l'avis des militants, des adhérents, et que l'on mette en œuvre un grand congrès fondateur d'une grande formation de droite.

J.-P. Defrain : Vous réfutez depuis des semaines les accusations d'alliance avec le FN. Or on s’aperçoit qu’à la région Rhône-Alpes, que vous présidez, c'est la politique du FN qui semble s’appliquer : les dossiers sur la bourse à l'étranger des étudiants et sur le cinéma ont été rejetés.

C. Millon : C’est totalement faux. C'est le parti socialiste et le parti communiste qui, par une politique d’obstruction, ont empêché le vote des bourses et ont empêché le vote du Rhône-Alpes Cinéma, car le FN, dans le cas précis a maintenu le vote qu'il avait avant. Personnellement, j'ai maintenu ma position, c'est à dire de présenter les dossiers. Le PS et le PC ont pris en otage et les étudiants et les cinéastes, et n’ont pas voulu voter les dossiers que d’habitude ils votaient.

J.-P. Defrain : Le 20 mars, vous avez été élu avec les voix du FN…

C. Millon : Le 20 mars, j'ai été élu président du conseil régional avec les voix de conseillers régionaux, sur mon programme, rien que sur mon programme.

J.-P. Defrain : Pour en revenir au sujet dont on parle, c'est le FN qui a voté contre vos dossiers, la gauche a suivi sa ligne d'opposition systématique ?

C. Millon : Pas du tout, la gauche a voté contre nos dossiers. La gauche ne faisait pas d'opposition systématique avant. C'est tout d'un coup qu'ils se découvrent la vocation de faire l'opposition systématique. Ils prennent donc en otage les étudiants de Rhône-Alpes en leur disant que pour régler leurs petits problèmes politiciens ou les problèmes idéologiques, ils n'iront pas faire leurs stages à l'étranger que leur a financé la région. Les conseillers régionaux socialistes et communistes de la région feraient bien de réfléchir, de préférer peut-être le cursus universitaire des étudiants de Lyon à leurs petites manigances politiciennes.

J.-P. Defrain : Bruno Gollnisch dit qu’après avoir refusé de voter, il pourrait accepter de voter ces bourses en faveur des étudiants si on acceptait les conditions du FN.

C. Millon : Il n'y a pas de conditions du FN, donc c'est très facile. Il faut quand même arrêter actuellement un faux débat qu'entretiennent le PS et le PC. Ils doivent assumer leurs responsabilités. Le parti communiste et le parti socialiste doivent assumer leurs responsabilités. Ils ont voté contre. Maintenant, c'est aux étudiants et aux professeurs de se rendre compte qu'on joue avec eux. Personnellement, je n’ai fait aucun accord, aucune compromission. Je n'ai pas modifié mon programme. Je n'ai de comptes à rendre qu'aux électeurs. Je leurs dis : “vous voyez qu’il y a des gens qui préfèrent la petite vie politicienne à l’intérêt des étudiants”.

J.-P. Defrain : « C Millon a fait du Front national un arbitre implicitement reconnu », a déclaré R. Barre.

C. Millon : Il se trompe.

J.-P. Defrain : Il se trompe vraiment ?

C. Millon : Oui.

J.-P. Defrain : À vos yeux, les électeurs d'extrême droite…

C. Millon : Je reviens sur l'affirmation de Monsieur R. Barre. Quand on fait une affirmation de ce type-là, on la démontre.

J.-P. Defrain : Les Français qui votent extrême droite valent-ils ceux qui votent communiste ?

C. Millon : Tous les électeurs se valent. J'ai personnellement du respect pour tous les électeurs. Je condamne des thèses, des idées. Je suis anti-xénophobie, antiracisme. Je suis contre l’antisémitisme. Mais je respecte tous les électeurs. Tout homme mérite respect.

J.-P. Defrain : Vous êtes toujours convaincu que nombre d'électeurs FN partagent les valeurs d'une majorité de Français et qu’ils veulent voir réhabiliter un certain nombre de valeurs ?

C. Millon : Je dis qu'il y a des milliers, sinon des millions d'électeurs du FN qui, déçus par la politique de la droite, déçus par un certain nombre de programmes politiques non appliqués, sont allés par désespoir, par angoisse, par dépit, voter Front national. À partir de ce moment-là, ce n'est pas pour eux l'adhésion à des thèses inacceptables : c'est simplement ce qu'on appelle un vote de désespérance. Il serait quand même malheureux que la classe politique française soit sourde à ces gens-là, car je crains qu'à force d'être sourds, un jour, ils se réveillent avec des lendemains qui déchantent.

J.-P. Defrain : Que pensez-vous des objectifs de B. Mégret qui a déclaré sur TF1 qu’avec 20 % au FN et 10 % à Millon, l'extrême droite pourrait enfoncer la porte du pouvoir ?

C. Millon : C’est le problème de Monsieur Mégret. Je suis C. Millon ; je n’ai passé aucun accord. Monsieur Mégret dit ce qu’il veut. Moi, je dis ce que je crois.

J.-P. Defrain : Avec votre mouvement, comptez-vous rééditer à droite le coup politique de Mitterrand à gauche : avec l'union de la gauche, il a étouffé le PC, et vous la même chose avec le Front national ?

C. Millon : Je souhaite tout simplement faciliter l'émergence d'une grande formation de droite qui saura, quand elle sera constituée, être majoritaire par elle-même.

J.-P. Defrain : G. de Robien estime que vous avez votre place au sein de l'Alliance à condition de renoncer à des alliances qui font or à la démarche de l’opposition.

C. Millon : Je prends acte de ce que dit Monsieur de Robien ; il n'est pas très au courant des affaires de la région Rhône-Alpes : il n'y a pas d’alliance.


Le Progrès : jeudi 4 juin 1998

Le Progrès : Vous organisez ce samedi à Paris une convention nationale de votre mouvement, La Droite. Au moment où l'opposition va dans le sens de l'union avec l’Alliance, n’avez-vous pas l'impression de la diviser un peu plus ?

Charles Millon : Bien évidemment, non. Je suis convaincu que toutes les remises en cause des structures de l'opposition trouvent leur origine au moins partielle dans l'action que je mène depuis maintenant deux mois. L’acte-question que j'ai posé le 20 mars dernier oblige, aujourd'hui tous les responsables politiques à s’interroger sur la tactique à suivre pour répondre aux angoisses et aux attentes de nos concitoyens. Va-t-on encore longtemps présenter des programmes électoraux et, une fois aux affaires, être en incapacité de les mettre en œuvre ? Va-t-on encore longtemps faire référence à des valeurs de droite pendant les campagnes et se lancer ensuite dans des gestions aseptisées ? Les Français réclament une démocratie adulte et souhaitent une véritable alternance. Toutes les initiatives que j'ai prises ces derniers mois ont pour objectif d'aller dans ce sens. Pour y parvenir, La Droite doit être l'aiguillon de la droite toute entière.

Le Progrès : Vous vous êtes « sacrifié » pour bousculer l’établissement ?

Charles Millon : Je n'ai pas du tout l'impression de me sacrifier. Je défends les convictions et les valeurs qui ont toujours été les miennes. J'espère que le grand charivari actuel va aboutir à ce congrès fédérateur et refondateur de l'opposition que je réclame depuis dix ans et qui permettra, face au parti socialiste, d'avoir une grande formation de droite diverse, ouverte, riche en compétences et capable de porter l’enthousiasme.

Le Progrès : Si ce grand parti voit le jour, votre mouvement est appelé à disparaître ?

Charles Millon : Tous les militants se référant à la droite, qu'ils soient UDF, RPR, Démocratie libérale ou venant d'autres mouvements ou cercles existants devront pouvoir s'exprimer pour faire connaître leur opinion, peser sur les choix d’organisation, décider des responsables et être garants des orientations. Bien évidemment, au terme de ce congrès posant effectivement les bases de cette grande formation, La Droite aura accompli sa mission. Mais, tant que ce congrès n'aura pas été organisé, La Droite sera là.

Le Progrès : Votre mouvement a-t-il encore sa raison d'être avec le lancement de l’Alliance ?

Charles Millon : Je n'ai jamais pensé qu’un accord d’appareils ou des tractations de d’états-majors puissent remplacer un congrès fondateur enraciné chez les militants et les sympathisants. Notre pays est aujourd'hui caractérisé par une fracture civique, c'est-à-dire une rupture entre les citoyens et les appareils politiques. On ne parviendra à réconcilier les appareils et les citoyens qu'en donnant parole et influence à ces derniers.

Le Progrès : L’Alliance vous paraît-elle vouée à l’échec ?

Charles Millon : L’Alliance est une confédération de partis politiques ; elle ne pourra provoquer une dynamique que si elle accepte de s'effacer devant une grande formation issue d'un congrès fondateur.

Le Progrès : Vous vous déclarez toujours hostile à tout accord avec le Front national. Pourtant, vous ne refusez pas que des militants FN adhèrent aussi à La Droite.

Charles Millon : Je ne contrôle pas les références de celles ou ceux qui viennent s'inscrire à La Droite. Notre mouvement a des repères et nos adhérents savent qu'ils doivent s'y référer. Je ne ferais jamais aucune concession sur mes convictions fondamentales.

Le Progrès : Acceptez-vous aussi la double appartenance pour les élus du Front national ?

Charles Millon : Si un tel cas se produit, cela signifiera que l’élu concerné accepte la charte de La Droite et qu'il remet donc en cause publiquement les déclarations d'un certain nombre de responsables du FN.

Le Progrès : N’existe-t-il pas cependant une fondamentale ambiguïté entre d'une part vos positions, d'autre part nombre de ces militants qui rejoignent les rangs de La Droite et qui rêvent que soit enfin conclu un véritable accord électoral et de gouvernement avec le Front national ?

Charles Millon : Parmi ceux qui rejoignent La Droite, il y a de tout. C'est compréhensible car les partis classiques ont tout fait pour les déstabiliser. Avant de parler tactique, on parlera stratégie. Et notre stratégie, c'est que notre pays puisse vivre l'alternance sans cohabitation perverse, sans policiers édulcorée et que le choix des électeurs soit respecté.

Le Progrès : Vous dites qu'il faut écouter la base. Si la majorité des militants de La Droite est demain favorables à une alliance ouverte avec le FN, seriez-vous prêt à les suivre ?

Charles Millon : La politique, c'était de la pédagogie. Mon devoir est d'expliquer qu'il existe des expressions et des thèses totalement inacceptables. Tant que des personnes feront référence à ces thèses ou utiliseront ces expressions, il n'y a pas d'accord possible.

Le Progrès : Ce qui signifie que si Le Pen s'en va, un accord est imaginable avec d'autres responsables ?

Charles Millon : J’ai été clair.

Le Progrès : Parmi les valeurs que vous défendez figure en bonne place l’Europe. Croyez-vous que votre opinion soit partagée par tout le monde à droite ?

Charles Millon : La droite ne fera pas l'économie d'un grand débat sur l’Europe. Pour ma part, je suis favorable à une fédération des nations d’Europe, à une Europe qui soit politique et non administrative. Je choisis la fédération des nations mais je refuse la république impériale qu'on veut nous imposer.

Le Progrès : La Droite sera-t-elle présente aux européennes de l'année prochaine pour défendre ses idées ?

Charles Millon : La Droite n'est pas un parti mais un mouvement. J'espère bien qu'avant les européennes nous vous aurons vu émerger une nouvelle formation de droite et qu’elle sera à même de présenter une liste. Si tel n’est pas le cas, nous en reparlerons.

Le Progrès : Après votre élection avec les voix des élus du Front national, vous avez nié l'existence de tout accord et affirmer que vous appliqueriez « votre programme, tout votre programme, rien que votre programme ». On a constaté lors de la première réunion de la commission permanente que le FN vous empêche d'appliquer tout votre programme. Quelles conséquences comptez-vous en tirer ?

Charles Millon : Je suis en train de démontrer la vraie nature des élus socialistes qui prennent la région en otage et refusent que des étudiants obtiennent des bourses pour des raisons tactiques. Il y a chez eux ni raisons idéologiques, ni raisons politiques ; ils n’offrent pas de solution alternative. Leur seul objectif est de bloquer l'institution régionale. Avant de porter un jugement sur ce qui se passe en Rhône-Alpes, on ferait mieux de regarder du côté de l’Île-de-France, de PACA ou du Centre, trois régions dirigées par les socialistes. Aucune décision n’y a été encore prise alors que Rhône-Alpes est en ordre de marche et que 30 % des dossiers présentés ont été voté en commission permanente, malgré l'obstruction systématique du parti socialiste. Sur l'affaire des bourses bloquées, ce n'est pas le Front national qui a changé d’avis ; c'est le parti socialiste qui a modifié son vote. Je souhaite qu'il y ait, lors de la prochaine commission plénière, une majorité de conseillers régionaux qui auront compris que leurs intérêts tactiques doit passer après l'avenir de 3 500 jeunes


Europe 1 : vendredi 5 juin 1998

J.-P. Elkabbach : Il y a une nouvelle effervescence en Rhône-Alpes. Alors que partout, on cherche à aider les jeunes, à leur donner des chances, votre région est en train de les brimer. Le Front national est décidé à supprimer les milliers de bourses pour l’étranger qui sont accordés aux étudiants. Le budget, votre budget n'est pas voté. Vous êtes en train de sacrifier une génération ?

C. Millon : Tout ce que vous venez de dire est faux. Un, ce n'est pas le Front national qui empêche les bourses d'être votées, mais c'est le parti socialiste, le parti communiste et les écologistes.

J.-P. Elkabbach : Mais qui a refusé ? Qui a donné son explication ? Qui a fait naître le problème en refusant de voter pour 3 200 étudiants ?

C. Millon : Deuxièmement, c'est la région Rhône-Alpes qui est la seule région de France à donner des bourses aux étudiants - 3 500 depuis 10 ans, 3 500 par an.

J.-P. Elkabbach : C'était votre succès.

C. Millon : C’est mon succès et ce sera mon succès. Et troisièmement, aujourd’hui, ce n'est pas le Front national qui a changé d’attitude, c'est le parti socialiste et le parti communiste qui, parce qu'ils ont été déçus de ne pas conquérir la région, parce qu'ils n’ont ni la majorité absolue en sièges, ni la majorité en voix, sont en train de prendre en otage des étudiants, d'atteindre à leur cursus universitaire au profit de leurs petites ambitions politiques ou de leurs petits règlements de comptes politiques. Je dis simplement aux socialistes et aux communistes qu'ils n'avaient pas tant de scrupules pour pouvoir se joindre au Front national afin de refuser mon budget l'année dernière. À cette époque, mêler les voix socialistes, communistes et Front national ne leur posait aucun problème. Alors je leur demande une seule chose, et très solennellement, c'est qu'ils n'ont pas le droit de mettre sur le même plateau le cursus universitaire de 3 500 jeunes Rhône Alpins, qui ont devant eux toute une vie universitaire et toute une vie de travail et puis leurs petites ambitions politiques.

J.-P. Elkabbach : Vous venez de démontrer que vous dépendez des caprices, des humeurs de vos alliés, que vous en êtes prisonnier, non ?

C. Millon : Pas du tout.

J.-P. Elkabbach : Sans eux vous n'avez pas de majorité !

C. Millon : Je dépends des humeurs et des caprices du parti socialiste et du parti communiste. Faut-il savoir que depuis 10 ans, je n'ai jamais eu de majorité absolue et que depuis 10 ans tous les projets ont été votés par des majorités différentes, que nous avons eu des majorités de projet, et je vais vous donner deux exemples : la politique économique a été votée depuis 10 ans avec le soutien du parti socialiste, par contre l’aide aux lycées privés sous contrat, c'est-à-dire le pluralisme scolaire, a été votée grâce au Front national. Chaque fois, il y avait des majorités différentes. Alors si le parti socialiste et le parti communiste veulent absolument aujourd'hui casser la région aux dépens des Rhône Alpins, eh bien, les Rhône-Alpins s'en souviendront.

J.-P. Elkabbach : Depuis votre élection, qui a était controversée, jugée contre nature à la présidence de Rhône-Alpes, la gauche a toujours refusé la moindre compromission avec vous. Pourquoi elle vous sauverait aujourd’hui ?

C. Millon : Mais la gauche n'a qu'à expliquer comment elle, elle a le droit de prendre des régions à cause du Front national, comme elle l'a fait en Île-de-France, comme elle l'a fait dans la région Centre, parce qu'elle interdit que des voix de conseillers régionaux puissent se porter sur un programme et sur un candidat. Je n'ai jamais changé d’attitude, j'ai toujours les mêmes convictions, j'ai un exécutif qui est de la même couleur, je fais mon programme, que mon programme, je n'ai aucun compte à rendre à des donneurs de leçons ou à des censeurs moraux.

J.-P. Elkabbach : Il faut en sortir. Pensez-vous que le PC pourrait voter…

C. Millon : Le PC est beaucoup plus réaliste que les socialistes aux petits pieds qui essaient actuellement de prendre des revanches politiques.

J.-P. Elkabbach : Que voulez-vous dire ?

C. Millon : Le parti communiste, lui est réaliste, il a déjà fait dire à nombre d'étudiants que si le dossier des bourses était représenté - il sera représenté - eh bien, il changerait d’attitude.

J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que le PC pourrait voter votre budget à vous, élu avec le Front national à la présidence de la région ?

C. Millon : Un, le budget est déjà voté. Je suis la seule région de France à l'avoir déjà voté. Monsieur Huchon, en Île-de-France, ne l’a toujours pas voté. Monsieur Sapin, dans la région Centre, ne l’a toujours pas voté. Moi, je l'ai voté. C'est un budget qui est complètement le mien puisque c'est exactement celui que j'avais présenté en 1997, donc cela c’est clair. Deuxièmement, dans les jours qui viennent, je vais présenter une délibération sur les étudiants et sur les bourses des étudiants. Cette délibération, j’ose espérer qu'il y aura sur tous les bancs des conseillers régionaux assez responsables pour ne pas sacrifier les cursus universitaires des jeunes Rhône-Alpins par rapport à leurs petites ambitions, et je note que le parti communiste a déjà fait savoir qu'il étudierait cette proposition avec intérêt.

J.-P. Elkabbach : Il y a une polémique qui commence à propos des subventions refusées par B. Gollnisch à des associations, au nom de la lutte contre la dictature de la gauche en matière culturelle. Est-ce que, par exemple, le TNP et Planchon conviennent au Front national, où ils vont se faire liquider eux aussi ?

C. Millon : Je précise qu'à la dernière commission permanente, la délibération sur le Théâtre national populaire présentée par moi-même, suite aux interventions de R. Planchon, a été votée.

J.-P. Elkabbach : Donc vous ne vous laisserez pas faire ?

C. Millon : Je ne me laisserais pas faire, mais je précise qu'elle a été votée par le Front national, elle n'a pas été votée par le parti socialiste ou le parti communiste, ce qui est, quand même, un retour des choses paradoxal.

J.-P. Elkabbach : Sur le plan politique vous tenez, demain, à Paris, le premier congrès de votre mouvement, La Droite. Est-ce que c'est un nouveau parti ?

C. Millon : Non, c'est un mouvement de tous les électeurs, de tous les citoyens, qui souhaitent de notre pays devienne une démocratie adulte où il y a une vraie alternance entre une gauche et une droite.

J.-P. Elkabbach : Qu'est-ce que vous pesez ?

C. Millon : Je pèse l'enthousiasme de celles et ceux qui me soutiennent. Aujourd’hui, je dois dire que nous sommes relativement surpris par le nombre d'adhérents qui nous arrivent chaque jour - entre 250 et 400.

J.-P. Elkabbach : Il est trop tard pour que C. Millon soit Bonaparte, mais vous allez envoyer vos troupes, à partir de demain, en mission. Quels objectifs donnez-vous à ces missionnaires ou à ces « millionnaires » ?

C. Millon : Je vais simplement leur proposer de mettre en place une force d'influence qui puisse convaincre nos responsables politiques qu’aujourd’hui, à droite, les divisions, les chapelles, les querelles d'appareils sont mortelles et que, un jour, on va avoir une confrontation qui sera tout à fait regrettable entre une gauche arrogante et une extrême droite conquérante.

J.-P. Elkabbach : Avec quel calendrier ?

C. Millon : Le calendrier est simple. Le congrès fondateur du mouvement La Droite aura lieu à l'automne et j’ose espérer qu'avant la fin de l’année, eh bien, je pourrai démontrer à tous mes amis politiques qu'il est urgent de réunir tous les adhérents, tous les militants, tous les sympathisants de la droite, qu'ils soient RPR, UDF, non-inscrits, déçus, etc., pour constituer une grande formation de type CDU allemande ou du type Parti conservateur anglais.

J.-P. Elkabbach : Le RPR et ses associés rejettent l'idée de fusion ?

C. Millon : Oui, mais ils rejetaient aussi l'idée d'alliance il y a quelques semaines. Donc, je pense que les esprits peuvent évoluer.

J.-P. Elkabbach : Et vous, vous ne pouvez pas entrer à l’Alliance ?

C. Millon : Je ne suis pas un homme d’appareil, je ne suis pas à la tête d'un appareil. Je suis à la tête d'un mouvement d’influence. Eux, ils ont fait une confédération de partis qui a son rôle. Je leur demande simplement utiliser cette confédération de partis pour aller maintenant vers la constitution d'une grande formation du type Parti populaire espagnol ou Parti républicain américain, qui puisse peser et faire l'alternance avec la gauche. Vous savez les Français devraient avoir en tête, les Français de droite, les Français qui sont attachés à certaines valeurs, à certaines convictions, j'en suis, devraient toujours avoir en tête ce qui s’est passé au second tour à Toulon, c'est-à-dire la confrontation entre une gauche et puis une extrême droite. Je ne veux pas cela pour mon pays.

J.-P. Elkabbach : Dernière remarque. On voit bien que chez vos anciens amis, on ne veut pas de vous, jusqu'à quand ils vont vous bouder ?

C. Millon : Jusqu’au moment où je serai soit respectable à leurs yeux - personnellement, je le suis au moins par rapport à ma conscience - soit surtout d'une certaine influence et qu'ils auront intérêt à venir me rencontrer.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes optimiste. Enfin, peut-être que, pour vous, la vertu politique numéro un, c'est l’obstination.

C. Millon : Pas du tout. La vertu politique numéro un, c'est le courage, c'est-à-dire savoir faire face au conformisme et au conservatisme. »


Le Monde : 6 juin 1998

Le Monde : Vous avez créé La Droite il y a un mois et demi. Vous avez reçu beaucoup de courrier et d’adhésions, mais pas de ralliements. Comment l’expliquez-vous ?

Charles Millon : Ce n'est pas une démarche politique classique. Elle s'adresse à des citoyens qui ont été déçus par les politiques menées depuis des années, ou qui n'ont pas reçu de réponse à leurs attentes ou à leurs angoisses, ou qui ont eu le sentiment d'être marginalisés dans le débat politique. Ils viennent tout simplement dire qu'ils sont prêts à participer à une démarche politique qui permette à la France d'être une grande démocratie, avec une grande formation de droite et une grande formation de gauche.
Je suis intéressé par la démarche qu’a menée le parti socialiste il y a trente ans. Les socialistes ont su, alors, se remettre en question, prendre la mesure du fossé qui s'était creusé entre le « peuple de gauche » et les appareils et grâce à une mutation qu'ils ont accompagnée, ils sont arrivés à faire émerger une grande formation, qui est aujourd'hui le pôle central d'une majorité de gauche.
La droite, pour des raisons multiples, vit toujours sur des clivages qui datent soit de 1945, soit de 1958, soit de 1978, et qui ne correspondent pas du tout à la réalité. Les électorats de l'UDF et du RPR sont aujourd'hui indifférenciés. Les hommes politiques sont complètement séparés de leur électorat parce qu'ils sont prisonniers d'un certain conformisme politique et intellectuel, qui s'impose à eux. Il faut aujourd'hui retourner aux sources, à la base, et les écouter.

Le Monde : N’avez-vous pas été le catalyseur de l'Alliance qui se construit, mais sans vous ?

Charles Millon : L’Alliance, aujourd’hui, c'est une confédération de partis. C'est un accord d’états-majors, qui peut avoir son utilité - celle d'un cartel électoral -, mais ce n'est pas un grand mouvement à l’intérieur de la droite, défendent des idées différentes. Si l'on veut préserver et la diversité et l’efficacité, on ne peut le faire que dans une grande formation. Autrement, la logique des appareils reprend le dessus par rapport à la logique des convictions.
Ce que je souhaite, moi, c'est une fusion qui donne naissance à un grand parti du type de la CDU-CSU allemande, du Parti conservateur anglais, du Parti populaire espagnol ; une grande formation dont tous les membres soient sur le même plan et qui permette, non de se répartir le territoire électoral, mais de débattre. Si on ne le fait pas, on va se diriger vers la confrontation entre une gauche arrogante et une extrême droite conquérante.

Le Monde : Si une telle fusion avait lieu, mettriez-vous fin à votre alliance avec le Front national en Rhône-Alpes ?

Charles Millon : Je n'ai jamais eu d'alliance avec le Front national en Rhône-Alpes ?

Le Monde : Vous avez repris les principaux points de son « programme minimum » dans votre discours de candidature et vous avez été élu avec ses voix…

Charles Millon : Non. J'ai affirmé une politique, qui a été préférée à celle du candidat de la gauche par des élus qui émanent du Front national. Un point, c'est tout.

Le Monde : La « préférence nationale » est-elle, à vos yeux, un principe que devrait reprendre à son compte la grande formation que vous avez appelé de vos vœux ?

Charles Millon : La droite est attachée à la personne humaine et à l’égalité en dignité, quelles que soient la race, la nationalité ou l’origine. Je suis pour un respect scrupuleux de cette égalité en dignité. Un étranger qui paie ses impôts et ses cotisations sociales en France a les mêmes droits qu'un français à bénéficier des services et prestations correspondants.

Le Monde : S’agissant de l’immigration…

Charles Millon : Je ne demande qu'une chose : que les lois actuelles soient appliquées avec rigueur à l’encontre des immigrés irréguliers.

Le Monde : La droite que vous souhaitez serait-elle favorable à l’Europe ?

Charles Millon : C’est un parti qui doit être européen, mais il y a différentes conceptions de l’Europe. Il y a l'Europe administrative, qui prend l'allure d'une république impériale, où l'on ne respecte pas le principe de subsidiarité, alors que d'autres compétences devraient faire l'objet de délégations à l’Europe qui reconnaisse la primauté du politique et qui aille vers une fédération des États d’Europe.

Le Monde : Quand Jacques Chirac, le 23 mars, a condamné la démarche des présidents de région élus avec les voix du Front national, qu'avez-vous pensé ?

Charles Millon : Les voix qui sont émises par les élus n'appartiennent aux personnes qui les émettent, pas à un parti politique. Les voix qui se sont portées sur le programme que je présentais et sur ma personne en tant que président sont les voix de conseillers régionaux, pas des voix du Front national. Il faut réhabiliter la démocratie représentative.
Le président qui a accepté que ces voix viennent se porter sur son programme a-t-il changé de convictions ? A-t-il transformé son programme ? A-t-il bouleversé l'exécutif qu'il entendait mettre en place ? Si tel n'est pas le cas, il faut m’expliquer, alors, pourquoi il fallait refuser ces voix. Enfin, ce n'est pas le parti qui est xénophobe et raciste. Ce sont certains de ses dirigeants qui sont xénophobes et racistes. Et l'on ne peut pas considérer que les millions d'électeurs qui se sont exprimés en sa faveur sont xénophobes et racistes.

Le Monde : Le Président de la République est-il, à vos yeux, le candidat naturel de l'opposition à la prochaine élection présidentielle ?

Charles Millon : Le prochain candidat à l'élection présidentielle devrait être celui qui serait confirmé démocratiquement par la grande formation politique de la droite, étant entendu qu'il sera allé au-devant du peuple pour présenter son projet pour la France.