Texte intégral
Marché de l’armement (évolution)
La restructuration de nos industries de défense est une priorité et devra s’inscrire nécessairement dans une perspective européenne. Comme ministre de la défense, je souhaite faire de cet objectif un instrument de modernisation et de dynamisation du secteur de l’armement, fortement touché par les bouleversements de notre environnement politique, économique et technologique de ces dernières années. Les données essentielles sont connues : très forte contraction de la demande d’équipements de défense dans le monde depuis 1990 ; montée en puissance d’entreprises américaines restructurées et concentrées, dopées par un effort d’investissement et de recherche qui a su maintenir depuis de longues années un différentiel financier important par rapport aux pays européens ; éparpillement et cloisonnement, à l’inverse, des entreprises concernées en Europe ; renouvellement accéléré des technologies civiles, à un rythme et avec des soutiens qui dépassent largement ceux des investissements militaires.
La France est à la fois le pays le mieux préparé à tirer parti de cette mutation et celui qui doit engager le plus résolument des réformes. Notre pays dispose en effet de l’une des industries les plus fortes sur le continent. Son niveau d’investissement est, avec celui des Britanniques, parmi les plus élevés. Ces capacités technologiques de premier plan ont été développées à partir d’un principe d’autonomie qui inspire l’ensemble de sa politique de défense. En même temps, la France a toujours figuré au premier rang des pays favorables à la coopération européenne dans les programmes d’armement. Ces données évoluent. Parce que la France ne parviendra plus à concevoir et réaliser seule, au meilleur niveau mondial de la technologie, 95 % de l’équipement de ses forces. Parce que le niveau actuel des budgets d’équipement oblige les États à rechercher un véritable partage des coûts qui les conduira à accepter un partage au moins partiel des rôles. Parce que la concurrence internationale impose des structures d’entreprises différentes et un degré de compétitivité de plus en plus élevé. Parce que, aussi, notre projet politique nous conduit à faire de l’Europe de la défense et de la politique de défense commune une perspective concrète, ouverte dans le récent traité d’Amsterdam.
Europe de l’armement
De même que nos années ont engagé, en particulier avec la professionnalisation et l’adoption du nouveau modèle d’armée 2015, une véritable révolution pour s’adapter aux besoins militaires de l’après-guerre froide, de même l’industrie de défense en Europe et singulièrement en France, ainsi que nos politiques d’acquisition, doivent s’adapter à la nouvelle donne. Les entreprises ont déjà largement engagé ce changement. L’État doit appuyer à fond ce mouvement : c’est la mission qui est confiée à la délégation générale pour l’armement.
Les obstacles sont nombreux. Il faut reconnaître que la conception de la future industrie européenne de défense n’est pas unanimement partagée. Certains États, qui ne disposent pas de la même base industrielle que nous, mettent en doute l’importance stratégique du secteur industriel de l’armement. D’aucuns critiquent les surcoûts engendrés par les programmes en coopération lancés dans les années 1980, dont la construction financière ou industrielle n’est pas – il est vrai – exempte de défauts. D’autres dénoncent les nationalismes industriels qui avanceraient, à peine masqués, derrière la bannière de l’Europe. La France ne partage pas ce scepticisme, ni cette tiédeur. Elle est convaincue qu’une base industrielle et technologique forte est une condition de l’autonomie politique et stratégique. Elle soutient que ses partenaires partagent ou partageront cette analyse. Les récents développements de la concertation entre l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie et la France, en matière de restructuration industrielle, en sont un signe nouveau, indiscutable et encourageant. Le mouvement qui rapproche irrésistiblement les grandes entreprises dans ce secteur industriel précède souvent l’action des États. Il appartient à ceux-ci de tout faire pour rendre possible et encourager ces évolutions.
Politique européenne de l’armement
Comment faire, alors que beaucoup soulignent, souvent à juste titre, que l’Europe de l’armement piétine, en dépit de nombreux espoirs et des tentatives passées ? L’action que nous conduisons comporte trois volets étroitement complémentaires :
– le processus de décision politique, jusqu’au niveau le plus élevé : l’Europe de la défense ne se construira que si la volonté politique au niveau des chefs d’État et de gouvernement trouve à s’exprimer, en particulier, dans le cadre du conseil européen et des sommets ; ces instances doivent tracer les perspectives et donner l’impulsion ;
– les restructurations industrielles à l’échelle européenne : elles sont d’abord le fait des responsables industriels, à qui il appartient de négocier et de mettre en œuvre les alliances ou les rapprochements pertinents. Même si des divergences d’intérêt légitimes se manifestent parfois entre des entreprises dont les situations industrielles ou financières peuvent apparaître asymétriques, je suis confiant dans le dynamisme des industriels pour parvenir à des accords structurants et conforter ainsi le potentiel technologique et industriel des entreprises européennes d’armement. Il appartient aux gouvernements, et d’abord dans les pays qui disposent des bases industrielles les plus importantes, de définir, notamment dans le cadre de l’Union européenne, les mesures d’accompagnement et le dispositif réglementaire harmonisé qui sont indispensables ;
– les programmes d’armement en coopération : ils restent une pierre angulaire de cette politique ; leur conception et leur montage sont probablement encore trop marqués par des schémas qui étaient pertinents il y a quinze ans, mais qui se révèlent aujourd’hui inadaptés : ainsi, par exemple, la France et l’Allemagne, rejointes par la Grande-Bretagne et l’Italie, sont-elles tombées d’accord sur une approche différente du retour industriel dans l’accord qui a donné naissance, en novembre 1996, à l’organisme commun de la coopération en matière d’armement (OCCAR). En tout état de cause, les équipements de nouvelle génération produits en commun sont à la fois la manifestation concrète et le symbole d’une volonté commune. Ces équipements occupent une part croissante dans nos dépenses d’investissement : c’est la garantie d’une évolution à long terme, qui me semble irréversible, vers l’Europe de l’armement.
L’impact de la construction européenne sur les structures étatiques doit ainsi être souligné. Chacun s’organise pour prendre en compte cette perspective européenne. Les activités industrielles de l’État elles-mêmes sont concernées. L’unification progressive de la demande européenne en matière d’armement et la création de grands groupes industriels imposeront une coordination et une rationalisation des centres techniques et d’essais en Europe. La DCN, de son côté, n’hésite plus à avancer dans le sens d’une coordination et d’échanges croissants avec ses homologues européens, dans le cadre de son statut. La réorganisation de l’industrie de défense à l’échelle européenne s’impose donc comme une nécessité urgente afin de permettre à nos entreprises de s’imposer demain au plan international. Elle contribuera à faire des Européens des partenaires à part entière des États-Unis dans la relation transatlantique, d’autant plus solidaires qu’ils seront en mesure de s’appuyer sur un rapport d’équilibre. L’édification d’une industrie de défense européenne constitue l’un des points de passage nécessaires à l’affirmation politique de l’Europe.