Texte intégral
Date : 2 mai 1998
Source : Le Point
Le Point : Quelles sont les raisons de ce subit accès de découragement qui vous a fait envisager publiquement de ne pas solliciter un nouveau mandat à la tête du RPR à la fin de l'année ?
Philippe Séguin : Non, non, non, il n'y a strictement aucun découragement ! Je suis au contraire plus déterminé que jamais. Et c'est précisément parce que je le suis que j'essaie de clarifier les enjeux, au risque de paraître mettre les pieds dans le plat. Je souhaite en effet que prévale la seule stratégie susceptible à mes yeux de préparer la réhabilitation, puis le succès de nos idées.
Le Point : Quelle est cette stratégie ?
Philippe Séguin : Revenons d'abord sur cette anomalie historique que nous vivons actuellement en France. A l'heure du défi de la mondialisation et de l'entrée dans une phase cruciale de la construction européenne, il est en effet anormal que la France soit dirigée par une coalition de socialistes archaïques, d'écologistes et de communistes. Cette anomalie se double d'une situation de cohabitation qui fourvoie, dénature et pervertit le débat politique. Elle empêche l'effort nécessaire de mobilisation des Français sur un certain nombre d'objectifs clairs, décisifs dans cette période charnière.
Elle se traduit concrètement par la montée d'un vote protestataire sans équivalent dans le reste de l'Europe. Elle explique aussi le décalage entre la conscience qu'ont confusément les Français des besoins du pays et l'existence de ce gouvernement archaïque.
Le Point : Les Français n'ont pas l'air de le trouver si archaïque ?
Philippe Séguin : Je maintiens ce terme d'archaïque. Bien des Français en sont conscients au plus profond d'eux-mêmes. La faveur relative et provisoire dont jouit le gouvernement est servie par deux facteurs : l'habileté du Premier ministre et l'illusion d'optique que constitue l'impact d'une meilleure conjoncture européenne sur l'économie française...
Le Point : Et peut-être aussi la maladresse de l'opposition...
Philippe Séguin : Oui, en prime. Il nous faut donc sortir de cette anomalie et reconstituer un paysage politique plus conforme aux réalités et aux nécessités
Le Point : Comment ?
Philippe Séguin : Il y a pour nous deux stratégies possibles. Une stratégie d'alliance entre la droite républicaine et l'extrême droite. Et une stratégie de non-alliance. La première - je crois l'avoir démontré - conduit à une impasse morale, politique et électorale.
Mais, si on choisit l'autre stratégie, encore faut-il en tirer toutes les implications. Pour faire en sorte que le vote protestataire baisse, il faut s'adresser aussi aux électeurs protestataires. Car il n'y a pas de troisième stratégie envisageable.
Le Point : Comment inciter les électeurs protestataires à voter à nouveau pour vous ?
Philippe Séguin : Nous les avons perdus en raison d'un affadissement de notre discours. Nous avons eu tort d'abandonner un certain nombre de valeurs et d'objectifs qui étaient les nôtres. Nous devons donc mettre en avant notre identité.
Le Point : Le Président de la République a qualifié le Front national de « parti xénophobe et raciste ». Pensez-vous que des électeurs de la droite ont mal compris les mots du président.
Philippe Séguin : C'est bien possible. Si j'en crois le courrier que je reçois, beaucoup de gens ont compris que lui et nous rejetions les 15 % d'électeurs du FN. Or, s'agissant du FN, je fais une différence majeure entre la direction du Front national - qui mérite ces qualificatifs - et ses électeurs. Les dirigeants du FN sont des gens d'extrême droite. Je ne pense pas que les électeurs du FN soient acquis pour la plupart aux idées d'extrême droite. Il y a en fait une captation de l'électorat protestataire, au profit d'idées qui ne sont pas les idées de cet électorat.
Le Point : La stratégie de refus d'alliance avec l'extrême droite l'a-t-elle l'emporté ?
Philippe Séguin : Elle l'emportera forcément. Si j'ai bien compris son message idéologique, même « La-droite-tout-simplement » (allusion au nouveau parti de Charles Millon, La Droite - NDLR) refuse l'alliance avec les dirigeants du FN, puisque ce sont, d'après elle, des « fascistes des années 20 ». En revanche, elle accepte leurs voix dans les conseils régionaux. C'est là un message simpliste dont je ne crois pas qu'iI tienne la route très longtemps. Pas plus que je ne comprends d'ailleurs, cette initiative fractionniste de celui qui était le premier propagandiste de la fusion des partis de l'opposition.
Le Point : Des responsables de la droite - en particulier dans l'entourage de Jacques Chirac - défendent la fusion des partis de la droite républicaine derrière le Président de la République.
Philippe Séguin : Une telle démarche reviendrait à se résigner à ce que 15 % des électeurs - sous prétexte qu'Ils seraient « racistes et xénophobes » - soient mis hors du jeu. Si on souhaite fusionner tout ce qui reste aujourd'hui entre la gauche et l'extrême droite, on se retrouvera avec un bloc qui, les bonnes années, peut espérer naviguer entre 25 % et 30 %, ce qui m'apparaît assez insuffisant pour prétendre au pouvoir ! Au demeurant, ce serait pour quoi faire ? Tenir une ligne de compromis avec le gouvernement et la majorité ? Ce serait plus que dangereux : suicidaire. Non, l'opposition républicaine doit s'organiser de manière pluraliste et diverse. Et surtout pas de façon uniforme. Je le répète : à chacun son identité. C'est la seule façon de récupérer les électeurs perdus.
Le Point : N'avez-vous pas été surpris qu'un parti qui se dit gaulliste ait fait preuve de tels flottements politiques, idéologiques et moraux à l'occasion des élections régionales ?
Philippe Séguin : J'en ai été navré, mais ce qui est à l'origine du désordre actuel, c'est la confusion intellectuelle qui règne faute d'une stratégie claire, unanimement reconnue. Ce désordre est lié à une crise de toutes les autorités centrales, conséquence de l'échec de la dissolution et de l'espèce de climat de désenchantement qui s'en est suivi, qui s'est transformé pour certains en climat de panique...
Le Point : La crise de l'autorité centrale n'est pas apparue subitement après la dissolution ?
Philippe Séguin : Non, elle a des causes plus profondes : des tendances centrifuges s'amplifient, chez nous comme dans d'autres pays d'Europe, Derrière la revendication à l’autonomie politique d'un certain nombre de régions - ou de notable égarés -, on trouve cette perspective de l'Europe des régions dont certains s'accommoderaient volontiers, d'autant qu'elle s'accompagne d'un affaiblissement du niveau national. Nous sommes là en face d'un enjeu majeur quant à la nature de l'Europe de demain.
Le Point : C'est ce que vous avez appelé la crise de l'État-nation ?
Philippe Séguin : Oui, et qui est alimentée par certains pour des raisons essentiellement politiques. L'État-nation, c'est à la fois le meilleur terrain possible pour l'exercice de la démocratie et le meilleur terrain pour l'exercice de la solidarité. Ceux qui ne veulent ni de la démocratie - parce qu'ils préfèrent la technocratie - ni de la solidarité - parce qu'ils se résignent à plus d'inégalité - contestent naturellement l'État-nation.
Le Point : Cette référence constante à l'État-nation nourrit votre réputation d'antieuropéen…
Philippe Séguin : Je ne me considère pourtant pas comme une statue de sel. Je crois être un européen fervent. Trop fervent, sans doute, puisque je montre des ambitions pour l'Europe, Mais une Europe qui joue son jeu, qui assure la promotion de ses valeurs, de son modèle, chez elle et dans le monde ; une Europe qui respecte les États-nations au lieu de passer tout cela dans la machine à broyer et à uniformiser de la « World Company ». Mais, malheureusement, ce n'est pas de cette Europe-là que nous prenons le chemin.
Le Point : Votre électorat ne reproche-t-il pas également au président de la République d'être trop consensuel sur des dossiers tels que l'Europe, ou encore la modernisation de la vie politique ? N'y a-t-il pas un problème de gestion politique de la cohabitation ?
Philippe Séguin : Il y a évidemment un problème que nous n'avons su résoudre ni les uns ni les autres, car il n'a pas de précédent : nous sommes en effet entrés dans une cohabitation du troisième type, Mais avec des réflexes qui sont encore ceux des cohabitations précédentes. On a eu une première cohabitation, conflictuelle, entre 1986 et 1988 ; une deuxième cohabitation, de préretraite, entre 1993 et 1995. A présent, nous vivons une cohabitation de croisière : elle a vocation à être plus longue que les autres, puisqu'elle épouse théoriquement les limites d'une législature. Elle se terminera forcément par une élection législative, et non par une élection présidentielle, à la différence des deux premières cohabitations. Sauf à imaginer - ce que j'exclus - une démission du Président de la République pour provoquer une élection anticipée. Aussi longtemps qu'on n'a pas intégré ces trois éléments, on ne peut mettre sur pied la stratégie adéquate.
Le Point : Quelle stratégie ?
Philippe Séguin : Mais préparer les élections législatives ! Notre mouvement et l'ensemble de l'opposition doivent être organisés en conséquence. Il ne sert à rien de se constituer d'ores et déjà en club de supporters pour l'élection présidentielle. Parce que la prochaine présidentielle sera très largement éclairée par le résultat des législatives. C'est le calendrier !
Le Point : Le Président de la République ne se comporte-il pas comme s'il préparait déjà le second tour d'une présidentielle, c'est-à-dire en rassembleur ?
Philippe Séguin : Un Président de la République qui a encore quatre ans de cohabitation à gérer ne peut pas concevoir les choses comme un président qui n'a que deux ans avant l'élection présidentielle ! Cela va de soi. Et cela explique le comportement du président. Mais, du coup, ce président et ceux qui ont à préparer une élection législative pour lui rendre une majorité ne peuvent pas être totalement homothétiques.
Le Point : S'agirait-il de sauver Jacques Chirac malgré lui ?
Philippe Séguin : Je n'ai jamais dit une chose pareille. Je me contente d'expliquer ce qui me conduit à définir la stratégie qui est celle de notre mouvement. Stratégie dont je constate qu'elle ne fait pas l'unanimité...
Le Point : Y compris à l’Élysée...
Philippe Séguin : … C'est vous qui le dites. Mais il est vrai que certains estiment qu'il faut plutôt faire une fusion des organisations de l'opposition. D'autres font comme si on préparait une élection présidentielle. C'est là, la troisième stratégie que j'évoquais, et à laquelle je ne crois pas.
Car alors, perdant à nouveau des électeurs au lieu d'en reconquérir, nous ne gagnerons ni les législatives ni la présidentielle. Et, si nous perdons, l'anomalie continuera, et la France entrera couchée dans l'Europe, On ne sait plus, d'ailleurs, ce que, du coup, sera l'Europe...
Le Point : Vous êtes donc prêt à quitter la présidence du RPR si cette stratégie n'était pas adoptée par l'ensemble de vos compagnons ?
Philippe Séguin : J'ai dit deux choses, Que j'étais prêt à servir corps et âme la stratégie à laquelle je crois. Je leur ai expliqué, d'autre part, que notre mouvement a changé de nature, qu'il n'est plus au service de son président pour le porter à telle ou telle responsabilité, que le service des idées doit l'emporter sur toute autre considération, que le président du mouvement est un militant parmi les autres.
Si, pour permettre le succès de la stratégie à laquelle je crois, il fallait partir, j'y serais prêt. D'autant que le mouvement désormais organisé sur ses nouvelles bases peut se passer de moi. Et que je n'en ai pas une conception patrimoniale. Certains me prêtent des ambitions personnelles ? Je répète que ce n'est pas le cas ; j'ai déjà dit que je n'étais pas candidat à l'élection présidentielle, pas davantage candidat à la mairie de Paris. Je ne sais plus que faire pour convaincre ... à part prendre l'avion moi aussi pour le Japon et aller m'ouvrir le ventre !
Le Point : Le RPR n'est-il plus le parti du président ?
Philippe Séguin : Bien sûr que si ! Mais nous devons avoir une marge de manœuvre, sans pour autant nous mettre en contradiction avec lui. Prenons l'exemple de la réforme de la Constitution concernant le Conseil supérieur de la magistrature. Si Jacques Chirac dit que, sur ce point, le gouvernement va dans le bon sens, nous, nous devons avoir le droit de contester les modalités de cette réforme. De la même façon, le président peut dire que c'est une bonne chose de faire une loi contre l'exclusion, mais nous, nous avons le devoir de dire que cette façon de lutter contre l'exclusion n'est pas la bonne. Je pourrais multiplier les exemples.
Le Point : Apparemment, le président ne comprend pas toujours très bien la démarche du RPR…
Philippe Séguin : Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation.
Le Point : Vous n'en avez pas parlé au cours de vos déjeuners du mardi ?
Philippe Séguin : Je n'ai pas l'habitude de raconter ce qui se passe entre nous.
Le Point : N’y a-t-il pas encore une contradiction entre le président et vous-même sur un éventuel changement de mode de scrutin pour les élections européennes ?
Philippe Séguin : Je ne peux nier que je n'ai jamais demandé cette réforme. De toute façon, il faut attendre ce que M. Jospin va proposer. J'entends dire que le gouvernement va proposer un système comportant une liste nationale ... Ce serait plaisant.
Le Point : Dans ce cas, vous pourriez être candidat ?
Philippe Séguin : A chaque jour suffit sa peine ! Quoi qu'il en soit, il me semble que nous devons faire entendre notre spécificité. Conformément à la stratégie que j'ai définie. Nous avons une fibre gaulliste sur l'Europe. Il faut que nous l'exprimions. Nous voulons une Europe indépendante. Une Europe qui ne soit plus un nain politique. Nous voulons une Europe qui s'ouvre, une Europe démocratique. Nous voulons une Europe qui transcende notre indépendance, qui défende un modèle de société...
Le Point : ...Vous êtes déjà en campagne ?
Philippe Séguin : Oui, c'est à peu près ce que je dirais.
Le Point : Est-ce que les électeurs du RPR peuvent comprendre qu'il n y ait pas identité de vue entre les propos du Président de la République et ceux du président du mouvement ?
Philippe Séguin : Ce que les électeurs du RPR comprennent, c'est la nécessité d'un message identitaire et d'une opposition forte. A mes yeux, l'un ne va pas sans l'autre. Sinon le discours s'affadit, et le boulevard s'élargit pour le FN.
Le Point : Est-ce que vous êtes pas parvenu à ce moment où un responsable politique doit prendre ses distances avec le fondateur de son parti ? Jacques Chirac l'a fait ; Laurent Fabius et Lionel Jospin également.
Philippe Séguin : La différence entre eux et moi...
Le Point : ...C'est que eux, c'est eux...
Philippe Séguin : ...C'est que moi, je ne demanderai jamais de droit à l'inventaire. Je suis ainsi fait. Ma fidélité au Président de la République est totale. Mais ma fidélité à mes idées ne l'est pas moins. Je pense que ce sont ces idées qui sont les bonnes, y compris pour le soutien du Président de la République.
Le Point : N’est-ce pas compliqué de combiner cette double fidélité, dès lors que vos idées ne sont plus partagées par le président ?
Philippe Séguin : C'est la raison pour laquelle je me bats : pour que les pendules soient remises à l'heure. Et si je n'y arrive pas, je pourrai toujours m'occuper à autre chose qu'à l'horlogerie.
Le Point : Le Président de la République va s'exprimer dimanche soir à la télévision. Doit-il et peut-il apparaître comme celui qui sonne la fin de la récréation de l'opposition ?
Philippe Séguin : Que le président de la République dise que toute démocratie a besoin d'une opposition qui assume sa fonction, et il sera dans son rôle. Je suis certain qu'il ne sortira pas de son rôle en disant à l'opposition comment elle doit s'y prendre.
Le Point : La situation à l'Hôtel de Ville de Paris vous crée-t-elle du souci ?
Philippe Séguin : Paris est une illustration de la perte d'autorité dont je parlais tout il l'heure. J'ai dit que je n'étais pas indifférent à cette situation qui choque notre électorat et les Français. J'ai lancé un appel aux protagonistes...
Le Point : Précisément, Jean Tiberi a été nommé secrétaire départemental du RPR bien avant que vous en soyez le président. Peut-il rester à ce poste jusqu'à la date des municipales, en 2001 ?
Philippe Séguin : Je n'entends pas procéder de manière autoritaire. Mais il est certain que, lorsqu'on discutera enfin des solutions au problème de l'Hôtel de Ville, il faudra aussi mettre sur la table le dossier de l'organisation de la fédération RPR de Paris, il faudra élaborer une méthode démocratique de désignation de nos candidats. Jusqu'à présent, la procédure parisienne dérogeait au droit commun pour des raisons historiques qui ne vous ont pas échappé. Mais ces raisons historiques ne sont plus.
Le Point : On a l'impression que Lionel Jospin vous hérisse littéralement. Pourquoi tant d'animosité ?
Philippe Séguin : Je pense que c'est fonctionnel. Si on devait privilégier les relations personnelles, lui comme moi choisirions un autre métier.
Le Point : Vous avez pourtant évoqué son habileté ?
Philippe Séguin : Pris en flagrant délit de complaisance, je vais limiter la portée de mon propos. Je dirais son habileté à profiter de circonstances favorables. Mais, lorsque je me rappelle comment il était traité par les siens il y a seulement quatre ou cinq ans, j'avoue qu'il m'arrive aussi de considérer son parcours avec une certaine sympathie. Son expérience a de quoi rasséréner.
France 3 - 14 mai 1998
Question
Pas de fusion mais une union. Cela veut dire l'UDF et le RPR se rapprochent sans disparaître ?
Philippe Séguin
- « S'agissant de l'UDF, c'est à elle de décider - elle est en cours de débat à ce sujet - de quelle manière elle rentrera dans cette structure confédérale. Nous n'avons pas à nous prononcer à ce sujet. L'important, c'est qu'il faut respecter au sein de l'opposition une diversité nécessaire et souhaitable. Il y a divers courants de pensée au sein de l'opposition républicaine, c'est bien, c'est positif. Il ne faut pas passer le rouleau compresseur et essayer de ne voir qu'une tête dans l'alignement D'ailleurs, ce serait impossible. Mais d'autre part, dans la mesure où il nous faut conquérir la majorité aux élections législatives pour avoir le droit d'exercer la responsabilité du gouvernement, il faut bien prendre conscience qu'il est impossible à quiconque de le faire tout seul. »
Question
Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous disent que cela ressemble à la gauche plurielle ?
Philippe Séguin
- « Cela ne lui a pas si mal réussi, semble-t-il ! Il ne s'agit pas de la copier, d'autant qu'il y a des divergences de fond au sein de la gauche qui sont beaucoup plus importantes que chez nous. Non, ce qui est important, c'est que tout le monde pensait et estimait, non sans raison, qu'il y avait un désordre au sein de l'opposition qui devenait intolérable. Un processus est lancé pour mettre un terme à cette situation. Je crois que c'est très attendu par nos électeurs. »
Question
C'est un sursaut ou c'est l'initiative de la dernière chance ?
Philippe Séguin
- « Ne parlons pas d'initiative de la dernière chance! Une démocratie, pour fonctionner, a besoin d'une majorité et d'une opposition. L'objectif est de faire en sorte que l'opposition ne soit pas seulement monopolisée par les extrémistes. »
Question
Justement, concrètement, vous dites union mais qu'est-ce qui va se passer pour les prochaines élections ? Vous allez présenter des candidats communs ?
Philippe Séguin
- « Nous allons mettre en place une structure confédérale avec un président. Ce sera une présidence tournante. Les présidents des mouvements politiques membres de la confédération alterneront. Il y a un secrétariat commun. Il y aura une assemblée commune, des services communs. »
Question
Et des candidats ?
Philippe Séguin
- « On décidera élection par élection de ce que l'on fait, sans a priori, sans systématisme. Mais on le décidera ensemble. Alors il y a des moments, il y a des endroits où il faudra insister sur l'aspect identité parce qu'il vaut mieux au premier tour avoir deux candidats à tel endroit et à tel autre endroit, il vaut mieux n'en avoir qu'un seul. Tout cela, on le décidera ensemble. De même que l'on décidera ensemble quel est le programme commun, au-delà de nos différences, que l'on veut proposer aux électeurs. »
Question
Cela ne va pas être forcément facile parce qu'au sein même de l'UDF, on a entendu des divergences ces dernières semaines qui étaient assez importantes. Comment pouvez-vous parler d'union alors que ces divergences existent ?
Philippe Séguin
- « C'est ce que je voulais vous faire entendre quand je parlais de l'impossibilité et de l'inopportunité de faire passer un rouleau compresseur. C'est bien qu'il y ait de la diversité. Il y a de la diversité au sein même de notre peuple ! Alors pourquoi voudriez-vous qu'il y ait une traduction politique de l'opinion publique qui soit monolithique. Ce qu'il faut et ce n'est pas facile - et vous avez raison de le dire et merci de compatir implicitement aux difficultés que nous pouvons avoir parfois - c'est concilier le double objectif d'union et de respect de la pluralité. Je crois que l'Alliance va réussir cette conciliation. En tout cas, ce que j'observe, c'est que pour la première fois depuis des mois et des mois, les réactions au sein de l'opposition, ce soir, sont unanimes. Il n'y a pas une note discordante. C'est donc une très belle première journée pour ce processus d'alliance. »
RTL - 15 mai 1998
O. Mazerolle
Avec l'Alliance, vous dites : nous préservons l’union et la pluralité. La pluralité on la connaît, on a entendu la cacophonie et chacun d'ailleurs conserve son identité, mais où est le ciment qui va permettre l'union ?
P. Séguin
- « Effectivement, il faut à la fois de l'union et de la pluralité. De la pluralité, parce qu'il existe dans ce pays, face à la gauche, plusieurs courants de pensée qui sont différents, qui ont leurs racines dans l'Histoire, qui sont également attachés aux valeurs de la République, et il est inutile et inopportun de nier cette diversité qui peut être une richesse. Il y a, d'autre part, un besoin d'union parce qu'aucun de ces courants ne peut espérer gagner seul des élections législatives, ni exercer seul les responsabilités du Gouvernement. »
O. Mazerolle
Il y a déjà eu des tentatives dans le passé avec l'URC, l'UPF, etc. En quoi l'Alliance est-elle différente ?
P. Séguin
- « Elle répond à une attente, elle répond à un besoin, elle répond à une situation, et puis, elle vient à son heure. Elle vient après que chacune des deux formations actuelles de l'opposition se soit efforcée de faire son examen de conscience, de tirer les leçons de l'échec de 1997 et se soit essayée à accomplir la mutation qui est nécessaire. C'est ce que nous avons tenté de faire nous-mêmes au RPR. »
O. Mazerolle
Vous dites un programme de gouvernement commun ? Sur quelles bases ? Quelles peuvent être les grandes lignes d'un programme comme celui-là ?
P. Séguin
- « Je ne vais pas, au moment où on lance un processus de constitution d'une structure confédérale, vous dire d'ores et déjà à quoi on a abouti, en particulier à quel programme commun nous aboutirons. Il faudrait d'abord savoir à quel moment auront lieu les élections. Les programmes communs se préparent sur le long terme, je le veux bien, mais cela se met au point quelques semaines, quelques mois avant une échéance. Comment pouvez-vous savoir quelle est la situation à laquelle vous aurez à faire face ? Selon que vous êtes dans le cadre du processus d'entrée dans l'euro, ou que vous êtes dans l'après entrée dans l'euro, vous avez à aborder, à régler des problèmes qui sont tout à fait différents. Nous commencerons à travailler ensemble immédiatement, mais le programme commun bouclé de gouvernement, ce sera forcément pour plus, tard. »
O. Mazerolle
Pourrait-il y a avoir un contre-gouvernement de l'opposition ?
P. Séguin
- « Cela, ce sont des formules qui ont cours dans certains pays étrangers, en particulier en Angleterre. Je ne crois pas que cela corresponde tout à fait à la mentalité, à la tradition française. »
O. Mazerolle
En quoi cette union va-t-elle se matérialiser, va-t-elle se manifester de façon plus probante ?
P. Séguin
- « Elle va d'abord respecter la spécificité, l'identité de ce que seront ses composantes. Pour ce qui concerne le RPR, les choses sont d'ores et déjà claires. C'est en tant que RPR qu'il participera à cette structure confédérale. Et ensuite, ce sera un certain nombre de structures, de structures utiles pour préparer ce programme commun, pour préparer les équipes qui demain, je l'espère, auront la responsabilité du pouvoir. C'est-à-dire, j'imagine, que nous aurons une présidence tournante, un secrétariat permanent, une assemblée délibérante. »
O. Mazerolle
Vous dites vouloir associer les Français à l'élaboration de ce programme commun. Par quelle manière ?
P. Séguin
- « Il y a des propositions qui ont été faites, dont je crois que vous vous êtes fait vous-même l'écho, des propositions qui ont été faites par M. Balladur, par d'autres encore. »
O. Mazerolle
Donc ce processus pourrait être mis en œuvre ?
P. Séguin
- « Mais bien sûr, oui. »
O. Mazerolle
S'il y a un programme d'opposition, parce que dernièrement, dans une interview au Point vous disiez : « Il faut qu'on ait un message qui ne soit pas affadit ? »...
P. Séguin
- « Nous avons publié un texte disant que l'opposition a besoin à la fois d'union et de pluralité. Et alors, on cherche depuis 24 heures à nous mettre en contradiction en disant : vous aviez jusqu'à présent surtout insisté sur vos identités respectives, est-ce qu'il n'y a pas contradiction avec une volonté d'union ? Non, justement mais tout le problème est de réaliser l'équilibre entre cette nécessité de l'identité de chacun et, d'autre part, cette nécessité du respect de la pluralité et de l'union. Eh bien, c'est ce à quoi nous nous efforçons de parvenir. »
O. Mazerolle
Est-ce que la Droite de C. Millon est acceptable dans l'Alliance ?
P. Séguin
- « Cela, cela sera à M. Millon de se déterminer le moment venu. D'abord est-ce que la structure qu'il a mise en place est un parti politique ou pas ? Je n'en sais rien. Quelle est la doctrine de cette structure? Je n'en sais rien. Je crois qu'il y a là un formidable malentendu entre M. Millon et ceux qui sont susceptibles de le suivre. M. Millon a procédé à une manœuvre, a pris une initiative que chacun connaît, il a accepté les voix du Front national pour se faire élire président - pour résumer - de la région Rhône-Alpes. Ce qui est d'autant plus regrettable à mes yeux, c'est que ce n'était pas absolument indispensable et que nous pouvions détenir cette région sans cette opération. C'est fait, on en a pris acte. Nous en avons tiré, nous, côté RPR - nos amis côté UDF également -, les conséquences qui s'imposaient. Maintenant, il essaie de théoriser ce qui était un acte. Il y’a des gens qui s'intéressent à M. Millon. Pourquoi ? Parce que, disent-ils, il va s'allier avec le Front national, il va faire des choses avec lui. Or, que leur dit M. Millon ? Non, je ne veux pas. Il ne veut pas d'alliance avec le Front national ; au moment de l'élection de Toulon, il refuse de choisir entre le candidat de gauche et le candidat du Front national, et au moment où ces gens qui sont proches du Front national attendent un discours national - j'imagine ou alors, je ne comprends rien - il leur sort un discours sur la France girondine et sur l'Europe des régions. Non, il y a là un malentendu ce qui fait que c'est une opération qui demandera quelques temps pour finir en eau de boudin, mais dont le destin est déjà inscrit, à mes yeux, de manière très claire. »
O. Mazerolle
M Millon n'est pas forcément un banni ?
P. Séguin
- « M. Millon, on verra ce qu'il fera, mais il n'est pas au centre de mes préoccupations. »
O. Mazerolle
Avez-vous résolu votre problème de la marge de manœuvre par rapport au Président de la République ?
P. Séguin
- « Le problème auquel nous sommes confrontés est de gagner les élections législatives, c'est cela, le travail des partis politiques. »
O. Mazerolle
Alors l'Alliance est là avant tout pour les législatives ?
P. Séguin
- « Attendez, je sais bien que nos institutions ont beaucoup évolué ces dernières années, pas toujours dans le bon sens, mais il y a quand même quelques principes auxquels il faut se référer. Un de ces principes, c'est que les partis politiques ne font pas l'élection présidentielle, c'est tout le contraire. Ca serait tout le contraire de l'esprit de la Vème République. Les partis politiques sont là pour concourir à l'expression du suffrage dans les autres élections, et en particulier d'abord dans les élections législatives. D'ailleurs, nous ne nous appellerions pas l'opposition, alors que nous sommes majoritaires dans certaines régions, dans certains conseils municipaux, au Sénat, si nous n'étions pas minoritaires à l'Assemblée nationale. C'est cela qui est essentiel pour un parti politique. Donc, l'objectif prioritaire de l'Alliance, c'est de préparer, de gagner les élections législatives et ensuite de créer les conditions de l'exercice d'un gouvernement sur les bases du programme qu'elle aura mis au point. »
O. Mazerolle
La droite a toujours explosé quand il s'est agi de désigner son champion pour les présidentielles. L'Alliance va empêcher cela ?
P. Séguin
- « Les élections présidentielles sont une affaire entre des hommes, des femmes et le pays : un homme face au pays. Moi, je ne vois pas une élection présidentielle comme la désignation par un parti politique d'un candidat. On désigne des candidats pour les élections législatives, on ne désigne pas un candidat pour l'élection présidentielle. On va ensuite, le cas échéant, apporter son soutien à un candidat aux élections présidentielles, mais une fois encore - je le rappelle - la démarche présidentielle est une démarche personnelle et un dialogue entre un homme, une femme et le pays. »
O. Mazerolle
Il y a trois semaines, vous disiez aux militants RPR que vous étiez un président humilié. Avez-vous changé d'état d'esprit ?
P. Séguin
- « Je dis ce que je ressens et je ne pratique pas la langue de bois, moi ! »
O. Mazerolle
Ce matin, que ressentez-vous ?
P. Séguin
- « Une certaine satisfaction de voir que cette initiative, que nous avons prise avec F. Léotard de lancer le processus en question, reçoit dans les rangs de l'opposition un accueil unanime. Je crois que c'est la première bonne journée que nous avons vécue, hier, dans l'opposition depuis très longtemps. »