Éditoriaux de M. Marc Vilbenoit, président de la CFE CGC, dans "La Lettre confédérale CGC" des 27 avril et 18 mai 1998, sur le débat sur les 35 heures, notamment la phase de négociations entre partenaires sociaux et la croissance, l'emploi et le progrès social dans le cadre de l'Union économique et monétaire.

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La lettre confédérale CGC - 18 mai 1998

35 heures : pour une spécificité offensive

Ce n’est pas d’aujourd’hui – alors que nous sommes à quelques heures du vote de la loi Aubry – que la CFE-CGC a pris parti en faveur de la réduction du temps de travail.

Réduction qui, d’ailleurs, s’est exercée – quand on veut bien regarder objectivement et non idéologiquement les choses – dans les pays de l’Union européenne, sous des formes diversifiées et adaptées aux spécificités historico-culturelles de chacun.

Réduction qui, pour nous, n’a de sens que si elle conduit à un développement de l’emploi, s’ajoutant aux créations qu’entraîne naturellement, mais suffisamment, la croissance économique qu’il faut souhaiter – mais avec quelles garanties ? – forte et pérenne.

Certains, qui ne veulent pas voir les réalités, continuent de prétendre que le chômage n’est qu’un signe de dégénérescence et d’inadaptation de nos vieux pays. Et de nous donner en modèle les économies émergentes d’une Asie conquérante. Qu’en pensent-ils maintenant que, de la Chine à l’Indonésie, en passant par la Thaïlande ou la Corée, l’unité de compte est la centaine de missions de chômeurs et que l’absence de protection sociale et de syndicats démocratiques – les deux faits étant liés – poussent les peuples vers les troubles sociaux ?

Bien des incertitudes demeurent, c’est évident. Comme à l’habitude, les technocrates nous ont asséné les résultats de leurs modèles macroéconomiques prouvant tout et le contraire de tout. Montrer que d’ici 2002, la réduction du temps de travail peut apporter 700 000 emplois ou en détruire 20 000 (en cumulant tous les paramètres pessimistes), ce n’est qu’afficher le reflet de ses propres a priori. Il n’empêche que le point moyen s’établit autour de 300 000.

Ensuite, les attentes des Français sont à la fois fortes et contrastées. L’arbitrage entre rémunération et temps libre est flottant dans la durée et selon les sondages. Mais, la priorité donnée au pouvoir d’achat est désormais équilibrée par le fait que 60 % des Français (contre 40 % en 1994) estiment que les 35 heures créeront de l’emploi.

Spécificité française ou pas, nous sommes au pied du mur, nous allons maintenant entrer dans une phase de négociations généralisées. C’est obligatoire, c’est inéluctable. Évidemment, des résistances vont encore s’exercer, des menaces pointer. D’aucuns ne rêvent que de nous enfoncer dans le Jurassic Park de la glaciation des relations sociales et de la fossilisation des accords collectifs. Mais le principe de réalité l’emportera. C’est pourquoi nous avons bâti une organisation et forgé les outils qui permettront à nos représentants dans les entreprises et dans les régions d’être bien armés pour aller de l’avant.

Et nous sommes prêts. Prêts à négocier, prêts à mandater, prêts à discuter les conventions de forfait, prêts à défendre les intérêts de l’encadrement, prêts à expérimenter pour lui des solutions réalistes de réduction du temps de travail, sans démagogie, sans accepter la banalisation et en refusant la discrimination, anti-encadrement.

Même en ces temps de commémoration de mai 1968, à grand renfort de gaucho-nostalgie, y compris dans le choix des lieux de réunions, nous veillerons à ce que le personnel qualifié essentiel par son potentiel de compétences pour l’avenir de nos produits, de nos marchés, de nos entreprise, de nos emplois, ne soit pas sacrifié sur l’autel d’un égalitarisme destructeur d’espoir et de progrès.


La lettre confédérale CGC - 27 AVRIL 1998

EURORÉALISTES

Je m’efforcerai de ne pas gloser sur l’euroconfusion et les divisions que nous révèlent les débats politiques actuels. Car l’ironie ne sied point quand il s’agit de notre avenir à tous, jeunes, adultes, anciens.

Devant nos yeux, chaque jour l’Europe se fait. L’Europe des entreprises transnationales, l’Europe de la banque et de l’assurance, celle des industries de défense ou de la communication multimédias…

Allons-nous rester passifs, impuissants ? Non, parce que tous, nous serons touchés dans nos emplois, nos protections sociales, nos retraites, par les choix effectués, les décisions prises.

L’Europe, ce n’est pas seulement une technocratie, une bureaucratie lointaines. C’est devenu une réalité dont les effets sont désormais palpables. L’Europe ce n’est pas seulement une lutte politique où l’on ne sait plus très bien parfois qui est avec qui est qui est pour quoi. C’est aussi un combat syndical.

Chacun l’a à peu près compris maintenant et même les eurolyriques l’avouent : euro ou pas, rien n’est acquis, rien n’est gagné, tout est en devenir, tout reste à conquérir ; D’autres restructurations, d’autres concentrations viendront. Chacun va tenter de monopoliser les marchés de la zone euro en rivalisant de gains de productivité. Pour capter cette production, la tentation sera grande de jouer sur le coût du travail et le niveau de la protection sociale.

Ni la croissance, ni l’emploi, ni le progrès social ne viendront automatiquement si la volonté politique et l’action syndicale ne s’en mêlent pas.

L’Europe n’est pas une fin en soi. À quoi servirait-il de construire, au travers de l’Union européenne, l’ensemble le plus riche du monde, s’il est incapable d’assurer l’avenir des peuples qui le constituent, de maintenir la cohésion sociale et de créer de l’activité et de l’emploi.

On a le droit d’être inquiet de l’insuffisance de pouvoir politique du Conseil de l’euro cerné par les exigences d’un pacte de stabilité fortement contraignant au plan budgétaire et face à une Banque centrale européenne, gardienne de la monnaie. Attention au piège déflationniste destructeur d’emplois !

On a le droit d’être inquiet devant le peu de moyen mis au service des initiatives européennes de croissance.

On a le droit d’être inquiet de l’absence d’institutions de coordination des politiques économiques, fiscales et de l’épargne.

On a le droit d’être inquiet de l’inexistence de critères de convergence sociale, intégrant notamment la lutte contre le chômage et la définition des droits sociaux.

On a le droit d’être inquiet de la discrimination qui s’exerce au détriment de l’Encadrement qui ne dispose pas encore d’une représentation autonome dans la négociation sociale européenne.

Autant d’inquiétudes, autant de raisons de poursuivre, dans le même sens, notre combat pour une Europe qui ne soit pas une simple zone de libre-échange où les femmes et les hommes ne seraient que les jouets impuissants des marchés.

Ce combat ne s’arrête pas avec le vote d’une motion, ni même avec le futur débat sur la ratification du traité d’Amsterdam. Il est celui permanent pour notre avenir.

Ni europhoriques, ni eurosceptiques, nous sommes tout simplement euroréalistes.